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12/07/2018
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Tribunal de commerce francophone Bruxelles (16e chambre), 12/07/2018


Jurisprudence - Crédit et funding loss

J.L.M.B. 19/1
Prêt - Crédit d'investissement - Qualification - Prêt à intérêt versus ouverture de crédit - Critère - Caractère réel versus caractère consensuel - Remboursement anticipé - Indemnité de remploi - Limitation à six mois (non) .
L'article 1907bis ne s'applique qu'aux prêts à l'exclusion des ouvertures de crédit.
S'agissant du financement de l'acquisition d'un immeuble, l'ensemble de la documentation contractuelle révèle l'intention des parties de conclure une ouverture de crédit et non un prêt. Il y est stipulé que la convention litigieuse est un crédit d'investissement s'inscrivant dans le cadre d'une ouverture de crédit et n'étant que l'une de ses formes d'utilisation. Le vocable « crédit » est utilisé à de très nombreuses reprises par les parties dans l'ouverture de crédit, dans la convention de crédit d'investissement et dans l'acte hypothécaire. Le mot « prêt » n'est jamais utilisé. En outre, le crédit d'investissement est régi par les « conditions générales des ouvertures de crédit aux entreprises ». La requalification du contrat ne peut violer la primauté de l'écrit consacrée par l'article 1141 du Code civil.
Le caractère réel du prêt est un critère déterminant pour le différencier de l'ouverture de crédit. Le caractère réel du contrat de prêt fait obstacle à toute remise différée, même d'un seul jour, de la chose prêtée. Sans remise, il n'y a pas de contrat et donc pas d'obligation dans le chef de l'une ou l'autre des parties.
Tant la période de prélèvement (limitée à un mois) que la finalité du crédit (acquisition d'un immeuble déterminé par le biais d'un prélèvement unique) participent de la modalisation du droit de prélèvement consenti au crédit. Les limitations ainsi apportées ne sont pas incompatibles avec la qualification d'ouverture de crédit. L'ouverture de crédit n'implique pas une liberté absolue de prélèvement. Il n'y a donc pas lieu d'appliquer l'article 1907bis.

(S.P.R.L. C.B. et Christophe / S.A. B.N.P. Paribas Fortis )


(...)
Résumé des faits
Le 18 janvier 2007, la S.A. B.N.P. Paribas Fortis (anciennement dénommé Fortis banque) adresse à C.B. une lettre d'ouverture de crédit, par laquelle elle accepte d'aménager les crédits précédemment consentis à la demanderesse.
Cette lettre témoigne en effet d'une forte tendance à recourir au crédit pour le financement de ses activités. Ainsi, la lettre d'ouverture de crédit précise que C.B. a déjà souscrit à trois crédits d'investissement :
  • le crédit d'investissement n° 245-...-28, conclu le 19 décembre 2002 pour un montant de 310.883,03 euros ;
  • le crédit d'investissement n° 245-...-83, conclu le 4 octobre 2005 pour un montant de 340.869,75 euros ;
  • le crédit d'investissement n° 245-...-43, conclu le 25 novembre 2005, pour un montant de 533.584,71 euros.
Outre le réaménagement de ces crédits, la banque octroie à C.B. un nouveau crédit d'investissement portant le numéro 245-...-84.
Cette nouvelle ouverture de crédit est octroyée à concurrence de 880.000 euros et est destinée au financement de l'achat d'un usufruit d'une maison sise à (...).
Elle est régie par les conditions générales des ouvertures de crédit aux entreprises, dont C.B. reconnaît avoir reçu un exemplaire.
Le 19 janvier 2007, la lettre d'ouverture de crédit et la convention de crédit sont signées pour accord par C.B.
Le crédit est accordé pour une durée déterminée de deux cent trente-quatre mois, au taux fixe annuel de 4,619 pour cent, ces intérêts n'étant toutefois payables que sur les montants prélevés.
Le crédit est garanti par un mandat hypothécaire [de] 968.000 euros à conférer sur l'immeuble sis (...) ainsi que par les hypothèques consenties dans le cadre des précédents crédits.
La convention de crédit prévoit notamment les conditions et modalités suivantes :
  • chaque prélèvement se réalise sur la base de justificatifs relatifs à l'investissement, à partir du moment où les sûretés ont été constituées par la demanderesse et que toutes les conditions relatives au prélèvement ont été respectées ;
  • le crédit doit être entièrement utilisé avant le 16 février 2007, ce qui clôture la période de prélèvement ;
  • une indemnité est due au cas où le crédit ne serait pas prélevé ou non entièrement prélevé à la date de clôture de la période de prélèvement ;
  • une commission de réservation mensuelle est calculée au taux de 0,1 pour cent et due sur la partie du crédit non prélevée dès la date de signature de la convention ;
  • le remboursement se réalise en deux cent trente-quatre mensualités de 5.742,48 euros en capital et intérêts, à partir du 16 août 2007 ;
  • la demanderesse ne peut rembourser le crédit de manière anticipée, en tout ou en partie, qu'à une date d'échéance en intérêts, moyennant un préavis irrévocable par lettre recommandée dont la date de la poste doit précéder d'au moins trente jours la date de l'échéance en intérêts ;
  • en cas de remboursement anticipé total ou partiel, la demanderesse est redevable envers B.N.P. Paribas Fortis d'une indemnité calculée conformément à la clause « indemnité de remploi » décrite ci-après, ainsi que des frais administratifs.
La clause intitulée « indemnité de remploi » prévoit le mode de calcul habituel de l'indemnité due en cas de remboursement anticipé du crédit octroyé :

