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07/01/2022
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Cour d'appel Liège (12e chambre A, référés), 07/01/2022


Jurisprudence - Droits fondamentaux

J.L.M.B. 22/33
I. Référé - Compétence - Responsabilité - Pouvoirs publics - Cessation d'atteintes à des droits subjectifs.
II. Référé - Compétence - Cour constitutionnelle déjà saisie d'une question préjudicielle - Pas d'obligation de l'interroger à nouveau.
III. Lois, décrets et arrêtés - Accord de coopération - Vie privée - Absence d'avis de l'autorité de protection des données - Responsabilité - Pouvoirs publics.
IV. Libertés publiques - Généralités - Santé publique - Crise sanitaire du coronavirus - Covid Safe Ticket - Proportionnalité - Égalité.
1. Le juge des référés a un pouvoir de juridiction pour connaître d'une demande qui vise à faire cesser des atteintes à des droits subjectifs, en l'occurrence basés sur des droits fondamentaux, et s'appuie sur l'article 1382 de l'ancien Code civil, pour ordonner les mesures nécessaires à la cessation du dommage causé par la faute de l'autorité publique, y compris si elle émane d'un législateur.
2. Pour autant que la Cour constitutionnelle soit déjà saisie d'une demande ou d'un recours ayant le même objet, le juge des référés n'est pas tenu de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, même si un doute sérieux existe quant à la compatibilité d'une norme législative à la Constitution.
3. Le fait de conclure un accord de coopération qui concerne un traitement de données à caractère personnel et de lui donner assentiment sans solliciter l'avis préalable de l'Autorité de protection des données viole le R.G.P.D. et constitue une faute aquilienne dans le chef de l'autorité publique.
4. Au regard de la situation épidémiologique au moment où la cour se prononce, le régime du Covid Safe Ticket ne constitue pas une mesure disproportionnée aux objectifs qu'il contribue à atteindre.

(Région wallonne/ A.S.B.L. Notre bon droit et alii )


