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17/06/2022
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Tribunal du travail Hainaut, division de La Louvière (8e chambre), 17/06/2022


Jurisprudence - Droit social

J.L.M.B. 22/380
Handicapés - Paiement et répétition d'indu - Administration de biens - Paiements adressés à l'administré plutôt qu'à l'administrateur - Nullité - Bonne foi .
Lorsque le S.P.F. Sécurité sociale-Direction générale Personnes handicapées a payé directement à l'assuré social les allocations auxquelles il avait droit alors qu'un administrateur de biens lui avait été désigné, la nullité des paiements doit être prononcée pour cause de lésion. La bonne foi ne peut en effet être invoquée par le S.P.F. dès lors qu'il était en possession des ordonnances du juge de paix désignant l'administrateur et qu'il a continué à effectuer les paiements, à tort, pendant un an, à la personne protégée plutôt qu'à l'administrateur.

(Me Th. L'Hoir qualitate qua Dina / État belge - S.P.F. Sécurité sociale-Personnes handicapées )


(...)
2. Objet
Par son recours, Me L'Hoir conteste la décision prise par le S.P.F. Sécurité sociale-Personnes handicapées le 14 décembre 2020 qui réclame à Dina la somme de 10.891,88 euros au titre de paiement indu (article 1376 de l'ancien Code civil).
Dans son recours, Me L'Hoir sollicite la mise à néant de cette décision, la nullité des actes matérialisés par le paiement d'une somme totale de 10.891,88 euros par le S.P.F. Sécurité sociale-Personnes handicapées, ainsi que la décharge de Dina de tout remboursement. La condamnation du S.P.F. Sécurité sociale-Personnes handicapées aux dépens (non liquidés) est également demandée.
3. Faits utiles à la résolution du litige
Suite à une ordonnance du juge de paix du canton de La Louvière du 7 décembre 2010, Dina est déclarée incapable de gérer ses biens. Elle est donc pourvue d'un administrateur. Il s'agit actuellement de Maître L'Hoir, désigné à cette fonction par ordonnance du juge de paix de La Louvière du 11 mai 2016. Cette décision mentionne notamment que :

« Disons pour droit que Dina (...) reste, pour les actes en rapport avec les biens, incapable, sauf représentation par son administrateur de poser des actes de gestion journalière, notamment les actes relatifs à la gestion des comptes quel que soit leur montant (article 492/1, paragraphe 2, du Code civil) ».

Cette ordonnance est parfaitement connue du S.P.F. Sécurité sociale-Personnes handicapées puisqu'elle figure dans son dossier transmis en cours d'information.
Depuis plusieurs années, Dina bénéficie d'une allocation de remplacement de revenus (A.R.R.) et d'une allocation d'intégration (A.I.), à la charge du S.P.F. Sécurité sociale-Personnes handicapées. La dernière décision connue est celle du 28 juin 2019 qui lui octroie, à partir du 1er juillet 2019, une A.R.R. de 4.880,78 euros par an et une A.I. de 4.206,76 euros par an.
Suite à une vérification de dossier, le S.P.F. Sécurité sociale-Personnes handicapées notifie à Me L'Hoir la décision litigieuse le 14 décembre 2020. Elle indique notamment que :

« (...), il ressort que votre protégée a également perçu par assignation une allocation mensuelle de 446,15 euros depuis décembre 2019 ainsi que des arriérés couvrant la période du 1er janvier 2019 au 30 novembre 2019 d'une valeur de 5.032,42 euros le 17 décembre 2019.

Ces assignations étaient normalement adressées à Maître D. et non à votre protégée Dina ».

À l'audience du 20 mai 2022, l'avocate du S.P.F. Sécurité sociale-Personnes handicapées dépose la copie des preuves de liquidation des assignations postales concernées (vingt au total). Sur certaines quittances, figurent une signature au nom de Dina (le graphisme variant parfois), tandis que sur d'autres apparaissent l'abréviation « F.C. » ou le nom « Vinciane ». Certaines signatures sont, par ailleurs, pratiquement illisibles.
4. Recevabilité
Introduit dans les forme et délai légaux, le recours est recevable.
5. Discussion
En ce qui concerne la restitution d'un paiement indu, l'article 1376 de l'ancien Code civil dispose que :

« Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû, s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu ».

À propos du régime de l'administration provisoire des biens appartenant à un majeur, il convient de relever spécialement les dispositions qui suivent (figurant elles aussi dans l'ancien Code civil) :
  • Article 492, paragraphe 2, alinéas 1er à 3, 16° :

« Le juge de paix qui ordonne une mesure de protection judiciaire des biens décide, en tenant compte des circonstances personnelles, de la nature et de la composition des biens à gérer, ainsi que de l'état de santé de la personne protégée, quels sont les actes ou catégories d'actes en rapport avec les biens que celle-ci est incapable d'accomplir.

En l'absence d'indications dans l'ordonnance visée à l'alinéa 1er, la personne protégée est capable pour tous les actes en rapport avec les biens.

Dans son ordonnance, le juge de paix se prononce en tout cas expressément sur la capacité de la personne protégée de poser des actes de gestion journalière » [1].