« a. Pour chaque échéance fixée après un remboursement anticipé ou une renonciation, un décompte sera effectué sur la base des éléments suivants :

- montant : montant correspondant à l'échéance ;

- durée : période qui commence à la date de la réalisation d'un des événements dont question, et qui s'achève à la date de l'échéance en principal ;

- taux d'intérêt : différence entre le taux d'intérêt du crédit et le taux d'intérêt alloué sur le marché interbancaire pour un dépôt ayant des mêmes caractéristiques ;

- actualisation : le résultat ainsi obtenu sera actualisé sur la base du taux d'intérêt de dépôt tel que décrit ci-dessus.

b. Le total des décomptes actualisés par échéance en principal représente le montant de l'indemnité de remploi due.

Lorsque le montant remboursé anticipativement ou le montant non utilisé ne concerne qu'une partie du crédit et non la totalité, la somme des résultats actualisés sera adaptée proportionnellement ».

Le 19 janvier 2007, l'acte de crédit ainsi que l'acte hypothécaire ont été passés devant le notaire Philippe Degomme. Le même jour, le prélèvement du crédit a eu lieu.
En 2016, de son propre chef, C.B. a pris la décision de vendre l'immeuble grevé de l'hypothèque et de rembourser anticipativement le crédit d'investissement n° 245-...-84.
Compte tenu de la sûreté prise par B.N.P. Paribas Fortis en garantie du crédit octroyé, l'accord de B.N.P. Paribas Fortis est nécessaire pour donner la mainlevée de l'hypothèque consentie, ce que cette dernière confirme par un courrier du 5 septembre 2016.
L'indemnité de remploi s'élevait, à ce moment, à la somme de 146.922,00 euros.
Le 9 septembre 2016, le conseil de C.B. conteste le décompte établi aux motifs que la convention doit être interprétée, compte tenu des modalités de mise à disposition des fonds, de remboursement et de réutilisation, comme un prêt à intérêts susceptible de ne donner lieu qu'à une indemnité de remploi de six mois.
Le 22 septembre 2015, la banque a répondu à ce dernier et rappelé que la clause relative à l'indemnité de remploi, telle que figurant dans la convention, avait été acceptée par C.B. Elle a également souligné que le montant de l'indemnité avait pour but de compenser la perte subie par la banque en cas de remboursement anticipé ou de dénonciation du crédit, conformément à l'article 20, paragraphe 2, de ses conditions générales.
À titre de geste commercial, la banque a néanmoins accepté de réduire l'indemnité de remploi, qui s'élevait à ce moment à la somme de 146.068 euros, à la somme de 132.838 euros.
Elle a, dès lors, adressé un courrier en ce sens au notaire chargé de la vente, subordonnant la mainlevée au paiement de l'indemnité de remploi.
Le 3 octobre 2016, le conseil de la demanderesse conteste, à nouveau, le principe de l'indemnité de remploi.
Entretemps, le 17 juin 2016, l'acte authentique de vente de l'immeuble a été passé.
Le notaire a payé à la banque la somme, non contestée, de 564.745,46 euros tandis que le montant de l'indemnité de funding loss de 132.837,78 euros était consigné chez le notaire dans l'attente qu'un accord intervienne entre les parties.
Le 13 octobre 2016, la banque a maintenu sa position et a indiqué au conseil de la demanderesse que les fonds versés par cette dernière, à défaut de couvrir l'indemnité de remploi, n'étaient pas suffisants de sorte que le crédit d'investissement était maintenu et que la mainlevée ne pouvait être donnée.
Par courriel du 27 octobre 2016, la demanderesse a donc donné ordre au notaire de libérer la somme consignée au profit de la citée, et ce sans reconnaissance préjudiciable et sous toutes réserves.
La citation est signifiée à B.N.P. Paribas Fortis le 10 février 2017.
Discussion
(...)
B. Examen du fondement de la demande
1. Lorsque le remboursement anticipé est contractuellement exclu entre les parties, le crédité est tenu de respecter ses engagements. Dès lors que le terme est stipulé en faveur du débiteur et du créancier - par exemple, si un intérêt appréciable a été convenu - la clause qui interdit les remboursements anticipés est parfaitement valable. Dès lors, lorsque le crédité sollicite ou impose le remboursement anticipé de crédit, la banque peut le refuser. La banque peut cependant laisser la porte ouverte à un tel remboursement, à des conditions fixées par l'établissement de crédit.
Lorsque la perception d'une indemnité de remploi en cas de remboursement anticipé d'un crédit a été contractuellement encadrée entre parties, le crédité est tenu de respecter ses engagements et de payer cette indemnité dès lors qu'il décide de rembourser de manière anticipée le crédit.