Vu l'ordonnance prononcée par défaut le 30 novembre 2021 par le tribunal de première instance de Namur, division de Namur, siégeant en référé ; (...)
1. Rappel des faits et antécédents procéduraux
Notre bon droit se présente comme une A.S.B.L., soit « une alliance de professionnels de la santé, de scientifiques, de juristes et de citoyens belges qui estiment que la réponse du gouvernement à la Covid-19 est malavisée et ne repose pas sur les meilleures preuves scientifiques disponibles ».
Cette association sans but lucratif explique avoir pour objectif de défendre les intérêts des citoyens belges dans le cadre de la gestion de la pandémie liée au SARS-CoV-2 (Covid-19). Dans ce cadre, Notre bon droit s'assigne notamment pour but la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans le cadre de cette pandémie.
Noémie déclare avoir un frère qui réside dans une maison de repos située à O(...). Jusqu'à l'entrée en vigueur du Covid Safe Ticket, elle lui rendait régulièrement visite. Non-vaccinée, elle est contrainte, pour rendre visite à son frère, de procéder à des tests antigéniques plusieurs fois par semaine explique-t-elle.
Maria expose que sa mère réside dans un home à S(...). Elle se trouve dans la même situation que Noémie.
Sophie déclare être mère de trois enfants : Clara - 5 ans, Maxence - 15 ans et Valentina - 17 ans.
Ces personnes ont fait choix, pour diverses raisons qui leur sont propres, de ne pas se faire vacciner.
Sophie explique que de facto, à moins de se soumettre à un test systématique, elle et Valentina, sa fille aînée, ne peuvent se rendre dans un quelconque lieu soumis au Covid Safe Ticket. Quant aux autres enfants, Maxence et surtout Clara, ils se voient également refuser de se rendre dans un quelconque de ces établissements, n'ayant pas l'âge de sortir seuls, en particulier pour la cadette âgée de 5 ans. Cette dernière, qui n'est soumise à aucune condition de passeport sanitaire, est donc, explique-t-elle, tout autant privée de la possibilité d'aller au musée, au cinéma, au parc d'attraction indoor, au restaurant, au centre sportif, etc., contrairement à des enfants dont les parents sont vaccinés. Ainsi, toute sortie individuelle ou en famille est dorénavant exclue, conclut-elle.
(...)
Dans l'ordonnance querellée, rendue par défaut, le juge a quo a estimé que les mesures demandées par les parties intimées relevaient de son pouvoir de juridiction. Il a considéré en outre que l'urgence était établie. Il a retenu les illégalités apparentes suivantes :
  • l'accord de coopération modificatif du 28 octobre 2021 viole l'article 36-4 du R.G.P.D. parce qu'il n'a pas été soumis à l'autorité de protection des données ;
  • le décret du 21 octobre 2021 qui contient des peines pénales viole le principe de légalité compte tenu du fait qu'il aurait dû se suffire à lui-même pour être appliqué et que ce n'est pas le cas vu les 38 pages de F.A.Q. publiées par la Région wallonne sans fondement légal ;
  • le décret du 21 octobre 2021 est disproportionné par rapport à l'objectif de santé poursuivi. La Région ne démontre pas la nécessité et le fait qu'aucune autre mesure moins attentatoire aux droits et libertés aurait permis de poursuivre le même objectif ;
  • le décret du 21 octobre 2021 ne fixe pas de critère épidémiologique, ce qui contrevient au principe de légalité ;
  • l'accord de coopération autorise les pratiques discriminatoires ;
  • la Région a ignoré l'avis de l'autorité de protection des données et de la section de législation du Conseil d'État.
Ainsi, le juge a quo
  • a constaté la contrariété apparente de l'accord de coopération du 28 octobre 2021 et du décret d'assentiment du 28 octobre 2021 au règlement général de protection des données ;
  • a constaté la contrariété apparente du décret du 21 octobre 2021 au droit supranational de l'Union européenne et son apparente violation au principe de légalité ;
  • a constaté que ces normes semblent également contrevenir au principe de proportionnalité par rapport au but poursuivi ;
  • a condamné la Région à prendre toutes les mesures appropriées pour mettre un terme à cette situation d'illégalité apparente de l'usage du Covid Safe Ticket en Région wallonne, sous peine d'une astreinte de 5.000,00 euros par jour de retard qui deviendra exigible au-delà d'un délai de sept jours à dater de la signification de l'ordonnance.
2. L'objet de l'appel
Appel a été interjeté par la Région wallonne.
(...)
3. Discussion
(...)
b. Le pouvoir de juridiction de la cour
L'article 144 de la Constitution confère aux cours et tribunaux la compétence exclusive de connaître des demandes portant sur des droits subjectifs de nature civile. Les cours et tribunaux de l'ordre judiciaire sont ainsi compétents pour connaître de la demande de réparation d'une lésion de tels droits.
Il est généralement admis que les cours et les tribunaux ne peuvent apprécier l'opportunité d'un acte relevant d'une compétence non liée d'une autorité administrative sous peine de violer le principe de la séparation des pouvoirs. Ils ne peuvent, en effet, se substituer à l'administration (au sens large). Ils peuvent, par contre, exercer un contrôle de légalité et un contrôle marginal de la décision administrative.
Ce qui importe, c'est la nature des droits lésés et non la nature des parties en cause. Dès lors, qu'une personne se dit titulaire d'un droit civil et qu'elle allègue qu'une atteinte à ce droit est portée et qu'elle demande la réparation du préjudice qu'elle éprouve à la suite de cette atteinte, le pouvoir judiciaire peut et doit connaître de la contestation. Il a le pouvoir d'ordonner la réparation à ce droit même si la lésion est causée par un acte illicite d'une administration publique (voy. en ce sens, l'arrêt de principe de la Cour de cassation du 5 novembre 1920, Pas., 1921, I, p. 192 et les arrêts subséquents en la matière quant à la responsabilité aquilienne d'un pouvoir public).
Ainsi, si l'objet du recours tend à consacrer l'existence d'un droit subjectif et en assurer le respect, les cours et tribunaux sont compétents pour en connaître et donc le juge des référés a pouvoir de juridiction.
Il importe encore de relever que les cours et tribunaux peuvent également intervenir dans les protections des droits fondamentaux. Si on se place dans le cadre d'un référé, qui est l'hypothèse qui nous occupe, dans les limites de l'existence d'une urgence et du provisoire, le juge des référés a le pouvoir d'examiner si l'autorité administrative au sens large a agi comme une autorité normalement prudente et diligente lorsqu'il appert que manifestement elle porte atteinte à un droit subjectif. Cela vaut également pour une autorité législative. Le contrôle est marginal mais il est réel.
Le principe de séparation des pouvoirs, qui tend à réaliser un équilibre entre les différents pouvoirs de l'État, n'implique pas que celui-ci serait, de manière générale, soustrait à l'obligation de réparer le dommage causé par sa faute ou celle de ses organes dans l'exercice de la fonction législative (voy. Cass., 28 septembre 2006, R.G. N° C.02.0570.F). C'est notamment le cas lors d'intervention ou omission législatives fautives. Reprenant des passages de l'arrêt La Flandria du 5 novembre 1920, la Cour de cassation dans son arrêt du 28 septembre 2006 a ainsi jugé que la responsabilité civile de l'État-législateur peut être engagée lorsqu'est constatée une atteinte fautive à un droit consacré par une norme supérieure imposant une obligation à l'État et ce, même lorsque la norme qui la prescrit laisse au législateur un pouvoir d'appréciation quant aux moyens à mettre en oeuvre pour en assurer le respect. C'est l'aboutissement d'une évolution jurisprudentielle qui, désormais, consacre l'application du régime de responsabilité extracontractuelle à chacun des pouvoirs quel que soit celui qui commet la faute : l'exécutif, le juge ou le législateur.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation ne donne pas de définition spécifique de la faute. Selon l'opinion majoritaire en doctrine, l'arrêt consacrerait le principe suivant lequel la simple violation d'une norme, constatée par une juridiction compétente, constitue une faute.
Dans un arrêt subséquent du 10 septembre 2010, la Cour de cassation ajoute que la simple déclaration, par la Cour constitutionnelle, d'une violation de la Constitution, n'est pas en soi une faute : la responsabilité du législateur requiert, en outre, l'appréciation propre à la matière de la responsabilité, à savoir la norme du bonus pater familias soit, le comportement d'un législateur normalement prudent et diligent placé dans la même situation (voy. Cass., 10 septembre 2010, F.09.0042.N, T.B.P., 2011/10, p. 581).
Il est ainsi permis aux cours et tribunaux de contrôler si le pouvoir législatif a légiféré de manière adéquate ou suffisante pour permettre à l'État de respecter la norme supérieure lui imposant de protéger les droits consacrés, par exemple, par la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Ainsi, la cour de céans dispose d'un pouvoir de juridiction pour apprécier l'existence ou non des conditions de mise en oeuvre de la responsabilité civile d'un pouvoir public sur la base de l'article 1382 de l'ancien Code civil. Ce faisant, la cour exerce bien un contrôle de légalité et non d'opportunité du comportement adopté par l'autorité publique.
