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30/07/2020
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Cour d'appel Liège (1re chambre), 30/07/2020


Jurisprudence - Droit de la famille

J.L.M.B. 21/87
Droit international privé - Famille - Reconnaissance d'un acte étranger - Acte de naissance - Gestation pour autrui - Filiation - Intérêt de l'enfant .
L'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance du lien entre un enfant né d'une gestation pour autrui pratiquée à l'étranger et le père d'intention lorsque celui-ci est le père biologique.
L'acte de naissance, établi sous la forme authentique en Ukraine à la suite d'une procédure de gestation pour autrui, doit être reconnu dans l'ordre juridique belge en ce qu'il consacre la filiation à l'égard du père biologique belge, à l'instar de ce que l'article 329bis du Code civil permet.
Il convient de dissocier la question de l'établissement du lien de filiation entre l'enfant et les parents d'intention, où il s'agit d'examiner la validité au regard de l'ordre public belge de l'établissement des liens de filiation par l'acte authentique étranger, de celle de la validité de la convention de gestation pour autrui. En outre, même en cas d'incompatibilité avec l'ordre public belge, l'intérêt de l'enfant doit toujours primer.
Pour que l'État puisse refuser de transcrire sur ses registres de l'état civil un acte de naissance étranger d'un enfant désignant la mère d'intention comme étant sa mère, il faut qu'il existe un mécanisme effectif permettant la reconnaissance d'un lien de filiation entre les enfants concernés et la mère d'intention au plus tard lorsque, selon l'appréciation des circonstances de chaque cas, le lien entre l'enfant et la mère d'intention s'est concrétisé. Une procédure d'adoption peut répondre à cette nécessité dès lors que ses conditions sont adaptées et que ses modalités permettent une décision rapide, de manière à éviter que l'enfant soit maintenu longtemps dans l'incertitude juridique quant à ce lien, ces conditions devant inclure une appréciation par le juge de l'intérêt supérieur de l'enfant à la lumière des circonstances de la cause.
En l'espèce, l'intérêt de l'enfant commande de reconnaître l'acte de naissance à l'égard de sa mère en ce qu'il le maintien dans une situation juridique conforme à ce qu'il vit comme réalité socio-affective depuis sept ans.

(M.P. / Céline et Loïc )