« les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise ».

La jurisprudence reconnaît d'ailleurs expressément que le principe de l'application de la clause de remploi repris dans des conventions de crédit s'applique en cas de remboursement anticipé.
Dans de telles conditions, les clauses prévoyant une indemnité de remploi doivent sortir leurs effets : « pacta sunt servanda ».
À titre liminaire, il convient de rappeler le prescrit de l'article 1907bis du Code civil, inséré dans le titre relatif aux prêts à intérêts, selon lequel :

« lors d'un remboursement total ou partiel d'un prêt à intérêts, il ne peut en aucun cas être dû une indemnité de remploi d'un montant supérieur à six mois [d']intérêts calculés sur la somme remboursée au taux fixé par la convention ».

2. L'article 1907bis du Code civil ne concerne dès lors que le « prêt à intérêts », c'est-à-dire un contrat réel qui n'existe que par la remise de fonds à l'emprunteur et à son mandataire, à l'exclusion dès lors d'un contrat de crédit qui n'est pas un « prêt », au sens légal du terme, Cette disposition étant dérogatoire au droit commun, elle doit s'interpréter restrictivement.
Cette thèse est confirmée par la Cour constitutionnelle, les cours et tribunaux, la doctrine majoritaire, et le législateur belge.
Cette thèse a ainsi été confirmée par la Cour constitutionnelle par un arrêt du 7 août 2013.
La jurisprudence unanime, dont les cours d'appel de Bruxelles, Liège, Gand et Anvers, considère également qu'il n'y a pas lieu d'appliquer la limite imposée par l'article 1907bis du Code civil aux ouvertures de crédit.
Le législateur lui-même indique, dans les travaux parlementaires de la proposition de loi visant à régler l'indemnité de remploi dans le cadre des crédits octroyés aux petites et moyennes entreprises, que :

« il n'est pas contestable que cette disposition générale (l'article 1907bis) s'applique à tous les prêts, y compris ceux destinés aux professions et aux entreprises. Cet article ne régit que les crédits consentis sous forme de prêt, excluant, partant, les ouvertures de crédit ».

Enfin, la S.P.R.L. C.B. ne s'y est pas trompée en ne contestant aucunement cette analyse ni par voie de citation ni par voie de conclusions mais en déplaçant le centre de gravité de son raisonnement vers la qualification du contrat.
Partant, le champ d'application de l'article 1907bis du Code civil, comme il vient d'être démontré, est circonscrit aux prêts à intérêts et ne peut être étendu aux ouvertures de crédit.
La partie demanderesse fonde son raisonnement sur une requalification du contrat de crédit d'investissement en contrat de prêt à intérêts dès lors qu'elle estime que ce dernier serait plus compatible avec les caractéristiques revêtues par chaque contrat.
Un tel raisonnement heurte de plein fouet les règles gouvernant la requalification des contrats.
Il découle de ce qui précède que la qualification du contrat, en l'espèce, revêt une importance essentielle.
3. Il est constant qu'il convient de distinguer la situation en matière de prérogative du juge selon que les parties n'ont pas nommé leur accord ou ont accolé à leur accord une qualification.
Dans le premier cas - qui n'est pas pertinent en l'espèce -, « le juge doit, à la lumière de la volonté des parties et de tous les éléments intrinsèques ou extrinsèques à la convention, déterminer la qualification à donner à celle-ci ».
En revanche, lorsque les parties ont elles-mêmes donné une qualification à leur contrat, l'office du juge est différent.

