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14/10/2020
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Cour d'appel Liège (9e chambre civile A), 14/10/2020


Jurisprudence - Droit fiscal - Taxes communales

J.L.M.B. 20/483
I. Impôts - Généralités - Contestations relatives à l'application d'une loi d'impôt - Recours administratif préalable - Recevabilité de la réclamation admise par la décision administrative - Effet sur la saisine du tribunal.
II. Impôts - Règlements - Taxes - Caractère discriminatoire - Mission du juge.
III. Impôts - Règlements - Taxes - Nature - Incidence sur la motivation.
IV. Impôts - Règlements - Taxes - Principe d'égalité et de non-discrimination - Portée.
V. Droit européen - Généralités - Interprétation conforme à une directive - Limites.
1. L'article 1385undecies du Code judiciaire implique que l'action en justice n'est recevable que si elle a été précédée, lorsqu'il y a un recours organisé par la loi ou en vertu de la loi, d'un recours administratif qui est lui-même recevable.
Le recours du contribuable devant le tribunal ne remet pas en question la recevabilité de la réclamation admise par la décision administrative et saisit la juridiction uniquement du fondement de cette réclamation.
2. Le juge appelé à statuer sur la contestation d'une cotisation ne doit pas examiner si d'autres personnes qui se trouveraient dans une situation similaire ont été traitées de la même manière par les services des impôts.
3. Un règlement-taxe ne constitue pas un acte unilatéral de portée individuelle soumis à la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation des actes administratifs et ne doit, en conséquence, pas énoncer les considérations de droit et de fait qui le justifient.
4. Pour qu'il soit requis, au regard des principes d'égalité et de non-discrimination, de justifier raisonnablement la différence de traitement entre deux catégories de personnes, et par conséquent de déterminer le but poursuivi par l'auteur de la norme contestée, il faut que ces personnes soient dans des situations suffisamment comparables et puissent de ce fait faire grief à cette différence de traitement d'être attentatoire auxdits principes.
La comparabilité ne peut se réduire à la forme physique de l'objet dont la propriété rend redevable de la taxe, sans prendre en compte ses autres caractéristiques, telles que les fonctions qu'il remplit, les besoins auxquels il permet de répondre, l'éventuelle activité économique à laquelle il participe, ainsi que les règlementations auxquelles il doit être conforme, qui le distinguent objectivement, ainsi que son propriétaire, de ceux qui ne sont pas frappés par la taxe.
Eu égard à ces critères, il n'est en rien établi que la situation des propriétaires des pylônes affectés à un système global de communication mobile ainsi que tout autre système d'émission/réception de signaux de communication serait comparable à celle des propriétaires d'autres types de pylônes.
En l'absence de comparabilité entre ces différents types de propriétaires, il ne saurait y avoir de discrimination prohibée entre eux.
5. L'interprétation conforme au droit de l'Union européenne impose qu'en appliquant le droit national, qu'il s'agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive (en l'espèce, la directive 2002/21/CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques - directive « cadre »), la juridiction nationale appelée à l'interpréter soit tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci.
Cependant, si le juge national est tenu d'interpréter le droit national conformément à la directive, il n'est pas tenu de donner aux dispositions du droit national une interprétation qui n'est pas conforme avec ses termes (en l'espèce, les termes de l'article 98, paragraphe 2, de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques autonomes).
En outre, l'établissement de taxes sur les pylônes susvisés n'entre en rien en contradiction avec les objectifs de la directive applicable.

(Ville de Marche-en-Famenne / S.A. Telenet group )


