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23/11/2018
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Tribunal civil Bruxelles (4e chambre néerlandophone), 23/11/2018


Jurisprudence - Droit des biens

J.L.M.B. 21/69
I. Responsabilité - Pouvoirs publics - Abus de droit - Gestionnaire de réseau - Éclairage public.
II. Propriété - Troubles de voisinage - Pouvoirs publics - Prise en compte de l'intérêt collectif - Éclairage public - Caractère excessif du trouble - Balance des intérêts.
1. Le gestionnaire de réseau qui implante un éclairage public d'une certaine intensité sur une place publique ne commet pas un abus de droit susceptible d'engager sa responsabilité délictuelle et d'emporter sa condamnation à réparer le dommage qui en résulterait pour un riverain qui prétend être troublé par cet éclairage.
2. En application de la théorie des troubles de voisinage, le pouvoir public doit verser une indemnité destinée à rétablir l'équilibre rompu entre les fonds voisins si le trouble excède la mesure des inconvénients normaux qu'un particulier, confronté à l'implantation d'un éclairage public, doit supporter dans l'intérêt collectif.
Partant, si l'éclairage public installé par un gestionnaire de réseau cause des nuisances qui dépassent les inconvénients qu'un riverain doit subir dans l'intérêt public, le gestionnaire de réseau doit compenser le trouble qui en résulte.
En l'espèce, s'il est établi que l'intensité et la hauteur de l'éclairage public est telle que le faisceau lumineux atteint l'immeuble du demandeur, ce dernier ne démontre pas que l'éclairage empêche sa chambre à coucher de remplir sa fonction normale.

(Kris / C.V.B.A. S. )


(Traduction libre)
(...)
A. Faits et antécédents à la procédure
1. La C.V.B.A. S. (ci-après : « S. ») est le gestionnaire du réseau d'éclairage public de la région de Bruxelles-Capitale. À la demande de la commune de S.G., S. a installé un éclairage sur la place M. à l'automne 2016 afin d'éviter que ce lieu n'attire les sans-abri et les toxicomanes la nuit.
2. Kris explique que l'éclairage de la place M. cause des nuisances chez lui, rue O. Le 9 janvier 2017, il a envoyé l'email suivant à S. :

« Aujourd'hui, j'ai de nouveau contacté la commune. La position de la commune est très claire, ce ne sont que des intermédiaires et m'ont également demandé de clarifier ce message et de négocier une solution directement avec vous. Ce que nous vous demandons (avec le soutien total de la commune), c'est que vous arrêtiez immédiatement d'utiliser ces spots. Nous trouvons inacceptable qu'après plus d'un mois, vous attendiez toujours d'agir et ne puissiez offrir aucune perspective. Vous n'êtes pas non plus encore sûr d'une solution définitive qui puisse concilier les intérêts de la commune et ceux des habitants, cela ne doit pas vous empêcher d'arrêter l'utilisation de ces spots. En ce qui concerne la solution finale, la position des résidents est que si la commune veut plus de lumière sur la place M. pour chasser les sans-abri, cela peut être fait si les spots ne sont pas placées plus haut que les maisons de la rue J. de manière à ce que la lumière ne brille plus directement dans les maisons situées dans la rue O. Après plus d'un mois de concertation intensive avec la commune et divers contacts téléphoniques avec votre service, j'espère que vous pourrez 1. nous donner une solution et 2. agir rapidement ».

3. S. a répondu le 12 janvier 2017 comme suit :

« Fin 2016, le quartier a connu un fléau majeur de vandalisme. La place M. était régulièrement plongée dans l'obscurité totale. La commune nous a donc demandé de trouver une solution alors que la place se transformait en un endroit dangereux avec une concentration de sans-abri et de toxicomanes. Chaque recoin sombre était utilisé avec empressement par ces derniers. Nous avons choisi d'installer des armoires anti-vandales et de renforcer l'éclairage avec des spots. Ces projecteurs ont été placés dans le prolongement de ceux déjà installés sur la [place] de S. Ceux-ci ont également été ajustées de manière à ce que leur faisceau lumineux brille vers la place, afin de causer le moins de nuisance possible aux habitants. Actuellement, nous n'avons pas d'autre option pour garantir la sécurité des résidents et des passants. Nous sommes bien conscients de votre insatisfaction et la prendrons en compte lors de la rénovation de l'éclairage public de [la place], qui sera réalisée en octobre/novembre 2017 ».

