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07/07/2021
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Cour d'appel Liège (10e chambre A), 07/07/2021


Jurisprudence - Droit de la jeunesse

J.L.M.B. 21/373
I. Protection de la jeunesse - Production de documents protectionnels dans une procédure civile - Programmes d'aide - Intérêt de l'enfant - Vie privée - Secret professionnel - État de nécessité.
II. Autorité parentale - Exercice exclusif confié à un parent - Aide à la jeunesse - Personne intéressée.
1. S'agissant d'une situation identique, même si des missions différentes leur sont confiées par la loi, chaque juridiction est intéressée, afin d'exercer sa mission au mieux et de la manière la plus éclairée, de connaître le contenu des pièces qui se trouvent dans les dossiers ouverts dans les autres procédures d'autant que toutes les parties à la cause en ont connaissance.
Les procédures protectionnelle et familiale entretiennent des liens étroits même si les compétences de chaque autorité sont distinctes. Ainsi, les mesures prises dans le cadre de l'aide à la jeunesse priment sur les dispositions civiles si, et seulement si, les unes sont incompatibles avec les autres.
Il est donc indispensable que le juge de la famille ait connaissance de l'issue de l'intervention des différents intervenants de la procédure protectionnelle.
Les litiges familiaux sont, par nature, des litiges qui nécessitent la production d'éléments qui portent atteinte à la vie privée. L'ingérence qui pourrait en découler est proportionnelle et nécessaire eu égard à la sauvegarde de l'intérêt des enfants.
S'il devait y avoir une violation du secret professionnel des intervenants en charge des investigations par celui qui a transféré un rapport dans une autre procédure, celle-ci serait justifiée par l'état de nécessité, dont les conditions sont remplies en l'espèce.
2. Lorsque l'exercice de l'autorité parentale est confié exclusivement à l'un des parents, l'autre parent, qui ne l'exerce plus, reste une « personne intéressée » au sens de l'article 22 du décret du 18 janvier 2018. Ce parent doit donc continuer à être associé aux mesures d'aide à la jeunesse qui seraient proposées par le Service d'aide à la jeunesse.

(Melina / Leonardo )


