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25/05/2022
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Tribunal correctionnel francophone Bruxelles (50e chambre), 25/05/2022


Jurisprudence - Généralités

J.L.M.B. 22/171
I. Coups et blessures volontaires et meurtres - Arrestation administrative injustifiée - Absence d'absolue nécessité - Usage de violences et de brutalités - Placement injustifié de menottes.
II. Arrestation - Arrestation illégale ou arbitraire - Volonté d'exercer un rapport de force injustifié.
III. Arrestation - Détention illégale et arbitraire - Conversion rétroactive d'une arrestation judiciaire dont le parquet a ordonné la relaxe en une arrestation administrative qui n'avait plus lieu d'être.
IV. Infractions diverses - Soumission à des traitements dégradants - Contrainte d'avancer pliés en deux, avec des menottes sur lesquelles on tire dans le but de faire mal.
1. L'arrestation administrative de fêtards à l'intérieur d'un établissement Horeca est un acte grave, infâmant pour celui qui la subit face à d'autres clients qui peuvent s'imaginer qu'on est en train d'arrêter un dangereux malfrat. Elle est réservée aux cas d'absolue nécessité. À supposer même que les policiers auraient estimé que ces fêtards perturbaient la tranquillité publique, pareille arrestation est abusive, particulièrement à l'intérieur d'un établissement dont le gérant n'a aucunement eu à se plaindre de la présence desdits fêtards. À partir du moment où cette arrestation s'est doublée de placage au sol, de placement de menottes et de diverses brutalités gratuites et injustifiées, elle est constitutive de coups et blessures volontaires commis dans l'exercice de la fonction de police.
2. Si la prévention d'arrestation illégale ou arbitraire ne peut être retenue à charge de policiers qui ont pu considérer que leur collègue venait d'être frappé par une des personnes qu'ils interceptaient, elle est établie à l'égard de ce collègue qui a pris l'initiative de cette arrestation sans raison valable, sans absolue nécessité, avec la volonté manifeste d'exercer un rapport de force injustifié à l'égard d'un jeune homme qui ne posait pas réellement problème, qui ne troublait pas particulièrement la tranquillité publique, et certainement pas plus que de nombreux jeunes qui aiment faire la fête.
3. L'officier de police qui maintient une personne en détention alors même que le magistrat du parquet a ordonné sa relaxe, en convertissant rétroactivement une arrestation judiciaire qui ne se justifiait plus en arrestation administrative qui n'avait nullement lieu d'être se rend coupable de détention illégale et arbitraire.
4. Si le fait d'avoir transféré, par temps de neige, vers un hôpital des personnes détenues vêtues d'un simple t-shirt ne peut pas nécessairement être considéré comme l'expression de la volonté de les soumettre à un traitement dégradant, infligé gratuitement et inutilement, dans le seul souci d'humilier une personne privée de liberté, tel est le cas de la contrainte d'avancer, pliés en deux, avec des menottes sur lesquelles on tirait, d'une manière qui ne peut que faire mal.

(M.P., Ethan, David et Carl / Jean, Jules, Oscar, Eden, Sébastien et Timothé )