Depuis l'arrêt Le Ski du 27 mai 1971, le principe de primauté du droit international s'applique automatiquement dans l'ordre juridique interne dès lors que la norme de droit international a des effets directs dans l'ordre juridique interne. Dans une telle hypothèse, la règle établie par le traité international, en cas de conflit avec une norme interne, doit prévaloir et la norme de droit interne être écartée (voy. arrêt Le Ski, Cass., 27 mai 1971, Pas., 1971, I, p. 866).
Depuis l'arrêt Simmenthal (C.J.C.E. 9 mars 1978, n° 106/77), la garantie de l'effectivité de la règle du droit de l'Union relève directement de l'intervention du juge national. Dans cet arrêt, la Cour de justice revient sur le principe de primauté qui implique que toute juridiction nationale, chargée d'appliquer dans le cadre de ses compétences les dispositions du droit de l'Union, doit être en mesure de garantir le plein effet de ce droit, en laissant au besoin la norme interne en cause inappliquée et ce, sans que le juge national ait à demander ou à attendre l'élimination de cette norme interne par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel.
Ainsi, il incombe aux cours et tribunaux nationaux d'assurer la non-violation des dispositions du droit communautaire et de garantir le plein effet de celui-ci. Ceci est d'application lorsque la norme internationale a un effet direct.
Rappelons que cet effet direct de la norme internationale est déterminé par le contenu de la norme. Elle doit être claire soit, suffisamment précise et inconditionnelle, à savoir qu'elle ne doit pas nécessiter de mesures d'exécution complémentaires par les États signataires qui laisseraient une certaine marge de discrétion. Il n'est pas discutable que les traités de l'Union et ses règlements sont directement applicables dans tout État membre.
In casu, indéniablement, il est invoqué la violation de droits subjectifs. En effet, les parties intimées se plaignent d'une atteinte disproportionnée et fautive à leurs droits subjectifs dont notamment la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (« C.D.F.U.E. ») ou encore la Convention européenne des droits de l'homme (« C.E.D.H. »).
En effet, ces instruments consacrent divers droits tels que
  • l'article 3 C.D.F.U.E. (droit à l'intégrité de la personne) ;
  • l'article 7 C.D.F.U.E. et article 8 C.E.D.H. (respect de la vie privée) ;
  • l'article 8 C.D.F.U.E. (protection des données à caractère personnel);
  • l'article 12 C.D.F.U.E. et article 11 C.E.D.H. (liberté de réunion et d'association) ;
  • l'article 13 C.D.F.U.E. (liberté des arts) ;
  • l'article 16 C.D.F.U.E. (liberté d'entreprise) ;
  • l'article 21 C.D.F.U.E. et article 14 C.E.D.H. (non-discrimination) ;
  • l'article 24 C.D.F.U.E. (droits de l'enfant) ;
  • l'article 25 C.D.F.U.E. (droits des personnes âgées).
Les parties intimées indiquent que le Covid Safe Ticket tel qu'implémenté en Wallonie viole ces dispositions dès lors qu'il restreint ces droits de manière illégale, discriminatoire et disproportionnée.
Plus exactement, les parties intimées invoquent la responsabilité de la partie appelante pour avoir adopté des actes qui sont contraires à ces droits couverts par des instruments internationaux et retiennent des fautes aquiliennes de l'appelante par référence au comportement prudent qu'elle est supposée adopter. Elles sollicitent la cessation des atteintes portées aux droits ci-avant mentionnés dont le caractère subjectif est indiscutable.
Cette analyse vaut également pour l'A.S.B.L. Notre bon droit. En effet, cette A.S.B.L. a inscrit son action dans un cadre de la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales si l'on se réfère à l'article 3 de ses statuts. Le caractère subjectif des droits dont question est indiscutable et l'action envisagée n'a pas pour objet, comme le soutient la partie appelante, de vouloir mettre en échec l'oeuvre législative mais bien de postuler la cessation des atteintes portées à des droits subjectifs, sur le pied de l'article 1382 de l'ancien Code civil.
Dans ce cadre, le juge des référés a un pouvoir de juridiction pour connaître de la demande.
L'appelante conteste ce pouvoir de juridiction invoquant une violation de l'article 142 de la Constitution. Elle estime que les cours et tribunaux sont sans compétence car il s'agit d'une compétence de la Cour constitutionnelle, celle-ci étant par ailleurs amenée à se prononcer sur l'accord de coopération litigieux dans le cadre de deux procédures en annulation et suspension actuellement pendantes.
La Cour ne peut suivre cette thèse telle qu'exposée.
En effet, les parties intimées soutiennent devant la cour une violation du droit supranational telle qu'indiquée ci-avant, il a déjà été précisé que dès lors qu'il s'agit de norme avec un effet direct dans le droit interne, la cour peut, le cas échéant, écarter la norme interne qui serait contraire au droit supranational sans qu'il soit nécessaire que le législateur ou la Cour constitutionnelle ne se prononce. De même, la question posée par les parties intimées se place sur le terrain de l'existence d'une faute aquilienne commise par la partie appelante dont elles postulent la réparation. Ces appréciations ne relèvent pas de la Cour constitutionnelle mais bien des cours et
tribunaux.
Enfin, il a encore déjà été précisé que les cours et tribunaux gardent compétence pour apprécier la manière dont une compétence discrétionnaire d'une autorité s'exerce, cette dernière pouvant être questionnée et soumise au contrôle judiciaire, si cette manière est fautive.
La seule restriction à cette analyse est la suivante et il s'agit là d'une différence notable avec la contrariété d'une norme avec le droit supranational. Il s'agit de l'application de l'article 26, paragraphe 4, de la loi du 6 janvier 1989. Rappelons tout de même que de toute évidence, la Cour constitutionnelle n'est pas compétente pour ordonner elle-même la réparation d'un dommage résultant d'une inconstitutionnalité. En vertu de l'article 144 de la Constitution, il revient au seul pouvoir judiciaire de statuer sur le droit à la réparation d'un préjudice (sous réserve de la compétence récente reconnue au Conseil d'État de statuer sur les effets civils de ses décisions). Mais, pour ce faire, la violation de la norme constitutionnelle doit avoir dûment été constatée par la Cour constitutionnelle qui est la seule habilitée à exercer un contrôle sur la constitutionnalité. Ainsi, de deux choses l'une : soit, l'action en responsabilité civile contre l'autorité publique a été déclenchée à la suite d'un arrêt de la Cour constitutionnelle constatant une violation de la Constitution dans le chef du législateur et les cours et tribunaux peuvent traiter cette action et envisager en quoi cette violation est constitutive d'une faute au sens de l'article 1382 de l'ancien Code civil, soit, la Cour constitutionnelle ne s'est pas précédemment prononcée sur l'inconstitutionnalité vantée à l'appui de l'action en responsabilité et il revient alors aux cours et tribunaux, avant de statuer sur cette action, de poser à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle.
Ainsi, la Cour de cassation a énoncé que « les juridictions de l'ordre judiciaire n'ont pas le pouvoir de contrôler la conformité des lois à la Constitution de telle sorte que l'arrêt qui procède à un tel contrôle méconnaît le principe de la séparation des pouvoirs et viole l'article 159 de la Constitution » (voy. en ce sens, Cass., 28 février 2005, Pas., 2005, p. 496).
Sur ce point, la cour rejoint donc l'analyse de l'appelante. Mais, ce qu'omet la partie appelante, c'est que la position des intimées ne repose pas sur une inconstitutionnalité de la norme laquelle est effectivement pendante devant la Cour constitutionnelle mais bien, sur une violation du droit supranational. La mention de l'article 26, paragraphe 4, mise en exergue par la partie appelante est donc sans pertinence.
En outre, la partie appelante semble oublier l'article 26, paragraphe 3, qui énonce que « Sauf s'il existe un doute sérieux quant à la compatibilité d'une loi, d'un décret ou d'une règle visée à l'article 134 de la Constitution avec une des règles ou un des articles de la Constitution visées au paragraphe 1er et qu'il n'y a pas de demande ou de recours ayant le même objet qui soit pendant devant la Cour, une juridiction n'est pas tenue de poser une question préjudicielle ni lorsque la demande est urgente et que le prononcé au sujet de cette demande n'a qu'un caractère provisoire, ni au cours d'une procédure d'appréciation du maintien de la détention préventive ».
Ainsi, dans le cadre d'une procédure en référé s'il existe déjà une demande ou un recours ayant le même objet pendant devant la Cour constitutionnelle - ce qui est bien le cas en l'espèce et qui est d'ailleurs à plusieurs reprises rappelé par la partie appelante - il n'y a pas lieu de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, et ce, quand bien même il existerait un doute sérieux quant à la compatibilité de l'accord de coopération ou du décret avec plusieurs dispositions constitutionnelles.
Il en a été ainsi jugé par la Cour de cassation notamment dans un arrêt du 6 mars 2013 :