Vu le jugement rendu le 2 mars 2011 par le tribunal de première instance d'Arlon,
(...)
Faits et objet du litige
Sur ces points, la cour se réfère à l'exposé du premier juge tel qu'il figure au jugement déféré sous l'intitulé « objet du litige et antécédents de procédure ».
Il suffit de rappeler que le litige concerne des taxes sur les pylônes affectés à un système global de communication mobile (G.S.M.) ainsi que tout autre système d'émission/réception de signaux de communication enrôlées à charge de l'intimée par la ville de Marche-en-Famenne pour les exercices 2001 (articles nos 2 et 3), 2002 (article n° 1) et 2003 (articles nos 1 et 2) sur la base d'un règlement du 23 avril 2001.
L'intimée a introduit des réclamations datées du 29 janvier 2002, 15 novembre 2002 et 10 juillet 2003 auprès du Collège communal, respectivement contre les taxes enrôlées pour les exercices 2001 à 2003, qui ont été rejetées par décisions du 29 avril 2002, 5 mai 2003 et 24 novembre 2003.
Les différentes contestations ont été portées par l'intimée devant le tribunal de première instance d'Arlon.
Par un jugement du 2 mars 2011, ce dernier a dit les requêtes recevables et fondées, a annulé les taxes querellées et a condamné la ville de Marche-en-Famenne aux dépens liquidés à 1.100 euros.
Cette dernière a interjeté appel le 31 mai 2011.
Elle demande à la cour de réformer le jugement entrepris, de dire la S.A. Telenet group redevable des taxes enrôlées à sa charge et de la condamner aux dépens liquidés à 3.000 euros par instance.
la S.A. Telenet group conclut à la confirmation du jugement entrepris et demande de condamner la ville de Marche-en-Famenne aux dépens des deux instances.
À titre subsidiaire, sur la base des articles 19, alinéa 3, et l'article 871 du Code judiciaire, elle demande d'ordonner à la commune de produire, dans le mois de l'arrêt à intervenir, le rôle de la taxe litigieuse relatif aux exercices d'imposition 2001, 2002 et 2003 et de surseoir à statuer pour le surplus.
À titre infiniment subsidiaire, elle demande :
  • de constater que le règlement-taxe adopté le 23 avril 2001 par la ville de Marche-en-Famenne est illégal et, partant, sur la base de l'article 159 de la Constitution, qu'il ne peut trouver à s'appliquer ;
  • d'ordonner le dégrèvement des taxes litigieuses relatives aux exercices d'imposition 2001, 2002 et 2003 ;
  • de condamner la ville à lui restituer toutes les sommes indûment perçues à majorer des intérêts au taux légal en matière fiscale et calculés conformément à l'article 418 du code des impôts sur les revenus ;
  • de condamner la ville aux entiers dépens de l'instance en ce compris l'indemnité de procédure relative aux deux instances.
Discussion
Recevabilité des demandes originaires
La ville de Marche-en-Famenne considère les actions originaires de l'intimée à l'encontre des taxes litigieuses irrecevables au motif que les réclamations auprès du Collège étaient elles-mêmes irrecevables, car introduites par un organe n'ayant ni la capacité d'introduire un tel recours, ni la compétence de représenter l'intimée.
En vertu de l'article 1385undecies du Code judiciaire, contre l'administration fiscale, et dans les contestations visées à l'article 569 alinéa 1er, 32°, l'action n'est admise que si le demandeur a introduit préalablement le recours administratif organisé par ou en vertu de la loi.
Cette disposition implique que l'action en justice n'est recevable que si elle a été précédée, lorsqu'il y a un recours organisé par ou en vertu de la loi, d'un recours administratif qui est lui-même recevable.
Toutefois, le recours du contribuable devant le tribunal ne remet pas en question la recevabilité de la réclamation admise par la décision administrative et saisit la juridiction uniquement du fondement de cette réclamation [1].
Partant, lorsque la recevabilité de la réclamation a été admise par le Collège communal, ce point n'est plus susceptible d'être contesté devant le juge.
En l'espèce, les décisions administratives des 29 avril 2002, 5 mai 2003 et 24 novembre 2003 statuent expressément sur la recevabilité de la réclamation en la
déclarant à chaque fois recevable (page 2 des décisions en cause) avant, ensuite, d'examiner les moyens de fond de la réclamante.
Il en résulte que la cour n'est pas saisie de la recevabilité des réclamations et, partant, que celle-ci ne peut plus être remise en cause par la ville de Marche-en-Famenne, le caractère d'ordre public du droit fiscal ne permettant pas au juge de statuer sur une contestation dont il n'est pas légalement saisi.
À défaut d'autre moyen soulevé par cette dernière, ou que la cour devrait soulever d'office, les actions originaires doivent être déclarées recevables.
Quant au caractère discriminatoire du règlement-taxe
L'article 1er du règlement du 23 avril 2001 dispose que :

« il est établi au profit de la commune pour les exercices 2001 à 2003 inclus une taxe sur les pylônes affectés à un système global de communication mobile (G.S.M.), ainsi que tout autre système d'émission/réception de signaux de communication ».

