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15/11/2018
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Tribunal civil francophone Bruxelles (4e chambre), 15/11/2018


Jurisprudence - Responsabilité

J.L.M.B. 19/46
Responsabilité - Pouvoirs publics - Pouvoir exécutif - Absence d'adoption d'un arrêté d'exécution d'une loi - Agents et fonctionnaires publics - Perte d'une possibilité de promotion - Causalité - Condamnation de l'État à adopter un arrêté d'exécution. .
En vertu de l'article 108 de la Constitution, le pouvoir exécutif adopte les arrêtés royaux nécessaires pour l'exécution des lois sans pouvoir jamais dispenser de leur exécution.
Lorsque le législateur charge le Roi de mettre en place une commission d'évaluation permettant la promotion par accession à un grade supérieur de certains agents ou fonctionnaires publics, et lorsqu'aucun délai n'a été fixé à cet effet, le pouvoir exécutif est tenu de prendre un arrêté royal en ce sens dans un délai raisonnable.
L'absence d'adoption de pareil arrêté plus de dix ans après l'entrée en vigueur de la loi est donc constitutive d'une faute qui oblige l'État à indemniser les dommages qui en découlent. Ni l'instabilité gouvernementale que le pays a connue pendant les quatre premières de ces dix années, ni le fait que pas moins de huit articles de la loi prévoyaient la nécessité d'une mise en oeuvre ne peut justifier ce retard, d'autant qu'un projet existe depuis six ans et qu'il n'est pas possible de soutenir raisonnement que son adoption aurait été freinée par les organisations syndicales.
La loi n'octroyant aucun droit automatique à une nomination, fût-elle par promotion, puisque celle-ci ne peut intervenir sans vacance d'emploi préalable, le dommage subi par un agent ne peut consister en l'absence de pareille promotion, à défaut pour lui de démontrer qu'il n'existait aucun membre du personnel bénéficiant d'une ancienneté supérieure à la sienne et qui aurait donc bénéficié d'une priorité par rapport à lui pour les postes ouverts pendant la période considérée.
En revanche, cet agent subit un préjudice découlant de l'impossibilité de se présenter devant la commission ad hoc, qui sera adéquatement réparé par la condamnation de l'État à prendre l'arrêté d'exécution instaurant la commission de promotion prévue par la loi dans un délai de quatre mois à dater de la signification du jugement.

(Aurélien / État belge, ministre de l'Intérieur et de l'Égalité des chances )


(...)
Exposé des faits
Depuis le 1er juin 2007, Aurélien est inspecteur principal de police nommé à l'Inspection générale de la police fédérale et de la police locale (ci-après nommée « inspection générale »).
L'article 18 de la loi du 15 mai 2007 sur l'inspection générale et portant des dispositions diverses relatives au statut de certains membres des services de police stipule que :

« Pour la promotion par accession à un cadre supérieur au sein de l'inspection générale, le membre de l'inspection générale revêtu du grade d'inspecteur principal qui, après cinq ans de service au sein de l'inspection générale, a obtenu une dernière évaluation avec la mention "bon" émise dans le cadre du présent article par une commission instituée à cet effet par l'inspecteur général au sein de l'inspection générale, est dispensé des épreuves de sélection et de la formation visées aux articles 37 et 39 de la loi du 26 avril 2002 portant les éléments essentiels du statut des membres du personnel des services de police et portant diverses autres dispositions relatives aux services de police.

Après dix ans de service au sein de l'inspection générale, le présent article est également d'application pour la promotion par accession au cadre supérieur au sein des services de police ».