« Conformément à l'article 26, paragraphe 3, précité, le caractère urgent de la demande et la nature provisoire de la décision dont elle a fait l'objet justifient de ne pas saisir la Cour constitutionnelle » (voy. Cass., 6 mars 2013, arrêt F-20130306-3).

En l'espèce, et comme il sera précisé, ci-dessous, la condition d'urgence est remplie.
En outre, et contrairement à ce que prétend la Région wallonne, les demandes des parties intimées ne visent pas à demander la suspension ou l'annulation des normes litigieuses. D'ailleurs, malgré la décision du premier juge faisant entièrement droit aux demandes des intimées, les normes sont toujours d'application. Et pour cause, puisque les décisions des cours et tribunaux ne peuvent avoir pour effet de suspendre l'accord de coopération du 28 octobre 2021 ou le décret du 21 octobre 2021. Les demandes des intimées visent simplement à faire constater leur illégalité et postuler que la partie appelante prenne les mesures qui s'imposent pour mettre fin à cette illégalité et ce, sans que le pouvoir d'appréciation de l'autorité ne soit remis en cause.
N'est-ce d'ailleurs pas ce que la Région wallonne a compris dès lors qu'elle postule un délai raisonnable pour élaborer, le cas échéant, un texte nouveau de qualité qui puisse rencontrer les prescrits internationaux ?
c. Quant au principe de la séparation des pouvoirs et à la violation de l'article 6 du Code judiciaire
La Cour de cassation a, à plusieurs reprises, jugé que les cours et tribunaux ne s'immiscent pas dans les pouvoirs réservés à l'exécutif ou au législatif lorsque, aux fins de rétablir entièrement dans ses droits la partie lésée par un acte illicite d'une autorité publique, ils ordonnent la réparation en nature du préjudice et prescrivent à cette autorité des mesures destinées à mettre fin à l'illégalité dommageable.
En l'espèce, les parties intimées demandent uniquement la condamnation de l'appelante à mettre fin à une situation d'illégalité qui leur est dommageable. Le cas échéant, il appartiendrait à la Région wallonne de définir les modalités nécessaires pour mettre fin à l'illégalité.
En effet, compte tenu des obligations qui découlent du droit supranational et qui pèsent sur l'autorité publique, rien ne s'oppose à ce que les cours et tribunaux ordonnent à l'autorité publique l'adoption de mesures nécessaires, non autrement précisées, pour atteindre les droits garantis par le droit supranational directement applicable (voy. notamment en ce sens, S. Van Drooghenbroeck et A. Picqué, « Aux confins de la responsabilité civile de la puissance publique : l'injonction de légiférer », in Entre tradition et pragmatisme, R. Jafferali et alii (dir.), 1re édition, Bruxelles, Larcier, 2021, pp. 689-707).
On notera que la réparation en nature postulée par les parties intimées « n'a pas pour effet d'affecter directement les droits et obligations des citoyens non parties au litige » comme l'indique la partie appelante mais bien de postuler la condamnation de la partie appelante à prendre toutes les mesures qu'elle estimera appropriées pour mettre un terme à la situation d'illégalité apparente de l'usage du Covid Safe Ticket en Région wallonne, au préjudice des intimées, le cas échéant dans l'attente d'une décision au fond, sous peine d'une astreinte de 5.000,00 euros par jour de retard qui deviendra exigible au-delà du délai de sept jours à dater de la signification de l'ordonnance.
(...)
g. Le premier juge a-t-il violé l'article 149 de la Constitution ?
L'appelante estime que le premier juge aurait violé l'article 149 de la Constitution au motif que « sous réserve de son argumentation sur la règlementation relative à la protection des données et de celle relative au principe de proportionnalité, il se contente d'affirmations et de constats péremptoires généraux ».
(...)
En l'espèce, le premier juge a énoncé divers motifs à l'appui de sa position. Le jugement est donc motivé. La critique est sans pertinence dès lors qu'elle repose sur le fait que la partie appelante ne peut acquiescer aux motivations figurant dans ledit jugement. On soulignera au surplus qu'il s'agit d'un jugement pris par défaut, sans que le défaut puisse être juridiquement contesté et que, ce faisant, le premier juge eut pu se contenter de constater qu'il n'y avait pas de moyens contraires à l'ordre public et faire droit d'office aux demandes des parties intimées.
Le grief de l'appelante est donc non fondé.
h. Les droits apparents
Le juge des référés statue au provisoire. Ce concept a pour unique portée que sa décision n'est pas revêtue de l'autorité de chose jugée à l'égard du juge du fond qui ne sera, par voie de conséquence, pas lié par ce qu'aura décidé le juge des référés. Cette précision de l'article 584, alinéa 2, du Code judiciaire ne fait donc que rappeler et mettre en parallèle le prescrit de l'article 1039, alinéa 1er, du Code judiciaire qui précise que les ordonnances sur référé ne portent pas préjudice au principal.
Il appartient au juge des référés d'examiner les droits apparents des parties. Il s'agit donc d'un examen prima facie.
Selon D. Mougenot, « la conception moderne du provisoire commande de considérer que le juge des référés est toujours compétent pour apprécier le droit des parties, fussent-ils sérieusement contestés, et ordonner toute mesure adéquate, sans pour autant lier le juge du fond (...). Il en résulte que le juge des référés peut faire respecter les droits des parties, même s'ils apparaissent obscurs ou peu évidents » (voy. D. Mougenot, « Principes de droit judiciaire privé », Rép. not., tome XIII, livre 0, Larcier, 2019, p. 183).
Il a déjà été précisé que la responsabilité du pouvoir législatif doit être appréciée non seulement par rapport aux normes spécifiques de comportement qui lui sont édictées par la Constitution et les conventions internationales mais peut l'être aussi par rapport aux normes de prudence dictées par la référence au standard du législateur normalement soigneux et diligent.
Dans son arrêt du 27 décembre 2007, la Cour de cassation résume ce point ainsi :

« La faute de l'autorité administrative, pouvant sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil engager sa responsabilité, consiste en un comportement qui, ou bien s'analyse en une erreur de conduite devant être appréciée suivant le critère de l'autorité normalement soigneuse et prudente, placée dans les mêmes conditions, ou bien, sous réserve d'une erreur invincible ou d'une autre cause de justification, viole une norme de droit national ou d'un traité international ayant des effets directs dans l'ordre juridique interne, imposant à cette autorité de s'abstenir ou d'agir d'une manière déterminée » (voy. Cass. (1re ch.), 21 décembre 2007, R.G. C.06.0457.F).