L'intimée considère que ce libellé n'est pas clair en ce qu'il ne permettrait pas de déterminer avec précision quels équipements de télécommunication sont visés par la taxe, ce qui laisserait un large pouvoir discrétionnaire à la ville de Marche-en-Famenne quant à la manière dont la taxe est appliquée.
L'intimée sollicite ainsi la production du rôle de la taxe, seul moyen, selon elle, de clarifier les infrastructures visées.
Contrairement à ce que soutient l'intimée, le libellé de l'article 1er, bien que large, est suffisamment précis pour permettre d'en déterminer le fait générateur.
Son raisonnement est du reste erroné lorsqu'elle considère que le rôle de la taxe devrait permettre d'en établir le champ d'application alors que, en vertu du principe de légalité de l'impôt, c'est bien la loi, en l'espèce les règlements communaux, qui doivent le cas échéant être interprétés afin de déterminer quelles sont les situations imposables donnant lieu à enrôlement, et non l'enrôlement qui devrait rétroagir sur le sens à conférer aux règlements.
En outre, l'article 159 de la Constitution, qui prévoit que les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu'autant qu'ils seront conformes aux lois, confère à ces derniers un pouvoir de contrôle de la légalité objective des actes administratifs qui est une problématique différente de celle de leur application individuelle.
Or, l'article 1er du règlement en cause vise objectivement les pylônes affectés à un système global de communication mobile (G.S.M.), ainsi que tout autre système d'émission/réception de signaux de communication ce qui inclut, outre ceux destinés à la téléphonie mobile, d'autres types de pylônes tel ceux destinés notamment à supporter les divers types d'antennes nécessaires au fonctionnement de systèmes wifi, à la télédiffusion et à la radiodiffusion.
La cour n'aperçoit du reste pas l'incidence d'une telle production sur la solution du litige.
En effet, s'il apparaissait que seuls des opérateurs de téléphonie mobile étaient enrôlés, il ne s'ensuivrait, d'une part, ni que des propriétaires d'autres types de pylônes ne devraient pas l'être ni, d'autre part, que de tels pylônes existeraient sur le territoire de la commune et n'auraient pas été imposés (ce que l'intimée n'allègue et a fortiori ne démontre pas) de sorte qu'aucune conséquence concernant la volonté réelle de la ville de Marche-en-Famenne ne pourrait être déduite de cette absence de taxation.
De plus, le fait qu'un contribuable, en principe assujetti à un impôt, ne soit pas imposé effectivement ne permet pas de considérer que la norme établissant cet impôt serait discriminatoire.
Ainsi, le fait que la norme votée par un législateur fiscal soit, le cas échéant, imparfaitement ou partiellement appliquée par l'exécutif chargé d'établir ou de recouvrer l'impôt n'implique pas que celle-ci serait contraire aux principes d'égalité et de non-discrimination ; le moyen, qui repose entièrement sur la supposition que le juge appelé à statuer sur la contestation d'une cotisation doit examiner si d'autres personnes qui se trouveraient dans une situation similaire ont été traitées de la même manière par les services des impôts, manque en droit [2].
Une éminente doctrine s'est du reste exprimée à juste titre à cet égard :

« Bien entendu, en matière fiscale comme en toute autre, des cas identiques peuvent donner lieu à des décisions contradictoires, soit de fonctionnaires différents, soit de juges différents. La règle constitutionnelle de l'égalité devant l'impôt ne permet pas de remédier à de telles situations (...) » [3].