Le texte intégral de ce long jugement est consultable sur https://jlmbi.larciergroup.com/.
L'exposé des faits fait l'objet d'une longue analyse par le tribunal. Elle s'étale sur pas moins de 20 pages. Leurs enseignements essentiels sont pertinemment résumés dans la suite du jugement.
(Extraits)
(...)
Quant au fond et aux préventions :
Attendu que les nommés David et Bruno ont fait l'objet d'une arrestation administrative, le 17 janvier 2016 à 2 heures 43, pour perturbation de la tranquillité publique ;
Attendu qu'ils n'étaient pas à l'origine du bruit causé sur le lieu où avait lieu la soirée, n'étant que simples participants à cette soirée qu'ils quittaient avec leur ami Ethan ;
Que leur comportement depuis la sortie de cette soirée jusqu'à l'intérieur du snack ne semblait pas particulièrement problématique ; que d'après les enregistrements, on les entend parler haut et fort mais sans plus ; qu'il n'a jamais été détaillé ni précisé comment ces jeunes gens auraient gêné le trafic au cours de cette nuit-là ; qu'aucun policier intervenant n'a évoqué de véhicule ayant dû freiner ou les éviter d'une manière ou d'une autre ;
Qu'il apparaît qu'ils se sont rendus directement vers le snack indien, sans créer d'incident particulier ;
Qu'on relèvera que le prévenu Jean évoquait de grands gestes de leur part, mais qui n'étaient ni des bras d'honneur ni des gestes obscènes, que le prévenu Oscar les décrivait surtout comme bruyants, que le prévenu Timothé parlait de tapage tandis qu'à l'inverse et de manière manifestement tronquée le prévenu Jules décrivait des gestes insultants (bras d'honneur, doigts d'honneur), une traversée au feu rouge et le prévenu Sébastien parlait de provocation envers les forces de police, d'occupation du plein milieu du carrefour, avec force, cris et gestes envers la police ;
Que l'arrestation administrative des nommés David et Bruno à l'intérieur du snack T. ne se justifiait pas ; qu'il n'y avait aucune absolue nécessité (au sens de l'article 31 de la loi sur la fonction de police) à procéder à leur arrestation administrative, quand bien même les policiers auraient estimé que la tranquillité publique était perturbée ; qu'elle ne l'était en tout cas plus une fois ces jeunes gens à l'intérieur du snack, dont le gérant n'a aucunement eu à se plaindre de leur présence ;
Qu'arrêter de la sorte des fêtards à l'intérieur d'un établissement Horeca est un acte grave, infamant pour celui qui la subit face à d'autres clients qui peuvent s'imaginer qu'on est en train d'arrêter un dangereux malfrat et elle n'est à réserver qu'en cas d'absolue nécessité ;
Que les menottes ont été passées tant à Bruno qu'à David, et sans ménagement à l'égard de celui-ci qui s'est retrouvé au sol ;
Que de telles arrestations sont réellement attentatoires à la liberté : il suffit de voir et déplorer les heures que ces jeunes gens ont passées au commissariat, la nuit, à moitié dévêtus, coupés du monde extérieur, privés de sommeil, alors qu'ils pouvaient avoir des occupations ou obligations importantes au cours des heures suivantes ;
Attendu que la prévention B vise l'arrestation illégale et arbitraire des nommés David et Ethan, ce dernier ayant fait l'objet d'une arrestation judiciaire, régie elle par la loi relative à la détention préventive ; que l'arrestation du nommé Bruno n'est pas visée à la prévention ;
Attendu que c'est le prévenu Jules qui a pris l'initiative d'arrêter David, sans raison valable, sans absolue nécessité, avec la volonté manifeste d'exercer un rapport de force injustifié à l'égard d'un jeune homme qui ne posait pas réellement problème, qui ne troublait pas particulièrement la tranquillité publique, et certainement pas plus que de nombreux jeunes qui aiment faire la fête et qui la font régulièrement à des endroits bien connus de Bruxelles (sans que cela ne conduise à des arrestations administratives de la sorte, avec menottage et mise en cellule) ;
Attendu que le prévenu Jean a de son côté arrêté Bruno, à l'intérieur du snack également ;
Que cette arrestation n'est pas visée à la prévention B et ce prévenu n'est pas concerné par l'arrestation de David ;
Attendu que pour ce qui est de l'arrestation (judiciaire) d'Ethan, les prévenus Jean et Jules y ont activement pris part ;
Que cette arrestation n'apparaît pas avoir été illégale ou arbitraire dès lors qu'un incident venait de se produire, opposant Ethan au prévenu Eden ;
Que ces prévenus ont pu estimer ou considérer que leur collègue était ou avait été mis en difficulté par Ethan (le prévenu Eden faisait état d'un coup sur le thorax après avoir lui-même repoussé le plaignant qu'il trouvait menaçant, thèse certes contredite par Ethan lui-même qui expliquait avoir été directement frappé tandis qu'il demandait des explications, et contredite aussi par le nommé B. pour qui son ami Ethan n'avait pas frappé les policiers présents) ;
Que les prévenus Jean et Jules ont certes pu mal apprécier la situation mais il n'apparaît pas de manière certaine qu'ils auraient arrêté Ethan de manière illégale ou arbitraire au sens de l'article 147 du Code pénal ;
