Jurisprudence - Droit judiciaire
I. |
Récusation - Inscription au barreau depuis plus de dix ans - Calcul du délai. |
II. |
Récusation - Moment d'introduction de la demande - Cause survenue alors que les débats étaient entamés - Appréciation. |
1. Pour apprécier le respect de l'exigence, prescrite à peine de nullité par l'
article 835 du Code judiciaire, que la demande de récusation est signée par un avocat inscrit depuis plus de dix ans au barreau, il convient de se référer à la date d'inscription au tableau de l'Ordre.
2. Même si l'
article 833 du Code judiciaire n'indique pas de délai exprès endéans lequel la demande de récusation fondée sur une cause survenue alors que les débats étaient entamés, il ressort tant des termes et de l'esprit de ladite disposition que des délais impartis et des effets produits par pareille demande que celle-ci doit être introduite aussitôt que la cause qui la fonde est connue de la partie qui s'en prévaut. Une demande de récusation basée sur des éléments connus du demandeur depuis plus d'un an est tardive et, de ce fait, irrecevable.
(Romuald / Paul )
(...)
La requête déposée par Romuald tend à entendre récuser Paul, juge de la jeunesse en charge du dossier protectionnel concernant le mineur Quentin, fils de Romuald, aux motifs que :
-
des plaintes ont été déposées réciproquement et notamment :
-
une plainte par Romuald auprès du président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles, le 3 mai 2018, contre Paul car il « outrepassait son autorité » ;
-
une plainte pour atteinte à la vie privée par Paul à l'encontre de Romuald, au printemps 2018, pour avoir enregistré des propos tenus par les intervenants lors d'entretiens de cabinet et d'entretiens au S.P.J. dans le cadre du suivi de Quentin ; et que depuis lors plus aucune audience ou entretien de cabinet ne se passe sans qu'il ne soit au préalable fouillé et provisoirement dépossédé de tous ses objets ;
-
à chacune de ses rencontres avec Paul, il ressent une forte hostilité de sa part à son égard et à celui des membres de sa famille, sa compagne et la mère de celle-ci ; elles ont du reste porté plainte auprès du Conseil supérieur de la justice contre Paul et le S.A.J., en janvier-mars 2019 ; il a le sentiment que tout ce qu'il exprime et demande lors des audiences n'est jamais pris en considération.
Dans sa déclaration écrite du 20 février 2020, Paul expose en substance que :
-
il a signalé, le 3 mai 2018, au premier substitut W. que Romuald avait enregistré de manière illégale l'entretien de cabinet où il avait été convié ;
-
il a ensuite systématiquement demandé que Romuald soit fouillé pour éviter tout nouvel enregistrement lors des entretiens car il lui avait été rapporté par les intervenants du service d'accompagnement socio-éducatif S. - à laquelle Quentin était confié - que ce dernier leur avait dit que Romuald disposait de systèmes d'enregistrement tant dans ses ceintures que ses stylos ;
-
Romuald a déposé plainte contre lui auprès du président du tribunal de première instance de Bruxelles, Monsieur H. ; il a répondu à son chef de corps que Romuald était dans l'impossibilité totale d'entendre l'intérêt de son fils et qu'il souffrait de problèmes psychologiques ; ce dossier a été classé sans suite ;
-
en octobre 2019, son nouveau chef de corps, Monsieur C., l'a informé du dépôt d'une plainte par Romuald, sa compagne et la mère de celle-ci, auprès du Conseil supérieur de la Justice ; il a répondu à Monsieur C. en renvoyant notamment à un courrier qu'il lui avait adressé, le même jour, et relatif au comportement du conseil de Romuald, Maître X lors d'une plaidoirie devant la cour d'appel de Bruxelles et dénoncé par S. ; le 25 octobre 2019, le bâtonnier a fait savoir avoir rencontré Maître X et avoir toutes les raisons de croire que l'incident rapporté ne se reproduira pas ;
-
il a prononcé un jugement le 7 juin 2019 où on peut lire que Romuald a lui-même accepté la suspension des contacts avec son fils Quentin et que le juge était dans l'attente de toutes propositions de S. de rencontres encadrées entre le fils et le père ; il a été acté à l'audience du 6 mai 2019 que Romuald avait « compris que Monsieur le président a pris les bonnes décisions » ;
-
dans son dernier arrêt du 1er octobre 2019, la cour d'appel estime qu'il a pris des décisions adéquates à l'égard de Quentin - dont l'évolution est positive - et invite « instamment Romuald à entamer un suivi thérapeutique intensif auprès du service de santé mentale de son choix et à collaborer avec l'équipe de S. et le Service de protection de la jeunesse » ;
-
il a autorisé par une ordonnance rendue le 27 novembre 2019 dans le cadre d'un entretien de cabinet - auquel Romuald ne s'est pas présenté - des rencontres encadrées entre le fils et le père au sein de S. ;
-
le dernier rapport de surveillance de S. du 2 janvier 2020 fait état d'un courriel du 26 décembre 2019 de Romuald au S.P.J. et de la réponse de ce dernier du 30 décembre suivant le recadrant vers les objectifs de travail dégagés précédemment et soulignant que les éléments mis en exergue par Romuald étaient connus et versés au dossier du tribunal de la jeunesse.
