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17/05/2021
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Tribunal correctionnel Liège, division de Liège (18e chambre), 17/05/2021


Jurisprudence - Droit pénal - Droit pénal

J.L.M.B. 21/245
I. Coups et blessures involontaires - Homicide - Élément moral - Faute la plus légère - Faute commise par un policier - Absence de rédaction d'un procès-verbal de plainte.
II. Coups et blessures involontaires - Homicide - Certitude judiciaire - Absence de rédaction d'un procès-verbal par un policier - Meurtre de la plaignante - Lien causal (oui).
1. Le défaut de prévoyance ou de précaution visé à l'article 418 du Code pénal comprend toutes les formes de la faute, aussi légère soit-elle. Les articles 418 et 420 du Code pénal répriment non seulement la faute de celui qui a directement causé le dommage mais aussi la faute de ceux qui, par des actes constituant une faute commune ou non commune, ont contribué à causer le dommage.
Le policier qui ne rédige pas de procès-verbal de plainte mais une simple fiche d'information ne se comporte pas comme un policier normalement prudent et diligent et se rend coupable d'un défaut de prévoyance ou de précaution. Comme professionnel, il lui appartient de réserver une suite adéquate aux faits qui lui sont dénoncés et qui sont susceptibles de constituer une infraction et ce, d'autant plus que l'auteur desdits faits habitait le même immeuble que la victime et constituait un danger pour elle.
2. La responsabilité pénale du chef d'homicide involontaire suppose que le lien causal entre la faute et le dommage soit certain. La seule probabilité ou éventualité de sa réalité ne suffit pas à justifier une condamnation pénale. Une certitude judiciaire suffit, ce qui suppose un degré très élevé de vraisemblance considéré par le juge du fond comme suffisant.
Le lien causal est établi entre la faute d'un policier et le meurtre de la victime lorsqu'il appert que si un procès-verbal avait été rédigé pour les faits dénoncés comme il aurait dû l'être et si la fiche d'information avait été correctement remplie, il est certain, au vu des antécédents judiciaires du suspect et de la dangerosité qu'il présentait, qu'un suivi judiciaire aurait été réservé aux faits dénoncés. La circonstance qu'il n'est pas certain que cela aurait entraîné une réincarcération du suspect pour non-respect des conditions mises à sa libération conditionnelle ou son départ de l'immeuble où habitait la plaignante, il est par contre certain que celle-ci, avertie de ce suivi judiciaire et conseillée par son entourage, aurait quitté les lieux.

(M.P. et famille de Léonie / Georges )


(...)
II. Culpabilité
a.1. Le 9 octobre 2017, Léonie a été étranglée et poignardée à son domicile situé (...). Un habitant de l'immeuble, Pierre, a été mis sous mandat d'arrêt pour meurtre. Pierre est décédé le 23 juin 2018.
a.2.1. Le 11 février 2015, Léonie s'est rendue au commissariat (...), en face duquel habitait son ami Patrice.
Elle a été reçue par l'inspecteur de Police Fabio qui assurait, ce jour-là, l'accueil administratif.
Il ressort du dossier que celui-ci l'a orientée chez Georges qui assurait, de son côté, l'accueil judiciaire, fonction qu'il exerçait, à l'occasion, en remplacement, en cas d'absence de sa collègue, laquelle était en mi-temps médical.
Georges a rédigé une fiche d'information.
Cette fiche reprend les coordonnées de l'informateur (Léonie) ; l'identité et l'adresse des personnes concernées (Léonie et Pierre) ; le nom de la personne en charge (Georges).
Elle comprend encore deux autres rubriques : Fait et informations complémentaires. Celles-ci sont rédigées comme suit :

« Fait : Personne se présentant à l'accueil.

Entre le 11 février 2015 - 15 heures 15 et le - h

À : Belgique, (...).