Certes, « le juge a le pouvoir de redresser la qualification donnée par les parties à leur contrat, lorsqu'elle se révèle erronée ou frauduleuse », mais il « n'a toutefois pas les coudées franches lorsqu'il se livre à ce travail de requalification. Saisi d'une convention écrite que les parties ont qualifiée expressis verbis, il ne peut procéder à une rectification qu'à la condition de déceler dans le contrat ou dans son exécution des éléments qui sont radicalement incompatibles avec la qualification adoptée ».

Le pouvoir du juge est donc limité et il ne peut procéder à la rectification de la qualification que s'il trouve dans le contrat ou dans son exécution des éléments qui sont radicalement incompatibles avec la qualification adoptée.
En l'espèce, il convient de relever que l'ensemble de la documentation contractuelle stipule que la convention litigieuse est un crédit d'investissement s'inscrivant dans le cadre d'une ouverture de crédit et n'étant que l'une de ses formes d'utilisation. Le vocable « crédit » étant utilisé à de très nombreuses reprises par les parties dans l'ouverture de crédit, dans la convention de crédit d'investissement et dans l'acte hypothécaire. Le mot « prêt » n'est jamais utilisé. Encore, le crédit d'investissement est régi par les « Conditions générales des ouvertures de crédit aux entreprises ».
Ainsi, contrairement à ce qu'allègue la S.P.R.L. C.B., en méconnaissance des pièces de son dossier, il n'est nullement question d'une convention dans laquelle seul le titre du document traduit l'existence d'un contrat de crédit.
L'ensemble de la documentation contractuelle révèle l'intention des parties de conclure une ouverture de crédit, sans qu'à aucun moment, la partie demanderesse n'ait manifesté son intention de conclure un prêt à intérêts.
Force est de constater que la partie demanderesse n'a fait part de cette intention qu'un an après le remboursement anticipé de son crédit d'investissement, soit in tempore suspecto.
La partie défenderesse souligne à juste titre que la partie demanderesse a conclu un contrat de crédit professionnel alors qu'il lui était loisible de conclure, certes avec un taux d'intérêt plus élevé, un autre contrat comportant soit un remboursement anticipé soumis à l'article 1907bis du Code civil, soit un remboursement anticipé ne comportant aucune indemnité de remploi.
La requalification du contrat ne peut violer la primauté de l'écrit consacrée par l'article 1341 du Code civil (Cass., 10 janvier 1994).
Il faut, en l'espèce, constater que la partie demanderesse :
  • ne démontre pas et n'offre pas de démontrer que le contrat ou son exécution comporterait des éléments radicalement incompatibles avec la qualification donnée par les parties à leur convention ;
  • ne démontre pas et n'offre pas de démontrer que la commune intention des parties aurait été non de conclure un contrat d'ouverture de crédit mais un prêt.
Or, comme la banque l'a démontré ci-avant, un tel raisonnement méconnaît la foi due aux actes, la prééminence de l'écrit, la commune intention des parties et, partant, l'office du juge en la matière.
Partant, la demande ne peut être accueillie.
Certes, on peut concevoir qu'au gré des circonstances les intentions de la partie demanderesse aient changé depuis la conclusion du contrat et qu'elle souhaite à présent limiter l'indemnité de remploi plutôt que de bénéficier d'un taux d'intérêt intéressant. Ainsi, la partie demanderesse part du résultat à atteindre (le prêt) sans avoir à aucun moment égard à la commune volonté des parties ni à ce qui est exprimé dans les écrits.
Cependant, il convient de se replacer au moment de la conclusion du contrat, moment auquel la partie demanderesse n'avance aucun argument justifiant de sa volonté de conclure un autre type de contrat.
Le biais rétrospectif proposé par la partie demanderesse constitue ainsi une réécriture de l'histoire qui n'a pas sa place dans la recherche de la volonté des parties.
Par conséquent, et sur la base du seul constat que les parties n'avaient aucunement l'intention de conclure un autre contrat qu'un contrat de crédit, ledit contrat, conclu par les parties, ne pourra être requalifié et la demande devra être déclarée non fondée.
4. Le contrat d'ouverture de crédit est un contrat innommé.
Il est traditionnellement défini comme étant :

