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28/10/2019
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Tribunal civil Liège, division de Verviers (3e chambre), 28/10/2019


Jurisprudence - Obligations et contrats

J.L.M.B. 21/9
I. Action en justice - Intérêt - Prestations « en noir » - Volonté commune aux deux parties - Recevabilité.
II. Entrepreneur - Prestations « en noir » - Objet contraire à l'ordre public - Nullité - Obligations de restitutions réciproques - Impossibilité de restitutions en nature - Restitutions par équivalent.
1. En présence d'une volonté commune des parties de travailler « en noir », la sanction de l'irrecevabilité de l'action serait abusive.
2. Le contrat qui porte sur des prestations « en noir » a un objet contraire à l'ordre public. Il est frappé de nullité et donne lieu à des restitutions réciproques afin de remettre les choses dans leur pristin état. Les prestations qui ne peuvent être restituées en nature donnent lieu à des restitutions par équivalent.

(Patrice / Noël )


(...)
II. Les faits
Noël se dit titulaire d'un droit de chasse sur des parcelles forestières situées sur le territoire de la commune de Jalhay.
Patrice exerce une activité d'exploitation forestière.
En 2014, Noël a confié à Patrice la mission de faucher les parcelles précitées. En contrepartie, Patrice a obtenu dix invitations à chasser valorisées à 250 euros par unité.
En 2015, Patrice a, à la demande de Noël, effectué des travaux de gagnage et de fauchage sur les parcelles concernées.
Patrice a perçu une somme de 1.000 euros payée par Noël ainsi que dix postes de chasse.
À la suite de ses prestations, Patrice a émis un détail chiffré de celles-ci, d'un total de 5.565,00 euros T.V.A.C., déduction faite des 1.000 euros d'acompte et de 2.500 euros représentant les dix postes de chasse reçus.
Ce détail, qui a été transmis par e-mail à Noël le 4 octobre 2015, a donné lieu à une réaction immédiate de ce dernier :

« Hey Patrice,

Je viens de voir ton mail.

À mon avis, il y a un mal entendu ici. Comme on avait l'année passé, quand je t'ai payée € 2500, de plus avoir des transferts de cash entre nous et de récompenser en invitées.

Je tombe un peu du ciel ici ». (sic)

