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19/11/2019
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Cour d'appel Mons (2e chambre), 19/11/2019


Jurisprudence - Vente - Vente immobilière - Action estimatoire

J.L.M.B. 21/56
I. Vente immobilière - Garantie des vices cachés - Choix de l'action estimatoire - Abus de droit (non).
II. Vente immobilière - Garantie des vices cachés - Action estimatoire - Détermination de la partie du prix à restituer.
III. Vente immobilière - Garantie des vices cachés - Action estimatoire - Dommages et intérêts complémentaires - Mauvaise foi du vendeur.
1. Le choix entre l'action rédhibitoire et l'action estimatoire appartient au seul acheteur. Si l'une des actions a été intentée, l'acheteur peut en cours d'instance se raviser et intenter l'autre, sauf s'il y a expressément renoncé. L'acheteur n'a pas à justifier les motifs de son choix.
2. En cas d'action estimatoire, la partie du prix que le vendeur devra restituer à l'acquéreur compense la moins-value que ce dernier doit subir du fait de la présence du vice caché et correspond à la quote-part qu'il n'aurait pas payée s'il avait été informé du vice. La partie du prix de la vente à restituer à l'acheteur dans le cadre de l'action estimatoire peut être déterminée sur la base du coût des travaux à exécuter pour remédier aux défauts cachés. Il est en l'espèce justifié d'évaluer la moins-value causée par les vices cachés à l'équivalent du prix des travaux à réaliser pour la remise en ordre de l'immeuble auquel il faut ajouter le chômage locatif lié au temps nécessaire pour réaliser les travaux.
3. Lorsque le vendeur connaissait les vices de la chose, des dommages et intérêts peuvent être accordés à l'acquéreur en vue de l'indemniser du préjudice que la restitution d'une partie du prix n'aura pas suffi à réparer.

(Jules / Lucien et Solange )