« la convention par laquelle une personne (le créditeur) s'oblige à mettre temporairement à la disposition d'une autre (le crédité) ses fonds ou son crédit personnel, à concurrence d'un montant déterminé ; en contrepartie le crédité s'engage à payer une commission et en outre, si le crédit est réalisable en argent, à rembourser les avances reçues augmentées d'un intérêt ».

De manière synthétique, dans le cadre d'une déclaration de tiers saisi, la Cour de cassation a défini l'ouverture de crédit comme « un contrat qui confère au preneur le droit personnel de faire usage, à sa demande, de la disponibilité accordée en vertu du contrat de crédit ».
Ce contrat est consensuel, c'est-à-dire formé par le seul échange des consentements des parties.
Ce caractère consensuel du contrat de crédit a été rappelé avec force par la Cour constitutionnelle en ces termes.
Il est également innommé de sorte qu'il appartient aux parties d'organiser, comme bon leur semble, le contrat et, partant, les droits et obligations en découlant pour chacune d'elles.
II faut en effet constater que :

« bien que plusieurs dispositions fassent mention de l'ouverture de crédit (...) ce contrat n'est pas réglementé par la loi. L'ouverture de crédit est un contrat bancaire autonome (...) ».

Les principes de l'autonomie de la volonté et de la convention-loi reçoivent donc, s'agissant de ce contrat, leur pleine application.
En l'espèce, le contrat conclu par les parties s'accommode parfaitement de la qualification d'ouverture de crédit et la partie demanderesse ne fait état d'aucun élément radicalement incompatible avec celle-ci.
5. Le contrat de prêt est un contrat nommé.
Il est traditionnellement défini comme étant :

« un contrat par lequel une personne, appelée prêteur, remet une chose à une autre, appelée emprunteur, pour s'en servir, et à charge de la lui restituer après usage, ou au terme convenu ».

Cette définition recouvre tant le prêt à usage que le prêt de consommation.
Selon l'article 1892 du Code civil, le prêt à intérêts est une forme de prêt de consommation, soit un « contrat par lequel l'une des parties livre à l'autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l'usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité » augmenté d'un intérêt.
Il est constant que le contrat de prêt est un contrat réel, c'est-à-dire un contrat qui se forme par la remise matérielle de la chose prêtée.
Il n'existe « qu'à partir du moment où la chose prêtée est remise à l'emprunteur » et ne se forme donc pas solo consensu.
Ceci a notamment pour conséquence que :
  • avant la remise de la chose, il n'y a tout simplement pas de contrat ;
  • le prêteur « livre » une chose à l'emprunteur (à charge pour lui de la restituer) et non « s'oblige » à lui livrer ;
  • le contrat est unilatéral puisqu'il ne fait naître des obligations que dans le chef de l'emprunteur, ce qui explique pourquoi l'article 1184 du Code civil n'est en principe pas applicable à ce type de contrat.
Ce caractère réel du prêt découle du libellé même des articles 1875 et 1892 du Code civil et est traditionnel.
Le fait que le contrat de prêt soit un contrat réel a pour conséquence que l'existence même d'une période de prélèvement - même limitée - est radicalement incompatible avec la qualification de prêt.
La jurisprudence a également vu dans le caractère réel du prêt à intérêts un critère déterminant pour le différencier de l'ouverture de crédit et, par conséquent, refuser l'application des dispositions relatives aux prêts à intérêt.
  • La cour d'appel de Bruxelles, dans un arrêt du 27 septembre 2012, a estimé que :

« Il est constant que le contrat de prêt est un contrat réel, c'est-à-dire un contrat qui se forme par la remise matérielle de la chose prêtée, et en principe unilatéral. Le prêt visé à l'article 1907bis du Code civil ne se confond dès lors pas avec une ouverture de crédit qui est un contrat consensuel, à titre onéreux et synallagmatique (...) ».

Toujours dans cet arrêt, la Cour a estimé que :

« le fait que le crédit doive être prélevé en une seule fois pour la totalité du montant et dans une période relativement brève ne permet pas de requalifier la convention en contrat réel de prêt ».