Vu le jugement prononcé le 22 novembre 2019 par le tribunal de première instance de Liège, division de Liège, tribunal de la famille, (...).
(...)
Faits et antécédents de la cause
Après six tentatives de procréation médicalement assistée infructueuses entre 2008 et 2011 en Belgique, Loïc et Céline, après s'être mariés à Liège le 5 mars 2011, se rendent en Ukraine afin d'y conclure une convention de gestation pour autrui.
Le 26 avril 2012, ils signent un contrat avec la mère porteuse qui entraînera, notamment, le versement d'une somme de 6.925 euros à celle-ci et le 30 mai 2012, un contrat de prestation de services médicaux avec le centre de reproduction humaine du professeur F.
Le 26 février 2013, de l'application des techniques auxiliaires de reproduction avec utilisation des gamètes de Loïc et de l'ovule d'une donneuse anonyme et par l'implantation des embryons chez la mère porteuse, est né Aurélien.
Les parties ont déclaré la naissance d'Aurélien devant l'Officier de l'état civil de Kharkiv et ont été mises en possession d'un acte de naissance ukrainien confirmant leurs liens de filiation avec l'enfant.
Le 15 mars 2013, Loïc se rend à l'ambassade belge à Kiev afin de solliciter la délivrance d'un passeport pour Aurélien.
Les autorités diplomatiques belges refusant la délivrance dudit passeport, les parties vont s'adresser aux juridictions belges, en l'espèce, au juge des référés du tribunal de première instance de Bruxelles, par citation signifiée à l'État belge le 19 mars 2013.
Ayant été déboutés par le juge des référés, Loïc et Céline interjettent appel.
Par un arrêt rendu le 31 juillet 2013, la cour d'appel de Bruxelles condamne l'État belge à délivrer à Loïc , dans les trois jours de la notification par le greffe dudit arrêt, via le consulat belge à Kiev, en Ukraine, un laissez-passer, ou tout autre document administratif approprié au nom d'Aurélien, pour lui permettre de revenir en Belgique avec l'enfant.
Le 6 août 2013, Aurélien a rejoint la Belgique avec Loïc et Céline.
Entretemps, vu les difficultés rencontrées pour rentrer en Belgique avec Aurélien, les intimés déposent, le 22 mars 2013, une requête devant le tribunal de première instance de Bruxelles tendant à faire reconnaître l'acte de naissance d'Aurélien et à ordonner la transcription de cet acte de naissance dans les registres de l'état civil belge.
Le 27 mai 2013, Céline reconnaît Aurélien dans un acte reçu par le notaire H., (...).
Le ministère public intervient volontairement à la cause par requête reçue au greffe le 29 juillet 2013, sollicitant de :
  • déclarer la demande des intimés irrecevable ou, à tout le moins, non fondée.
  • déclarer la demande en intervention recevable et fondée et en conséquence, déclarer nul et de nul effet l'acte de reconnaissance de maternité concernant Aurélien reçu par le notaire H., (...).
En date du 17 février 2014, l'Officier de l'état civil de la ville de Liège transcrit l'acte de naissance provenant d'Ukraine d'Aurélien, lequel est désormais enregistré dans la B.A.E.C.
Le 21 mars 2014, le ministère public actualise ses conclusions, sollicitant, outre les demandes formulées par l'intervention volontaire du 29 juillet 2013, l'annulation de la transcription de l'acte de naissance d'Aurélien réalisée le 17 février 2014.
(...)
Le 12 juin 2017, le tribunal d'arrondissement francophone de Bruxelles renvoie la cause devant le tribunal de la famille de Liège.
(...)
Aux termes du jugement entrepris du 22 novembre 2019, le premier juge :
  • dit recevable et fondée la demande en reconnaissance d'un acte d'état civil étranger introduite par Loïc et Céline.
  • dit qu'il y a lieu de reconnaitre l'acte de naissance suivant établi en Ukraine :
    • acte de naissance n° (...) enregistré le 5 mars 2013, numéro de relevé (...), établi par l'Officier de l'état civil de Kharkiv, de Aurélien, né le 26 février 2013 à Kharkiv, fils de Loïc, son père et de Céline, sa mère.
  • dit que la transcription et la mention du dispositif du jugement dans les registres de l'état civil seront faites conformément à la loi.
  • dit recevable mais non fondée l'intervention volontaire du procureur du Roi.
  • délaisse les dépens aux requérants.
(...)
Fondement des appels
Reconnaissance d'un acte authentique étranger
(...)

Authenticité de l'acte produit

Suivant l'article 27, paragraphe 1er, alinéa 2, du CODIP, l'acte doit réunir les conditions nécessaires à son authenticité selon le droit de l'État dans lequel il a été établi, soit en l'espèce en Ukraine.
L'authenticité d'un acte public consiste uniquement à savoir si cet instrument émane de la personne ou de l'autorité dont il porte la signature et à laquelle on l'attribue.
L'authenticité de l'acte de naissance litigieux d'Aurélien, établi en Ukraine, n'est pas contestée par le ministère public.
Les intimés déposent l'acte de naissance établi dans les formes prévues par la Convention de La Haye du 5 octobre 1961.
Il a par ailleurs été établi en conformité de l'article 123.2 du Code de la famille ukrainien et à la suite d'une procédure de gestation pour autrui conforme aux instructions relatives aux procédures de recours à l'utilisation de technologies de reproduction assistée approuvées par ordonnance n° 771 du ministère de la Santé ukrainien.
Il y a donc lieu d'admettre l'authenticité de l'acte de naissance de l'enfant Aurélien.

Fond du droit

La reconnaissance de l'acte authentique étranger est subordonnée à la réunion des conditions de fond énoncées à l'article 27 du CODIP qui dispose qu'un acte authentique étranger est reconnu en Belgique par toute autorité sans qu'il faille recourir à aucune procédure si sa validité est établie conformément au droit applicable en vertu de la présente loi, en tenant spécialement compte des articles 18 (fraude à la loi) et 21 (contrariété à l'ordre public belge).
Cette disposition impose un contrôle conflictuel de l'acte étranger. Il est donc nécessaire de s'interroger sur la loi qui aurait été applicable si les dispositions de droit interne avaient été appliquées.
La contestation du ministère public étant relative à l'existence d'un lien de filiation, il faut retenir la règle relative à la filiation, pour les seules mentions de l'acte relatives à la filiation de l'enfant Aurélien.
Il convient, à présent, d'examiner successivement la situation des intimés.