Les questions sont donc multiples et seront examinées successivement.

i. L'accord de coopération du 28 octobre 2021 viole-t-il l'article 36-4 du règlement général sur la protection des données ?

L'article 36-4 du règlement général sur la protection des données (ci-après R.G.P.D.) indique que « les États membres consultent l'autorité de contrôle dans le cadre de l'élaboration d'une proposition de mesure législative devant être adoptée par le parlement national, ou d'une mesure réglementaire fondée sur une telle mesure législative qui se rapporte au traitement ».
Selon le considérant 96 du R.G.P.D., « l'autorité de contrôle devrait également être consultée au stade de la préparation d'une mesure législative ou réglementaire qui prévoit le traitement de données à caractère personnel, afin d'assurer que le traitement prévu respecte le présent règlement et, en particulier, d'atténuer le risque qu'il comporte pour la personne concernée ».
L'autorité de protection des données rend dans ce cadre des avis consultatifs préalables sur les projets de normes qui lui sont transmis avant leur vote ou leur mise en oeuvre. Elle analyse essentiellement le respect des textes en projet, les principes de légalité, de prévisibilité, de nécessité, de proportionnalité ainsi que des principes et règles issus du R.G.P.D. et la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel, des traités internationaux relatifs aux droits fondamentaux et de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et de la Cour des droits de l'homme.
Il n'apparaît pas que la rédaction de l'article 36-4 du R.G.P.D. confère la moindre latitude au gouvernement quant à l'opportunité de soumettre ou non une mesure législative ou réglementaire à l'autorité de contrôle. Il suffit que cette mesure porte sur un traitement de données tel que défini à l'article 2, paragraphe 1er, du R.G.P.D. (voy. en ce sens, L. Renders, P. Lagasse, C. Mertes, V. Schmitz, L. Vancrayebeck et M. Vanderhelst, « Le Conseil d'État - Chronique de jurisprudence 2018 », in Revue belge de droit constitutionnel, 2020, n° 2, pp. 169-301).
Le Conseil d'État a déjà pu se prononcer sur cette question et a affirmé à plusieurs reprises, tant dans sa section de législation que dans sa section du contentieux administratif, le caractère obligatoire de cette formalité.
Ainsi, dans la section de législation, on peut avoir notamment référence à son avis n° 67/692/1/V du 4 août 2020 où il précise que « l'article 36, paragraphe 4, du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (R.G.P.D.) et le considérant 96 de ce règlement prévoit une obligation de consulter l'autorité de contrôle, en l'occurrence l'autorité de protection des données visée dans la loi du 3 décembre 2017 "portant création de l'autorité de protection des données", dans le cadre de l'élaboration d'une proposition de mesure législative devant être adoptée par un parlement » (c'est la cour qui met en évidence).
Une affirmation identique a été précisée, cette fois, dans la section du contentieux administratif, et notamment dans un arrêt du 6 janvier 2021 (n° 249.405).
Quant au fait que l'accord de coopération modificatif du 28 octobre 2021 n'aurait pas été préalablement soumis à l'autorité de protection des données, la Région wallonne énonce que c'est en raison du constat « qu'il ne comporte qu'une mesure de partage des compétences (la possibilité ou non pour les entités fédérées d'imposer le Covid Safe Ticket à toutes les parties de l'approche sectorielle sous coordination fédérale en cas d'activation de l'urgence épidémique), il ne prévoit aucun nouveau traitement de données » ou encore, elle précise que « l'accord de coopération du 28 octobre 2021 n'a pas été soumis à l'autorité de protection des données parce qu'il ne porte aucune modification au traitement des données personnelles qui résultent de l'utilisation du Covid Safe Ticket. Il ne s'agit pas d'une mesure législative relative à un traitement de données. L'accord de coopération modificatif se limite à prévoir le maintien du régime juridique applicable à l'époque, en cas de déclaration d'urgence épidémique. Autrement dit, il ne crée ou ne modifie pas les principes de base du traitement des données à caractère personnel qui doivent être inscrits dans une norme de portée législative. L'accord de coopération se contente de laisser subsister un régime juridique ne comprenant aucun nouveau traitement et par rapport auquel l'autorité de protection des données s'est déjà prononcée dans ses avis précédents, rendus sur l'accord de coopération du 14 juillet 2021 et l'accord de coopération modificatif du 27 septembre 2021 ».
La Cour ne partage pas cette analyse.
Cet accord de coopération vise à remédier à certaines erreurs matérielles du précédent accord et à la volonté de rendre plus efficientes certaines procédures. Ainsi, lorsque l'urgence épidémique est déclarée, les entités fédérées ne peuvent plus prévoir l'utilisation du Covid Safe Ticket pour permettre l'accès à certains événements de masse. Cette compétence devient alors automatiquement celle du fédéral. Les décrets, ordonnances et instruments d'exécution des entités fédérées en matière de Covid Safe Ticket ne s'appliquent dès lors plus pour ces événements. Il en va de même des éventuelles dispositions prises par les gouverneurs et les bourgmestres.
L'objectif alors poursuivi est que les règles d'utilisation du Covid Safe Ticket prises par les entités fédérées ne peuvent pas entrer en conflit avec les mesures de police administratives en situation d'urgence épidémique pour les domaines concernés tels l'Horeca, les centres de sport et fitness, les établissements culturels, les établissements de soins résidentiels pour les personnes vulnérables, les foires commerciales, les congrès (...).
Par contre, les entités fédérées peuvent toujours prendre des mesures plus strictes que celles fixées par le cadre fédéral. Lorsque la situation épidémique est arrivée à son terme, le cadre fixé par les entités fédérées entre à nouveau en vigueur.
Les termes des textes applicables sont, à l'entame de la cour, clairs : il suffit que la mesure adoptée porte sur un traitement de données tel que défini par l'article 2, paragraphe 1er du R.G.P.D. et ce, même en cas de simples adaptations d'une norme, pour qu'elle doive être soumise à l'autorité de contrôle sans qu'aucune latitude ne soit donnée à l'autorité législative ou exécutive sur ce point. Tel est le cas d'espèce.
Cette conclusion s'impose d'autant plus in casu que les avis de l'autorité de protection des données du 12 juillet 2021 (n° 124/2021) et du 23 septembre 2021 (n° 163/2021) sont particulièrement nuancés et mettent déjà en garde sur l'usage qu'il pourrait être fait du Covid Safe Ticket.
L'autorité de protection des données souligne ainsi, dès le départ et alors que le Covid Safe Ticket n'est envisagé que de manière très temporaire et uniquement pour des événements de masse, que :
  • l'usage du Covid Safe Ticket est particulièrement sensible et inédit dès lors qu'il s'agit d'un dispositif de contrôle visant à conditionner l'accès à certains lieux ou événements à la présentation de la preuve de l'état de santé des personnes ;
  • l'accès à un lieu ne saurait, par principe, être conditionné à la divulgation d'informations sensibles, comme celles qui sont relatives à l'état de santé des personnes ;
  • l'introduction du Covid Safe Ticket interfère avec plusieurs libertés et droits fondamentaux : le droit à la protection des données à caractère personnel, la liberté d'aller et venir, le droit à la culture ou encore la liberté de consentir à un traitement médical.
Dans ses évaluations, elle « insiste sur la nécessité d'être particulièrement attentif au risque réel de créer un "phénomène d'accoutumance" ; ce qui pourrait (nous) amener à accepter, dans le futur, que l'accès à certains lieux (y compris de la vie quotidienne) soit soumis à la divulgation de la preuve que la personne concernée n'est pas porteuse de maladies infectieuses (outre le Covid) ou qu'elle n'est pas atteinte d'autres pathologies ».
L'autorité rappelle « que toute ingérence dans le droit au respect de la protection des données à caractère personnel, en particulier lorsque l'ingérence s'avère importante comme c'est le cas pour l'introduction du Covid Safe ticket n'est admissible que si elle est nécessaire et proportionnée à l'objectif (aux objectifs) qu'elle poursuit (...) le projet d'accord de coopération doit dès lors (1) distinguer le recours au Covid Safe Ticket dans le cadre de projets pilotes du recours à ce dispositif dans le cadre d'événements de masse et (2) soumettre à l'entrée en vigueur du Covid Safe Ticket à la démonstration par les autorités de l'utilité du Covid Safe Ticket (qui peut éventuellement être apportée par l'expérience des projets pilotes), mais également à sa nécessité et à sa proportionnalité » et souligne encore « qu'en tout état de cause, l'utilisation d'un Covid Safe Ticket ne saurait être proportionnée que si celle-ci est strictement limitée dans le temps et uniquement pour réglementer l'accès à des événements de masse, à l'exclusion de toute utilisation pour réguler l'accès à des lieux ou des événements de la vie quotidienne ».
Tenant compte des réserves expresses, voire des conditions expresses d'un avis positif de l'autorité de protection des données quant à l'usage du Covid Safe Ticket, il appartenait à l'autorité publique, dès que le texte était modifié, et quelle que soit cette modification, de solliciter l'avis de l'autorité de protection des données.
Prima facie, une faute a donc été commise par la Région wallonne quant à ce en adoptant un décret portant assentiment de l'accord de coopération du 28 octobre 2021 alors que celui-ci n'a pas été soumis à l'autorité de protection des données conformément à l'article 36-4 du R.G.P.D.