Revu, (...), l'arrêt rendu le 30 janvier 2018 par la chambre de céans autrement composée (...).
(...)
II. Antécédents - Objet
4. Le litige ne porte plus que sur l'évaluation de la réduction de prix et des dommages et intérêts auxquels Lucien et Solange peuvent prétendre sur la base de l'action en garantie des vices cachés qu'ils ont actionnée contre Jules, vendeur de l'immeuble qu'ils ont acheté à (...).
5. L'arrêt du 30 janvier 2018 susvisé rappelle notamment que :
  • Jules, maçon de profession, a vendu l'immeuble dans lequel iI avait procédé à des travaux d'agrandissement, d'aménagement et de rénovation, à Lucien et Solange selon acte authentique du 3 novembre 2008 ;
  • par citation du 3 décembre 2008, Lucien et Solange ont assigné Jules (et son épouse) en justice en vue d'obtenir la résolution de la vente pour vices cachés et leur condamnation à leur rembourser le prix de vente de 135.000,00 euros et à leur payer les sommes de 19.368,00 euros de frais et 25.000,00 euros de dommages et intérêts ; dans son dernier état, leur demande portait, non plus sur la résolution de la vente, mais sur la restitution partielle du prix, soit à concurrence de la somme de 50.000,00 euros et sur le paiement de dommages et intérêts, chiffrés à la somme de 5.000,00 euros ;
  • par jugement du 31 mars 2010, le premier juge a désigné, avant dire droit, un expert judiciaire chargé de dire si l'immeuble vendu était affecté de vices cachés ;
  • l'immeuble concerné a fait l'objet d'un arrêté d'inhabitabilité du bourgmestre de la commune de (...) en date du 7 juin 2011 ;
  • l'expert judiciaire a déposé son rapport final le 23 décembre 2011 ;
  • entretemps, Lucien et Solange ont été admis au règlement collectif de dettes par jugement du tribunal du travail de Mons du 27 janvier 2011 ;
  • par jugement du 14 février 2017, le premier juge a condamné Jules à payer à Lucien et Solange une somme de 25.000,00 euros à titre de restitution partielle du prix, à majorer des intérêts judiciaires.
Sur l'appel interjeté par Jules contre cette décision, l'arrêt du 30 janvier 2018 susvisé décide notamment que l'immeuble vendu était affecté de vices cachés dont il appartenait à Jules de répondre, nonobstant la clause exonératoire des vices cachés contenue dans l'acte de vente, pour en avoir eu connaissance.
Ces vices cachés consistaient dans :
  • l'absence de permis d'urbanisme pour la construction de l'annexe arrière servant de cuisine ;
  • le défaut d'isolation de la cuisine ;
  • la réalisation de nombreux travaux ayant porté atteinte aux structures portantes ;
  • l'humidité au mur arrière du bâtiment liée à la dérivation du trop-plein des eaux de la citerne.
En vue de déterminer la réduction de prix à laquelle Lucien et Solange ont droit dans le cadre de leur action estimatoire, la cour a désigné l'architecte D. en qualité d'expert judiciaire, avec pour mission limitée de faire rapport sur le coût des régularisations et réfections nécessaires pour remédier aux vices cachés déclarés établis.
6. Aux termes de sa note déposée à l'audience du 23 octobre 2018, l'expert D. a
  • estimé à la somme totale de 32.727,52 euros T.V.A.C. le coût des travaux et interventions à mettre en oeuvre afin de régulariser la bâtisse d'un point de vue administratif et technique ;
  • estimé à 700,00 euros par mois hors charges la valeur locative du bien et à 4.900,00 euros le chômage locatif causé par le temps nécessaire pour la remise en conformité administrative et technique de la maison.
7. Lucien et Solange réclament donc en définitive, dans leurs dernières conclusions, la somme (globale) de 131.427,52 euros à Jules, à majorer des intérêts judiciaires, selon le détail suivant :
  • dommage lié aux vices relevés 32.727,52 euros
  • trouble de jouissance à subir 4.900,00 euros
  • trouble de jouissance subi 93.800,00 euros
    du mois de septembre 2008 au mois de novembre 2019
8. Jules conteste la demande.
Il estime que le choix de l'action estimatoire fait par Lucien et Solange en lieu et place de l'action rédhibitoire est abusif et justifie de les débouter de leur demande.
À titre subsidiaire, il conteste le trouble de jouissance réclamé par Lucien et Solange, estimant, d'une part, qu'il n'a pas pu prendre cours avant la signature de l'acte authentique de vente du 3 novembre 2008 et, d'autre part, que Lucien et Solange sont seuls responsables du délai de 36 mois qu'il leur a fallu pour diligenter la cause devant le premier juge, après le dépôt du rapport final de l'expert judiciaire.
Il demande, dans ce cas, le bénéfice de termes et délais de paiement « les plus larges possibles ».
III. Appréciation
A. Quant à l'abus de droit
9. En vertu de l'article 1644 du Code civil, le choix entre l'action rédhibitoire et l'action estimatoire appartient au seul acheteur, à l'exclusion du vendeur, auquel il s'impose, de la même manière qu'au juge (A. Cruquenaire, C. Delforge, I. Durant et P. Wéry, Précis des contrats spéciaux, Waterloo, Kluwer, 2015, p. 279, n° 253).
L'option demeure ouverte aussi longtemps qu'il n'y a pas acquiescement du vendeur, ou chose jugée sur l'une des deux actions. Si l'une des actions a été intentée, l'acheteur peut en cours d'instance se raviser et intenter l'autre, sauf s'il y a expressément renoncé (voy. Cass. (1re ch.), R.G. C.09.0204.F, 2 avril 2010).
L'acheteur n'a pas à justifier les motifs de son choix (P. Harmel, « La Vente - Théorie générale », Rép. not., t. VII, liv. 1, Bruxelles, Larcier, 1985, n° 357).
10. Jules trouve cependant l'option choisie abusive en raison de la hauteur de la somme qui lui est réclamée par Lucien et Solange, qui approche le montant du prix de vente.
11. Lorsque l'acheteur fait le choix de garder le bien vendu malgré le vice dont il est affecté et de se faire rembourser une partie du prix par le vendeur - il s'agit de l'action estimatoire exercée en l'espèce - la partie du prix que le vendeur devra restituer à l'acquéreur compense la moins-value que ce dernier doit subir du fait de la présence du vice caché et correspond à la quote-part qu'il n'aurait pas payée s'il avait été informé du vice (M. Vanwijck-Alexandre et M. Gustin, « L'obligation de délivrance conforme et la garantie des vices cachés : le droit commun », in La nouvelle garantie des biens de consommation et son environnement légal, C. Biquet-Mathieu et P. Wéry (dir.), Bruxelles, La Charte, 2015, p. 41, n° 55).