Vu jugement prononcé le 27 janvier 2021 par le tribunal de première instance de Liège, division de Liège, tribunal de la famille, intimant Leonardo.
(...)
Faits et antécédents de la cause
Les parties sont les parents de :
  • Éric, né le (...) novembre 2006
  • Bastien, né le (...) octobre 2010.
(...)
En avril 2019, un programme d'aide est signé par les parties pour la mise en place d'un bilan par l'équipe S.O.S. Enfants et un maintien des enfants chez leur père.
Par le jugement rendu le 9 octobre 2019, le tribunal de la famille de Liège, à titre provisionnel :
  • dit que les enfants seront hébergés à titre principal chez Leonardo chez lequel ils seront domiciliés ;
  • dit que Leonardo perçoit les allocations familiales pour les deux enfants à dater d'avril 2019 ;
  • suspend la part contributive mise à charge de Leonardo à dater du 1er avril 2019 ;
  • dit que les trajets sont à charge de Leonardo ;
  • dit que Melinda doit payer à Leonardo à titre de part contributive dans les frais d'entretien, d'éducation et de formation des enfants, à dater de septembre 2019, la somme de 75 euros par mois et par enfant ;
  • dit que le droit d'hébergement secondaire de Melinda est actuellement géré par le S.A.J. ;
  • autorise un appel immédiat du jugement ;
  • réserve à statuer pour le surplus en ce compris les dépens, renvoie la cause au rôle ;
  • rappelle que le jugement est exécutoire par provision.
Le 17 octobre 2019, à la suite du constat d'une grande souffrance des deux enfants et d'un vécu difficile chez Melinda (emprise de l'alcool de celle-ci, gestes, violences et situations inadéquates mises en avant), un programme d'aide est signé par les parties au Service d'Aide à la Jeunesse (ci-après S.A.J.) prévoyant :
  • un suivi par l'équipe S.O.S. Enfants pour un accompagnement des enfants, soutenir le père et travailler la relation avec ses enfants, soutenir la maman et travailler avec elle le vécu des enfants, organiser des visites encadrées mère-enfants et évaluer l'adéquation de celles-ci ;
  • la poursuite de l'accueil des enfants à temps plein chez le père ;
  • un suivi délégué ;
  • pas de contacts téléphoniques non encadrés et accompagnés par un service.
Le 15 mai 2020, Leonardo sollicite la refixation de la cause sur le pied de l'article 747 du Code judiciaire, afin de voir porter la part contributive à 150 euros par mois et par enfant.
Le 26 juin 2020, un troisième programme d'aide est signé par les parties au S.A.J. lequel prévoit :
  • l'intervention du SASE « Octogones »,
  • la poursuite de l'intervention de l'équipe S.O.S. Enfants,
  • la poursuite des soins nécessaires à la fratrie,
  • la réévaluation de l'adéquation d'une reprise de contacts mère-enfants.
Par voie de conclusions reçues au greffe le 22 septembre 2020, Leonardo sollicite, notamment, l'octroi de l'autorité parentale exclusive et de l'hébergement exclusif des deux enfants communs.
Le 19 novembre 2020, Leonardo dépose une plainte pour des faits de moeurs commis par le compagnon de Melinda sur les deux enfants communs.
Aux termes du jugement entrepris du 27 janvier 2021, le premier juge :
  • dit n'y avoir lieu à écarter des débats les pièces déposées par Leonardo ;
  • dit que l'autorité parentale à l'égard des deux enfants communs est attribuée exclusivement à Leonardo ;
  • dit que les enfants seront hébergés à titre principal chez Leonardo chez lequel ils seront domiciliés ;
  • dit que Leonardo percevra seul les allocations familiales versées pour les deux enfants à dater d'avril 2019 ;
  • suspend les parts contributives mises à charge de Leonardo pour les deux enfants à dater du 1er avril 2019 ;
  • dit que Melinda doit payer à Leonardo, à dater du 1er avril 2019, la somme de 75 euros par mois et par enfant à titre de part contributive dans les frais d'entretien, d'éducation et de formation des deux enfants communs, sous déduction de toute éventuelle somme versée à ce titre depuis lors ;
  • dit ladite somme indexée par référence à l'indice des prix à la consommation avec rajustement d'office le 1er avril de chaque année, et pour la première fois le 1er avril 2020 ;
  • dit que les contacts entre Melinda et les enfants seront gérés par le S.A.J. ;
  • compense les dépens ;
  • rappelle que le jugement est exécutoire par provision ;
Objet de l'appel
L'appel tend à entendre :
à titre principal :
  • constater que le jugement dont appel ne justifie pas légalement sa décision d'octroyer l'autorité parentale exclusive à Leonardo,
  • constater qu'en utilisant des documents confidentiels en vertu de l'article 27 du décret du 18 janvier 2021, le premier juge n'a pas motivé spécialement sa décision,
  • en conséquence, annuler le jugement entrepris et dire que l'autorité parentale relative à Bastien et Éric sera exercée conjointement par les parties.
à titre subsidiaire :
  • constater le défaut de motivation pour motifs contradictoires (article 149 de la Constitution),
  • en conséquence, annuler le jugement entrepris et dire que l'autorité parentale relative à Bastien et Éric sera exercée conjointement.
à titre infiniment subsidiaire :
  • dire la demande de Leonardo non fondée,
  • réformer la décision entreprise et dire que l'autorité parentale relative à Bastien et Éric sera exercée conjointement par les parties.
en tout état de cause :
  • octroyer à Melinda le bénéfice de l'assistance judiciaire pour couvrir les frais de la présente procédure,
  • compenser les indemnités de procédure eu égard à la qualité respective des parties, en application de l'article 1017, alinéa 2, du Code judiciaire.
Fondement de l'appel
Melinda soulève trois moyens qu'il convient d'examiner ci-après.
Légalité de la motivation du jugement entrepris

Thèses des parties

Melinda demande qu'il soit constaté qu'en utilisant des documents confidentiels en vertu de l'article 27, alinéa 5, du décret du 18 janvier 2018 portant le Code de la prévention, de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse, le premier juge n'a pas motivé spécialement sa décision et, partant, que le jugement entrepris doit être annulé.
Elle fait reproche à Leonardo d'avoir déposé, devant le premier juge (et devant la cour), les deux programmes d'aide du S.A.J. du 17 octobre 2019 et du 26 juin 2020.
Leonardo sollicite la confirmation du jugement entrepris.