Qu'il convient ainsi d'acquitter les prévenus Jean et Jules de la prévention B en ce qu'elle vise la partie civile Ethan ;
Que la prévention B limitée au seul David doit par contre être déclarée établie à charge du prévenu Jules ;
Attendu que l'illégalité (en dehors du champ de l'article 31 de la loi sur la fonction de police) et l'arbitraire de l'arrestation de David devaient également apparaître au prévenu Timothé qui a déclaré avoir décidé de l'arrestation de l'intéressé ;
Que la prévention B limitée (en ce qu'elle vise David) doit être déclarée établie à sa charge ;
Attendu que ce prévenu sera par contre également acquitté pour ce qui est de l'arrestation (judiciaire) d'Ethan, l'incident entre ce dernier et le prévenu Eden ayant pu lui faire estimer que l'arrestation judiciaire se justifiait (le tribunal renvoyant toutefois aux observations ci-avant émises), arrestation qu'il a confirmée ;
Que ces trois prévenus seront ainsi acquittés du surplus de la prévention B limitée ;
Attendu que pour ce qui est de la prévention A, il importe de cerner qui des cinq premiers prévenus aurai(en)t usé de violences à l'égard d'Ethan et de David et d'apprécier ensuite si ces violences se justifiaient dans le cadre de la poursuite d'un objectif légitime, et étaient raisonnables et proportionnées (article 37 de la loi sur la fonction de police) ;
Attendu que pour ce qui est de David, on retiendra les incontestables épisodes violents ou d'usage de force suivants (le plaignant a fait état d'autres épisodes ou faits mais le tribunal ne peut les tenir pour vrais en l'absence d'éléments objectifs, et n'exclut pas non plus qu'il a pu y avoir certaines exagérations dans la manière de rapporter les faits) :
  • au moment de son arrestation dans le snack par le prévenu Jules, ce dernier l'a attrapé par le poignet et ce jeune homme s'est retrouvé au sol,
  • dans la voiture l'amenant au commissariat, le prévenu Jean le maintenait par la tête contre le montant de la voiture, avec une main contre la joue et un pouce posé contre le cou,
  • dans un couloir du commissariat, le prévenu Jean a eu un geste brusque à son égard,
  • (...)
  • lors de son transfert à l'hôpital, avec le prévenu Oscar qui le maintenait avec force au niveau de la tête, l'avant-bras placé entre l'épaule et la mâchoire,
  • lors de sa tentative de fuite, il chute suite à un coup de pied donné par le prévenu Eden,
  • au retour au commissariat, il est menotté dans le dos, tenu plié en deux par le prévenu Oscar ;
Que ce plaignant a subi diverses lésions ainsi qu'une semaine d'incapacité de travail ;
Que les lésions présentées sont à mettre en rapport avec tous ces moments de force ou de violences déployées ;
Que si certaines lésions sont le résultat de la chute, celle-ci a été provoquée par le prévenu Eden qui a fait un croche-pied à quelqu'un qui était abusivement retenu et qui a tenté de prendre la fuite en voyant l'inacceptable tournure que les choses prenaient ;
Que le lobe d'oreille bleu est le résultat manifeste d'une tête trop fermement et inutilement maintenue (le prévenu Oscar a reconnu avoir utilisé la technique du blocage de tête) ; que les traces rouges aux poignets reflètent un menottage inapproprié ;
Attendu que les prévenus Jean, Jules, Oscar et Eden se sont montrés brutaux envers cette victime, de manière gratuite et injustifiée (l'arrestation de départ ne se justifiant même pas) ; que l'incident tel que rapporté par le prévenu Jules au moment de la fouille n'est pas crédible ; que ce plaignant n'a certainement pas voulu lui porter un coup de tête et cette imputation ne sert qu'à couvrir certaines marques de violences faites à cette victime ;
Que ce soi-disant coup de tête porté à ce prévenu est aussi peu crédible que la déclaration du prévenu Jean qui soutient que David se tapait la tête contre la vitre de la voiture de police dans laquelle il avait été placé ;
Qu'un tel comportement est contre-nature et lorsqu'il se produit, il est le fait d'individus surexcités, incontrôlables, sous l'effet de stupéfiants, tandis qu'en l'espèce, les prévenus sont bien seuls à soutenir que ces jeunes gens étaient difficilement maîtrisables ;
Qu'on retiendra en effet que :
  • l'exploitation des enregistrements ne met en évidence aucun hurlement, aucune insulte, mais par contre bien des pleurs et des gémissements,
  • les vidéos prises au commissariat montrent des jeunes gens dociles, que ça soit en cellule ou dans les couloirs, ils n'élèvent pas la voix, se laissent faire, l'un d'eux toque même à la porte de sa cellule au lieu de tambouriner ou de crier,
  • l'exploitant du snack évoquent des jeunes gens qui étaient en train de consulter les cartes, qui étaient calmes et ne vociféraient pas dans son établissement (la défense remet en cause ce témoignage mais on imagine mal un gérant de snack soutenir des jeunes gens qui se seraient mal comportés chez lui en y faisant du grabuge), David et Ethan sont apparus comme apeurés au Docteur M., tandis que le ton était monté entre ce dernier et le prévenu Oscar, ce médecin a même fait savoir à Ethan qu'il était à sa disposition pour la rédaction d'un constat de lésion en cas de dépôt de plainte (ce que ce médecin ne propose sans doute pas à la multitude de suspects qu'il voit sous escorte policière),