L'article 1645 du Code civil ajoute que « Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur ».
La demande de Lucien et Solange comprend indistinctement la moins-value qui affecte l'immeuble et les dommages et intérêts qui découlent de l'existence de vices dans l'immeuble vendu.
Or, ces dommages et intérêts, qui représentent en définitive la plus grande partie de leur demande, sont dus aussi bien en cas d'action estimatoire qu'en cas d'action rédhibitoire.
Ce n'est donc pas le choix de l'action estimatoire en lui-même qui est à l'origine de la somme totale élevée que réclament Lucien et Solange.
C'est par conséquent à tort que Jules le qualifie d'abusif.
B. Quant à la partie du prix à restituer
12. La partie du prix de la vente à restituer à l'acheteur dans le cadre de l'action estimatoire peut être déterminée sur la base du coût des travaux à exécuter pour remédier aux défauts cachés (voy. Cass. (1re ch.), R.G. C.10.0046.F, 10 mars 2011).
13. Il est effectivement justifié en l'espèce d'évaluer la moins-value causée par les vices cachés à l'équivalent du prix des travaux à réaliser pour la remise en ordre de l'immeuble, auquel il faut ajouter le chômage locatif lié au temps nécessaire pour réaliser les travaux.
Conformément à l'avis de l'expert judiciaire qu'il convient d'entériner, il s'agit de la somme de 32.727,52 euros + 4.900,00 euros = 37.627,52 euros.
Jules critique en vain le chômage locatif tel qu'il a été évalué par l'expert judiciaire en tentant, sans aucun élément objectif de nature à appuyer ses critiques, d'y ajouter des réserves que l'expert n'a pas reprises, à savoir que la maison pourrait malgré tout être habitée pendant certains des travaux nécessaires.
L'avis de l'expert judiciaire rejoint pourtant celui que l'architecte F., conseil technique de Lucien et Solange, émettait déjà la 8 décembre 2008, estimant que la maison serait totalement inhabitable pendant la durée des travaux de réfection.
14. Au surplus, la somme de 37.627,52 euros sera majorée des intérêts compensatoires au taux légal à dater du 11 décembre 2008, date de la citation, comme le demandent Lucien et Solange.
C. Quant aux dommages et intérêts complémentaires
15. Lorsque le vendeur connaissait les vices de la chose, des dommages et intérêts peuvent être accordés à l'acquéreur en vue de l'indemniser du préjudice que la restitution d'une partie du prix n'aura pas suffi à réparer.
16. Tel est précisément le cas en l'espèce, l'arrêt de la cour de céans du 30 janvier 2018 ne retenant que des vices dont Jules avait en réalité connaissance.
17. La maison s'est rapidement révélée inhabitable en raison des vices qui l'affectaient : Lucien et Solange ont en effet rapidement constaté des tâches d'humidité et des champignons ainsi que des problèmes de structure, un plafond s'effondrant même.
L'arrêté du bourgmestre de la commune de (...) du 7 juin 2011 déclarant l'immeuble, alors inoccupé, inhabitable, relève ainsi les défauts suivants :
  • humidité ascensionnelle dans les maçonneries extérieures des murs de l'annexe cuisine,
  • humidité ascensionnelle dans les maçonneries intérieures des murs de l'annexe cuisine,
  • manque de stabilité de la structure portante des planchers, le support des poutres n'étant pas réalisé dans les règles de l'art aux endroits visibles,
  • (...)
  • les murs de la cuisine sont en blocs de terre cuite sans parement extérieur et ils manquent d'isolation.
Cette situation justifie l'indemnisation du trouble de jouissance imputable aux vices affectant l'immeuble, à concurrence de la somme de 700,00 euros par mois qui représente la valeur locative du bien.
Les travaux de réfection étaient d'une telle ampleur (près de 25 pour cent du prix d'achat de l'immeuble) que Lucien et Solange n'ont pas été en mesure de les financer et qu'ils ont été admis au règlement collectif de dette.
C'est dès lors à juste titre qu'ils réclament l'indemnisation de leur trouble de jouissance pendant une aussi longue période, sous les réserves qui suivent.
À juste titre, Jules demande de réduire la réclamation de Lucien et Solange à concurrence de :
  • la somme de 1.400,00 euros correspondant aux deux mois comptabilisés à tort pendant la période séparant le compromis de vente et l'acte authentique, pendant laquelle Lucien et Solange ne bénéficiaient pas encore de la jouissance de l'immeuble ;
  • la somme de 25.200,00 euros correspondant à la période pendant laquelle le trouble de jouissance est à imputer à la négligence fautive de Lucien et Solange dans la mise en état de la cause.
18. Il convient donc en définitive d'évaluer les dommages et intérêts complémentaires dus par Jules à la somme de 93.800,00 euros - 1.400,00 euros - 25.200,00 euros = 67.200,00 euros, à titre de trouble de jouissance.
Cette somme sera majorée des intérêts compensatoires au taux légal à dater du 4 mai 2014, date moyenne.
D. Quant aux termes et délais
19. L'article 1244, alinéa 2, n'autorise le juge à accorder des délais modérés pour le paiement et faire surseoir aux poursuites, eu égard à la situation des parties, qu'en usant de ce pouvoir avec une grande réserve et en tenant compte des délais dont le débiteur a déjà usé.
Il est généralement considéré que seuls les débiteurs malheureux et de bonne foi y auront droit.
20. Or, en l'espèce, il ressort de l'arrêt du 30 janvier 2018 susvisé que Jules a fait preuve de mauvaise foi en vendant un immeuble affecté de vices cachés dont il avait pourtant connaissance.
Cette situation a plongé Lucien et Solange dans de grandes difficultés depuis plus de dix ans.
21. Dans de telles conditions, il n'est pas justifié de faire droit à la demande de délais de grâce de Jules.
(...)