Validité du lien de filiation établi à l'égard de Loïc par l'acte de naissance litigieux

S'agissant du droit applicable, l'article 62 du CODIP, paragraphe 1er, alinéa 1er, dispose :

« L'établissement et la contestation du lien de filiation à l'égard d'une personne sont régis par le droit de l'État dont elle a la nationalité au moment de la naissance de l'enfant ou, si cet établissement résulte d'un acte volontaire, au moment de cet acte ».

Loïc étant de nationalité belge, il y a lieu d'appliquer la loi belge en matière d'établissement du lien de filiation à son égard et donc de vérifier si la filiation de Loïc telle qu'établie par l'acte ukrainien aurait pu l'être de façon similaire en Belgique, conformément au droit belge, dispositions d'ordre public comprises.
Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après C.E.D.H.) demande que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance du lien entre un enfant né d'une gestation pour autrui pratiquée à l'étranger et le père d'intention lorsqu'il est le père biologique. L'absence d'une telle possibilité emporterait violation du droit de l'enfant au respect de sa vie privée, tel qu'il se trouve garanti par cette disposition (Mennesson c. France, n° 65192, 26 juin 2014, paragraphes 100-101 ; Labassee c. France, n° 65941/11, 26 juin 2014 ; Foulon et Bouvet c. France, nos 906314 et 10410/14, 21 juillet 2016 et Laborie c. France, n° 44024/13, 19 janvier 2017).
Il n'est pas contesté que Loïc est le père biologique d'Aurélien, celui-ci déposant par ailleurs les résultats d'un test A.D.N. du 20 mars 2013.
Le droit belge aurait permis qu'un père biologique reconnaisse l'enfant conformément à l'article 329bis du Code civil.
Il s'ensuit que l'acte de naissance litigieux doit être reconnu dans l'ordre juridique belge en ce qu'il consacre la filiation de Loïc à l'égard de l'enfant Aurélien.
Le jugement entrepris est donc confirmé sur ce point, une correction étant toutefois apportée à l'état civil de Loïc.
La transcription de l'acte de naissance d'Aurélien en date du 17 février 2014 est régulière à cet égard.

Validité du lien de filiation établi à l'égard de Céline par l'acte de naissance litigieux

