Jurisprudence - Droit pénal
I. |
Viol - Élément moral - Faute intentionnelle - Preuve - Matières pénales. |
II. |
Viol - Élément matériel - Absence de consentement - Présomption de consentement (non) - Preuve - Matières pénales. |
1. Le viol suppose la preuve d'un élément moral dans le chef du prévenu, consistant dans la volonté délibérée d'abuser de sa victime et, donc, de passer outre un refus de consentement qu'il a pu ou dû identifier comme tel.
2. Le consentement libre qui doit présider à des relations sexuelles ne se présume pas, et si l'absence de réaction de la victime ne peut suffire à déduire son consentement, celui-ci peut cependant s'exprimer de différentes manières, que ce soit verbalement ou par les gestes ou attitudes adoptés par les partenaires. Le contexte des faits est un élément à prendre en considération pour apprécier la volonté ou non de l'auteur d'abuser de la victime.
(M.P. et Julie / Abdel )
(...)
En ce qui concerne les préventions |
Le lundi 29 juillet 2019 à 16 heures 32, Marie, mère de Julie alors mineure, se présente à la police avec sa fille pour déposer plainte pour un viol qui aurait été commis le jour même sur cette dernière.
Dans la rubrique « Constatations », les policiers indiquent :
« nous constatons que Julie est bouleversée, elle pleure, tremble et est très gênée de ce qui lui est arrivé. Sa maman est sous le choc et l'a emmenée voir nos services contre son gré. Julie répète que ce qui s'est produit est arrivé par sa faute et qu'elle aurait dû se défendre, crier mais qu'elle était figée, paralysée ».
Il n'y a pas de doute sur le fait que la partie civile ressent avoir été sexuellement abusée par le prévenu.
La prévention de viol suppose toutefois, comme toute infraction, la preuve d'un élément moral dans le chef du prévenu, consistant dans la volonté délibérée d'abuser de sa victime et donc, de passer outre un refus de consentement qu'il a pu ou dû identifier comme tel.
Si le consentement libre qui doit présider à des relations sexuelles ne se présume pas, et si l'absence de réaction de la victime ne peut suffire à déduire son consentement, celui-ci peut cependant s'exprimer de différentes manières, que ce soit verbalement ou par les gestes ou attitudes adoptés par les partenaires, étant entendu qu'il serait irréaliste d'exiger que toute relation sexuelle consentie doive débuter nécessairement par un accord verbal et formel, le contexte des faits étant à prendre en considération pour apprécier la volonté ou non de l'auteur d'abuser de la victime.
En l'espèce, il y a lieu de relever les éléments suivants :
-
le prévenu et la partie civile entretenaient depuis quelques mois une relation d'abord amicale, puis ensuite un « flirt ».
-
les deux parties reconnaissent que, une fois dans le local dans lequel les faits se sont déroulés, ils ont échangé des « bisous » et des « câlins », la partie civile reconnaissant qu'elle voulait flirter et qu'ils s'embrassaient.
-
les récits de la partie civile et du prévenu concordent également sur le fait que le second a proposé à la première d'entretenir une première relation sexuelle, que celle-ci a d'abord exprimé qu'elle ne se sentait pas prête, et que le prévenu a tenté de la rassurer en lui disant qu'elle ne devait pas avoir peur, que les premiers rapports faisaient mal au début mais qu'elle allait avoir plus de bien que de mal par la suite. Les versions divergent ensuite puisque la partie civile affirme avoir verbalement signifié son refus à plusieurs reprises, puis s'être sentie paralysée et s'être ensuite exécutée par peur parce que le prévenu avait fermé la porte du local à clé, alors que ce dernier conteste qu'elle ait expressément refusé les gestes sexuels auxquels elle a, selon lui, librement consenti et participé, insistant sur le fait qu'elle avait la possibilité de refuser à tout moment. À cet égard, aucun élément du dossier ne permet d'apporter plus de crédit sur ce point à la déclaration de l'un ou de l'autre de sorte qu'il ne peut être considéré comme acquis que la partie civile a signifié un refus exprès au-delà des réticences qu'elle avait exprimées au départ de la scène.