La production du rôle est par conséquent inutile à la solution du litige et il n'y a aucune déloyauté procédurale ou manque de collaboration de la part de l'appelante à ne pas produire une pièce sans intérêt.
Enfin, c'est en vain que l'intimée se prévaut du principe de transparence administrative dès lors qu'il n'est ni allégué ni a fortiori démontré qu'une demande d'accès auxdits documents aurait été adressée à la ville de Marche-en-Famenne préalablement à la présente procédure.
Il n'y a par conséquent pas lieu de faire droit à cette demande de production.
En ce qui concerne le caractère discriminatoire ou non du règlement, celui-ci vise, comme précisé ci-avant, non seulement les pylônes affectés à un système global de communication mobile mais aussi tout autre système d'émission/réception de signaux de communication ce qui inclut, outre ceux destinés à la téléphonie mobile, d'autres types de pylônes tels ceux destinés notamment à supporter les divers types d'antennes nécessaires au fonctionnement de systèmes wifi, à la télédiffusion et à la radiodiffusion.
La différence de traitement entre ces derniers et ceux destinés à la téléphonie mobile est par conséquent inexistante.
L'intimée fait en outre grief au règlement en cause d'opérer une différence de traitement entre les pylônes qui sont taxés et ceux qui ne le sont pas, et ce alors que celui-ci n'est justifié que par la situation financière de la commune.
Il y a lieu de rappeler que l'autorité communale tire son pouvoir de taxation de l'article 170, paragraphe 4, de la Constitution et qu'il lui appartient dans le cadre de son autonomie fiscale, pour autant que, sous le contrôle de l'autorité de tutelle, l'établissement de l'impôt ne viole pas la loi ou ne blesse pas l'intérêt général, de déterminer les bases et l'assiette des impositions dont elle apprécie la nécessité au regard des besoins auxquels elle estime devoir pourvoir, sous la réserve imposée par la Constitution, à savoir la compétence du législateur d'interdire aux communes de lever certains impôts.
L'autonomie fiscale des communes doit cependant être conciliée avec les autres normes constitutionnelles, en particulier les principes d'égalité et de non-discrimination consacrés par les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
La règle de l'égalité des Belges devant la loi contenue dans l'article 10, celle de la non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges inscrite dans l'article 11 ainsi que celle de l'égalité devant l'impôt exprimée par l'article 172 de la Constitution, impliquent que tous ceux qui se trouvent dans la même situation soient traités de la même manière mais n'excluent pas qu'une distinction soit faite entre différentes catégories de personnes pour autant que le critère de distinction soit susceptible de justification objective et raisonnable. L'existence d'une telle justification doit s'apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure prise ou de l'impôt instauré, le principe d'égalité étant également violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
Par ailleurs, un règlement-taxe ne constitue pas un acte unilatéral de portée individuelle soumis à la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs et ne doit par conséquent pas énoncer les considérations de droit et de fait qui le justifient.
S'il n'est pas requis que la justification ressorte immédiatement du seul règlement attaqué, encore faut-il en pareil cas que l'objectif pouvant raisonnablement justifier la différence de traitement qui en découle apparaisse du dossier constitué au cours de son élaboration ou puisse être déduit du dossier administratif constitué par son auteur.
En absence en l'espèce de dossier administratif, l'intimée relève à juste titre, eu égard au préambule du règlement, que la motivation qui le sous-tend est strictement financière, celui-ci indiquant qu'il est arrêté « vu les finances communales », motif du reste inhérent à l'adoption de tout règlement-taxe.
L'intimée considère que la motivation budgétaire est incohérente par rapport à l'assiette de la taxe dans la mesure où la nécessité, qu'elle qualifie d'hypothétique, d'assurer des ressources financières supplémentaires à la commune ne permet pas d'expliquer pourquoi seuls les pylônes visés à l'article 1er sont soumis à la taxe, à l'exclusion de tous les autres.
Le moyen de l'intimée repose cependant sur un fondement erroné à double titre.
En effet, d'une part, l'absence de justification à la différence de traitement résultant du choix de la base imposable retenue par le règlement litigieux ne constitue pas en soi une violation des principes d'égalité et de non-discrimination.
C'est à juste titre qu'il a été écrit à cet égard que lorsqu'elle établit une taxe dans le cadre de son autonomie fiscale, une commune doit donc faire le choix de telle ou telle matière imposable ou de tel ou tel fait générateur qui ne se retrouve que chez certains contribuables, et non dans le chef de toutes les personnes qui ont un établissement ou qui exercent une activité sur le territoire de la commune. Ceci a une conséquence importante en ce qui concerne le fondement ou la pertinence des critiques qui pourraient être adressées à un règlement-taxe communal, tirées d'une violation des principes d'égalité et de non-discrimination. Alors que, comme on vient de le souligner, un règlement-taxe doit nécessairement faire le choix d'une matière imposable ou d'un fait générateur qui ne se retrouve que chez certains contribuables, la différence de traitement qui consiste en ce que certaines personnes sont désignées comme redevables d'une taxe, alors que d'autres ne le sont pas, n'est pas constitutive d'une discrimination. La différence de traitement ainsi établie est en effet susceptible d'être justifiée par référence aux modalités particulières venant d'être rappelées, en vertu desquelles les communes doivent exercer leurs compétences en matière fiscale. Il n'est pas nécessaire de recourir à d'autres types de justification à l'égard d'une telle différence de traitement [4].