4. Le 23 mars 2017, l'assureur de Kris a réclamé une indemnité à S. pour le préjudice subi par Kris. S. a répondu le 30 mai 2017 qu'elle ne pouvait être mise en cause d'aucune faute et qu'elle n'interviendrait pas dans les dommages de Kris. Il a également été souligné que des mesures avaient déjà été prises en réponse à la plainte, à savoir le changement de la couleur des lampes et le placement de certains projecteurs.
5. Après une mise en demeure de l'avocat de Kris, S. a répondu le 21 août 2017 que les travaux avaient entre-temps commencé et que le placement de la nouvelle installation d'éclairage était prévu pour novembre. Après cette installation, l'ancienne serait démontée, y compris le projecteur faisant l'objet de la réclamation.
6. Le 9 janvier 2018, Kris a déposé une assignation contre S.
7. Selon les déclarations des parties, le projecteur faisant l'objet de la plainte n'a toujours pas été remplacé au jour de l'examen du dossier, le 23 octobre 2018. Selon S., les travaux ont été retardés car le chantier devait être reconstruit sur la place M. fermée en raison de découvertes archéologiques. Selon S., les travaux de remplacement de l'installation d'éclairage devraient être réalisés lors de la délibération du 5 novembre 2018.
B. Demande
8. Kris demande que le tribunal condamne S. au paiement de la somme de 2.627,32 euros (accessoirement 2.127,32 euros), majoré des intérêts moratoires du 14 août 2017 jusqu'au jour du paiement.
S. conclut que la demande n'est pas fondée.
C. Discussion
9. Kris demande une indemnisation pour les dommages qu'il aurait subis du fait de l'installation d'un projecteur de lumière sur la place M. En principe, il soutient que S. a commis un abus de droit, ce qui lui donnerait droit à une indemnisation pour les dommages suivants :
  • achat de nouveaux rideaux occultants : 2.127,32 euros ;
  • problèmes de santé : 500,00 euros.
10. Quiconque exerce un droit d'une manière qui va manifestement au-delà de l'exercice normal du droit par une personne prudente se rend coupable d'un abus de droit et commet ainsi une erreur au sens de l'article 1382 du Code civil qui l'oblige à verser une indemnité pour les dommages causés.
11. Les données présentées montrent que le projecteur de lumière de la place M. était placé si haut et diffusait une lumière si forte que le faisceau lumineux atteignait également l'arrière des maisons de la rue O. (derrière les maisons de la rue J.).
Le projecteur de lumière poursuivait un objectif légitime de dissuasion du vandalisme et d'expulsion des toxicomanes afin de protéger la paix et la sécurité publiques dans ce lieu.
Kris ne démontre pas que S., avec les moyens à sa disposition, a agi de manière imprudente lors de la détermination de l'emplacement et de la luminosité du projecteur. L'emplacement et la luminosité choisis assurent, d'une part que toute la place soit suffisamment éclairée et, d'autre part, qu'on évite que trop de voisins ne soient gênés par le faisceau lumineux. Si le projecteur avait été accroché plus bas, cela aurait causé une nuisance dans un grand nombre de maisons plus proches. Il n'y a donc aucune preuve que le même effet aurait été obtenu en plaçant la lumière ailleurs ou d'une manière différente, et que la nuisance pour les riverains aurait été, dans l'ensemble, moindre. Il apparaît également que le placement du projecteur n'était qu'une mesure temporaire, en prévision du nouvel éclairage public qui serait installé une fois les travaux de reconstruction de la place terminés.
Dans ces circonstances, la preuve d'une erreur de la part de S. n'est pas démontrée.
12. Accessoirement, Kris réclame une indemnité pour la nuisance anormale au voisinage qu'il aurait subie qui se limite au prix de l'achat des rideaux, pour 2.127.32 euros.
Conformément à la doctrine des nuisances anormales causées au voisinage, qui découlent de l'article 544 du Code civil, le maître d'ouvrage des travaux publics causant des nuisances excédant les inconvénients que les riverains doivent subir dans l'intérêt général doit offrir une compensation pour rétablir l'équilibre rompu par les chantiers voisins. À ce titre, S. doit indemniser Kris lorsque le projecteur installé par ses soins est si gênant qu'il excède la mesure des inconvénients normaux que Kris doit supporter dans l'intérêt collectif.
13. Les données présentées montrent à suffisance que le projecteur de lumière de la place M. était placé si haut et diffusait une lumière si forte que le faisceau lumineux atteignait également l'arrière des maisons de la rue O. (derrière les maisons de la rue J.). Il est suffisamment démontré qu'il y avait donc de la lumière dans les pièces à l'arrière de la maison de Kris, qui peut être une nuisance. Cependant, Kris ne fournit pas d'informations claires sur l'intensité du faisceau lumineux et les pièces qui en seraient affectées. Les photos soumises ne sont pas très fiables car on ne sait pas d'où elles ont été prises et si elles ont été agrandies. Plus précisément, les photos soumises ne montrent pas que l'incidence de la lumière atteint une chambre à coucher, et que l'installation de rideaux occultants spéciaux était nécessaire afin de pouvoir assombrir la chambre suffisamment pour qu'elle puisse remplir sa fonction normale d'une chambre à coucher.
Alors que le dossier de Kris contenait un fichier photo plus complet, ce document en a été volontairement retiré lors de la séance du 23 octobre 2018 après que S. a menacé de demander son exclusion du débat. Le tribunal ne peut en tenir compte lors de la délibération.
La preuve que les inconvénients causés par l'incidence de la lumière sont si graves qu'ils doivent être considérés comme une nuisance anormale des voisins n'est pas fournie dans ces circonstances.
Par ces motifs, (...) décide :
La demande est recevable mais non fondée ;
(...)
Siég. :  M. Fr. Van Nuffel.
Greffier : M. J. Gysemans.
Plaid. : MesR. Van Walle (loco B. Dewit) et R. Ryckeboer (loco D. Luppens).
N.B. : Sur le concept de l'abus de droit, non retenu en l'espèce, on soulignera que le demandeur se fondait sur le critère dit générique de l'abus de droit consacré par la jurisprudence de la Cour de cassation (voy. Cass., 10 septembre 1971, Pas., 1972, I, p. 28 ; voy. aussi, not., Cass., 19 novembre 1987, Pas., 1988, I, p. 332 ; Cass., 10 juin 2004, Pas., 2004, p. 996 ; Cass., 21 mars 2013, Pas., 2013, p. 766). C'est également ce critère générique qui est visé dans la proposition de loi portant insertion du livre 5 « Les obligations » dans le nouveau Code civil (Doc. parl., Ch. repr., sess. extraord. 2019, n° 0174/001). Quant à la théorie des troubles de voisinage, pareillement écartée, faute pour le demandeur de démontrer le caractère excessif du trouble, le tribunal rappelle, en théorie, la nécessaire mise en balance entre l'intérêt privé et l'intérêt général (voyez sur ce point, Cass., 23 mai 1991, J.L.M.B., 1991, p. 1032 et obs. P. Henry, « Travaux publics et troubles de voisinage : deux poids, deux mesures »).