Informations complémentaires :

Léonie se présente en nos services afin de signaler que son voisin du premier étage, soit Pierre, a eu un comportement malsain en date du 8 février 2015. Les parties se sont rencontrées et Pierre s'est excusé. Pas de plainte pour l'instant si les faits ne se reproduisent plus ».

a.2.2. Il ressort de la première déclaration de Patrice du 24 octobre 2017 qu'en février 2015, il avait reçu un appel téléphonique de son amie, Léonie, laquelle, en pleurs, lui avait expliqué ce qui venait de se passer avec son voisin. À son arrivée chez elle, il précise qu'elle était sous le choc, qu'elle lui a montré un mot et qu'elle lui a expliqué qu'elle avait ouvert la porte et qu'elle avait vu de dos son voisin monter nu dans les escaliers.
Léonie a aussi donné ces explications à ses amies : Diane, Laura et Silvia.
Ces faits ont aussi été dénoncés par Léonie à son propriétaire, (...). Entendu par la police, celui-ci a déclaré que Léonie l'avait appelé la voix chargée d'émotion ; qu'elle lui avait dit qu'elle avait entendu du bruit dans la cage d'escaliers à sa porte ; qu'elle avait ouvert sa porte et s'était retrouvée nez à nez avec un monsieur entièrement nu qui s'encourait dans les escaliers. Elle lui a aussi précisé que le bruit qu'elle avait entendu avait été causé par un petit mot glissé sous sa porte.
Ce mot a été photographié par le propriétaire. Il était rédigé comme suit :

« J'ai envie de toi quelquin qui t'aime gros bisous dit oui ».

Suite à cet appel de Léonie, (le propriétaire) a contacté Pierre qui a reconnu les faits.
Le 10 février 2015, à l'initiative (du propriétaire), Léonie a rencontré Pierre, en sa présence et celle de Patrice. Lors de cette entrevue, Pierre s'est excusé, a expliqué qu'il avait bu et qu'il ne comprenait pas ce qui s'était passé. Il a juré que cela n'arriverait plus, que c'était exceptionnel et qu'il ne le ferait plus.
Patrice et Léonie ont encore rapporté ces faits aux parents de Patrice. Il ressort de leurs auditions que ceux-ci leur ont conseillé d'aller à la police et ce, malgré les excuses reçues. À cet égard, (le père de Patrice) explique qu'ils devaient aller signaler les faits, aller demander conseil, déposer plainte et demander s'ils avaient quelque chose à craindre de ce monsieur.
Lors de sa seconde audition du 4 décembre 2017, Patrice a, en substance, déclaré que Léonie avait expliqué tous les faits au deuxième policier. Il précise qu'ils ont décrit les faits comme ils se sont passés et que les termes « comportement malsain » ne sont pas les leurs.
b. Georges est poursuivi pour homicide involontaire.
Les éléments constitutifs de cette infraction sont : (1) une faute, (2) un dommage consistant en un homicide et (3) un lien causal entre la faute et le dommage.
b.1. dommage
Léonie a été poignardée et étranglée. Il n'est pas contesté que Pierre est l'auteur de ces faits. Celui-ci les avait d'ailleurs reconnus avant son décès lorsqu'il avait été entendu tant par la police que par le juge d'instruction. Il existe donc un homicide qui constitue le dommage.
b.2. faute
Le défaut de prévoyance ou de précaution visé à l'article 418 du Code pénal comprend toutes les formes de la faute, aussi légère soit-elle [1].
Les articles 418 et 420 du Code pénal répriment non seulement la faute de celui qui a directement causé le dommage, mais aussi la faute de ceux qui, par des actes constituant une faute commune ou non commune, ont contribué à causer le dommage [2].
Lorsqu'il a été entendu, le 19 décembre 2017, Georges a, entre autres, déclaré :

« Je ne me souviens pas exactement ce qui a été dit. Cependant, sur [la] base de ce qui avait été dit, j'ai rédigé ma fiche d'information. Ce qui m'a été dit se retrouve sur cette fiche. Sur interpellation, comme je l'ai déjà expliqué à vos collègues, une dame m'a raconté qu'elle avait entendu du bruit sur le palier donnant entre autre sur la porte de son logement, elle a ouvert brusquement la porte et a vu son voisin, Pierre, nu, partir ».