D'autre part, pour qu'il soit requis, au regard des principes d'égalité et de non-discrimination, de justifier raisonnablement la différence de traitement entre deux catégories de personnes, et par conséquent de déterminer le but poursuivi par l'auteur de la norme contestée, il faut que ces personnes soient dans des situations suffisamment comparables et puissent de ce fait faire grief à cette différence de traitement d'être attentatoire auxdits principes.
Ainsi, concernant l'éventuelle discrimination entre les propriétaires de pylônes affectés à un système global de communication mobile ainsi que tout autre système d'émission/réception de signaux de communication et d'autres propriétaires de pylônes, sur lesquels l'intimée ne s'étend pas, la cour n'aperçoit pas en quoi ces derniers seraient dans des situations manifestement, ou à tout le moins suffisamment, comparables.
La thèse de l'intimée repose en effet sur l'affirmation sommaire et réductrice que tous les exploitants de pylônes, quels que soient leur nature et le but de leur utilisation, font partie a priori de la même catégorie de personnes, « rien ne ressemblant plus à un pylône qu'un autre pylône ».
Or, la comparabilité ne peut se réduire à la forme physique de l'objet dont la propriété rend redevable de la taxe, sans prendre en compte ses autres caractéristiques telles que les fonctions qu'il remplit, les besoins qu'il permet de rencontrer, l'éventuelle activité économique à laquelle il participe ainsi que les réglementations auxquelles il doit être conforme, qui le distinguent objectivement, ainsi que son propriétaire, de ceux qui ne sont pas frappés par la taxe.
Eu égard à ces critères, il n'est en rien établi que la situation des propriétaires des pylônes affectés à un système global de communication mobile ainsi que tout autre système d'émission/réception de signaux de communication serait comparable à celle des propriétaires d'autres types de pylônes.
En absence de comparabilité entre ces différents types de propriétaires, il ne saurait y avoir de discrimination prohibée entre eux.
Ainsi, pour citer le seul exemple des pylônes supportant un éclairage, ceux-ci devraient, à suivre la thèse de l'intimée, être considérés comme comparables aux pylônes affectés à un système global de communication mobile ainsi que tout autre système d'émission/réception de signaux de communication alors qu'ils sont destinés à remplir des fonctions intrinsèquement différentes qui impliquent que les premiers soient présents en très grand nombre afin d'assurer la sécurité nocturne des lieux publics ou privés de sorte que l'application d'une taxe telle que prévue par le règlement litigieux (2.478,94 euros ou 2.500 euros par pylône) aurait des effets manifestement déraisonnables et prohibitifs.
De manière générale, le principe d'égalité et de non-discrimination implique également de ne pas traiter de manière identique des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentiellement différentes, sans qu'apparaisse une justification raisonnable.
Or, le traitement identique par la mise à charge de tous les propriétaires de pylônes d'une taxe forfaitaire de 2.500 euros (ou 2.478,94 euros), alors qu'ils sont dans des situations essentiellement différentes du fait qu'ils sont propriétaires d'installations n'ayant rien en commun, notamment en termes de nécessités de déploiement, mais qui seraient néanmoins frappées par une même mesure dont les effets financiers seraient négligeables pour certains propriétaires, supportables pour d'autres et prohibitifs pour quelques-uns, constituerait une mesure dénuée de justification raisonnable entraînant une violation des principes précités.
Enfin, il est à relever que l'affirmation de l'intimée selon laquelle tous les pylônes seraient comparables quant à leur aspect extérieur est à la fois manifestement inexacte et sans intérêt.
En effet, il est évident que des pylônes tels que ceux consacrés à l'acheminement de lignes à haute tension ou à l'installation d'une éolienne n'ont que leur verticalité en commun avec les pylônes de téléphonie mobile, et diffèrent largement en taille et apparence.
Du reste, leur aspect prétendument comparable qui devrait, à suivre l'intimée, justifier une taxation identique est sans intérêt dès lors que le règlement en cause ne poursuit aucun objectif paysager et écologique, mais uniquement budgétaire.
Par conséquent, le moyen est non fondé.
Quant à une violation par le règlement-taxe du cadre réglementaire en matière de communications électroniques
L'intimée ne suggère aucune question préjudicielle à soumettre par la cour de céans à la Cour de justice de l'Union européenne.
Se fondant sur le principe d'interprétation conforme du droit national, elle considère toutefois, en substance, que les articles 8 et 11 de la directive 2002/21/CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») imposent d'interpréter les articles 97 et 98 de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques, et la notion d'équipements connexes y figurant, comme incluant nécessairement les antennes de mobilophonie et les pylônes qui les supportent.
Elle en déduit que ces derniers ne peuvent donner lieu à aucun impôt, taxe, péage, rétribution ou indemnité de quelque nature que ce soit et que les taxes litigieuses sont par conséquent illégales.
L'article 97 de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques dispose que :