Position de la cour

L'article 27, alinéa 5, du décret du 18 janvier 2018 portant le Code de la prévention, de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse énonce :

« Toute copie d'une pièce du dossier mentionne qu'elle ne peut être communiquée que dans le respect des alinéas 1er et 2 et qu'elle ne peut être utilisée dans aucune autre procédure que celle relative à la mesure d'aide qui fait l'objet du dossier dont elle est extraite ».

L'article 3.1. de la Convention relative aux droits de l'enfant, norme supranationale qui prime la norme décrétale mentionnée ci-avant, énonce :

« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ».

Il appartient dès lors à cette cour - et au tribunal avant elle - de statuer en tenant compte de l'intérêt supérieur de l'enfant.
La cour fait sienne la position ci-après, développée par une partie de la doctrine, et adoptée par le premier juge :

« (...)

Dans la mesure où la décision de justice concerne, directement ou indirectement, la situation globale qui fait l'objet d'autres procédures que celle dans laquelle elle a été rendue, le parquet ou les parties peuvent la déposer.

Le programme d'aide et l'application de mesure ont la même fonction que les décisions de justice. Partant, il est nécessaire que les parties intéressées puissent les produire dans d'autres procédures afin que les autres autorités en charge de la situation puissent tenir compte des mesures qui doivent être respectées par les parties. Certains S.A.J. et des S.P.J. apposent, comme sur les autres pièces de leur dossier, une mention du type "dans le respect des dispositions de l'article 11, alinéa 2, du décret du 4 mars 1991, ce document ne peut être utilisé dans aucune autre procédure que celle relative à la mesure d'aide qui fait l'objet du dossier dont il est tiré". Une telle mention est incompatible avec la fonction que doit exercer le programme d'aide ou l'application de mesure. S'il fallait réserver la connaissance de ces décisions aux seuls acteurs et intervenants du dossier d'aide à la jeunesse concerné, il deviendrait impossible pour les autres autorités de connaître et comprendre la situation des parties. Il n'y aurait aucun sens à ce que l'aide spécialisée dont les intéressés bénéficient soit isolée de la situation sociale globale problématique et reste secrète alors qu'au contraire, elle a pour finalité de contribuer à aider les intéressés à trouver une solution à leurs problèmes. Parfois d'ailleurs, cette solution peut notamment prendre la forme de l'introduction d'une autre procédure, par exemple devant le tribunal de la famille, qui devra tenir compte ou s'aligner sur le programme d'aide ou l'application de mesure.

(...)

De la même manière, il est utile que le tribunal de la famille dispose des décisions et mesures protectionnelles en cours lorsqu'il est saisi de demandes relatives à l'exercice de l'autorité parentale et aux modalités d'hébergement dès lors que, généralement, l'application de celles-ci prime lorsque la décision est incompatible avec celles-ci...

(...)

Enfin, il faut relever qu'il n'est pas rare que les décisions de justice (c'est plus rare pour les programmes d'aide et les applications de mesures) reprennent des passages des rapports d'investigation. Ces citations ne constituent toutefois pas un motif qui empêcherait de produire la décision dans une autre procédure que celle dans laquelle le jugement ou l'arrêt a été rendu » (Th. Moreau et M. Delperdange, « L'accès aux dossiers et leur utilisation lorsque l'enfant est au coeur d'une situation familiale qui fait l'objet de procédures protectionnelle, civile et pénale », collection CUP, 2017, vol. 177, pp. 255-256 ; Th. Moreau, « Regard critique sur quelques dispositions relatives aux mineurs en difficulté et en danger dans le Code de la prévention, de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse », in Le Code de la prévention, de l'aide et de la protection de la jeunesse, Bruxelles, Bruylant, 2019, p. 125).