L'article 19 de la loi du 15 mai 2007 stipule que « La commission visée à l'article 18 est organisée par le Roi ».
À ce jour, aucune décision d'exécution n'a été prise par le Roi et, par conséquent, la commission prévue aux articles 18 et 19 de la loi du 15 mai 2007 n'a pas encore été mise en place.
Par courrier du 2 mai 2017, le conseil d'Aurélien a mis l'État belge en demeure de constituer la commission d'évaluation prévue par l'article 18 précité de la loi du 15 mai 2007.
Par citation signifiée le 9 octobre 2017, Aurélien a assigné l'État belge devant le tribunal de céans.
II. Objet de la demande
Aurélien demande au tribunal de condamner l'État belge à :
  • à titre principal, le nommer au grade de commissaire avec effet rétroactif au 1er juin 2013, et en conséquence, régulariser sa situation administrative et pécuniaire en notamment payant les arriérés de rémunération correspondant ;
  • à titre subsidiaire, prendre un arrêté d'exécution permettant d'instituer la commission d'évaluation prévue par l'article 18 de la loi du 15 mai 2007, l'évaluer et le nommer au grade de commissaire avec effet rétroactif au 1er juin 2013, et en conséquence, régulariser sa situation administrative et pécuniaire en notamment payant les arriérés de rémunération correspondant ;
  • à titre infiniment subsidiaire, lui payer des dommages et intérêts pour la perte d'une chance évaluée à 90 pour cent des arriérés de rémunération qu'Aurélien aurait pu percevoir s'il avait été nommé au grade de commissaire à dater de l'année 2013.
L'État belge conclut au non-fondement de la demande.
Chacune des parties demande la condamnation de l'autre aux dépens.
III. Discussion
Aurélien poursuit la condamnation de l'État belge à l'indemniser de son dommage sur la base de l'article 1382 du Code civil.
Il lui appartient dès lors d'établir la faute de l'État belge et son lien causal avec le préjudice dont il demande réparation.
1. Quant à la faute
Aurélien fait ainsi essentiellement grief à l'État belge de ne pas avoir pris l'arrêté d'exécution des articles 18 et 19 de la loi du 15 mai 2007, de sorte qu'en l'absence de commission d'évaluation instituée, il n'a pu être nommé au grade de commissaire.
En vertu de l'article 108 de la Constitution, le pouvoir exécutif adopte les arrêtés royaux nécessaires pour l'exécution des lois sans pouvoir jamais dispenser de leur exécution.
Lorsque, comme en l'espèce, le législateur charge le Roi de mettre en place la commission d'évaluation prévue à l'article 18 de la loi du 15 mai 2007, et lorsqu'aucun délai n'a été fixé à cet effet, le pouvoir exécutif est tenu de prendre un arrêté royal en ce sens dans un délai raisonnable (voy., notamment, C. trav. Anvers, 1er février 2010, Chron. D.S., 2011, p. 15).
Cette exigence de délai raisonnable résulte précisément de l'interdiction constitutionnelle de dispenser de l'exécution des lois.

Par conséquent, « l'abstention du pouvoir exécutif de prendre un règlement même dans les cas où aucun délai ne lui est prescrit par une disposition légale peut constituer une faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil » (Cass., 27 mars 2003, R.G. n° C.02.0293.F-C.02.0307.F- C.02.0308.F, disponible sur www.juridat.be ; voy., dans un cas similaire à la présente espèce, Civ. Bruxelles (24e ch.), 22 janvier 2010, R.W., 2010-2011, n° 35, p. 1480).

En l'espèce, la loi du 15 mai 2007 sur l'inspection générale et portant des dispositions diverses relatives au statut de certains membres des services de police a été publiée au Moniteur belge le 15 juin 2007 date à laquelle elle est entrée en vigueur (article 40 de la loi).
La commission d'évaluation prévue à l'article 18 de la loi est donc pour l'heure inexistante, et ce plus de dix ans après l'adoption de la loi.
Pour justifier l'absence d'exécution de la loi du 15 mai 2007, l'État belge invoque notamment le contexte politique particulier qu'a connu le pays après les élections du 10 juin 2007, alors que la loi en cause venait à peine d'être adoptée.
S'il est exact qu'entre le 10 juin 2007 et le 6 décembre 2011, le pays a connu pas moins de cinq gouvernements différents, et dont le dernier gouvernement dit « Leterme II » est passé en affaires courantes du 26 avril 2010 au 6 décembre 2011, la situation est depuis lors revenue à la normale et les deux gouvernements successifs ont fonctionné à pleins pouvoirs jusqu'à ce jour.
Depuis décembre 2011, rien dans le contexte politique ne permet donc de justifier l'absence d'exécution de la loi du 15 mai 2007, soit près de six ans plus tard.
De la même manière, l'État belge n'apporte aucune explication sur ce délai de six années, voire huit années, pris pour désigner un nouvel inspecteur général, le Sieur G. remplacé quatre mois plus tard par le Sieur D., et ainsi stabiliser une fonction occupée ad interim depuis 2009 par le Sieur A.
L'État belge entend également justifier son abstention par « la quantité d'articles de la loi du 15 mai 2007 qui doivent être concrètement mis en oeuvre ».
L'État belge liste ainsi huit articles de la loi du 15 mai 2007 - sur les quarante qu'elle contient au total - qui prévoient la nécessité d'une mise en oeuvre par le pouvoir exécutif.
Or, l'État belge dépose un projet d'arrêté royal qui intègre la mise à exécution de ces huit dispositions légales. Aux dires de l'État belge lui-même, ce projet existe depuis mars 2012, de sorte que le nombre de dispositions légales à exécuter ne suffit pas en soi pour justifier l'absence de commission à ce jour.
Enfin, l'État belge impute le retard dans la mise en oeuvre de la loi du 15 mai 2007 depuis 2013 aux organisations syndicales qui auraient tardé à lui donner leur réponse sur le projet d'arrêté d'exécution soumis en 2013.
Cette allégation est néanmoins contredite par les procès-verbaux du Comité de concertation déposés par Aurélien et principalement les extraits suivants :