  • l'infirmière C. a constaté que ces deux jeunes gens avaient l'air terrorisés, tout en étant collaborants, sans avoir l'air ivres (il n'est pas contesté qu'ils avaient bu de l'alcool), Ethan pleurait et racontait qu'il avait été frappé par les policiers, elle décrit les prévenus Oscar et Eden comme généralement agressifs et provocateurs,
  • Bruno était apparu poli et prévenant à l'inspectrice G. ;
Qu'alors que les prévenus n'avaient manifestement pas affaire à d'incontrôlables énergumènes, la force et même la violence ont été utilisées contre le nommé David, par les quatre premiers prévenus, d'une manière qui contrevenait pleinement à l'article 37 de la loi sur la fonction de police ;
Qu'on retiendra encore que tant le prévenu Sébastien que le prévenu Timothé ont considéré qu'il ne leur paraissait pas normal ou admissible que le prévenu Oscar ait tenu l'intéressé plié en deux, par une prise dans le dos, comme cela transparaît des images de la caméra B06 prises à 4 heures 11 (à moins d'une rébellion selon le prévenu Sébastien, rébellion dont il n'a pas eu connaissance) ;
Attendu qu'en l'espèce, il y avait absence de poursuite d'un objectif légitime (le tribunal le cherche en vain), et à supposer qu'il y en ait eu un, le recours à la force fut certainement déraisonnable et disproportionné, et il n'a jamais été précédé d'un avertissement ; qu'aucun de ces quatre prévenus n'a jamais évoqué le moindre avertissement préalable avant de recourir à la force, voire à la violence ;
Attendu que pour ce qui est d'Ethan, on retiendra les incontestables épisodes violents ou d'usages de force suivants (le plaignant a certes fait état d'autres épisodes ou faits mais le tribunal ne peut les tenir pour vrais en l'absence d'éléments objectifs, et n'exclut pas non plus qu'il a pu y avoir certaines exagérations dans la manière de rapporter les faits) :
  • le fait d'avoir été repoussé par le prévenu Eden (l'inspecteur Jean a déclaré que l'intéressé s'était avancé vers son collègue Eden qui l'a repoussé, le prévenu Jules l'a vu s'approcher de son collègue Eden qui l'a écarté pour garder la distance) et puis d'avoir été mis au sol sans ménagement (il a lourdement chuté au sol, face contre terre selon le prévenu Jules) par les prévenus Eden, et Jules, avec l'assistance du prévenu Jean (il n'est pas assuré que le prévenu Sébastien ait participé à cette mise au sol, même si le plaignant évoquait un policier plus âgé qui lui avait donné un coup de poing),
  • le fait d'avoir été tenu plié fortement, vers l'avant, maintenu ainsi menotté par le prévenu Oscar (au commissariat),
  • le fait d'avoir subi une prise (bras sur la mâchoire) au cours de son transfert à l'hôpital, tandis qu'il était aux côtés du prévenu Oscar ;
Que pour ce qui est de la scène prolongée au local des agents, là où Ethan est resté un temps anormalement long, durant lequel il dit avoir été frappé par les policiers présents (les cinq prévenus visés à la prévention A s'y sont trouvés), faute de témoin, à défaut d'images, il n'est pas assuré avec la certitude suffisante que ce plaignant a été frappé comme il le dit, même si le contexte pose réellement question (le prévenu Jules y est venu alors qu'il se plaignait de douleurs causées lors de l'interception d'Ethan, soit dans un état d'esprit qui ne devait pas être bienveillant pour ce dernier et le prévenu Timothé l'a trouvé en train de pleurer dans le local des agents, tandis qu'il était entouré par certains prévenus) ;
Que concernant l'interpellation de l'intéressé qui bien légitimement s'étonnait de l'arrestation de deux de ses amis, le fait qu'il se serait avancé vers le prévenu Eden ne justifiait pas une repoussade comme subie ; qu'il a peut-être réagi en portant sa main sur le gilet pare-balles du prévenu Eden, mais cela ne pouvait entraîner une réaction aussi musclée que celle subie ; qu'on l'a fait lourdement chuter face contre terre (selon le prévenu Jules) ; que le soin mis par les prévenus Jules et Eden à exagérer le comportement d'Ethan ne vise qu'à tenter de justifier les violences faites à l'intéressé ; qu'ils sont bien seuls à dire qu'Ethan aurait poussé l'inspecteur Eden contre une voiture, contre une vitrine, contre un mur, comme si le jeune homme était devenu fou furieux ;
Qu'à supposer que ce plaignant ait eu une certaine réaction d'énervement en touchant l'inspecteur Eden au niveau de la poitrine, sur le gilet pare-balles, sans lui causer la moindre lésion, ce comportement était compréhensible au vu de l'arrestation manifestement illégale et arbitraire de deux de ses amis et faisait suite en outre à un geste hostile du prévenu Eden qui venait de le repousser ;
Qu'un si modeste accrochage ne pouvait conduire à une réaction aussi forte et violente des inspecteurs concernés, oublieux de ce que le recours à la force doit être raisonnable et proportionné, et si possible précédé d'un avertissement ;
Que jamais les prévenus n'ont mis Ethan en garde de quoi que ce soit ;