  • Article 493, paragraphe 2, alinéa 2 :

« Sous réserve de l'alinéa 1er, les actes accomplis par la personne protégée en violation de son incapacité à l'égard de ses biens, établie conformément à l'article 492/1, paragraphe 2, sont nuls en cas de lésion. La nullité est appréciée par le juge compte tenu des droits des tiers de bonne foi. Toutefois, le juge peut également, en cas d'excès, réduire les obligations que la personne protégée aurait contractées par voie d'achats ou autrement ; à cet égard, le juge prend en considération la fortune de la personne protégée, la bonne foi des personnes qui ont contracté avec elle, ainsi que l'utilité ou l'inutilité des dépenses ».

paragraphe 3, alinéa 1er, initio :

« La nullité ne peut être invoquée que par la personne protégée et son administrateur ».

paragraphe 3, alinéa 2 :

« Lorsque la personne protégée est admise en cette qualité à se faire restituer contre ses engagements, le remboursement de ce qui aurait été, en conséquence de ces engagements, payé pendant la protection ne peut en être exigé., à moins qu'il ne soit prouvé que ce qui a été payé a tourné à son profit ».

Dans le cas d'espèce, il convient d'abord d'observer que le juge de paix compétent décide que Dina est juridiquement incapable d'accomplir seule tout acte de gestion journalière, quel qu'en soit le montant. Ce principe vise assurément des paiements directement adressés à la personne protégée.
Comme déjà indiqué ci-dessus, le S.P.F. Sécurité sociale-Personnes handicapées est parfaitement informé des mesures limitant la capacité juridique de Dina.
Malgré cela, des assignations postales sont adressées à Dina entre le 17 décembre 2019 et le 24 novembre 2020. Son adresse sise (...) figure sur chaque assignation. Les sommes sont encaissées directement au bureau de poste, sans aucun passage par les comptes d'administration provisoire.
Se pose donc la question de la sanction applicable aux paiements effectués en violation de l'incapacité susvisée. Selon Me L'Hoir :

« Dans le cas d'espèce, la réception des paiements indus par Dina est un acte de lésion puisque, in fine, le remboursement demandé ne pourra se faire qu'en prélevant l'intégralité des économies constituées depuis la mesure de protection judiciaire en 2010 ».

L'auditorat du travail estime également que ces paiements sont nuls.
En vertu de l'article 493, paragraphe 2, alinéa 2, de l'ancien Code civil, la nullité n'est envisageable qu'en cas de lésion. À ce propos, la doctrine à laquelle le tribunal se rallie développe que [2] :

« Il ne s'agit pas de la lésion dite objective répondant au critère d'un quantum fixé par la loi comme en matière de vente ou de partage, mais [de] la lésion qualifiée ou subjective (...).

Le juge amené à se prononcer sur une demande de nullité pour cause de lésion, apprécie la situation en tenant compte des tiers de bonne foi, à savoir ceux qui ignoraient que leur cocontractant était une personne protégée, déclarée incapable de poser l'acte en cause (article 493, paragraphe 2, alinéa 2, 2e phrase, du Code civil), (...) le juge doit aussi apprécier l'acte en cause "sur un plan intrinsèque (conditions désavantageuses) ou fonctionnel (rapport au patrimoine du [majeur vulnérable])".

Notons à ce stade qu'une telle sanction laisse plus de marge d'appréciation au juge et que ce dernier doit - pour pouvoir appliquer correctement une telle sanction - s'intéresser à la capacité de fait, plutôt qu'à la capacité de droit de la personne vulnérable. Il doit vérifier si elle avait le discernement nécessaire au moment où elle a posé l'acte litigieux. En effet, déterminer le caractère avantageux ou non d'un acte en soi ainsi que par rapport aux besoins d'une personne vulnérable, implique nécessairement de reconnaître qu'elle avait ou non le discernement suffisant pour s'engager valablement ».