« Paragraphe 1er. Dans les conditions prévues dans ce chapitre, tout opérateur d'un réseau public de télécommunications est autorisé à faire usage du domaine public et des propriétés pour établir des câbles, lignes aériennes et équipements connexes et exécuter tous les travaux y afférents, dans le respect de leur destination et des dispositions légales et réglementaires régissant leur utilisation.

Font partie de ces travaux, ceux qui sont nécessaires au maintien, à la modification, à la réparation, à l'enlèvement et au contrôle des câbles, lignes aériennes et équipements connexes.

Paragraphe 2. Les câbles, lignes aériennes et équipements connexes établis restent la propriété de l'opérateur du réseau public de télécommunications concerné ».

L'article 98, paragraphe 2 de la loi prévoit quant à lui que :

« Pour ce droit d'utilisation, l'autorité ne peut imposer à l'opérateur du réseau public de télécommunications concerné aucun impôt, taxe, péage, rétribution ou indemnité, de quelque nature que ce soit.

Tout opérateur d'un réseau public de télécommunications détient en outre un droit de passage gratuit pour les câbles, lignes aériennes et équipements connexes dans les ouvrages publics ou privés situés dans le domaine public ».

L'article 8, paragraphe 1er, alinéa 2, de la directive 2002/21/CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques, est libellé en ces termes :

« Sauf disposition contraire de l'article 9 concernant les radiofréquences, les États membres tiennent le plus grand compte du fait qu'il est souhaitable d'assurer la neutralité technologique de la réglementation et veillent à ce que les autorités réglementaires nationales en fassent de même dans l'accomplissement des tâches de réglementation spécifiées dans la présente directive ainsi que dans les directives particulières, notamment celles destinées à assurer une concurrence effective ».

Quant à l'article 11 de la directive, celui-ci dispose que :

« Paragraphe 1er. Les États membres veillent à ce que, lorsque une autorité compétente examine :

- une demande en vue de l'octroi de droits pour permettre la mise en place de ressources sur, au-dessus ou au-dessous de propriétés publiques ou privées à une entreprise autorisée à fournir des réseaux de communications publics, ou

- une demande en vue de l'octroi de droits pour permettre la mise en place de ressources sur, au-dessus ou au-dessous de propriétés publiques à une entreprise autorisée à fournir des réseaux de communications électroniques non publics,

elle :

- agisse sur la base de procédures simples, efficaces, transparentes et accessibles au public, appliquées sans discrimination ni retard et, dans tous les cas, prenne sa décision dans les six mois suivant la demande, sauf en cas d'expropriation, et

- respecte les principes de transparence et de non-discrimination lorsqu'elle assortit de tels droits de certaines conditions.