S'agissant d'une même situation, même si des missions différentes leur sont confiées par la loi, chaque juridiction est intéressée, afin d'exercer sa mission au mieux et de la manière la plus éclairée, de pouvoir connaître le contenu des pièces qui se trouvent dans les dossiers ouverts dans les autres procédures, d'autant que toutes les parties à la cause en ont connaissance voire même une copie.
La vie d'un enfant forme un tout même si, sur le plan judiciaire et psychosocial, des autorités différentes sont chacune compétentes pour traiter un volet de son existence.
Les procédures protectionnelle et familiale entretiennent des liens étroits même si les compétences de chaque autorité sont distinctes. Ainsi les mesures prises dans le cadre de l'aide à la jeunesse priment sur les dispositions civiles si - et seulement si - les unes sont incompatibles avec les autres.
Il est donc indispensable que le juge de la famille ait connaissance de l'étendue de l'intervention des différents intervenants de la procédure protectionnelle.
Il serait totalement paradoxal que le juge de la famille, qui doit prendre une décision dans l'intérêt supérieur de l'enfant, soit celui qui dispose du moins d'informations sur la situation de l'enfant dont il doit connaître.
Il n'y a pas, en l'espèce, de violation de la vie privée des parties (articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 22 de la Constitution) dans la mesure où les décisions produites (programmes d'aide du S.A.J. [qui sont des conventions d'accord entre les parties]) sont connues des parties et concernent Éric et Bastien à l'égard desquels la cour doit examiner les modalités de l'exercice de l'autorité parentale de Melinda. Il s'impose dès lors qu'elle soit la mieux éclairée possible afin de prendre les mesures qui rencontrent leur intérêt supérieur.
Les litiges familiaux sont, par nature, des conflits qui nécessitent la production d'éléments qui portent atteinte à la vie privée.
L'ingérence qui pourrait en découler, en l'espèce, est proportionnelle et nécessaire, eu égard à la sauvegarde de l'intérêt supérieur des enfants Éric et Bastien que la cour se doit de protéger, conformément à la législation.
La cour estime en outre qu'il n'existe, en l'espèce, aucune violation du secret professionnel des intervenants en charge des investigations par celui qui a transféré un rapport dans une autre procédure.
En effet, d'une part :

« (...) cette référence au secret professionnel de l'intervenant est, en réalité, étrangère au transfert des rapports. En effet, même s'il apprend que son rapport pourrait être utilisé dans d'autres procédures, la mission de l'intervenant ne change pas et il n'a pas de raison de réaliser ses investigations autrement. En cas de transmission de son rapport dans une autre procédure, celui-ci est pris pour ce qu'il est, à savoir un travail qui répond à une mission bien précise confiée par une autorité mandante bien déterminée. La communication de son rapport dans une procédure différente par une personne autre que lui n'a pas pour effet une violation du secret professionnel dans son chef » (Th. Moreau et M. Delperdange, op. cit., p. 262).

D'autre part, même s'il fallait considérer qu'il pourrait y avoir une violation du secret professionnel, celle-ci peut être excusée si elle est justifiée par l'état de nécessité qui est la situation dans laquelle se trouve une personne qui n'a raisonnablement d'autre ressource que de commettre une infraction pour sauvegarder un intérêt égal ou supérieur à celui que cette infraction sacrifie.
L'admission de cette cause de justification suppose la réunion d'un certain nombre de conditions.
Selon la Cour de cassation,

« l'état de nécessité ne peut être admis comme cause de justification que s'il réunit plusieurs conditions, à savoir que la valeur du bien sacrifié doit être inférieure ou à tout le moins équivalente à celle du bien que l'on prétend sauvegarder, que le droit ou l'intérêt à sauvegarder soit un péril imminent et grave, qu'il soit impossible d'éviter le mal autrement que par l'infraction et que l'agent n'ait pas volontairement créé par son fait le péril dont il se prévaut » (Cass., 24 janvier 2007, J.T., 2007, pp. 353-354).

En l'espèce, la cour considère que ces conditions sont remplies, la production des décisions mentionnées ci-avant, connues des parties et que la cour était la seule à ne pas connaître, étant indispensable pour lui permettre de statuer dans l'intérêt supérieur des enfants Éric et Bastien.
Quant à la circulaire 07/2016 prise par le Collège des procureurs généraux, elle ne s'impose pas à la cour, outre qu'elle autorise, sous certaines conditions, la transmission de certaines pièces du dossier du tribunal de la jeunesse dans d'autres procédures, comme le tribunal de la famille, par l'intermédiaire du ministère public. La cour constate à cet égard qu'à l'audience, le ministère public n'a pas sollicité l'écartement des pièces déposées par Leonardo (sollicitant la confirmation du jugement entrepris) et ayant déposé la dénonciation de l'A.S.B.L. S.O.S. Enfants -Aide et prévention des 9 janvier 2020 et 20 mars 2020.
Il n'y a donc pas lieu d'écarter les pièces 20 et 21 du dossier de Leonardo.
Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Absence de motivation contradictoire du jugement entrepris

