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17/01/2019
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Cour d'appel Liège (18e chambre), 17/01/2019


Jurisprudence - Droit pénal

J.L.M.B. 19/418
Infraction - Causes de justification et d'excuse - Stupéfiants - Excuse de dénonciation - Ratio legis - Conditions - Exhaustivité - Portée .
La cause d'excuse de dénonciation organisée à l'article 6 de la loi du 24 février 1921 n'a pas été créée pour favoriser l'amendement ou le repentir spontané de l'auteur de l'infraction, mais bien dans le souci de mener une politique criminelle efficace dans le domaine de la drogue. II n'est toutefois pas requis que les informations fournies aient effectivement été suivies de l'exercice de poursuites pénales ni même qu'elles aient conduit à la condamnation des personnes dénoncées.
La révélation doit être faite avant toute poursuite (sauf dans l'hypothèse prévue par l'alinéa 4 de l'article 6) et à l'autorité, elle doit être sincère et complète et les éléments dénoncés ne peuvent être déjà connus de l'autorité.
L'exigence d'exhaustivité de la révélation doit s'interpréter raisonnablement. À cet égard, la bonne foi du dénonciateur est un critère essentiel d'appréciation, le législateur attendant en effet de celui-ci qu'il fasse preuve de correction et d'honnêteté dans ses déclarations.

(M.P. / Renaud )


(...)
2. Culpabilité
2.1 Les faits
Le 23 mars 2018, la police de Liège procède au contrôle de Renaud, décrit comme « toxicomane bien connu de [leurs] services », lequel marche à allure élevée. Lors de la fouille de l'intéressé, les inspecteurs constatent que l'intéressé est porteur de six billes d'héroïne, d'un pacson de marijuana, d'un G.S.M. et d'une somme totale de quarante euros.
Entendu le même jour après avoir renoncé à l'assistance d'un avocat, l'intéressé reconnaît que l'héroïne qu'il détenait était destinée à la vente. II explique qu'il est sorti de prison au mois de mai 2017, qu'il vit dans la rue et qu'il a « rechuté en héroïne depuis cette date ». II déclare consommer 1,5 grammes d'héroïne par jour (en fumette exclusivement), ainsi que des joints (environ un gramme tous les trois jours). II dit avoir recommencé la vente d'héroïne à raison de deux fois par mois : « Lorsque je vends, je tente de vendre plus ou moins dix billes afin de me faire un peu d'argent pour pouvoir tenter de consommer gratuitement. Je ne vends pas par G.S.M., je vais vers les clients », précise-t-il. II ajoute qu'il perçoit des allocations de la « vierge noire » d'un montant d'huit cent trois euros et qu'il suit un traitement (Suboxone).
Déféré le même jour devant le juge d'instruction, après avoir à nouveau renoncé à l'assistance d'un conseil, il confirme vendre de l'héroïne depuis le mois de mai 2017. Au terme de son interrogatoire, il est inculpé et placé sous mandat d'arrêt.
L'analyse du téléphone portable détenu par Renaud révèle l'existence de plusieurs messages texto (S.M.S.) paraissant liés à la vente de stupéfiants.
2.2 Analyse
Il résulte des éléments de la procédure et de l'instruction d'audience à laquelle la cour a procédé que les faits des préventions A.1, B.2 et C.3 mis à charge de Renaud sont établis au-delà de tout doute, sur la base des constatations des enquêteurs, des saisies effectuées et des déclarations du prévenu.
En ce qui concerne les contestations de Renaud quant à la période infractionnelle retenue par le tribunal, la cour constate, à l'instar du premier juge, que les affirmations du prévenu quant à un prétendu voyage en Espagne effectué au cours de ladite période infractionnelle ne sont étayées par aucun élément du dossier répressif et ne sont pas corroborées par ses propres déclarations du 23 mars 2018 recueillies tant par la police que par le magistrat instructeur.
(...)
4. Excuse de dénonciation
À l'audience du 20 décembre 2018, Renaud s'est prévalu du bénéfice de l'excuse de dénonciation énoncé par l'article 6, alinéa 2, de la loi du 24 février 1921 concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques et des substances pouvant servir à la fabrication illicite de substances stupéfiantes et psychotropes.
II rappelle que, lors de son audition du 23 mars 2018 à la police, avant toute mise en mouvement de l'action publique, il a spontanément dénoncé son fournisseur d'héroïne, lequel se prénommerait Mohamed et serait surnommé « Jimmy » ou « Boss », auquel il a acheté de la drogue depuis environ un an. II a communiqué une description détaillée de l'intéressé, le surnom du frère de celui-ci (qui lui aurait aussi précédemment délivré de la drogue), la localisation relativement précise du lieu où il réside, ainsi que son numéro de téléphone portable. II a également renseigné les enquêteurs au sujet du lieu et du créneau horaire au cours duquel le prénommé Mohamed se livrait à son activité illicite, ainsi que la nature et les quantités de stupéfiants qu'il délivrait.
L'article 6, alinéa 2, de la loi du 24 février 1921 précitée énonce que :