Qu'on a manifestement littéralement fondu sur lui ;
Que les lésions présentées par l'intéressé étaient selon le prévenu Jules la conséquence de la réaction policière (tandis que le prévenu Oscar ne peut expliquer les lésions au visage présentées par Ethan...) ;
Que le prévenu Timothé a confirmé que l'intéressé était blessé (au niveau de l'oeil) dans la voiture qui l'amenait au commissariat ; qu'on remarquera qu'une blessure à l'oeil est plus la conséquence d'un coup qui y est porté que d'une chute ; que lors d'une chute on tombe sur ses membres et pas réellement sur l'oeil... ;
Qu'ainsi qu'il fut dit ci-avant, le comportement violent, agressif, rebelle, prêté à la partie civile ne cadre pas avec les autres éléments du dossier (il n'est pas apparu tel à l'hôpital ni au commissariat où il était filmé) ;
Que le prévenu Oscar a de son côté été inutilement violent envers Ethan lors de son transfert à l'hôpital ; que l'avoir maintenu dans la voiture avec une prise au niveau de la tête tel qu'il l'a lui-même décrit, alors même que l'intéressé était blessé, ne se justifiait aucunement ;
Que l'avoir tenu plié fortement au commissariat, sans justification satisfaisante, était aussi une marque de violence inappropriée et injustifiée ;
Attendu qu'il résulte des éléments ci-avant relevés par le tribunal que la prévention A telle que libellée doit être déclarée établie à charge des quatre premiers prévenus ;
Que le prévenu Sébastien sera quant à lui acquitté de cette prévention, n'apparaissant pas avoir adopté de comportement violent envers les nommés David et Ethan ;
Attendu que le prévenu Oscar doit répondre seul de la prévention E visant des coups et blessures volontaires simples envers le nommé Bruno, fait commis dans l'exercice de ses fonctions, sans motif légitime ;
Que parmi les épisodes violents que ce plaignant disait avoir subis, peut être attribuée de manière certaine au prévenu Oscar la force injustifiée utilisée à son encontre lors de son transfert au commissariat ; que les autres épisodes décrits par la victime ne peuvent [pas ] nécessairement être tenus pour vrais ni attribués au prévenu Oscar ;
Que sans pouvoir la justifier de manière crédible, et cette victime n'apparaît aucunement comme un individu excité qu'il fallait contenir ou maîtriser, le prévenu Oscar a fait usage d'une force injustifiée à son égard en la maintenant fermement au niveau de la tête pendant tout le trajet, selon une technique policière enseignée, son avant-bras se trouvant placé entre l'épaule et la mâchoire de l'intéressé ;
Que ce n'est pas parce qu'une technique de maîtrise policière existe et a vocation à trouver à s'appliquer qu'elle peut l'être dans toutes les situations ;
Qu'en l'espèce il n'y avait pas lieu à recourir à cette méthode, qui était un déploiement de force totalement injustifié, à l'égard d'un individu qui n'apparaissait ni rebelle, ni agressif, ni excité ;
Que la prévention E doit être déclarée établie à charge du prévenu Oscar ;
Attendu que la prévention C de détention arbitraire et illégale de la partie civile Ethan doit être déclarée établie à charge du prévenu Timothé qui a maintenu l'intéressé en détention alors même que le magistrat du parquet avait ordonné sa relaxe (à 4 heures 05) ; qu'il était abusif de convertir rétroactivement (à 2 heures 43) cette arrestation judiciaire qui ne se justifiait plus en une arrestation administrative qui n'avait aucunement lieu d'être ;
Que c'est vainement que ce prévenu considère que l'infraction ne pourrait être déclarée établie dès lors qu'il n'a agi ni par malveillance ni par obstination ;
Qu'il a agi d'une manière à tout le moins grossièrement fautive, d'une manière qui ne pouvait que lui apparaître illégale et injustifiée ;
Attendu que les prévenus Jean, Oscar et Eden doivent répondre d'une prévention D de soumission d'autrui (Ethan et David) à un traitement dégradant ;
Que la citation ne reprend pas quels ont été les actes pouvant avoir été constitutifs d'un traitement dégradant, à savoir une humiliation ou un avilissement grave ;
Que lors des débats, il est principalement question du fait que le prévenu Oscar aurait obligé Ethan à dire, à plusieurs reprises, qu'il était une petite fille ; que cela est contesté par ce prévenu et aucun autre policier n'en fait état ; qu'il n'est pas assuré, avec la certitude suffisante, que ce plaignant aurait été humilié d'une telle sorte ;
Qu'il est aussi question lors des débats du fait que ces deux parties civiles ont été conduites à l'hôpital seulement vêtues d'un t-shirt alors qu'il neigeait et faisait froid dehors ;
Que si les prévenus responsables se doivent de veiller au confort vestimentaire minimal des personnes qu'ils escortent, il n'apparaît pas en l'espèce qu'on a volontairement transporté ces personnes dans une telle tenue pour leur faire avoir froid, d'autant que les transferts se faisaient en véhicules très sans doute chauffés et que le temps passé à l'extérieur, le temps de sortir des véhicules, devait être très bref ;