ii. Les dispositions législatives prises pour l'usage actuellement fait du Covid Safe Ticket violent-elles des normes de droit
supranational de l'Union européenne directement applicables ?

Se retranchant derrière le fait que le système mis en place au niveau du Covid Safe Ticket résulte d'un accord de coopération, l'appelante estime qu'aucune faute ne peut lui être reprochée quant à une éventuelle violation des normes supranationales.
Cet argument est vain dès lors que cet accord de coopération a fait l'objet d'un décret d'assentiment outre le fait que dans l'accord initial, rien n'imposait alors à la Région wallonne d'appliquer un Covid Safe Ticket.
Sur le plan formel, il ne fait aucun doute que le décret du 21 octobre 2021 est contraire, notamment, à la Convention européenne des droits de l'homme, et plus particulièrement aux dispositions suivantes :
  • article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) ;
  • article 11 (liberté d'association) ;
  • article 14 (interdiction de discrimination).
En outre, le décret du 21 octobre 2021 est contraire à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et plus spécifiquement à :
  • l'article 3 (droit à l'intégrité de la personne) ;
  • l'article 7 (respect de la vie privée) ;
  • l'article 8 (protection des données à caractère personnel) ;
  • l'article 12 (liberté de réunion et d'association) ;
  • l'article 13 (liberté des arts) ;
  • l'article 16 (liberté d'entreprise) ;
  • l'article 21 (non-discrimination) ;
  • l'article 24 (droits de l'enfant) ;
  • l'article 25 (droits des personnes âgées).
Prima facie, cette violation est indiscutable dès lors que le Covid Safe Ticket est une entrave à un exercice normal et habituel de ces libertés et droits.
La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne - en ce compris son article 47 (le droit à un recours effectif devant un tribunal pour garantir les droits et les libertés) - ne s'impose toutefois aux États membres que lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union, c'est-à-dire dans les hypothèses où ils agissent dans le champ d'application du droit de l'Union, conformément à l'article 51, paragraphe 1er. Cet article stipule en effet que :

« Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et agences de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l'Union telles qu'elles lui sont conférées dans les autres parties de la Constitution ».

In casu, le droit de l'Union est bien applicable en l'espèce, notamment à travers le R.G.P.D.
Il importe donc d'avoir égard à ces droits et libertés qui devront être interprétés à la lumière de l'article 52 selon lequel « Toute limitation de l'exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui ».
Il convient dès lors d'examiner ce point sous l'angle de la proportionnalité.
L'analyse sera réalisée ci-après.
(...)

viii. Le Covid Safe Ticket est-il une mesure disproportionnée ? Le Covid Safe Ticket rompt-il l'égalité entre les citoyens, est-il discriminatoire ?