« sont exemptés des peines correctionnelles prévues par les articles Ibis, Iquater et 3 [de la même loi], ceux des coupables qui, avant toute poursuite, ont révélé à l'autorité l'identité des auteurs des infractions visées par ces articles ou, si ceux-ci ne sont pas connus, l'existence de ces infractions ».

Cette cause d'excuse n'a pas été créée pour favoriser l'amendement ou le repentir spontané de l'auteur de l'infraction, mais bien dans le souci de mener une politique criminelle efficace dans le domaine de la drogue (voy. Doc. parl., Sénat, 1970-1971, n° 290, p. 5).
Les conditions d'application de cette disposition sont au nombre de quatre :
  1. la révélation doit être faite avant toute poursuite (sauf dans l'hypothèse prévue par l'alinéa 4 de l'article 6) ;
  2. la révélation doit être faite à l'autorité ;
  3. la révélation doit être sincère et complète ;
  4. les éléments dénoncés ne peuvent être déjà connus de l'autorité.
En ce qui concerne la dernière condition rappelée ci-avant, il convient de rappeler que, pour bénéficier de la cause d'excuse, il faut avoir révélé à l'autorité des éléments qui n'étaient pas connus de celle-ci. En l'espèce, rien n'indique que les renseignements fournis par le prévenu étaient déjà connus par l'autorité.
Par ailleurs la disposition précitée ne trouve à s'appliquer que si les révélations sont sincères et complètes, afin que l'autorité puisse exercer des poursuites. Cela implique que le dénonciateur révèle au sujet des faits, non seulement sa propre participation, mais également l'intégralité des informations qu'il détient sur les circonstances et les auteurs de l'infraction (voy. Cass., 8 avril 2008, R.G. P.08.0092.N.).
L'exigence d'exhaustivité de la révélation doit s'interpréter raisonnablement : à cet égard, la bonne foi du dénonciateur est un critère essentiel d'appréciation, le légis-lateur attendant en effet de celui-ci qu'il fasse preuve de correction et d'honnêteté dans ses déclarations. II doit ainsi livrer toutes les informations dont il dispose, qu'elles soient exhaustives ou partielles, exactes ou même erronées, pourvu qu'il se soit ouvert à l'autorité en toute bonne foi (voy. F. Kuty, « Principes généraux du droit pénal belge », tome IV, La peine, Larcier, 2017, pp. 867 et 868).
En l'occurrence, la révélation à la police d'un auteur resté inconnu - à tout le moins à ce jour et au regard des seules pièces de la procédure soumise à la cour - qui, aux termes de l'article 6, alinéa 2, précité, donne lieu à l'exemption des peines correctionnelles est une révélation qui met l'autorité en mesure d'intenter des poursuites et, lorsque tel est le cas, une révélation qui est complètement sincère (voy. Cass., 7 mars 1978, Pas., 1978, I, p. 765). II n'est toutefois pas requis que les informations fournies aient effectivement été suivies de l'exercice de poursuites pénales ni même qu'elles aient conduit à la condamnation des personnes dénoncées. En d'autres termes, l'utilisation que fait concrètement l'autorité des informations pertinentes et utiles portées à sa connaissance est sans relevance (voy. F. Kuty, op. cit., p. 871).
Enfin, il convient de relever que la cause d'excuse atténuante s'applique à celui des coupables qui, avant toute poursuite, a révélé à l'autorité l'identité des auteurs de l'infraction ou, si ceux-ci ne sont pas connus, l'existence de cette infraction ; la révélation à prendre en considération par le juge est celle qui est effectuée avant toute poursuite, c'est-à-dire avant que l'action publique ait été mise en mouvement. Du seul fait qu'un suspect a été privé de liberté sur ordre du parquet, et qu'il lui est notifié qu'il aura à comparaître devant un juge d'instruction, il ne résulte pas que l'action publique soit engagée (voy. Cass., 28 avril 2010, R.D.P.C., 2010, p. 1173).
Si les conditions d'application de la cause d'excuse sont réunies, elle doit bénéficier d'office au prévenu. Lorsque celui-ci invoque une cause d'excuse et que son allégation n'est pas dépourvue de tout élément de nature à lui donner crédit, il incombe à la partie poursuivante d'établir que les éléments de la cause d'excuse ne sont pas réunis (voy. A. Decourriere, « Stupéfiants », D.P.P.P., 2003, p. 136). En l'espèce, le ministère public n'invoque aucun argument de nature à remettre en cause la sincérité et le caractère complet des déclarations de Renaud. II suit des considérations qui précèdent que le prévenu Renaud, en raison de sa dénonciation qui devait permettre l'initiation de poursuites contre d'autres personnes qu'il a identifiées de manière suffisamment précise pour qu'elles puissent être interpellées, est en droit de se prévaloir de la cause absolutoire prévue à l'article 6, alinéa 2, de la loi du 24 février 1921 précitée.
(...)
La Cour, statuant contradictoirement,
Reçoit les appels,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sous les seules émendations suivantes :
  • Renaud est exempté de peine du chef des préventions (...) mises à sa charge et demeurées établies telles que libellées à l'ordonnance de la chambre du conseil du 4 juin 2018 en application de l'article 6, alinéa 2, de la loi du 24 février 1921 concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques et des substances pouvant servir à la fabrication illicite de substances stupéfiantes et psychotropes,
  • la peine de 37 mois d'emprisonnement et l'amende de 1.000 euros augmentée de 70 décimes et ainsi portée à 8.000 euros ou, en cas de non-paiement de cette amende, à un mois d'emprisonnement subsidiaire prononcées à charge du prévenu Renaud sont rapportées, tout comme la contribution au Fonds d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels,
  • statuant à l'unanimité, ordonne la confiscation des pièces à convictions saisies et déposées au greffe du tribunal de première instance de Liège, division de Liège, (...).
Siég. :  M. Ph. Gorlé, Mme G. Tordoir et M. O. Warnon.
Greffier : Mme A. Generet.
M.P. : Mme. E. Dessoy.
Plaid. : MeK. Arari-Dhont (loco S. Berbuto).
N.B. : Pour une étude récente de cette cause d'excuse, voy. : Ch. Guillain, « La cause de dénonciation en matière de drogues : symptôme de l'ambivalence du système pénal », Liber amicorum P. Mandoux et M. Preumont, Bruxelles, Larcier, 2019, pp. 271-290.