Thèses des parties

Melinda demande qu'il soit constaté un défaut de motivation pour motifs contradictoires, en violation de l'article 149 de la Constitution et, partant, que le jugement entrepris soit annulé, en ce qu'il mentionne :

« Si la mère collabore avec le S.A.J. et est preneuse du travail proposé, elle pourra alors se recentrer sur le bien-être des enfants et solliciter à ce moment à nouveau l'autorité parentale conjointe ».

Melinda indique que l'octroi de l'autorité parentale exclusive au père emporte des conséquences au niveau de la gestion du dossier au S.A.J. puisque n'étant plus titulaire de l'autorité parentale, elle ne doit plus marquer son accord quant aux accords proposés, en vertu de l'article 23 du décret du 18 janvier 2018 et que, de ce fait, elle est définitivement évincée en tant que mère, le S.A.J. n'ayant plus l'obligation de la tenir informée (si ce n'est au titre de familier, article 2, 15°, du décret du 18 janvier 2018).
Leonardo sollicite la confirmation du jugement entrepris.

Position de la cour

Principes

L'article 374, paragraphe 1er, du Code civil énonce :

« Lorsque les père et mère ne vivent pas ensemble, l'exercice de l'autorité parentale reste conjoint et la présomption prévue à l'article 373, alinéa 2, s'applique.

À défaut d'accord sur l'organisation de l'hébergement de l'enfant, sur les décisions importantes concernant sa santé, son éducation, sa formation, ses loisirs et sur l'orientation religieuse ou philosophique ou si cet accord lui parait contraire à l'intérêt de l'enfant, le tribunal de la famille compétent peut confier l'exercice exclusif de l'autorité parentale à l'un des père et mère.

Il peut aussi fixer les décisions d'éducation qui ne pourront être prises que moyennant le consentement des père et mère.

Il fixe les modalités selon lesquelles celui qui n'exerce pas l'autorité parentale maintient des relations personnelles avec l'enfant. Ces relations ne peuvent être refusées que pour des motifs très graves. Celui qui n'exerce pas l'autorité conserve le droit de surveiller l'éducation de l'enfant. Il pourra obtenir, de l'autre parent ou tiers, toutes informations utiles à cet égard et s'adresser au tribunal de la famille dans l'intérêt de l'enfant.

Dans tous les cas, le juge détermine les modalités d'hébergement de l'enfant et le lieu où il est inscrit à titre principal dans les registres de la population ».

Le décret du 18 janvier 2018 portant le Code de la prévention, de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse prévoit, aux articles 21, 22 et 23 :

« Article 21

Le conseiller informe l'enfant, sa famille et ses familiers de leurs droits et obligations, notamment des droits visés aux articles 27, 29 et 36.

Toute proposition du conseiller est motivée.

(...)

L'accord ou la décision prise par le conseiller donne lieu à l'établissement d'un acte écrit contenant l'indication de l'objet et des motifs de l'accord ou de la décision et reproduisant le texte des articles 27 et 36 et les modalités d'introduction de la contestation.

Cet acte est transmis à l'enfant, aux personnes qui exercent l'autorité parentale à son égard et aux personnes qui hébergent l'enfant en droit ou en fait, dans les dix jours ouvrables à compter du jour de l'entretien lors duquel l'accord est conclu ou lors duquel la décision est communiquée.

Si l'enfant est assisté d'un avocat, une copie de l'acte est transmise à ce dernier.

Article 22

Le conseiller ne prend aucune mesure ou décision d'aide individuelle sans avoir préalablement convoqué et entendu les personnes intéressées à l'aide, sauf en cas d'impossibilité dûment établie.

Les personnes intéressées ont la possibilité de mandater une personne majeure de leur choix si leur état de santé ne leur permet pas d'être entendues.

Les personnes entendues par le conseiller ont le droit de se faire accompagner de la personne majeure de leur choix et d'un avocat.