  • La cour d'appel de Bruxelles, dans un arrêt du 12 février 2009, a estimé [que] :

« le prêt est un contrat réel par lequel la banque remet à son client la totalité de la somme d'argent convenue moyennant l'obligation de la rembourser à l'échéance convenue. Dans l'ouverture de crédit, le banquier s'engage à accomplir des actes de crédit à concurrence d'un montant maximum et pour une période limitée ou non ».

  • La cour d'appel de Bruxelles, dans un arrêt du 6 septembre 1999, a estimé « qu'il s'impose de souligner que le prêt constitue une contrat réel, alors que l'ouverture de crédit constitue un contrat consensuel » avant de dénier au contrat litigieux l'application des dispositions applicables au contrat de prêt.
  • Le tribunal de commerce de Bruxelles, dans un jugement du 28 avril 2015, a rappelé que l'enseignement du Professeur Biquet-Mathieu qui défendait la thèse de la requalification « perd de vue les caractéristiques propres au contrat réel que constitue le contrat de prêt ».
  • Le tribunal de commerce de Bruxelles, dans un jugement du 18 octobre 2013, estime que :

« le contrat d'ouverture de crédit en cause est un contrat consensuel qui ne peut être assimilé au contrat de prêt ».

  • Le tribunal de commerce de Bruxelles, dans un jugement du 7 octobre 2013, a estimé que :

« à la différence du prêt à intérêt qui est un contrat réel. L'ouverture de crédit est un contrat consensuel, soit d'une toute autre nature ».