Patrice a émis une facture le 21 octobre 2015, reprenant un solde de 5.565,00 euros T.V.A.C.
Les parties s'échangeront par la suite plusieurs e-mails, s'opposant quant à l'accord convenu :
  • selon Patrice, il était convenu que le travail de fauchage soit rétribué par des postes de chasse, ce qui a été fait, et que celui de gagnage soit rémunéré en argent ;
  • selon Noël, il n'a jamais été question de transfert d'argent. Tout devait être compensé par des postes de chasse. Les 1.000 euros payés l'ont été pour l'achat de semences uniquement. Noël écrira que le détail de la facture ne permet aucun contrôle ni quant aux heures et jours de prestations ni quant aux quantités de semences. Il reprochera également à Patrice d'avoir procédé aux travaux de gagnage trop tardivement.
III. La demande
Patrice demande au tribunal de condamner Noël à lui payer :
  • la somme de 5.565,00 euros à majorer des intérêts au taux conventionnel de 12 pour cent l'an depuis le 21 octobre 2015, et
  • la somme de 667,80 euros à titre de clause pénale.
IV. Recevabilité
Noël soutient que la demande de Patrice est irrecevable pour défaut d'intérêt, au motif que la convention intervenue entre les parties est nulle car elle prévoit le paiement de prestations « en noir ».
La facture produite par Patrice révèle qu'une partie des prestations effectuées pour Noël, l'a été « en noir ».
Les 2.500 euros rétribués en postes de chasse et les 1.000 euros versés par Noël sont déduits immédiatement des sommes dues, avant le calcul de la T.V.A. Aucune T.V.A. n'est donc payée ni a priori déclarée sur la somme de 3.500 euros.
Noël a soulevé l'irrecevabilité de l'action dès ses premières conclusions en insistant sur ce qu'il n'avait jamais reçu de facture pour les prestations de 2014 et sur ce que Patrice tentait manifestement d'éluder l'impôt sur les 3.500 euros rétribués.
Patrice n'a donné aucune réponse utile à cette argumentation. Il se contente de souligner que sa facture est régulière, ne voyant manifestement pas le problème. Il n'établit ainsi pas avoir émis une facture pour la somme précitée de 3.500 euros et avoir dès lors déclaré la T.V.A. sur celle-ci.
La volonté des parties d'effectuer des travaux « en noir », si pas entièrement à tout le moins partiellement, est ainsi établie.
Cela étant, le tribunal ne partage pas l'avis selon lequel « les parties qui choisissent sciemment et volontairement de contracter au noir, c'est-à-dire de se soustraire à l'application des lois du pays, ne peuvent agir en justice en vue de faire valoir des droits nés de ces conventions dont elles ont voulu l'illicéité » [1].
Une telle sanction qu'est l'irrecevabilité de l'action serait abusive dès lors que la volonté de travailler « en noir » était en l'espèce manifestement commune aux deux parties.
La demande de Patrice ne tend pas uniquement au maintien d'une situation ou d'un avantage illicite, dès lors que les sommes réclamées ont fait l'objet d'une facture.
L'action est donc recevable.
V. Discussion
1. Selon l'article 29 du Code d'instruction criminelle, « toute autorité constituée, tout fonctionnaire ou officier public, ainsi que, pour ce qui concerne le secteur des prestations familiales, toute institution coopérante au sens de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la charte de l'assuré social qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquerra la connaissance d'un crime ou d'un délit, sera tenu d'en donner avis sur-le-champ au procureur du Roi près le tribunal dans le ressort duquel ce crime ou délit aura été commis ou dans lequel l'inculpé pourrait être trouvé, et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».
Le présent jugement sera donc transmis à Monsieur le procureur du Roi, en application de cette disposition.
Cette dénonciation ne constitue pas un obstacle à ce qu'il soit statué sur la demande principale. L'adage « le criminel tient le civil en l'état » ne jouant que lorsque l'action publique est effectivement mise en mouvement.
2. Dans ses conclusions, Noël adopte une position différant de celle jusque-là défendue. Il conteste à présent que Patrice ait effectué quelques travaux de gagnage. Il soutient que seuls des travaux de fauchage auraient été commandés et effectués, à l'instar de ce qui s'est fait en 2014. La rétribution devrait dès lors être identique à celle de 2014, c'est-à-dire dix postes de chasse. Les 1.000 euros versés l'auraient été « pour avoir la paix ».
Cette nouvelle position est totalement contraire aux échanges d'e-mails produits par Patrice.
Ceux-ci révèlent très clairement que Noël reconnaissait tant la commande de travaux de fauchage et de gagnage, que la réalisation de ces travaux par Patrice.
Noël ne peut à présent utilement contester ces faits et actes.
Il n'est donc pas contestable que Noël a effectivement sollicité Patrice pour des travaux de fauchage et des travaux de gagnage en 2015 et que ces travaux ont été réalisés.
En d'autres termes, une convention d'entreprise a bien été conclue verbalement par les parties et exécutée par Patrice.
3. Cependant, le contrat dont l'objet ou la cause viole l'ordre public ou les bonnes moeurs est entaché d'une cause de nullité absolue.
Comme il a été précisé précédemment, le contrat de fauchage et de gagnage porte sur des prestations « en noir », en contradiction avec les lois fiscales. L'objet de la convention est donc contraire à l'ordre public si bien que celle-ci doit être déclarée nulle.
À la suite de cette annulation, il y a lieu de procéder aux restitutions réciproques afin de remettre les choses dans leur pristin état.
Les prestations effectuées par les parties sont les suivantes :
  • prestations de Patrice : travaux de fauchage et de gagnage,
  • prestations de Noël : dix postes de chasse et paiement de la somme de 1.000 euros.
Les prestations de Patrice et celles de Noël relatives aux postes de chasse ne peuvent être restituées en nature. Il y a donc lieu de procéder à des restitutions par équivalent.
Les prestations de Noël relatives aux postes de chasse sont raisonnablement évaluées à 2.500 euros, au vu de l'évaluation de ces dix postes faite par les parties en 2014.
Concernant les prestations de Patrice, il y a lieu, pour fixer leur valeur objective (ou réelle), de déduire sa marge bénéficiaire du prix H.T.V.A.
À défaut d'observation des parties quant aux restitutions, alors que le moyen tiré de la nullité de la convention a été évoqué, le tribunal évaluera forfaitairement la marge bénéficiaire de Patrice. Cette marge bénéficiaire est ainsi évaluée à 15 pour cent du prix facturé H.T.V.A.
Les prestations de Patrice - qui n'ont pas fait l'objet de contestations précises et utiles par Noël - sont donc raisonnablement évaluées 8.750 euros x 85 pour cent = 7.437,50 euros.
Il revient donc à Patrice la somme de 3.937,50 euros (soit 7.437,50 euros -3.500 euros).
VI. Les frais de la procédure
Chacune des parties succombe sur l'une ou l'autre de ses prétentions de sorte qu'il y a lieu de compenser les dépens.
(...)

Par ces motifs,
(...)
Reprenant l'examen de la cause ab initio ;
Déclare l'action recevable et partiellement fondée ;
Déclare nulle la convention de prestations de services conclue par Patrice et Noël pour le fauchage et le gagnage des parcelles en 2015 ;
Condamne Noël à payer à Patrice la somme de 3.937,50 euros.
(...)
Siég. :  Mme A. Berthe.
Greffier : Mme Fr. Lising.
Plaid. : MesP.-E. Defrance et P. Raxhon.

 


[1] Voy. en ce sens, Liège, 15 juin 2010, R.G.D.C., 2012, livre 10, p. 495.


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En présence d'une volonté commune des parties de travailler « en noir », la sanction de l'irrecevabilité de l'action serait abusive.  

Le contrat qui porte sur des prestations « en noir » a un objet contraire à l'ordre public. Il est frappé de nullité et donne lieu à des restitutions réciproques afin de remettre les choses dans leur pristin état. Les prestations qui ne peuvent être restituées en nature donnent lieu à des restitutions par équivalent.

Date(s)

  • Date de publication : 05/02/2021
  • Date de prononcé : 28/10/2019

Référence

Tribunal civil Liège, division de Verviers (3 e chambre), 28/10/2019, J.L.M.B., 2021/5, p. 220-223.

Éditeur

Larcier

Branches du droit

  • Droit civil > Droit civil - Principes généraux > Lois > Ordre public - bonnes mœurs
  • Droit civil > Obligations conventionnelles > Conditions de validité des conventions > Objet
  • Droit judiciaire > Droit judiciaire - Principes généraux > Action en justice > Intérêt
  • Droit social > Travail > Législation du travail > Travail interdit

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