 



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La cause d'excuse de dénonciation organisée à l'article 6 de la loi du 24 février 1921 n'a pas été créée pour favoriser l'amendement ou le repentir spontané de l'auteur de l'infraction, mais bien dans le souci de mener une politique criminelle efficace dans le domaine de la drogue. II n'est toutefois pas requis que les informations fournies aient effectivement été suivies de l'exercice de poursuites pénales ni même qu'elles aient conduit à la condamnation des personnes dénoncées.

La révélation doit être faite avant toute poursuite (sauf dans l'hypothèse prévue par l'alinéa 4 de l'article 6) et à l'autorité, elle doit être sincère et complète et les éléments dénoncés ne peuvent être déjà connus de l'autorité.

L'exigence d'exhaustivité de la révélation doit s'interpréter raisonnablement. À cet égard, la bonne foi du dénonciateur est un critère essentiel d'appréciation, le législateur attendant en effet de celui-ci qu'il fasse preuve de correction et d'honnêteté dans ses déclarations.

Mots-clés

Infraction - Causes de justification et d'excuse - Stupéfiants - Excuse de dénonciation - Ratio legis - Conditions - Exhaustivité - Portée

Date(s)

  • Date de publication : 06/12/2019
  • Date de prononcé : 17/01/2019

Référence

Cour d'appel Liège (18 e chambre), 17/01/2019, J.L.M.B., 2019/40, p. 1886-1889.

Branches du droit

  • Droit pénal
  • Droit pénal > Droit pénal - Principes généraux

Éditeur

Larcier

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