Pour qu'une restriction puisse être apportée aux droits et libertés fondamentaux, I'(les) objectif(s) général(aux) qui sous-tend(ent) la restriction doit(vent) être défini(s) de manière précise par le législateur. Il faut que la norme prise, qui restreint ces droits et ces libertés, soit apte à atteindre le(s) objectif(s) poursuivi(s) et que cette norme soit proportionnelle. Il faut donc que la norme soit nécessaire au regard du but poursuivi.
En d'autres termes encore, il importe donc de vérifier si la norme permet d'atteindre I'(les) objectif(s) poursuivi(s) et de s'assurer qu'elle constitue la voie la moins attentatoire aux droits fondamentaux.
Cet examen doit être effectué in concreto. S'agissant d'une action en référé, cet examen sera réalisé prima facie. La cour insiste sur ce point. La charge de la preuve que la norme prise n'est pas disproportionnée repose sur la Région wallonne. Reste que la mesure de cette preuve est d'une ampleur qui doit être apparente dès lors que l'on se situe dans le cadre d'une action en référé. Tout autre serait la preuve à apporter s'il s'agissait d'une action au fond.
Il importe aussi de rappeler qu'il n'y a pas de droit ou de liberté qui valent plus que d'autres. Le droit à la santé est donc un droit qui se place au même niveau que le droit à la liberté, au respect de la vie privée (...). Il n'y a pas de hiérarchie entre ces droits, il faut donc un équilibre entre eux.
Si l'on se réfère à l'exposé général de l'accord de coopération du 27 septembre 2021, trois objectifs sont poursuivis :
  • une réduction de la propagation du virus,
  • éviter une saturation du système hospitalier,
  • relancer l'économie et éviter de nouvelles fermetures.
L'article 4 du décret du 21 octobre 2021 expose quant à lui que le Covid Safe Ticket vise à réduire la pression sur le système des soins de santé afin d'éviter que la crise sanitaire n'entraîne des conséquences sur les soins de santé et sur l'état de santé général de la population.
La partie appelante évoque aussi, à bon escient, qu'elle a une obligation positive de préserver le droit à la vie et à la santé, qui trouve son fondement dans l'article 23 de la Constitution.
Sur cette question, l'appelante souligne à juste titre qu'elle dispose d'une marge d'appréciation discrétionnaire.
Depuis la mise en place de la vaccination contre la Covid-19, deux groupes ont émergé de la population : les personnes vaccinées et les personnes qui ne le sont pas. Compte tenu de la question soumise à la cour et de ses contours, la cour n'examinera pas si la vaccination est opportune ou non, légitime ou non. Elle se contentera de constater qu'elle n'est pas obligatoire et que, dès lors, les personnes non vaccinées, quelle que soit la cause pour laquelle elles ne le sont pas, ont pu légitimement, légalement et librement faire ce choix.
Compte tenu du taux de vaccination atteint dans notre pays, le groupe de vaccinés est largement prépondérant puisque plus de 80 pour cent de la population adulte est vaccinée.
Notons que la vaccination est, en Belgique, gratuite et facilement accessible. Au moment où la cour statue, tous les adultes ont pu avoir accès à la vaccination. Il en est de même des adolescents de 12-17 ans. Le Covid Safe Ticket ne concerne pas les enfants de moins de 12 ans. Les scientifiques exposent que les personnes pour qui la vaccination n'est médicalement pas possible sont extrêmement rares.
Les scientifiques semblent s'accorder sur les faits :
  • qu'une personne vaccinée a moins de risque d'encourir une forme grave de la maladie et donc de participer à l'engorgement des soins hospitaliers ;
  • qu'une personne vaccinée comporte moins de risque de contaminer une autre personne. Une personne vaccinée participe donc au processus de voir le virus moins circuler ;
  • qu'une personne ayant été, par le passé, infectée à la Covid-19 comporte moins de risque de développer une forme grave de la maladie en cas de nouvelle infection et comporte moins de risque de contaminer une autre personne.
Il peut en effet être utilement fait référence à cet égard, à l'évaluation des risques telle qu'elle a été analysée par l'« European centre for disease prevention and control » et qui expose que :
  • la probabilité qu'une personne entièrement vaccinée soit exposée au SARS-CoV-2 dépend de la situation épidémiologique ;
  • la probabilité qu'une personne entièrement vaccinée soit infectée est très faible ;
  • après l'infection, la probabilité de développer une maladie grave est très faible pour les jeunes et faible à modérée pour les personnes âgées ou les personnes présentant d'autres facteurs de risque sous-jacents ;
  • la probabilité qu'une personne entièrement vaccinée transmette le SARS-CoV-2 à une personne non vaccinée est très faible à faible ;
  • le risque qu'une personne non vaccinée développe une maladie grave après un contact avec une personne entièrement vaccinée est faible à modéré, en fonction de l'âge du contact, de la présence de variants du virus, de la nature et de la durée du contact, de l'utilisation d'une protection individuelle, du type de vaccin et du délai après la vaccination.
(voy. en ce sens
https://www.ecdc.europa.eu/sites/default/files/documents/Interim-guidance-benefits-of-full-vaccination-against-COVID-19-for-transmission-and-implications-for-non-pharmaceutical-interventions.pdf).
C'est dans ce cadre et sur la base de constatations scientifiques semblables que le Covid Safe Ticket a été envisagé.
L'usage d'un tel « laissez-passer » au bénéfice des personnes vaccinées, des personnes guéries ou des personnes testées dans les 24 ou 48 heures pour leur octroyer plus de droits et de libertés qu'aux personnes non vaccinées, non guéries ou non testées est-elle une rupture d'égalité entre les citoyens au sens des articles 113 et 11 de la Constitution ? Est-elle discriminatoire ?
Sur cette question, il est généralement admis que la loi peut traiter différemment des citoyens dans l'application d'un même droit dès lors qu'ils se trouvent dans des situations différentes. Or, comme il l'a déjà été souligné, depuis la phase de vaccination, l'épidémie a révélé deux groupes distincts : les personnes vaccinées et les personnes non vaccinées. Ces personnes sont dans des situations différentes.
Traiter de la même manière les premiers et les seconds au bénéfice de l'égalité serait en réalité discriminatoire pour les premiers. En effet, le Covid Safe Ticket, constatant la vaccination ou la guérison ou encore le résultat d'un test, peut constituer un moyen proportionné et nécessaire pour permettre à la fois de maintenir les droits et les libertés des personnes vaccinées représentant la majeure partie de la population tout en assurant un risque modéré de propagation du virus, d'engorgement des hôpitaux et par voie de conséquence, un risque modéré de fermeture de secteurs particuliers.
Il importe de souligner que cette différence ne se fait pas sur un état de santé des personnes concernées mais bien sur un risque de contagiosité.
Surtout, la différence entre les personnes vaccinées et celles non vaccinées est atténuée par le fait qu'ont également accès au Covid Safe Ticket les personnes guéries ou encore les personnes ayant réalisé un test dans les 24 ou 48 heures. Cette différence telle qu'atténuée est donc proportionnée vis-à-vis des buts poursuivis.
L'usage du Covid Safe Ticket trouve également sa nécessaire proportionnalité par les éléments apparents suivants :
  • il est temporaire et fonction, en principe, de l'état épidémique du pays. Il ne peut donc s'agir que de mesures transitoires qui ne peuvent être prorogées avant l'analyse de la situation épidémiologique ;
  • il résulte d'une loi (ou d'une norme valant une loi) ;
  • il est limité à des activités circonscrites.
La cour note encore que :
  • il n'y a pas d'obligation de monitoring mensuel pour l'usage du Covid Safe Ticket comme soutenu par les parties intimées ; il va de soi que son usage reste intimement lié à la situation épidémique. Les modalités de ce lien ne s'imposent pas à l'autorité publique dans les termes soutenus par les parties intimées. Il n'y a pas de droit apparent quant à ce ;
  • l'augmentation des contaminations depuis la mise en place du Covid Safe Ticket ne démontre pas son inefficacité ; à tout le moins, elle ne le démontre pas prima facie ;
  • la disproportion manifeste ne peut se mesurer ou se déduire de l'existence de fraudeurs ;
  • la question du manque de diligence des autorités à renforcer son système hospitalier est complexe et ne peut s'analyser en droits apparents à ce stade. S'il est exact qu'un lien peut et doit être fait entre les mesures actuellement prises et le déficit des autorités dans le système hospitalier, l'absence de proportionnalité ne pourrait se déduire que d'une analyse de fond quant au financement général des hôpitaux, des lits disponibles, du personnel engagé, du matériel commandé (...). Cette analyse devrait être faite dans une analyse au fond dès lors qu'un des buts essentiels poursuivis par les mesures prises par les autorités publiques pour endiguer l'épidémie repose sur une volonté de ne pas engorger les hôpitaux. Cette analyse n'est à ce stade pas réalisée par les parties. Les éléments fournis par les intimés devant la cour de céans quant à ce ne permettent pas de conclure au bien-fondé apparent de leur position.
Les intimées insistent encore sur le fait que le Covid Safe Ticket est discriminatoire entre secteurs dès lors que ce dernier n'est pas imposé à tous les secteurs.
Sur ce point, la partie appelante expose que la volonté est d'épargner de restrictions le plan privé, le plan religieux et le droit au travail. Ainsi, par exemple, elle justifie le fait que les restaurants soient soumis au Covid Safe Ticket alors que les restaurants d'entreprise ne le sont pas car cela reviendrait à imposer aux travailleurs de justifier d'un Covid Safe Ticket pour se rendre à leur travail. La différence de traitement trouve en apparence une justification. Il en est de même des autres différences soulevées par les parties intimées telle l'absence de Covid Safe Ticket qui n'est pas imposé en milieu scolaire alors qu'il l'est pour des activités comparables ailleurs, l'objectif étant selon la Région wallonne de maintenir exempt de restriction le milieu scolaire. Ces différences énoncées par les intimées trouvent, selon les explications fournies par la Région wallonne, une apparence de proportionnalité.
En conclusion, la cour admet que le Covid Safe Ticket est un délicat précédent contraire, d'une part, aux libertés telles que consacrées par les normes internationales ou notre Constitution et, d'autre part, à une philosophie de non-contrôle social. Il comporte en outre un risque d'entrave au secret médical et au respect de la vie privée. Reste que la cour estime que prima facie la distinction opérée par le Covid Safe Ticket est objective, nécessaire et proportionnée vis-à-vis des objectifs poursuivis par la Région wallonne et ce, au moment où la cour statue, soit à un moment où le niveau d'épidémie pour l'ensemble du pays est fixé à son plus haut niveau.
Sur la base de l'apparence des droits, au moment où la cour statue, il ne peut être conclu que la Région wallonne a commis une faute aquilienne en adoptant le Covid Safe Ticket.
La simple constatation de l'absence de demande d'avis de l'autorité de contrôle quant à l'accord de coopération du 28 octobre 2021 et la balance des intérêts en cause ne peut permettre de faire droit aux demandes des parties intimées.
(...)