Les procédures précitées peuvent être différentes selon que le demandeur est ou non un fournisseur de réseaux de communications publics.

Paragraphe 2. Les États membres veillent à ce que, lorsque des autorités publiques ou locales conservent la propriété ou le contrôle d'entreprises exploitant des réseaux publics de communications électroniques et/ou des services de communications électroniques accessibles au public, il y ait une séparation structurelle effective entre la fonction responsable de l'octroi des droits visés au paragraphe 1 et les activités associées à la propriété et au contrôle.

Paragraphe 3. Les États membres veillent à ce qu'il existe des mécanismes efficaces permettant aux entreprises d'introduire un recours devant un organisme indépendant des parties concernées contre des décisions sur l'octroi de droits de mise en place de ressources ».

L'interprétation conforme au droit de l'Union impose qu'en appliquant le droit national, qu'il s'agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive, la juridiction nationale appelée à l'interpréter soit tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci.
Cependant, si le juge national est tenu d'interpréter le droit national conformément à la directive, c'est-à-dire à la lumière des termes et de l'objectif poursuivi par la directive afin d'atteindre le résultat qu'elle vise, il n'est pas tenu de donner aux dispositions du droit national une interprétation qui n'est pas conforme avec ses termes [5].
Or, contredirait les termes de l'article 98, paragraphe 2, de la loi du 21 mars 1991 une interprétation considérant que celui-ci ne se limiterait pas à interdire un impôt, taxe, péage, rétribution ou indemnité, de quelque nature que ce soit, pour l'usage qu'un opérateur de réseau public de télécommunication est autorisé à faire du domaine public pour établir des câbles, lignes aériennes et équipements connexes, et exécuter tous les travaux y afférents ; mais prohiberait en outre une taxe telle que celle querellée, établie sur la base de considérations financières, à charge des propriétaires de pylônes affectés à un système global de communication mobile ainsi que tout autre système d'émission/réception de signaux de communication, qu'ils soient situés ou non sur le domaine public et ne tendant ainsi pas à obtenir une indemnité en échange d'un usage privé du domaine public.
En outre, même à admettre la portée que donne l'intimée à la notion « d'équipements connexes » figurant aux articles 97 et 98 de la loi du 21 mars 1991, ni le texte, ni l'objectif des dispositions de la directive n'implique, et a fortiori n'impose, de considérer la taxe litigieuse comme étant un impôt, une taxe, un péage, une rétribution ou une indemnité de quelque nature que ce soit pour l'usage du domaine public, prohibés par la loi précitée.
La finalité de la directive « cadre » est en effet exprimée par son article 1er qui en précise les objectifs et le champ d'application en disposant qu'elle crée un cadre harmonisé pour la réglementation des services de communications électroniques, des réseaux de communications électroniques et des ressources et services associés. Elle fixe les tâches incombant aux autorités réglementaires nationales et établit une série de procédures visant à garantir l'application harmonisée du cadre réglementaire dans l'ensemble de la Communauté.
L'établissement de taxes telles que celles querellées n'entre en rien en contradiction avec de tels objectifs.
De plus, contrairement à ce que soutient l'intimée, l'article 11 de la directive n'impose pas aux États membres de mettre en place un droit de passage « au-dessus ou au-dessous de propriétés publiques ou privées » pour les ressources des opérateurs de communications électroniques ; il prévoit en effet que les États membres doivent veiller « lorsque une autorité compétente examine » une demande relative à un droit de passage à ce qu'elle respecte certains principes de procédure et respecte les principes de transparence et de non-discrimination lorsqu'elle assortit certains droits de conditions.
Enfin, l'article 8, paragraphe 1er, alinéa 2, de la directive est une disposition incitative faiblement contraignante (« les États membres tiennent le plus grand compte du fait qu'il est souhaitable ») adressée aux États membres et aux autorités réglementaires nationales quant à la manière d'accomplir les tâches spécifiées par la directive ainsi que par les directives particulières et qui est étrangère à la question de l'établissement de taxes telles que celles en litige.
Le moyen est non fondé.
Par conséquent, les taxes querellées sont légales et le jugement entrepris doit être réformé.
(...)