En vertu de l'article 62 du CODIP rappelé ci-avant, il convient de relever que la mère porteuse est de nationalité ukrainienne. La filiation de la mère porteuse à l'égard de l'enfant Aurélien n'est pas établie et ne peut l'être dès lors que la législation ukrainienne autorise la conclusion d'un contrat de gestation pour autrui et prévoit la renonciation de la mère porteuse à tout droit sur l'enfant de même que l'apposition du nom de la mère d'intention sur l'acte de naissance de l'enfant.
Quant à Céline, étant de nationalité belge, il y a lieu d'appliquer la loi belge en matière d'établissement du lien de filiation et donc de vérifier si la filiation de Céline, telle qu'établie par l'acte étranger, aurait pu l'être de façon similaire en Belgique, conformément au droit belge, dispositions d'ordre public comprises.
Il n'y a pas lieu d'examiner l'exception de fraude à la loi, au sens de l'article 18 du CODIP, puisque la cour applique à la situation des parties le droit belge en vertu de l'article 62 du CODIP et non un droit étranger.
Le raisonnement tenu par Céline suivant lequel elle aurait pu reconnaitre Aurélien en Belgique, sur le pied de l'article 313 du Code civil, ne peut être suivi, ce cas de figure étant réservé à des hypothèses très rares d'enfant né sous x à l'étranger ou clandestinement, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
En l'état actuel de la législation, la loi belge n'autorise pas l'établissement d'une double filiation découlant d'une convention de gestation pour autrui.
Selon le droit belge, la seule possibilité d'obtenir le lien de filiation de la mère d'intention, Céline, à l'égard d'Aurélien, est d'adopter celui-ci en tant qu'enfant du père biologique, son époux (C. Henricot, S. Sarolea et J. Sosson, « La filiation d'enfants nés d'une gestation pour autrui à l'étranger », note sous Liège, 6 septembre 2010, R.T.D.F., 2010/4, pp. 1149-1150).
En se rendant en Ukraine, pour y conclure un contrat de gestion pour autrui de nature commerciale permettant ainsi l'établissement de sa filiation maternelle à l'égard d'Aurélien, l'intimée Céline a obtenu un droit qu'elle n'aurait pas pu obtenir en Belgique en application de la loi belge.
Se pose à présent la question de l'incidence sur l'établissement de la filiation du recours à la gestation pour autrui.
En l'état actuel de la législation, la gestation pour autrui n'est pas expressément interdite en Belgique mais ne fait l'objet d'aucune réglementation spécifique. C'est donc le droit commun qui s'applique (C. Henricot, S. Sarolea et J. Sosson, op. cit., p. 1148).
La convention de gestation pour autrui est nulle en raison de l'illicéité de son objet et de sa cause, aux principes d'inviolabilité du corps humain et de l'indisponibilité de l'état des personnes et du corps humain.
Elle est en effet contraire au prescrit des articles 1128 du Code civil (édictant que seules les choses qui sont dans le commerce peuvent être l'objet des conventions) et 1133 du Code civil (selon lequel « La cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes moeurs ou à l'ordre public »).
Toutefois, il convient de dissocier la question de l'établissement du lien de filiation entre l'enfant et les parents d'intention, où il s'agit d'examiner la validité au regard de l'ordre public belge de l'établissement des liens de filiation par l'acte authentique étranger de celle de la convention de gestation pour autrui. En décider autrement reviendrait à faire supporter par l'enfant les conséquences préjudiciables d'un contrat auquel il n'est pas partie (N. Gallus, « Gestation pour autrui et reconnaissance des actes de l'état civil étrangers », J.T., 2010, p. 424).
En outre, même en cas d'incompatibilité avec l'ordre public interne, l'intérêt supérieur de l'enfant doit toujours primer.
L'article 3.1. de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant mentionne que dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.
L'article 22 de la Constitution belge et l'article 8 de la C.E.D.H. garantissent à chacun le droit au respect de sa vie privée et familiale.
Le 10 avril 2019, la Cour européenne des droits de l'homme a rendu un avis consultatif relatif à la reconnaissance en droit interne d'un lien de filiation entre un enfant né d'une gestation pour autrui pratiquée à l'étranger et la mère d'intention demandé par la Cour de cassation française, sur la base du Protocole n° 16.
(...)
À l'unanimité, la cour a rendu l'avis suivant :

« Dans la situation où, comme dans l'hypothèse formulée dans les questions de la Cour de cassation, un enfant est né à l'étranger par gestation pour autrui et est issu des gamètes du père d'intention et d'une tierce donneuse, et où le lien de filiation entre l'enfant et le père d'intention a été reconnu en droit interne :

1. le droit au respect de la vie privée de l'enfant, au sens de l'article 8 de la Convention, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d'un lien de filiation entre cet enfant et la mère d'intention, désignée dans l'acte de naissance établi à l'étranger comme étant "la mère légale" ;

2. le droit au respect de la vie privée de l'enfant, au sens de l'article 8 de la Convention, ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l'état civil de l'acte de naissance légalement établi à l'étranger ; elle peut se faire par une autre voie, telle que l'adoption de l'enfant par la mère d'intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l'effectivité et la célérité de sa mise en oeuvre, conformément à l'intérêt supérieur de l'enfant ».

(...)
Dans un arrêt du 19 novembre 2019, C. et E. c. France (www.hudoc.echr.coe.int), la Cour européenne des droits de l'homme mentionne :

« Sur la violation alléguée de l'article 8 de la Convention :

(...)

40. La Cour note que la situation des enfants requérants correspond à ce cas de figure : ils sont nés à l'étranger par gestation pour autrui, sont issus des gamètes du père d'intention et d'une tierce donneuse, et le lien de filiation entre eux et le père d'intention est reconnu en droit interne.

(...)

44. Dans ces circonstances, la Cour conclut que le refus des autorités françaises de transcrire les actes de naissance étrangers des enfants requérants sur les registres de l'état civil français pour autant qu'ils désignent la mère d'intention comme étant leur mère n'est pas disproportionné par rapport aux buts poursuivis.

(...) ».