Le conseiller convoque l'avocat de l'enfant en vue de tout entretien avec celui-ci.

Dans l'intérêt de l'enfant, un entretien séparé peut avoir lieu avec l'enfant ou les personnes qui l'accompagnent.

L'acte écrit mentionne et synthétise l'audition des personnes visées à l'alinéa 1er ou mentionne les motifs pour lesquels il est impossible de les entendre.

L'enfant, sa famille et ses familiers sont associés aux décisions qui concernent l'enfant et à l'exécution de celles-ci, sauf en cas d'impossibilité dûment établie.

Article 23

Aucune mesure individuelle ne peut être prise par le conseiller sans l'accord écrit :

1° de l'enfant âgé d'au moins quatorze ans ;

2° de l'enfant âgé d'au moins douze ans, assisté par un avocat, désigné d'office, le cas échéant, à la demande du conseiller ;

3° des personnes qui exercent l'autorité parentale à l'égard de l'enfant.

L'accord des personnes qui exercent l'autorité parentale à l'égard de l'enfant n'est pas requis si l'impossibilité de les entendre est établie ».

Application en l'espèce

S'il est exact qu'en application de l'article 23 du décret du 18 janvier 2018, une mesure d'aide individuelle peut désormais être prise par le S.A.J. sans l'accord de Melinda en raison de l'exercice exclusif de l'autorité parentale par Leonardo, ce qui n'est pas contraire à l'intérêt supérieur des deux enfants communs, ainsi qu'il sera dit ci-dessous, le S.A.J. a, par contre, en application de l'article 374, paragraphe 1er, alinéa 4, du Code civil, l'obligation d'informer Melinda des mesures prises à l'égard d'Éric et Bastien, laquelle conserve le droit de surveiller l'éducation de ses enfants, restant en effet titulaire de l'autorité parentale (la titularité de l'autorité parentale étant le fait d'en détenir les prérogatives, pas de les exercer), n'en ayant pas été déchue.
Le parent qui n'exerce pas l'autorité parentale demeure en effet impliqué dans les domaines personnels et patrimoniaux de celle-ci, disposant d'un « droit de surveillance », qui comprend « un droit d'information » et un « droit de recours auprès du juge compétent » (Y.-H. Leleu, Droit des personnes et des familles, Coll. Fac. Dr. Ulg, 2020, p. 744, nos 764-765).
En outre, en vertu de l'article 22 du décret du 18 janvier 2018, le S.A.J. ne peut prendre aucune mesure ou décision d'aide individuelle sans avoir préalablement convoqué et entendu les personnes intéressées à l'aide.
Le terme « personnes intéressées » de l'article 22 du décret du 18 janvier 2018 doit être interprété largement, conformément au commentaire de l'article 6 de l'avant-projet de 1991 :

« (...), il est particulièrement important, dans le cadre de l'application du présent article, de comprendre les termes "personnes intéressées" au sens le plus large possible, et de permettre à chacun des intervenants d'entendre toutes les personnes qui ont noué un lien affectif avec le jeune, en ce compris les parents déchus, les grands-parents ou les frères et soeurs, même s'ils n'ont pas la garde. Si une marge d'appréciation est inévitablement laissée au conseiller quant à l'opportunité de convoquer les personnes qui n'ont pas la garde, la ratio legis du projet impose que ces personnes soient entendues si elles en font la demande » (Décret du 18 janvier 2018 portant le Code de la prévention, de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse, Exposé des motifs, commentaire des articles et amendements adoptés, p. 40).

L'article 1er, 3°, du décret du 18 janvier 2018 reprend d'ailleurs que les enfants, les jeunes et leur famille ont droit à la prévention, à l'aide et à la protection spécialisées organisées dans le cadre du Code. Elles tendent à permettre à l'enfant ou au jeune de se développer dans des conditions d'égalité des chances en vue de son accession à une vie conforme à la dignité humaine.
Le 6° du même article ajoute que la prévention, l'aide et la protection poursuivent des objectifs d'éducation, de responsabilisation, d'émancipation et d'insertion sociale.
Le terme « famille » est explicité à l'article 2, 16°, du décret du 18 janvier 2018 :

« les personnes avec qui l'enfant ou le jeune est dans un lien de filiation ainsi que le tuteur ou le protuteur ; (...) ».