Par ces motifs,
(...)
Dit l'appel fondé ;
En conséquence, met à néant le jugement dont appel ;
(...)
Condamne Jules à payer à Lucien et Solange
  • la somme de 37.727,52 euros, à titre de restitution d'une partie du prix de vente de l'immeuble sis à (...), à majorer des intérêts compensatoires, calculés au taux légal à dater du 11 décembre 2008 et, à compter de la présente décision, des intérêts moratoires au taux légal jusqu'à parfait paiement ;
  • la somme de 67.200,00 euros, à titre de dommages et intérêts complémentaires, à majorer des intérêts compensatoires, calculés au taux légal à dater du 4 mai 2014 et, à compter de la présente décision, des intérêts moratoires au taux légal jusqu'à parfait paiement ;
(...).
Siég. :  M. J.-Fr. Malengreau, Mmes C. Henrotin et N. Roland.
Greffier : Mme V. Drozd.
Plaid. : MesP.-Y. Ballez et P. Baurain.

 



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1. Le choix entre l'action rédhibitoire et l'action estimatoire appartient au seul acheteur. Si l'une des actions a été intentée, l'acheteur peut en cours d'instance se raviser et intenter l'autre, sauf s'il y a expressément renoncé. L'acheteur n'a pas à justifier les motifs de son choix.

2. En cas d'action estimatoire, la partie du prix que le vendeur devra restituer à l'acquéreur compense la moins-value que ce dernier doit subir du fait de la présence du vice caché et correspond à la quote-part qu'il n'aurait pas payée s'il avait été informé du vice. La partie du prix de la vente à restituer à l'acheteur dans le cadre de l'action estimatoire peut être déterminée sur la base du coût des travaux à exécuter pour remédier aux défauts cachés. Il est en l'espèce justifié d'évaluer la moins-value causée par les vices cachés à l'équivalent du prix des travaux à réaliser pour la remise en ordre de l'immeuble auquel il faut ajouter le chômage locatif lié au temps nécessaire pour réaliser les travaux.

3. Lorsque le vendeur connaissait les vices de la chose, des dommages et intérêts peuvent être accordés à l'acquéreur en vue de l'indemniser du préjudice que la restitution d'une partie du prix n'aura pas suffi à réparer.

Mots-clés

Vente immobilière - Garantie des vices cachés - Choix de l'action estimatoire - Abus de droit (non) - Vente immobilière - Garantie des vices cachés - Action estimatoire - Détermination de la partie du prix à restituer - Vente immobilière - Garantie des vices cachés - Action estimatoire - Dommages et intérêts complémentaires - Mauvaise foi du vendeur

Date(s)

  • Date de publication : 05/03/2021
  • Date de prononcé : 19/11/2019

Référence

Cour d'appel Mons (2e chambre), 19/11/2019, J.L.M.B., 2021/9, p. 404-409.

Éditeur

Larcier

Branches du droit

  • Droit civil > Contrats spéciaux > Vente > Obligations du vendeur
  • Droit civil > Contrats spéciaux > Vente > Vente immobilière
  • Droit civil > Obligations conventionnelles > Exécution/inexécution de l'obligation > Dommages et intérêts

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