Attendu que l'inconfort lié aux cellules telles qu'elles se présentent, les conditions spartiates de séjour dans de tels endroits, où l'on reste à moitié dévêtu, ne procède pas d'une volonté des prévenus de vouloir procurer aux intéressés un traitement dégradant mais est inhérent à ce type de lieu (dans lesquels on ne peut être placé que le temps nécessaire, en cas d'arrestation administrative justifiée ou en cas d'arrestation judiciaire) ;
Attendu par contre que la manière dont Ethan et David ont été contraints d'avancer, menottés, pliés en deux, avec les menottes sur lesquelles on tirait, d'une manière qui ne peut que faire mal, constitue un traitement dégradant, infligé gratuitement et inutilement, dans le seul souci d'humilier la personne privée de liberté ;
Qu'on retiendra que le prévenu Jean tirait sur les menottes de David pour l'obliger à marcher plié, le prévenu Oscar a fait de même avec Ethan ; qu'au retour de l'hôpital, le prévenu Eden a également procédé de la même façon avec Ethan ;
Que la prévention D doit être déclarée établie à charge du prévenu Jean en ce qu'elle vise David et la prévention D doit être déclarée établie à charge des prévenus Oscar et Eden en ce qu'elle vise Ethan ;
Que chacun de ces prévenus sera acquitté du surplus de la prévention D limitée (limitée à David pour ce qui est du prévenu Jean, limitée à Ethan pour ce qui est des prévenus Oscar et Eden) ;
Quant aux peines
Les infractions déclarées établies dans le chef des prévenus Jean, Jules, Oscar et Eden constituent, dans le chef de chacun d'eux, un délit collectif par unité d'intention à ne sanctionner que par une seule peine, la plus forte ;
Attendu que les faits sont bien graves ;
Que les prévenus Jean, Jules, Oscar et Eden ont usé d'inadmissibles violences à l'égard de jeunes gens qui ne posaient pas réellement problème, et dont l'arrestation ne se justifiait pas (sous réserve de ce qui a été dit de l'arrestation judiciaire du nommé Ethan) ;
Qu'alors que la mission de la police est de veiller au maintien de l'ordre, ils ont créé le désordre en intervenant de manière inappropriée, excessive, créant des dommages plus graves que ceux qu'ils étaient censés prévenir ;
Que les déclarations du médecin et de l'infirmière de l'hôpital en disent long sur le comportement des prévenus Oscar et Eden, que l'infirmière présentait comme généralement agressifs et provocateurs ;
Qu'on retiendra également que le prévenu Oscar apparaît, au travers des éléments du dossier, comme celui qui était le plus agressif et violent ;
Qu'on retiendra aussi que le prévenu Jules a déjà été jugé et condamné pour des faits de même nature (le jugement du 27 mars 2019, coulé en force de chose jugée, a été versé dans la farde d'audience) ;
Attendu qu'on ne peut comprendre ni accepter qu'une telle banale intervention de départ ait pu mobiliser autant de policiers, tout au long d'une nuit, à l'égard de jeunes gens qui ne posaient pas réellement problème et n'avaient nullement le profil de délinquants, alors qu'on sait qu'on est en manque de policiers sur le terrain et que des faits graves de délinquance se commettent chaque nuit sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, sans pouvoir être empêchés ni élucidés ;
Que ces prévenus se sont comportés comme s'ils étaient investis du pouvoir d'user de la force à leur guise, sans limite, sans devoir rendre compte, sans respect de la personne d'autrui ;
Attendu qu'ils ne se remettent nullement en question et ils persistent à penser qu'ils se sont comportés comme il le fallait ;
Qu'il est regrettable aussi de penser que ce type de comportement jette l'opprobre sur la police et leurs collègues policiers, injustement décriés par une partie de la population qui n'a d'oreilles que pour les faits de violences policières rapportés dans les médias ;
Attendu que des peines à la sévérité suffisante s'imposent, qui fassent comprendre aux prévenus combien ce type de comportement ne peut avoir sa place au sein de la police ;
Que pour ce qui est du prévenu Jules, les présents faits sont antérieurs au jugement coulé en force de chose jugée prononcé par le 27 mars 2019 par la présente chambre du tribunal, qui le condamnait pour des faits de même nature à une peine de trois mois d'emprisonnement et à une peine d'amende de 600 euros (100 euros X 6), avec un sursis pendant trois ans pour la totalité de la peine d'emprisonnement et un sursis de trois ans pour la moitié de la peine d'amende ;
Que ces peines déjà prononcées ne suffisent pas à une juste répression de l'ensemble des infractions et il sera prononcé les peines complémentaires ci-après, en vue d'une juste et suffisante sanction ;
Attendu que le prévenu Timothé a agi de manière coupable en décidant de l'arrestation administrative (injustifiée) de David et en maintenant en état de détention le nommé Ethan alors que le procureur du roi avait ordonné sa relaxe ;
Qu'alors que ce prévenu n'était pas animé d'intention méchante, que le fait paraît isolé et qu'il n'a pas participé à de la violence sur les victimes, ce prévenu bénéficiera de la mesure de faveur sollicitée, à savoir la suspension simple du prononcé de la condamnation, mesure qui lui servira d'avertissement, sans porter atteinte à sa carrière professionnelle ;
(...)