Paul conclut avoir accompli sa fonction avec probité, honnêteté, impartialité et efficacité et il refuse de se récuser. Il s'étonne du dépôt de la requête en récusation alors qu'il n'a plus rencontré Romuald et son conseil depuis le 6 mai 2019. Il a le sentiment profond qu'il s'agit d'une réponse de Maître X et de son client à sa demande d'interpeler le bâtonnier suite au comportement inacceptable de Maître X dont l'indépendance et le recul par rapport au dossier lui pose question.
La récusation est demandée pour suspicion légitime et inimitié capitale (article 828, 1° et 12° du Code judiciaire).
Le procureur-général conclut au rejet de la récusation.
La récusation est le droit accordé à un plaideur de faire écarter du siège, pour le jugement de son procès, un juge dont l'impartialité à son égard peut être légalement suspectée. Il s'agit d'un incident grave, dont le législateur n'a admis la possibilité que pour des motifs sérieux (J. Englebert et X. Taton, Droit du procès civil, vol. 2, Anthemis, 2019, p.330).
Maître X, conseil de Romuald et signataire de la requête en récusation, est interpellée par la cour sur la recevabilité de celle-ci.
En vertu de l'
article 835 du Code judiciaire, sous peine de nullité, la demande en récusation doit, en effet, être signée par un avocat inscrit depuis plus de dix ans au barreau.
Cette condition a été introduite dans l'
article 835 du Code judiciaire par l'article 375 de la loi-programme du 22 décembre 2003. Il est issu de l'amendement n° 3 du gouvernement au projet de loi-programme (
Doc. parl., 2003-2004, 51.0473/08). Dans le rapport de la commission de la Justice de la chambre, le ministre de la Justice de l'époque explique que « l'adoption de l'amendement se justifie cependant par l'urgence, étant donné qu'il n'est absolument pas exclu que des demandes en récusation similaires à celles déposées lors du procès des assassins d'André Cools soient introduites pendant le procès de Marc Dutroux, qui commence dans quelques semaines. L'exigence des dix ans, elle, existe déjà pour les demandes en révision (article 443 du Code d'instruction criminelle) » (
Doc. parl., 2003-2004, 51.0473/024, pp. 23-24).
L'article 443 du Code d'instruction criminel cité prévoyait, à l'époque, en son alinéa 2, 1er tiret, que la demande de révision ne sera pas recevable si elle n'est pas accompagnée d'un avis motivé en faveur de celle-ci de trois avocats à la Cour de cassation ou de trois avocats à la cour d'appel « ayant dix années d'inscription au tableau ». Cette exigence est toujours d'application aujourd'hui sous la réserve que la mention « à la cour d'appel » a été supprimée.
Il suit de ces éléments que l'avocat qui est signataire d'une requête en récusation doit justifier de son inscription au tableau des avocats depuis plus dix ans à la date du dépôt de sa demande au greffe de la juridiction compétente pour en connaître.
De la réponse de Maître X - qui précise avoir prêté serment comme stagiaire en 2008 et être inscrite au tableau depuis le 20 mars 2012, il ressort que ladite condition n'est pas remplie.
La requête est dès lors nulle.
En toutes hypothèses, aux termes de l'article 833 du même code, celui qui veut récuser doit le faire avant le commencement de la plaidoirie, à moins que les causes de récusation ne soient survenues postérieurement, et, si la cause est introduite par requête, avant que la requête ait été appointée. Si l'article 833 ne prescrit pas de délai exprès dans lequel doit être proposée la récusation fondée sur une cause survenue une fois ce débat engagé, il ressort tant des termes et de l'esprit de cette disposition que des délais précis qui régissent la procédure en récusation et de la suspension qu'elle entraîne de tous jugements et opérations, que pareille récusation doit être proposée aussitôt que la cause qui la fonde est connue de la partie qui s'en prévaut. Cette règle a une portée générale et s'applique également lorsque la demande de récusation se fonde sur la conviction que les juges ne présentent plus les garanties requises d'impartialité (en ce sens, Cass. 12 mars 2010,
C.10.0102.F ; Cass., 21 avril 2011, et concl. Th.
Werquin,
J.T., 2011, n° 6440, pp. 441 et s. ; Cass., 19 janvier 2016,
P.15.1371.N).
En l'occurrence, il appert que l'ensemble des motifs invoqués par Romuald dans sa requête en récusation - seuls éléments auxquels la cour peut avoir égard dès lors que ceux développés en plaidoiries n'ont pas été soumis à la contradiction du magistrat dont la récusation est sollicitée - lui sont connus depuis plus d'un an, voire même deux ans. Il n'est pas contesté que la dernière rencontre de Romuald avec Paul remonte au 6 mai 2019.
Partant, la demande, tardive, est irrecevable.
Par ces motifs,
(...)
Dit la demande en récusation de Paul, juge de la jeunesse au tribunal de première instance francophone de Bruxelles, irrecevable ;
(...)
Siég. : Mmes M.-Fr. Carlier, M. Remion et A. Bouché.
Greffier : Mme B. Heymans. |
Plaid. : MeX. |