L. D.

 



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Sommaire

1. Le gestionnaire de réseau qui implante un éclairage public d'une certaine intensité sur une place publique ne commet pas un abus de droit susceptible d'engager sa responsabilité délictuelle et d'emporter sa condamnation à réparer le dommage qui en résulterait pour un riverain qui prétend être troublé par cet éclairage.

2. En application de la théorie des troubles de voisinage, le pouvoir public doit verser une indemnité destinée à rétablir l'équilibre rompu entre les fonds voisins si le trouble excède la mesure des inconvénients normaux qu'un particulier, confronté à l'implantation d'un éclairage public, doit supporter dans l'intérêt collectif.

Partant, si l'éclairage public installé par un gestionnaire de réseau cause des nuisances qui dépassent les inconvénients qu'un riverain doit subir dans l'intérêt public, le gestionnaire de réseau doit compenser le trouble qui en résulte.

En l'espèce, s'il est établi que l'intensité et la hauteur de l'éclairage public est telle que le faisceau lumineux atteint l'immeuble du demandeur, ce dernier ne démontre pas que l'éclairage empêche sa chambre à coucher de remplir sa fonction normale.

Mots-clés

Responsabilité - Pouvoirs publics - Abus de droit - Gestionnaire de réseau - Éclairage public - Propriété - Troubles de voisinage - Pouvoirs publics - Prise en compte de l'intérêt collectif - Éclairage public - Caractère excessif du trouble - Balance des intérêts

Date(s)

  • Date de publication : 26/03/2021
  • Date de prononcé : 23/11/2018

Référence

Tribunal civil Bruxelles (4e chambre néerlandophone), 23/11/2018, J.L.M.B., 2021/12, p. 520-523.

Éditeur

Larcier

Branches du droit

  • Droit civil > Droit civil - Principes généraux > Abus de droit
  • Droit civil > Droits réels > Relations de voisinage > Troubles de voisinage
  • Droit civil > Obligations hors contrat > Obligation (quasi) délictuelle > Dommage
  • Droit civil > Obligations hors contrat > Obligation (quasi) délictuelle > Faute
  • Droit civil > Obligations hors contrat > Obligation (quasi) délictuelle > Responsabilité publique

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