- « Arrêtés d'exécution A.I.G. - Adaptation TO

10.1. Le président a interpellé les divers responsables à ce sujet et informe les délégations qu'il tentera de joindre le point concernant l'adaptation TO aux diverses modifications des arrêtés d'exécution de l'A.I.G.

10.2. Jusque l'article 44, une version existe déjà et une finalisation de ces arrêtés royaux sera déjà effectuée le 7 mars (proposition). Dans le courant mars, il est donc prévu d'obtenir la version définitive de ces arrêtés royaux d'exécution, en y incluant les modifications TO. Le président transmettra bien entendu le tout en rappelant qu'il n'est qu'ad interim mais que son objectif vise à soumettre le plus rapidement ces projets à la négociation. À ce titre, le président précise que la date du 1er juin pourrait être trop tardive et que, le cas échéant, une réunion C.C.B. pourrait être anticipée et envisagée dans un délai plus court. Les délégations syndicales se tiennent à la disposition de l'autorité à ce sujet et se réjouissent de la volonté d'aller de l'avant. Le C.S.C. attire toutefois [l'attention] qu'il n'appartient pas au C.C.B. A.I.G. de négocier, car ces discussions sont du ressort du comité de négociation.

V.S.O.A. estime toutefois qu'une ou plusieurs entrevues préparatoires au comité de négociation (rencontre informelle) pourraient être prévues au sein de l'A.I.G. Sur cette dernière vision, l'ensemble des participants est donc d'accord pour entreprendre et participer à une réflexion sur ce sujet » (rapport du comité de concertation de base de l'A.I.G. - 2 novembre 2012 (C.C.B. n° 5), p. 8) ;

- « Point 4 : projet arrêté d'exécution et reconnaissance C.C.B. A.I.G. : le président signale que beaucoup de travail a déjà été réalisé par rapport à ce projet d'arrêté. Les différentes organisations syndicales ont eu l'occasion de poser des questions à propos du cheminement de ce dossier lors du comité supérieur de négociation (C.S.N.).

(...)

En somme, la grande réforme annoncée reste assez minime, et l'inspecteur général a.i. regrette dès lors qu'entre-temps nos projets (arrêté d'exécution loi A.I.G., quelques points dans la loi-programme. Reconnaissance C.C.B., ...) n'ont pas avancé. À cela, il faut ajouter que l'an prochain verra l'arrivée d'un nouveau gouvernement et que la réforme pourrait éventuellement se présenter différemment. La C.S.C. remercie le président pour cette information (...) » (rapport du comité de concertation de base de l'A.I.G. - 6 décembre 2013 (C.C.B. n° 13), pp. 3-4) ;

- « Arrêté d'exécution C.C.B. A.I.G. : l'inspecteur général a.i, signale que l'on est toujours en attente, de même que pour différentes nominations au sein de l'A.I.G. » (rapport du comité de concertation de base de l'A.I.G. - 6 juin 2014 (C.C.B. n° 15), p. 4) ;

- « Arrêté d'exécution C.C.B. : selon l'inspecteur général nous devons attendre la formation d'un nouveau gouvernement mais il est rassuré que ceci s'arrangera étant donné qu'il y a une continuation dans le fonctionnement assurée par le S.A.T. intérieur » (rapport du comité de concertation de base de l'A.I.G. - 3 octobre 2014 (C.C.B. n° 16), p. 4) ;