S'il conteste avoir été informé de ce qu'un mot avait été glissé sous la porte de Léonie - ce qui est peu crédible dans la mesure où celle-ci en avait systématiquement fait part aux différentes personnes avec lesquelles elle avait pris contact après les faits, à savoir Patrice et Alain, ainsi que Florent, les parents de Patrice et ses amies -, il a, à la lecture de sa déclaration et de l'instruction d'audience, à tout le moins, eu connaissance de ce que Léonie avait aperçu Pierre nu dans les communs de l'immeuble.
L'expression « comportement malsain » qu'il a utilisée dans la rubrique « observations complémentaires » de la fiche d'information était manifestement insuffisante et inadéquate pour décrire ce qui lui avait été dit. Elle n'était pas de nature à permettre aux lecteurs de la fiche d'information d'appréhender la nature des faits dénoncés.
Les faits dénoncés tels qu'ils sont rapportés par Georges dans son audition du 19 décembre 2017 étaient suffisamment explicites pour que la question de l'existence d'un outrage public au moeurs sanctionné par l'article 385 du Code pénal se pose et suffisaient pour que Georges soit tenu d'établir un procès-verbal et non une simple fiche d'information et ce, d'autant, qu'en consultant la B.N.G., il avait eu connaissance, ainsi que cela ressort clairement de l'analyse des constats effectués par le responsable de la B.N.G., des antécédents judiciaires de Pierre et des conditions mises à sa libération.
En ne rédigeant pas de procès-verbal, il ne s'est pas comporté, ce jour-là, comme un policier normalement prudent et diligent et a ainsi commis une faute.
Le fait que Léonie ait été orientée vers lui pour la rédaction d'une fiche d'information et non d'un procès-verbal ou encore que Léonie n'ait finalement pas, selon ses dires, souhaité déposer plainte n'est pas de nature à éluder sa faute. Comme professionnel, il lui appartenait de réserver une suite adéquate aux faits qui lui étaient dénoncés et qui étaient susceptibles de constituer une infraction et ce d'autant plus, que Pierre habitait le même immeuble que Léonie et constituait un danger pour elle.
Aucun élément soumis au tribunal ne permet de considérer que Léonie avait effectivement eu connaissance du contenu de la rubrique « informations complémentaires » rédigée par Georges. Cela étant, si tel avait été le cas, le fait qu'elle n'ait pas contesté la teneur des informations données ne suffit pas non plus à éluder la faute commise par Georges en ne retranscrivant pas précisément ce que Léonie lui avait relaté. Il en est de même du fait qu'aucune observation ne lui aurait été faite par ses supérieurs sur la rédaction de sa fiche ou encore du fait que cette fiche n'aurait pas été lue alors qu'elle aurait dû l'être.
De plus, le fait d'avoir indiqué comme lieu des faits, l'adresse du commissariat (...) et non l'adresse où les faits dénoncés avaient été commis alors que c'était prévu par la note de service applicable en date du 8 février 2015, a eu pour effet que le policier chargé de surveiller les conditions mises à la libération de Pierre n'avait pas ouvert la fiche qu'il avait rédigée.
b.3. Pour que ces fautes puissent engager la responsabilité pénale de Georges, il faut que le lien causal entre celles-ci et le dommage soit certain. La seule probabilité ou éventualité de sa réalité ne suffit pas à justifier une condamnation pénale [3]. Une certitude judiciaire suffit, ce qui suppose un degré très élevé de vraisemblance considéré par le juge du fond comme suffisant [4].
Si un procès-verbal avait été rédigé pour les faits dénoncés comme il aurait dû l'être et si la fiche d'information avait été correctement remplie, il est certain, au vu des antécédents judiciaires de Pierre et de la dangerosité qu'il présentait, qu'un suivi judiciaire aurait été réservé aux faits dénoncés par Léonie. S'il n'est pas certain que cela aurait entraîné une réincarcération de Pierre pour non-respect des conditions mises à sa libération ou son départ de l'immeuble où habitait Léonie, il est par contre certain que Léonie, avertie de ce suivi judiciaire et conseillée par son entourage, ne serait pas restée habiter à proximité de Pierre et aurait quitté les lieux même si le dossier révèle qu'elle appréciait particulièrement son appartement. En effet, le fait pour elle de dénoncer les faits, malgré les excuses de Pierre, révélait son inquiétude et celle de son entourage par rapport à Pierre. À cet égard, il convient de noter que Patrice avait fait une recherche internet sur Pierre et qu'une des raisons de ses parents pour les conseiller d'aller déposer plainte était précisément le risque que Pierre pouvait constituer pour Léonie.
De plus, aucun élément ne corrobore la déclaration d'Élisabeth, selon laquelle Léonie aurait été victime de nouveaux faits durant l'été 2017. En effet, elle est la seule à le déclarer et lorsqu'il a été entendu par la police suite au décès de Léonie, Pierre a déclaré qu'après le 8 février 2015, il n'avait plus jamais déposé de mot sous la porte de Léonie.
Au vu de ces considérations, il est certain que sans les fautes commises par Georges, le dommage ne se serait pas produit tel qu'il s'est réalisé.
b.4. Georges étant policier au moment des faits, les faits sont établis tels que libellés avec la circonstance aggravante visée à l'article 266 du Code pénal.
(...)