En conclusion, si la Cour européenne des droits de l'homme conclut que le refus d'un État membre de transcrire un acte de naissance étranger d'un enfant sur ses registres de l'état civil pour autant qu'il désigne la mère d'intention comme étant sa mère n'est pas disproportionné par rapport aux buts poursuivis dès lors que l'État membre offre une possibilité de reconnaissance du lien de filiation entre l'enfant et sa mère d'intention par la voie de l'adoption, elle estime qu'un mécanisme effectif permettant la reconnaissance d'un lien de filiation entre les enfants concernés et la mère d'intention doit exister au plus tard lorsque, selon l'appréciation des circonstances de chaque cas, le lien entre l'enfant et la mère d'intention s'est concrétisé et qu'une procédure d'adoption peut répondre à cette nécessité dès lors que ses conditions sont adaptées et que ses modalités permettent une décision rapide, de manière à éviter que l'enfant soit maintenu longtemps dans l'incertitude juridique quant à ce lien, ces conditions devant inclure une appréciation par le juge de l'intérêt supérieur de l'enfant à la lumière des circonstances de la cause.
Il convient donc, dans chaque situation individuelle, de faire la balance des intérêts entre l'intérêt supérieur de l'enfant et le respect du droit interne, dont le droit de la filiation.
Si le droit interne belge permet d'établir la filiation de Céline à l'égard d'Aurélien par la voie de l'adoption, la cour considère, en l'espèce, eu égard notamment au fait que l'acte de naissance d'Aurélien est déjà transcrit dans les registres de l'état civil belge depuis le 17 février 2014, qu'il est de l'intérêt supérieur d'Aurélien de ne pas rester, durant de nombreux mois, sans filiation maternelle (entre l'annulation de ladite transcription de l'acte de naissance litigieux quant à la filiation maternelle et l'aboutissement de la procédure en adoption) alors que cela fait désormais sept ans que Céline est aux yeux de tous - dont l'état civil belge -, et particulièrement d'Aurélien, sa mère légale.
Loïc et Céline n'ont pas d'autre enfant. Ils forment un couple stable depuis de nombreuses années et assument tous deux leur rôle de père et mère à l'égard d'Aurélien.
L'acte de naissance litigieux répond donc à l'intérêt de l'enfant en ce qu'il le maintient dans une situation juridique conforme à ce qu'il vit comme réalité socio-affective.
Le jugement entrepris sera dès lors confirmé.
Il sera toutefois précisé n'y avoir lieu à annuler l'acte de transcription n° 1214 du 17 février 2014 établi par la ville de Liège de l'acte de naissance ukrainien du 5 mars 2013 d'Aurélien en ce qu'il établit la filiation maternelle à l'égard de Céline.
Mention de la mère d'intention sur l'acte de naissance
Les faits constatés dans l'acte de naissance litigieux relèvent de la force probante intrinsèque qui s'attache à l'acte authentique étranger conformément à l'article 28 du CODIP.
Selon cette disposition, l'exigence de la mention du nom de la mère sur l'acte de naissance relève du droit de l'État dans lequel il a été établi.
En l'espèce, le droit ukrainien permet à la mère porteuse de renoncer à tout droit sur l'enfant de même que l'apposition du nom de la mère d'intention sur l'acte de naissance de l'enfant.
Il convient à présent de vérifier si la disposition de droit ukrainien qui permet d'indiquer le nom de la mère d'intention sur l'acte de naissance d'un enfant né en Ukraine produit un effet manifestement incompatible avec l'ordre public international belge dont question à l'article 21 du CODIP (...).
(...)
La doctrine considère que :

« Malgré le caractère d'ordre public de l'article 312, alinéa 1er, du Code civil, on peut douter de l'existence d'une incompatibilité "manifeste" dès lors que la Cour de cassation a déjà considéré que le législateur n'exclut pas l'existence d'actes de naissance ne mentionnant pas le nom de la mère et admet de leur reconnaître des effets. La Cour établit ainsi implicitement que l'omission du nom de la mère dans l'acte de naissance ne peut être sanctionné au regard de l'ordre public international » (C. Henricot, « Contrat de gestation pour autrui : incidence de l'absence du nom de la mère porteuse sur la (dis)qualification des "actes de naissance" », R.T.D.F., 2011/3, p. 704).