- « Arrêté d'exécution A.I.G., C.C.B. et reconnaissance de l'anglais comme langue utile : l'inspecteur général a.i. explique que nous devons attendre que ces trois dossiers passent au comité supérieur de négociation. Le V.S.O.A. - S.L.F.P. signale que le délai raisonnable a été dépassé et qu'ils feront les démarches nécessaires si cela ne se règle pas au début de l'année prochaine. (...) » (rapport du comité de concertation de base de l'A.I.G. - 5 décembre 2014 (C.C.B. n° 17), p. 4) ;

- « Reconnaissance du C.C.B. et arrêté d'exécution : le président peut annoncer que concernant la reconnaissance du C.C.B., le projet de décision a été approuvé par l'inspecteur des finances et a été envoyé au ministre de l'Intérieur. Sous peu les syndicats l'obtiendront via le Haut comité de négociation. L'A.C.V. - C.S.C. demande si au niveau du Haut comité de négociation une distinction sera faite entre la reconnaissance du C.C.B. et les arrêtés d'exécution de l'A.I.G. Le président répond que oui. L'A.C.V. - C.S.C. répond qu'il est dommage que l'on ne puisse pas coupler les deux » (rapport du comité de concertation de base de l'A.I.G. - 4 mars 2016 (C.C.B. n° 22), p. 4) ;

- « Arrêtés d'exécution : le V.S.O.A. - S.L.F.P. souhaite savoir si on en sait déjà plus concernant les arrêtés d'exécution. Le président répond qu'il va en parler avec Monsieur M. D. début novembre. Il n'est lui-même pas content que cela n'a toujours pas été réglé » (rapport du comité de concertation de base de l'A.I.G. - 14 octobre 2016 (C.C.B. n° 24), p. 5) ;

- « Arrêtés d'exécutions : la C.G.S.P. - A.C.O.D. réfère au point 3.11 du rapport précédent et souhaite avoir au plus vite possible, sans devoir attendre jusqu'au prochain C.C.B., un sitrep concernant la situation actuelle des arrêtés d'exécution de l'A.I.G. » (rapport du comité de concertation de base de l'A.I.G. - 2 décembre 2016 (C.C.B. n° 25), p. 4) ;

- « Arrêté d'exécution : le V.S.O.A. - S.L.F.P. indique qu'ils veulent aider à la solution de ce problème. Le président explique que le texte de cet arrêté royal a été très bien établi, car cela a été fait en collaboration avec des personnes très compétentes. Cet arrêté royal était dans la pipeline en mars 2015, entre autre suite à un courrier signé par les syndicats. À l'époque nous avions donc l'appui de syndicats. Le président a insisté à plusieurs reprises, mais on lui avait dit qu'on ne savait pas si cela devait passer à la négo ou au H.O.C.

Le V.S.O.A. - S.L.F.P. répond qu'ils sont au courant que cela est une matière négociable, mais que l'excuse de l'I.G. a.i. selon laquelle les délégations ne voulaient pas négocier est une excuse bidon. L'I.G. a.i. répond que c'est ce qu'on lui avait dit. Le V.S.O.A. - S.L.F.P. répond que cette excuse a déjà été utilisée par (d'autres) autorités. Monsieur H. donne deux exemples, un très courte de l'autorité et un très longue des syndicats.

Le président indique qu'il est peut-être préférable que les textes soient représentés au niveau du cabinet, surtout dans le contexte ou le nouvel I.G. sera nommé. Le V.S.O.A. - S.L.F.P. répond que c'est peut-être une opportunité de régler les choses avant la venue d'un nouvel I.G., car il n'a plus rien à perdre.

Le V.S.O.A. - S.L.F.P. indique que le personnel est lésé depuis plusieurs années à cause de cette situation. Le A.C.V. - C.S.C. est tout à fait d'accord. Ils disent que certaines personnes pourraient même entreprendre des démarches judiciaires. Le V.S.O.A. - S.L.F.P. Indique qu'il existe aussi une autre technique. Il est quand même impensable que les syndicats doivent montrer leurs muscles et lancer un préavis de grève. La loi sur l'inspection générale existe (quasi) [depuis] dix ans et l'autorité les pousse dans cette direction.