Les prévenus Jean, Oscar et Eden sont condamnés à des peines d'emprisonnement de six mois avec sursis de trois ans, et à une amende de 800 euros (avec sursis pour la moitié).
Le prévenu Jean est condamné à une peine d'emprisonnement de cinq mois avec sursis de trois ans, à une amende de 480 euros (avec sursis pour la moitié).
Le prévenu Sébastien est acquitté.
Le prévenu Timothé bénéficie d'une suspension simple du prononcé.
Au civil, les prévenus Jean, Jules, Oscar et Eden sont condamnés solidairement à payer aux parties civiles des sommes de 2.500, 750 et 3.000 euros. Le prévenu Timothé est condamné, solidairement avec les autres, pour les montants repris dans leur condamnation, à payer aux parties civiles des sommes de 500, 200 et 600 euros.
Siég. :  M. O. Van Wilder.
Greffier : M. J.-M. Harpigny.
M.P. : Mme C. de Reuck.
Plaid. : MesS. Jans, A. Deswaef, Th. Colin et Fl. Demaj (loco P. Cryspin).
N.B. Cette décision n'est pas définitive.

 



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1. L'arrestation administrative de fêtards à l'intérieur d'un établissement Horeca est un acte grave, infâmant pour celui qui la subit face à d'autres clients qui peuvent s'imaginer qu'on est en train d'arrêter un dangereux malfrat. Elle est réservée aux cas d'absolue nécessité. À supposer même que les policiers auraient estimé que ces fêtards perturbaient la tranquillité publique, pareille arrestation est abusive, particulièrement à l'intérieur d'un établissement dont le gérant n'a aucunement eu à se plaindre de la présence desdits fêtards. À partir du moment où cette arrestation s'est doublée de placage au sol, de placement de menottes et de diverses brutalités gratuites et injustifiées, elle est constitutive de coups et blessures volontaires commis dans l'exercice de la fonction de police.