En conséquence, même si Melinda ne dispose plus de l'exercice conjoint de l'autorité parentale à l'égard des deux enfants communs, elle reste la mère de ceux-ci et continue donc à faire partie de leur famille, de sorte que le S.A.J. doit continuer à travailler avec elle, en vertu des dispositions rappelées ci-avant, afin d'apporter aux enfants l'aide dont ils ont besoin.
Cela semble d'ailleurs être le cas, Melinda mentionnant, en page 8 de ses conclusions, qu'une réunion s'est tenue au S.A.J. en date du 15 mars 2021 pour l'informer des mesures prises à l'égard d'Éric et de Bastien (bilan réalisé aux Bruyères et à la Citadelle).
Melinda devra, sur la base des mêmes dispositions, être informée par le S.A.J. du résultat de ces bilans.
Le moyen soulevé par Melinda doit, partant, être rejeté.
Fondement de la demande originaire de l'intimé

Thèses des parties

Melinda estime qu'aucune des hypothèses prévues par l'article 374, paragraphe 1er, du Code civil n'est rencontrée de sorte qu'il convient de rétablir l'autorité parentale conjointe.
Elle souhaite rester présente pour ses enfants et indique avoir toujours collaboré avec le S.A.J. tout en marquant son accord sur les programmes d'aide.
Leonardo sollicite la confirmation du jugement entrepris.

Position de la cour

Principes

Les conditions de mise en place d'un exercice exclusif de l'autorité parentale sont, aux termes de la loi, rencontrées dans trois hypothèses :
  • absence réelle d'accord sur l'organisation de l'hébergement de l'enfant, sur les décisions importantes concernant sa santé, son éducation, sa formation, ses loisirs et sur son orientation religieuse ou philosophique, cette énumération n'étant pas limitative,
  • accord des parents sur ces points contraire à l'intérêt de l'enfant,
  • exceptionnellement, en cas de quasi-impossibilité matérielle d'accord sur ces divers points (Ibidem, p. 740, n° 762).
Le juge dispose d'un très large pouvoir d'appréciation et doit exiger du parent demandeur la preuve que le partage du pouvoir décisionnel est nocif pour l'enfant, sur la base d'une expérience vécue et de faits avérés, étrangers au vécu par les parents de leur ancienne relation affective (Ibidem, p. 740, n° 762).
Il est recouru à la solution extrême de l'exercice exclusif généralisé dans les cas les plus graves où le maintien de l'exercice conjoint de l'autorité parentale serait manifestement préjudiciable à l'enfant, ou exceptionnellement à titre de sanction ou de remède à un total désintérêt de la part d'un parent (Ibidem, p. 741, n° 762).
Le parent qui demande à se voir confier l'exercice exclusif de l'autorité parentale devra rapporter une preuve reposant sur trois piliers :
  • démontrer une souffrance chez l'enfant,
  • établir un lien de causalité entre le mal-être constaté chez l'enfant et l'exercice conjoint de la fonction parentale,
  • la souffrance chez l'enfant consiste à écarter l'autre parent de l'exercice de l'autorité parentale (M. Maillen, « Autorité parentale, hébergement et relations personnelles », in Droit des personnes et des familles. Chronique de jurisprudence 2011-2016, Bruxelles, Larcier, 2018, p. 373, n° 388).