Dispositif conforme aux motifs.

Siég. :  MM. Ph. Garzaniti (prés.), S. Claisse et Mme A. Römer.
Greffier : M. O. Toussaint.
Plaid. : MesL. Warnier (loco MeL. Dehin) et E. Esterzon (loco MeS. Champagne).

 


[1] Voy. Cass., 20 janvier 2006, F.05.0010.F, www.juridat.be.
[2] Voy. Cass., 21 juin 2013, F.12.0009.N, www.juridat.be.
[3] J. Kirkpatrick, « L'égalité devant l'impôt en droit belge », in L'égalité, vol. III, Bruxelles, Bruylant, 1975, p. 31.
[4] J. Bourtembourg, N. Fortemps, C. Molitor et F. Belleflamme, « Fiscalité communale et principe d'égalité. Des différences de traitement établies par les règlements-taxes et de leur justification », R.F.R.L., 2016/1-2, p. 62.
[5] Voy. Cass, 2 septembre 2016, F.14.0206.N, www.juridat.be.


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L'article 1385 undecies du Code judiciaire implique que l'action en justice n'est recevable que si elle a été précédée, lorsqu'il y a un recours organisé par la loi ou en vertu de la loi, d'un recours administratif qui est lui-même recevable.

Le recours du contribuable devant le tribunal ne remet pas en question la recevabilité de la réclamation admise par la décision administrative et saisit la juridiction uniquement du fondement de cette réclamation.  

Le juge appelé à statuer sur la contestation d'une cotisation ne doit pas examiner si d'autres personnes qui se trouveraient dans une situation similaire ont été traitées de la même manière par les services des impôts.

Un règlement-taxe ne constitue pas un acte unilatéral de portée individuelle soumis à la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation des actes administratifs et ne doit, en conséquence, pas énoncer les considérations de droit et de fait qui le justifient.

Pour qu'il soit requis, au regard des principes d'égalité et de non-discrimination, de justifier raisonnablement la différence de tradivent entre deux catégories de personnes, et par conséquent de déterminer le but poursuivi par l'auteur de la norme contestée, il faut que ces personnes soient dans des situations suffisamment comparables et puissent de ce fait faire grief à cette différence de tradivent d'être attentatoire auxdits principes.

La comparabilité ne peut se réduire à la forme physique de l'objet dont la propriété rend redevable de la taxe, sans prendre en compte ses autres caractéristiques, telles que les fonctions qu'il remplit, les besoins auxquels il permet de répondre, l'éventuelle activité économique à laquelle il participe, ainsi que les règlementations auxquelles il doit être conforme, qui le distinguent objectivement, ainsi que son propriétaire, de ceux qui ne sont pas frappés par la taxe.
 
Eu égard à ces critères, il n'est en rien établi que la situation des propriétaires des pylônes affectés à un système global de communication mobile ainsi que tout autre système d'émission/réception de signaux de communication serait comparable à celle des propriétaires d'autres types de pylônes.
 
En l'absence de comparabilité entre ces différents types de propriétaires, il ne saurait y avoir de discrimination prohibée entre eux.

L'interprétation conforme au droit de l'Union européenne impose qu'en appliquant le droit national, qu'il s'agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive (en l'espèce, la directive 2002/21/CE du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques – directive « cadre »), la juridiction nationale appelée à l'interpréter soit tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci.

Cependant, si le juge national est tenu d'interpréter le droit national conformément à la directive, il n'est pas tenu de donner aux dispositions du droit national une interprétation qui n'est pas conforme avec ses termes (en l'espèce, les termes de l'article 98, § 2, de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques).
 
En outre, l'établissement de taxes sur les pylônes susvisés n'entre en rien en contradiction avec les objectifs de la directive applicable.

Date(s)

  • Date de publication : 15/01/2021
  • Date de prononcé : 14/10/2020

Référence

Cour d'appel Liège (9 e chambre civile A), 14/10/2020, J.L.M.B., 2021/2, p. 87-96.

Éditeur

Larcier

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