-
selon l'audition de la mère de la partie civile lors de la plainte initiale au cours de laquelle elle livre le récit de sa fille : «il lui a demandé si elle avait confiance en lui et quand elle a dit oui, il lui a ouvert sa ceinture et ensuite il a baissé son pantalon (...) ».
-
les récits des deux parties concordent également sur les pratiques sexuelles adoptées, à savoir : des attouchements réciproques au niveau des organes sexuels, une première fellation, une pénétration sexuelle au cours de laquelle le prévenu était assis, la partie civile venant s'asseoir sur lui, et une seconde fellation avec éjaculation buccale, ce qui suppose une certaine participation active de la partie civile.
-
dans le cours de son audition vidéo-filmée, la partie civile a déclaré qu'elle ne pense pas que le prévenu ait voulu la violer, qu'il n'avait pas cette intention mais qu'elle s'est sentie obligée, forcée.
-
la partie civile a de même reconnu que le prévenu n'avait fait preuve ni de violence, ni d'agressivité.
Il ressort de ces éléments qu'il n'est pas établi à suffisance de droit que le prévenu ait voulu agir contre la volonté de la partie civile, ni qu'il ait pu ou dû se rendre compte qu'il agissait contre son consentement, sans que les éléments sur lesquels les parties s'accordent ne soient de nature à lui en faire prendre conscience.
À cet égard, la partie civile a expliqué qu'elle s'était sentie obligée parce que le prévenu avait fermé la porte du local à clé. Le prévenu reconnait avoir effectivement verrouillé la porte tout en précisant qu'il avait laissé la clé sur la serrure, ce que conteste la partie civile mais aucun élément ne permet à nouveau d'accorder plus de crédit sur ce point à l'une ou l'autre des versions. En tout état de cause, ce simple fait ne constitue pas nécessairement un élément qui s'inscrirait dans une volonté de contrainte, même s'il a été interprété comme tel par la partie civile et ce, même si le prévenu a pu poser ce geste dans le but de s'assurer un moment d'intimité avec la partie civile, rien ne permettant de soutenir qu'il l'aurait fait dans le dessein préexistant d'entretenir avec elle une relation sexuelle, imposée le cas échéant.
Ce qui s'est déroulé après la scène litigieuse, et notamment l'attitude de la partie civile qui a invoqué un faux prétexte pour partir du snack dans lequel ils s'étaient rendus est indifférent dès lors que le sentiment subjectif d'avoir été abusée n'est pas remis en cause par le tribunal.
Inversement, le fait que le prévenu ait envoyé à la partie civile, dans l'après-midi même des faits, un message Snapchat « Coucou toi », accompagné d'un coeur rouge, se concilie mal avec l'hypothèse selon laquelle il aurait consciemment, quelques heures plus tôt, imposé une relation sexuelle à la victime.
II convient dès lors d'acquitter le prévenu de la prévention A (viol sur la personne d'une mineure âgée de plus de seize ans accomplis).
Il en est de même de la prévention B laquelle, selon les explications données par le ministère public à l'audience, vise spécifiquement la scène qui s'est déroulée peu de temps auparavant dans le train qui ramenait les parties (...) et au cours de laquelle le prévenu aurait, selon la partie civile, tenté de lui toucher le sexe au travers de son pantalon. Le prévenu soutient qu'il a juste posé sa main sur la cuisse de la partie civile, sans intention sexuelle, et rien ne permet à nouveau d'apporter moins de crédit à sa version qu'à celle de la partie civile.
Le prévenu doit dès lors également être acquitté de la prévention B (attentat à la pudeur avec violences ou menaces envers une mineure âgée de plus de seize ans accomplis).
Compte tenu des particularités de la cause, il ne parait pas opportun de mettre les frais de l'action publique à charge de la partie civile, au risque de la stigmatiser, malgré que l'instruction ait été mise en mouvement sur sa constitution de partie civile, sa condamnation aux frais étant dans ce cas facultative (article 162 C.I.Cr.).
(...).
Dispositif conforme aux motifs.
Siég. : M. J.-M. Ruchard, Mmes C. Henkinbrant et M.S. Bastians.
Greffier : Mme N. Santus. M.P. : Mme C. Carette. |
Plaid. : MesL. Kennes et B. Notebaert. |