Le raisonnement tenu pour l'absence d'identification du nom de la mère porteuse peut être appliqué, par analogie, pour la mention du nom de la mère d'intention de sorte que la cour ne constate pas, à cet égard, d'effet manifestement incompatible avec l'ordre public international belge.
(...)
Décision
La cour, (...) émende le jugement entrepris :
  • dit qu'il y a lieu de reconnaitre l'acte de naissance n° (...), enregistré le 5 mars 2013, établi par l'Officier de l'état civil de Kharkiv (Ukraine) d'Aurélien, né le 26 février 2013 à Kharkiv, fils de Loïc, son père et de Céline, sa mère.
  • dit n'y avoir lieu à annuler l'acte de transcription n° (...) du 17 février 2014 établi par la ville de Liège de l'acte de naissance ukrainien du 5 mars 2013 de l'enfant prénommé Aurélien en ce qu'il établit la filiation maternelle à l'égard de Céline.
(...)
Siég. :  M. R. Gérard, Mmes J. Baiverlin et E. Lahaye.
Greffier : M. Ph. Dizier.
M.P. : Mme B. Goblet.
Plaid. : MeC. De Bouyalski.

 



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L'article 8 CEDH implique que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance du lien entre un enfant né d'une gestation pour autrui pratiquée à l'étranger et le père d'intention lorsque celui-ci est le père biologique.

L'acte de naissance, établi sous la forme authentique en Ukraine à la suite d'une procédure de gestation pour autrui, doit être reconnu dans l'ordre juridique belge en ce qu'il consacre la filiation à l'égard du père biologique belge, à l'instar de ce que l'article 329bis du Code civil permet.
 
Il convient de dissocier la question de l'établissement du lien de filiation entre l'enfant et les parents d'intention, où il s'agit d'examiner la validité au regard de l'ordre public belge de l'établissement des liens de filiation par l'acte authentique étranger, de celle de la validité de la convention de gestation pour autrui. En outre, même en cas d'incompatibilité avec l'ordre public belge, l'intérêt de l'enfant doit toujours primer.
 
Pour que l'État puisse refuser de transcrire sur ses registres de l'état civil un acte de naissance étranger d'un enfant désignant la mère d'intention comme étant sa mère, il faut qu'il existe un mécanisme effectif permettant la reconnaissance d'un lien de filiation entre les enfants concernés et la mère d'intention au plus tard lorsque, selon l'appréciation des circonstances de chaque cas, le lien entre l'enfant et la mère d'intention s'est concrétisé. Une procédure d'adoption peut répondre à cette nécessité dès lors que ses conditions sont adaptées et que ses modalités permettent une décision rapide, de manière à éviter que l'enfant soit maintenu longtemps dans l'incertitude juridique quant à ce lien, ces conditions devant inclure une appréciation par le juge de l'intérêt supérieur de l'enfant à la lumière des circonstances de la cause.
 
En l'espèce, l'intérêt de l'enfant commande de reconnaître l'acte de naissance à l'égard de sa mère en ce qu'il le maintien dans une situation juridique conforme à ce qu'il vit comme réalité socio-affective depuis sept ans.

Mots-clés

Droit international privé - Famille - Reconnaissance d'un acte étranger - Acte de naissance - Gestation pour autrui - Filiation - Intérêt de l'enfant

Date(s)

  • Date de publication : 12/03/2021
  • Date de prononcé : 30/07/2020

Auteur(s)

  • Gillaerts, P.

Référence

Cour d'appel Liège (1re chambre), 30/07/2020, J.L.M.B., 2021/10, p. 437-444.

Éditeur

Larcier

Branches du droit

  • Droit civil > Droit médical - Droit de la santé > Procréation médicalement assistée > Mère porteuse
  • Droit civil > Filiation > Filiation biologique > Établissement maternité
  • Droit civil > Filiation > Filiation biologique > Établissement paternité
  • Droit civil > Personnes > État civil > Naissance
  • Droit international > Droit international privé > Droit international privé - règles nationales > Conflits de lois
  • Droit international > Droit international privé > Droit international privé - règles nationales > Effet des décisions judiciaires étrangères et des actes authentiques
  • Droit international > Droit international privé > Droit international privé - règles nationales > Filiation
  • Droit international > Droits de l'homme > Droits de l'homme - Autres conventions et systèmes que la CEDH > Droits de l'enfant - Convention de New York du 20 novembre 1989
  • Droit international > Droits de l'homme > Droits de l'homme - CEDH > Respect de la vie privée
  • Droit public et administratif > Droit constitutionnel > Droits et libertés - art. 8-32 > Liberté - art. 12-32

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