2. Si la prévention d'arrestation illégale ou arbitraire ne peut être retenue à charge de policiers qui ont pu considérer que leur collègue venait d'être frappé par une des personnes qu'ils interceptaient, elle est établie à l'égard de ce collègue qui a pris l'initiative de cette arrestation sans raison valable, sans absolue nécessité, avec la volonté manifeste d'exercer un rapport de force injustifié à l'égard d'un jeune homme qui ne posait pas réellement problème, qui ne troublait pas particulièrement la tranquillité publique, et certainement pas plus que de nombreux jeunes qui aiment faire la fête.

3. L'officier de police qui maintient une personne en détention alors même que le magistrat du parquet a ordonné sa relaxe, en convertissant rétroactivement une arrestation judiciaire qui ne se justifiait plus en arrestation administrative qui n'avait nullement lieu d'être se rend coupable de détention illégale et arbitraire.

4. Si le fait d'avoir transféré, par temps de neige, vers un hôpital des personnes détenues vêtues d'un simple t-shirt ne peut pas nécessairement être considéré comme l'expression de la volonté de les soumettre à un tradivent dégradant, infligé gratudivent et inutilement, dans le seul souci d'humilier une personne privée de liberté, tel est le cas de la contrainte d'avancer, pliés en deux, avec des menottes sur lesquelles on tirait, d'une manière qui ne peut que faire mal.

Mots-clés

Coups et blessures volontaires et meurtres - Arrestation administrative injustifiée - Absence d'absolue nécessité - Usage de violences et de brutalités - Placement injustifié de menottes - Arrestation - Arrestation illégale ou arbitraire - Volonté d'exercer un rapport de force injustifié - Arrestation - Détention illégale et arbitraire - Conversion rétroactive d'une arrestation judiciaire dont le parquet a ordonné la relaxe en une arrestation administrative qui n'avait plus lieu d'être - Infractions diverses - Soumission à des tradivents dégradants - Contrainte d'avancer pliés en deux, avec des menottes sur lesquelles on tire dans le but de faire mal

Date(s)

  • Date de publication : 10/06/2022
  • Date de prononcé : 25/05/2022

Référence

Tribunal correctionnel francophone Bruxelles (50e chambre), 25/05/2022, J.L.M.B., 2022/23, p. 1030-1038.

Branches du droit

  • Droit pénal > Infractions et leurs peines > Crimes et délits contre les personnes > Homicide et lésions corporelles volontaires - Coups
  • Droit pénal > Police > Fonction de la police > Missions
  • Droit pénal > Détention préventive > Détention illégale

Éditeur

Larcier

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