Le V.S.O.A. - S.L.F.P. souhaite savoir quelles démarches seront entreprises. Le président répond qu'il s'informera à nouveau et qu'il donnera un signal à Monsieur M. D. au niveau du S.A.T. en lui disant que les syndicats demandent après l'arrêté d'exécution.

Le V.S.O.A. - S.L.F.P. souhaite savoir si les textes ont encore été adaptés. Monsieur B. répond que cela n'est pas le cas et qu'avec des cas concrets on essaie de soulever plusieurs problèmes. Le A.V.C. - C.S.C. ajoute qu'il y aura encore des points pour lesquels ils veulent négocier. Les autres syndicats confirment » (rapport du comité de concertation de base de l'A.I.G. - 3 février 2017, pp. 4-5).

Comme le souligne Aurélien, ces rapports démontrent à suffisance que les organisations syndicales ont patiemment attendu qu'un projet aboutisse et n'ont à aucun moment entravé le processus normatif.
L'État belge n'apporte aucune explication complémentaire admissible sur l'absence d'institution de la commission d'évaluation près de six années après la stabilisation institutionnelle du pays et plus de cinq ans après la rédaction d'un projet d'arrêté royal.
En conséquence, il résulte de l'ensemble des circonstances prédécrites que le pouvoir exécutif n'a pas pris les mesures nécessaires à l'exécution de la loi dans un délai raisonnable, de sorte que la faute de l'État belge est établie.
2. Quant au dommage et son lien causal avec la faute retenue ci-dessus
Aurélien demande principalement au tribunal de condamner l'État belge à le nommer directement au grade de commissaire avec effet rétroactif au 1er juin 2013.
Or, comme le relève à juste titre l'État belge, la loi du 15 mai 2007 n'octroie aucun droit automatique à une nomination, fût-elle par promotion, puisque celle-ci ne peut jamais intervenir sans vacance d'emploi préalable.
C'est pour cette raison notamment que l'évaluation positive délivrée par la commission de promotion à instituer accorde uniquement à l'agent évalué une exemption à remplir certaines conditions prévues aux articles 37 et 39 de la loi du 26 avril 2002 - à savoir, satisfaire aux épreuves de sélection définies par cette loi de 2002, et non pas un droit à une nomination automatique.
Par ailleurs, l'article 21 de la loi du 15 mai 2007 instaure un régime de priorité pour les candidats à un emploi vacant qui sont déjà membres du personnel et qui peuvent se prévaloir d'une ancienneté de cinq ans ou de dix ans.
Cependant, Aurélien ne dépose aucun élément permettant de constater qu'il n'existe aucun membre du personnel bénéficiant d'une ancienneté supérieure à la sienne et qui, par application de l'article 21 précité, serait prioritaire par rapport à lui.
Le lien causal entre la faute et le dommage déduit de l'absence de nomination n'est par conséquent pas établi.
En revanche, Aurélien subit un préjudice découlant de l'impossibilité de se présenter devant la commission ad hoc pour être évalué en vue d'une promotion. Ce dommage est en lien causal avec la faute résultant de la négligence de l'État belge à instituer ladite commission.
Ce dommage sera adéquatement réparé par la condamnation de l'État belge à prendre un arrêté d'exécution instituant la commission de promotion prévue à l'article 18 de la loi du 15 mai 2007 dans un délai de quatre mois à dater de la signification du présent jugement.
Le délai de quatre mois précité tient compte du protocole du 28 février 2018 du comité de négociation des services de police déposé par l'État belge au terme duquel celui-ci a décidé de scinder le projet d'arrêté en deux arrêtés : l'un relatif à la commission d'évaluation et la promotion (articles 66 à 69 de la loi), et l'autre aux autres aspects, et ce « compte tenu, d'une part, du contentieux généré et des mises en demeure pour défaut d'exécution réglementaire et, d'autre part, de l'importance de la problématique pour les membres du personnel concerné ».
Pour l'appréciation du délai d'exécution, le tribunal relève également que le projet d'arrêté royal déposé ne consacre qu'un seul article à l'instauration de ladite commission, de sorte que sa mise en forme ne devrait pas présenter de difficultés particulières.
À titre plus subsidiaire, Aurélien demande la condamnation de l'État belge à des dommages et intérêts pour la perte d'une chance, évaluée à 90 pour cent, d'être nommé au grade de commissaire à dater de l'année 2013.
Or, et comme indiqué ci-dessus, d'une part, aucune nomination, même par promotion, ne peut intervenir sans déclaration de vacance d'emploi, et, d'autre part, l'ancienneté est un critère de priorité pour l'obtention de l'emploi vacant. En l'espèce, Aurélien ne dépose aucune pièce faisant état de vacance d'emploi de commissaire entre 2013 et 2018 auquel il aurait pu postuler, pas plus qu'il ne démontre être en ordre utile sur le plan de l'ancienneté.
Par conséquent, le lien causal entre une chance d'être nommé par promotion entre 2013 et 2018 et l'absence de commission de promotion n'est pas établi à suffisance de droit ni de fait, de sorte que la demande formulée à titre infiniment subsidiaire sera déclarée non fondée.
Par ces motifs, (...)
Déclare la demande d'Aurélien recevable et fondée dans la stricte mesure ci-après précisée ;
Condamne l'État belge à prendre un arrêté d'exécution instituant la commission de promotion prévue à l'article 18 de la loi du 15 mai 2007 dans un délai de quatre mois à dater de la signification du présent jugement ; (...)
Siég. :  Mme S. Malengreau.
Greffier : Mme L. Khaled.
Plaid. : MesC. Cools (loco V. De Wolf) et G. De Wachter (loco S. Butenaerts).