Tenant compte de ces éléments, le tribunal est d'avis que les paiements litigieux sont frappés de nullité pour cause de lésion. En effet :
  • le S.P.F. Sécurité sociale-Personnes handicapées ne peut pas être considéré comme un tiers de bonne foi puisqu'il est parfaitement au courant des ordonnances du juge de paix, relatives à l'incapacité juridique de Dina ;
  • ceci est d'autant plus vrai que, malgré cette information, le S.P.F. Sécurité sociale-Personnes handicapées procède, pendant pratiquement une année, aux paiements litigieux, normalement destinés à une administratrice provisoire ayant un nom proche de celui de Dina ;
  • la mauvaise foi du S.P.F. Sécurité sociale-Personnes handicapées se traduit également dans sa réponse du 7 janvier 2021, adressée à l'administrateur provisoire, où l'on peut notamment lire ce passage édifiant : « Vu, le fait que les montants perçus indûment, l'ont été suite à des manoeuvres frauduleuses, des déclarations fausses ou sciemment incomplètes [3] (avances C.P.A.S.), vous ne pouvez bénéficier de la possibilité d'introduire une demande de renonciation auprès (de la commission d'aide sociale aux personnes handicapées) » ;
  • les paiements litigieux sont encaissés en liquide et ne transitent pas par les comptes d'administration provisoire. Ils n'enrichissent donc pas le patrimoine soumis au contrôle de l'administrateur provisoire ;
  • par ailleurs bénéficiaire d'une A.R.R. et d'une A.I., Dina n'a très certainement pas conscience de la méprise fautive et répétée du S.P.F. Sécurité sociale-Personnes handicapées.
Cette conclusion de nullité participe au respect des règles d'incapacité juridique visées à l'article 492, paragraphe 2, alinéas 1er à 3, 16°, de l'ancien Code civil.
Il importe à présent d'analyser les effets de la nullité (relative) constatée. Sur ce point, la théorie générale des obligations enseigne que : dans la mesure où le vice qui l'affecte est originel, la prononciation de la nullité d'un acte nul sort ses effets ex tunc [4] (c'est-à-dire avec effet rétroactif). L'acte dissous est considéré comme n'ayant jamais existé (...). Les prestations respectives des parties devront faire l'objet de restitutions réciproques [5].
Le principe des restitutions peut être tempéré par le législateur. Tel est l'objet de l'article 493, paragraphe 3, alinéa 2, de l'ancien Code civil [6]. Cette disposition légale limite les restitutions à l'hypothèse exclusive d'un paiement dont il est prouvé qu'il a tourné au profit de la personne protégée, Le juge de fond apprécie souverainement si cette hypothèse est ou non rencontrée [7].
Dans le cas d'espèce, le tribunal estime que la preuve susvisée n'est pas rapportée. En effet, il n'est pas suffisamment démontré que c'est Dina, elle-même, qui reçoit les paiements litigieux. À cet égard, le tribunal rappelle que le graphisme du nom « Dina » varie sur les quittances où il apparaît. De plus, d'autres quittances sont signées par « F.C. », par « Vinciane » ou par une personne non identifiable (signatures pratiquement illisibles). Les demandes sont en conséquence fondées.
La décision administrative litigieuse est annulée.

Par ces motifs,
(...)
Reçoit le recours.
Dit les demandes fondées.
Dit que les paiements litigieux sont nuls et ne sont pas sujets à restitution.
Annule la décision du S.P.F. Sécurité sociale-Personnes handicapées du 14 décembre 2020.
(...)
Siég. :  MM. J. Bartholomé, L. Verfaille et Mme M.-Chr. de Beer.
Greffier : Mme R. Cuschera.
Plaid. : MesTh. L'Hoir et V. Lienard (loco V. Grevy).

 


[1] Le tribunal met en évidence.
[2] Th. Van Halteren, La protection des personnes majeures vulnérables et mineures. Redéfinition du concept de capacité juridique au regard de celui du discernement, Liège, Wolters Kluwer, 2018, pp. 379-380.
[3] Le tribunal met en évidence.
[4] A. Boucquey, « La dissolution du contrat », in Traité théorique et pratique - Obligations, Anvers, Wolters Kluwer, 2013, t. 1, II.1.8-35.
[5] A. Boucquey, op. cit., II.1.8-67.
[6] Libellé d'une manière assez proche de l'article 1312 ancien du Code civil, applicable à la minorité (Lorsque les mineurs sont admis en ces qualités à se faire restituer contre leurs engagements, le remboursement de ce qui aurait été, en conséquence de ces engagements, payé pendant la minorité, ne peut en être exigé, à moins qu'il ne soit prouvé que ce qui a été payé a tourné à leur profit). Voyez également l'article 1241 du même code (Le paiement fait au créancier n'est point valable s'il était incapable de le recevoir, à moins que le débiteur ne prouve que la chose payée a tourné au profit du créancier).
[7] Cass., 24 juin 2011, Pas., 2011, p. 1752.


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Lorsque le SPF Sécurité sociale-Direction générale Personnes handicapées a payé directement à l'assuré social les allocations auxquelles il avait droit alors qu'un administrateur de biens lui avait été désigné, la nullité des paiements doit être prononcée pour cause de lésion. La bonne foi ne peut en effet être invoquée par le SPF dès lors qu'il était en possession des ordonnances du juge de paix désignant l'administrateur et qu'il a continué à effectuer les paiements, à tort, pendant un an, à la personne protégée plutôt qu'à l'administrateur.

Mots-clés

Handicapés - Paiement et répétition d'indu - Administration de biens - Paiements adressés à l'administré plutôt qu'à l'administrateur - Nullité - Bonne foi

Date(s)

  • Date de publication : 09/12/2022
  • Date de prononcé : 17/06/2022

Référence

Tribunal du travail Hainaut, division de La Louvière (8e chambre), 17/06/2022, J.L.M.B., 2022/41, p. 1824-1828.

Branches du droit

  • Droit civil > Obligations hors contrat > Quasi-contrats > Paiement indu
  • Droit social > Handicapés > Allocations et indemnités > Procédure
  • Droit civil > Obligations conventionnelles > Fondements > Bonne foi
  • Droit civil > Capacité > Protection et administration des personnes majeures > Administration
  • Droit civil > Capacité > Protection et administration des personnes majeures > Protection

Éditeur

Larcier

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