Dispositif conforme aux motifs.

Siég. :  Mmes M. Wilmart, F. Crabeels et L. Arend-Chevron.
Greffier : Mme A.-C. Gaillard.
Plaid. : MesM. Uyttendaele, P. Minsier, A. Despontin et A. Lackner.

 



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Sommaire

1. Le juge des référés a un pouvoir de juridiction pour connaître d'une demande qui vise à faire cesser des atteintes à des droits subjectifs, en l'occurrence basés sur des droits fondamentaux, et s'appuie sur l'article 1382 de l'ancien Code civil, pour ordonner les mesures nécessaires à la cessation du dommage causé par la faute de l'autorité publique, y compris si elle émane d'un législateur.
 
2. Pour autant que la Cour constitutionnelle soit déjà saisie d'une demande ou d'un recours ayant le même objet, le juge des référés n'est pas tenu de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, même si un doute sérieux existe quant à la compatibilité d'une norme législative à la Constitution.
 
3. Le fait de conclure un accord de coopération qui concerne un tradivent de données à caractère personnel et de lui donner assentiment sans solliciter l'avis préalable de l'Autorité de protection des données viole le RGPD et constitue une faute aquilienne dans le chef de l'autorité publique.
 
4. Au regard de la situation épidémiologique au moment où la cour se prononce, le régime du Covid Safe Ticket ne constitue pas une mesure disproportionnée aux objectifs qu'il contribue à atteindre.

Mots-clés

Référé - Compétence - Responsabilité - Pouvoirs publics - Cessation d'atteintes à des droits subjectifs - Référé - Compétence - Cour constitutionnelle déjà saisie d'une question préjudicielle - Pas d'obligation de l'interroger à nouveau - Lois, décrets et arrêtés - Accord de coopération - Vie privée - Absence d'avis de l'autorité de protection des données - Responsabilité - Pouvoirs publics - Libertés publiques - Généralités - Santé publique - Crise sanitaire du coronavirus - Covid Safe Ticket - Proportionnalité - Égalité

Date(s)

  • Date de publication : 04/02/2022
  • Date de prononcé : 07/01/2022

Référence

Cour d'appel Liège (12e chambre A, référés), 07/01/2022, J.L.M.B., 2022/5, p. 216-231.

Branches du droit

  • Droit public et administratif > Cour constitutionnelle > Compétence préjudicielle
  • Droit public et administratif > Droit administratif > Principes de bonne administration > Principe de proportionnalité
  • Droit civil > Vie privée > Tradivent données à caractère personnel > Obligations du responsable
  • Droit civil > Obligations hors contrat > Obligation (quasi) délictuelle > Faute
  • Droit civil > Obligations hors contrat > Obligation (quasi) délictuelle > Responsabilité publique
  • Droit civil > Obligations hors contrat > Obligation (quasi) délictuelle > Dommage
  • Droit judiciaire > Compétence > Compétence matérielle > Président du tribunal
  • Droit public et administratif > Sécurité civile > Plan d'urgence
  • Droit public et administratif > Droit constitutionnel > Pouvoirs constitutionnels - art. 33-166 > Pouvoir judiciaire - art. 144-159

Éditeur

Larcier

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