 



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En vertu de l'article 108 de la Constitution, le pouvoir exécutif adopte les arrêtés royaux nécessaires pour l'exécution des lois sans pouvoir jamais dispenser de leur exécution.

Lorsque le législateur charge le Roi de mettre en place une commission d'évaluation permettant la promotion par accession à un grade supérieur de certains agents ou fonctionnaires publics, et lorsqu'aucun délai n'a été fixé à cet effet, le pouvoir exécutif est tenu de prendre un arrêté royal en ce sens dans un délai raisonnable.

L'absence d'adoption de pareil arrêté plus de dix ans après l'entrée en vigueur de la loi est donc constitutive d'une faute qui oblige l'État à indemniser les dommages qui en découlent. Ni l'instabilité gouvernementale que le pays a connue pendant les quatre premières de ces dix années, ni le fait que pas moins de huit articles de la loi prévoyaient la nécessité d'une mise en œuvre ne peut justifier ce retard, d'autant qu'un projet existe depuis six ans et qu'il n'est pas possible de soutenir raisonnement que son adoption aurait été freinée par les organisations syndicales.

La loi n'octroyant aucun droit automatique à une nomination, fût-elle par promotion, puisque celle-ci ne peut intervenir sans vacance d'emploi préalable, le dommage subi par un agent ne peut consister en l'absence de pareille promotion, à défaut pour lui de démontrer qu'il n'existait aucun membre du personnel bénéficiant d'une ancienneté supérieure à la sienne et qui aurait donc bénéficié d'une priorité par rapport à lui pour les postes ouverts pendant la période considérée.

En revanche, cet agent subit un préjudice découlant de l'impossibilité de se présenter devant la commission ad hoc, qui sera adéquatement réparé par la condamnation de l'État à prendre l'arrêté d'exécution instaurant la commission de promotion prévue par la loi dans un délai de quatre mois à dater de la signification du jugement.

Mots-clés

  • Responsabilité - Pouvoirs publics - Pouvoir exécutif - Absence d'adoption d'un arrêté d'exécution d'une loi - Agents et fonctionnaires publics - Perte d'une possibilité de promotion - Causalité - Condamnation de l'État à adopter un arrêté d'exécution.

Date(s)

  • Date de publication : 15/02/2019
  • Date de prononcé : 15/11/2018

Référence

Tribunal civil francophone Bruxelles (4 e chambre), 15/11/2018, J.L.M.B., 2019/7, p. 315-320.

Branches du droit

  • Droit civil
  • Droit civil > Engagements sans convention
  • Droit public et administratif
  • Droit public et administratif > Commune
  • Droit public et administratif > Droit administratif
  • Droit public et administratif > Droit constitutionnel
  • Droit public et administratif > Étrangers

Éditeur

Larcier

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