Dispositif conforme aux motifs.

Siég. :  Mme Fr. Diverse, M. J.-Fr. Marot et Mme J. Loly.
Greffier : Mme Ch. Angeloni.
M.P. : M. R. Xhonneux.
Plaid. : MesJ.-L. Gilissen, A. Masset, A. Lazar, M. Lebrun et J. De Boeck.

 


[1] Cass., 12 septembre 2007, Pas., 2007, p. 1485.
[2] Cass., 20 octobre 1962, Pas., 1963, I, p. 276.
[3] A. De Nauw et Fr. Kuty, Manuel de droit pénal spécial, Wolters Kluwer, 2018, p. 415, n° 615.
[4] Mons, 12 octobre 2016, Dr. pén. entr., 2017, p. 151.


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1. Le défaut de prévoyance ou de précaution visé à l'article 418 du Code pénal (CP) comprend toutes les formes de la faute, aussi légère soit-elle. Les articles 418 et 420 CP répriment non seulement la faute de celui qui a directement causé le dommage mais aussi la faute de ceux qui, par des actes constituant une faute commune ou non commune, ont contribué à causer le dommage.
 
Le policier qui ne rédige pas de procès-verbal de plainte mais une simple fiche d'information ne se comporte pas comme un policier normalement prudent et diligent et se rend coupable d'un défaut de prévoyance ou de précaution. Comme professionnel, il lui appartient de réserver une suite adéquate aux faits qui lui sont dénoncés et qui sont susceptibles de constituer une infraction et ce, d'autant plus que l'auteur desdits faits habitait le même immeuble que la victime et constituait un danger pour elle.
 
2. La responsabilité pénale du chef d'homicide involontaire suppose que le lien causal entre la faute et le dommage soit certain. La seule probabilité ou éventualité de sa réalité ne suffit pas à justifier une condamnation pénale. Une certitude judiciaire suffit, ce qui suppose un degré très élevé de vraisemblance considéré par le juge du fond comme suffisant.
 
Le lien causal est établi entre la faute d'un policier et le meurtre de la victime lorsqu'il appert que si un procès-verbal avait été rédigé pour les faits dénoncés comme il aurait dû l'être et si la fiche d'information avait été correctement remplie, il est certain, au vu des antécédents judiciaires du suspect et de la dangerosité qu'il présentait, qu'un suivi judiciaire aurait été réservé aux faits dénoncés. La circonstance qu'il n'est pas certain que cela aurait entraîné une réincarcération du suspect pour non-respect des conditions mises à sa libération conditionnelle ou son départ de l'immeuble où habitait la plaignante, il est par contre certain que celle-ci, avertie de ce suivi judiciaire et conseillée par son entourage, aurait quitté les lieux.

Mots-clés

Coups et blessures involontaires - Homicide - Élément moral - Faute la plus légère - Faute commise par un policier - Absence de rédaction d'un procès-verbal de plainte - Coups et blessures involontaires - Homicide - Certitude judiciaire - Absence de rédaction d'un procès-verbal par un policier - Meurtre de la plaignante - Lien causal (oui)

Date(s)

  • Date de publication : 25/06/2021
  • Date de prononcé : 17/05/2021

Auteur(s)

  • Janssens, K.

Référence

Tribunal correctionnel Liège, division de Liège (18e chambre), 17/05/2021, J.L.M.B., 2021/25, p. 1142-1145.

Éditeur

Larcier

Branches du droit

  • Droit pénal > Droit pénal - Principes généraux > Infractions > Éléments constitutifs
  • Droit pénal > Infractions et leurs peines > Crimes et délits contre les personnes > Homicide et lésions corporelles involontaires - Coups
  • Droit pénal > Police > Fonction de la police > Missions

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