Application en l'espèce

Il résulte des programmes d'aide du S.A.J. des 17 octobre 2019 et 26 juin 2020 et des courriers de l'A.S.B.L. S.O.S. Enfants - Aide et prévention déposés par le ministère public que :
  • Les deux enfants, qui sont désormais hébergés à temps plein par leur papa, sont en grande souffrance et ont un vécu difficile chez leur maman alors que celle-ci était sous l'emprise de l'alcool (gestes, violences et situations inadéquates).
  • Les enfants ont également dénoncé des abus sexuels de la part de plusieurs hommes faisant parties de l'entourage de leur maman.
  • Face à ces révélations, Melinda reste dans la minimisation des faits et dans l'absence de prise de conscience de la gravité du vécu de ses enfants. Au vu de ce positionnement maternel, les rencontres médiatisées mère-enfants ont été suspendues. La question de l'adéquation d'une reprise de contacts reste posée dans l'intérêt supérieur de la fratrie laquelle risque d'être impactée par une absence de reconnaissance maternelle de leur grande souffrance.
  • Les contacts téléphoniques avec la maman ont été jugés inadéquats car ils provoquent des questions chez les enfants qui ont besoin d'être accompagnés.
  • Leonardo a pu réitérer son besoin de soutien tant pour gérer les conséquences des maltraitances subies par ses enfants que pour gérer le quotidien.
En conséquence, Melinda étant dans le déni de la grande souffrance vécue par ses enfants, souffrance objectivée par les intervenants mandatés par le S.A.J., elle n'est pas en mesure d'exercer l'autorité parentale conjointement avec le père des enfants.
La gravité de la situation ne permet pas, à l'heure actuelle, d'envisager un exercice exclusif modalisé de l'autorité parentale.
Il appartiendra à Melinda de saisir à nouveau le premier juge, sur la base de la saisine permanente, en cas d'élément nouveau.
(...)
Décision
La cour, (...)
Reçoit l'appel mais le dit non fondé.
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Siég. :  Mme E. Lahaye.
Greffier : . : M. M. Schaff.
M.P. : Mme B. Goblet.
Plaid. : MesA.-S. Calande (loco B. Lespire) et R. Debatty.

 



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Sommaire

1. S'agissant d'une situation identique, même si des missions différentes leur sont confiées par la loi, chaque juridiction est intéressée, afin d'exercer sa mission au mieux et de la manière la plus éclairée, de connaître le contenu des pièces qui se trouvent dans les dossiers ouverts dans les autres procédures d'autant que toutes les parties à la cause en ont connaissance.
 
Les procédures protectionnelle et familiale entretiennent des liens étroits même si les compétences de chaque autorité sont distinctes. Ainsi, les mesures prises dans le cadre de l'aide à la jeunesse priment sur les dispositions civiles si, et seulement si, les unes sont incompatibles avec les autres. Il est donc indispensable que le juge de la famille ait connaissance de l'issue de l'intervention des différents intervenants de la procédure protectionnelle.
 
Les litiges familiaux sont, par nature, des litiges qui nécessitent la production d'éléments qui portent atteinte à la vie privée. L'ingérence qui pourrait en découler est proportionnelle et nécessaire eu égard à la sauvegarde de l'intérêt des enfants.
 
S'il devait y avoir une violation du secret professionnel des intervenants en charge des investigations par celui qui a transféré un rapport dans une autre procédure, celle-ci serait justifiée par l'état de nécessité, dont les conditions sont remplies en l'espèce.
 
2. Lorsque l'exercice de l'autorité parentale est confié exclusivement à l'un des parents, l'autre parent, qui ne l'exerce plus, reste une « personne intéressée » au sens de l'article 22 du décret du 18 janvier 2018 portant le Code de la prévention, de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse. Ce parent doit donc continuer à être associé aux mesures d'aide à la jeunesse qui seraient proposées par le Service d'aide à la jeunesse.

Mots-clés

Protection de la jeunesse - Production de documents protectionnels dans une procédure civile - Programmes d'aide - Intérêt de l'enfant - Vie privée - Secret professionnel - État de nécessité - Autorité parentale - Exercice exclusif confié à un parent - Aide à la jeunesse - Personne intéressée

Date(s)

  • Date de publication : 29/10/2021
  • Date de prononcé : 07/07/2021

Référence

Cour d'appel Liège (10e chambre A), 07/07/2021, J.L.M.B., 2021/34, p. 1541-1551.

Branches du droit

  • Droit international > Droits de l'homme > Droits de l'homme - Autres conventions et systèmes que la CEDH > Droits de l'enfant - Convention de New York du 20 novembre 1989
  • Droit pénal > Infractions et leurs peines > Crimes et délits contre les personnes > Secret professionnel
  • Droit international > Droits de l'homme > Droits de l'homme - CEDH > Respect de la vie privée
  • Droit civil > Droit de la jeunesse > Communauté française > Autres
  • Droit civil > Capacité > Minorité > Autorité parentale
  • Droit public et administratif > Droit constitutionnel > Droits et libertés - art. 8-32 > Liberté - art. 12-32

Éditeur

Larcier

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