6. En effet, comme le contrat n'existe que par la remise par le prêteur de la chose prêtée, il ne saurait y avoir une période de prélèvement même d'un jour. Avant la remise, il n'y pas de contrat de prêt et donc, il n'y a pas d'obligation dans le chef du futur prêteur ou dans le chef du futur emprunteur.
Dès lors qu'il est unanimement admis, tant en doctrine qu'en jurisprudence, que le contrat de prêt est un contrat réel et qu'il est tout aussi unanimement admis tant en doctrine qu'en jurisprudence, qu'un contrat réel ne se forme que par la remise de la chose objet du contrat, il est juridiquement impossible et contradictoire de soutenir qu'il pourrait y avoir, en l'espèce à la date de la conclusion de la convention, un contrat de prêt alors même qu'une remise de fonds n'est [pas] intervenue, celle-ci ayant lieu pendant la période de prélèvement.
Il résulte de ce qui précède que le caractère réel du prêt, caractère qui relève de son essence, fait obstacle à toute remise différée de la chose prêtée. Sans cette remise, il n'y a en effet pas de contrat et donc pas d'obligation dans le chef de l'une ou l'autre des parties.
En l'espèce, il n'est pas contesté, mais au contraire reconnu par la partie demanderesse, que le crédit d'investissement prévoit une période de prélèvement. Du reste, les prélèvements n'ont pas été concomitants à la signature du crédit.
Dans ces conditions, le tribunal doit constater que, sauf à nier le caractère réel du contrat de prêt, une telle requalification est juridiquement impossible dès lors qu'à la date de la convention litigieuse, un contrat de prêt ne peut, par définition, pas être né. Ceci rend en soi impossible toute qualification de prêt. La demanderesse ne peut être suivie dès lors qu'elle demande au tribunal de requalifier le contrat pour une période où celui-ci ne peut exister.
Dès lors que la partie demanderesse admet elle-même qu'un contrat a été conclu entre parties le 19 janvier 2007, celui-ci ne peut s'analyser que comme un contrat de crédit d'investissement.
7. Le fait de prévoir une période de prélèvement est parfaitement compatible avec une qualification d'ouverture de crédit. Les principes de l'autonomie de la volonté et de la convention-loi le permettent. Toute obligation peut en effet être affectée d'un terme suspensif ou extinctif. Il s'agit là d'une modalité classique d'une obligation.
8. La thèse de la demanderesse qui tend à considérer que le crédité devrait bénéficier d'une liberté absolue est juridiquement inexacte. Elle tend en effet à faire échapper le contrat d'ouverture de crédit au droit commun des contrats, à savoir notamment l'autonomie de la volonté. Pourquoi le contrat d'ouverture de crédit ne serait-il pas soumis au droit commun des contrats alors même qu'il n'est pas réglementé par la loi ?
La thèse de la partie demanderesse consiste en réalité à dire que l'ouverture de crédit comprendrait des règles - mais lesquelles ? - qui, d'une part, échapperaient au droit commun des contrats et spécialement à l'autonomie de la volonté, et qui, d'autre part, n'auraient pas été édictées par le législateur.
Ceci est absurde, et ce d'autant plus que, précisément, le contrat d'ouverture de crédit est une création de la pratique entièrement fondée sur le droit commun des contrats et spécialement l'autonomie de la volonté.
L'existence d'une période de prélèvement est un des éléments qui participe à la mise en oeuvre par le banquier des obligations qui pèsent sur lui, que ce soit en termes prudentiel ou en termes de responsabilité dans l'octroi, l'exécution ou le maintien du crédit. La conjonction de cette période de prélèvement avec le but du crédit et les conditions de prélèvement permettent en réalité de s'assurer que le crédit est bien utilisé, dans un délai raisonnable, pour réaliser le projet présenté à la banque.
Il convient de constater qu'il serait d'ailleurs absurde, et contraire au devoir de prudence et de diligence du banquier, d'accorder au crédité un droit de prélèvement d'une durée indéterminée alors que la durée de l'utilisation du crédit est connue dès l'abord. Ainsi, si un crédit est accordé pour la rénovation d'une maison, la durée probable de celle-ci est connue. Quel est donc le sens de prévoir une période de prélèvement indéterminée alors que les travaux seraient effectués durant une période connue ?
En l'espèce, la partie demanderesse disposait d'une période de prélèvement d'un mois. Cette durée n'est autre que la rencontre entre le souhait de la partie demanderesse et les obligations de la partie défenderesse et qu'elle est au demeurant conforme à la jurisprudence.
Partant, la demande ne peut être accueillie.
La demanderesse paraît soutenir que, dans l'ouverture de crédit, il ne pourrait y avoir aucune finalité dans l'usage. En d'autres termes, on ne pourrait, dans une ouverture de crédit, imposer que cette ouverture de crédit soit utilisée pour l'achat d'un immeuble ou sa rénovation.
Ceci est parfaitement inexact.
9. Une nouvelle fois, la banque n'aperçoit pas en quoi l'ouverture de crédit échappe au droit commun des contrats. Pourquoi les parties, dans un contrat innommé, ne pourraient-elles pas retenir que les fonds devront être affectés à une finalité particulière ? La partie demanderesse ne dit mot à cet égard.
Ensuite, il suffit de constater que certaines ouvertures de crédits comportent nécessairement une finalité précise. Tel est, par exemple, le cas des ouvertures de crédit réalisables par l'émission de crédit documentaire. L'utilisation est déterminée et le demandeur ne dispose d'aucune liberté sur ce plan : émettre des crédits documentaires. Il ne peut pas l'utiliser pour acheter un immeuble. Or, personne ne soutiendra qu'il ne s'agit pas d'une ouverture de crédit.
Inversement, rien n'interdit dans un prêt de laisser à l'emprunteur une liberté d'uti-lisation. Le prêteur et l'emprunteur peuvent parfaitement convenir que l'emprun-teur pourra affecter le montant prêté à un usage déterminé comme l'acquisition d'un immeuble ou laisser le choix à l'emprunteur.
Enfin, plus fondamentalement, la banque est tenue de connaître la destination des fonds.
En effet, la banque doit se comporter comme un banquier normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances, et est tenue, préalablement à l'octroi d'un crédit, de procéder à l'examen ou à l'investigation sur la situation financière du crédité, et, le cas échéant, de refuser le crédit.
De même, la banque est tenue à un devoir d'information envers le futur crédité : elle doit lui présenter les opérations les plus adaptées à ses besoins. Or, à défaut de connaître l'affectation des fonds, la banque se trouvait dans l'impossibilité de se conformer à ce devoir...
En outre, à l'égard des tiers, le banquier qui octroierait à la légère un crédit à une entreprise ne présentant aucune garantie de solvabilité ou de continuité, pourrait engager sa responsabilité. Il se doit en conséquence d'examiner les mérites du crédit, et, partant, la solvabilité du crédit et la rentabilité de son entreprise.
On ne saurait dès lors reprocher à la banque de se renseigner sur l'affectation des fonds dans la mesure où ceci ne constitue que l'expression du strict respect de ses obligations. Que penserait-on du banquier qui aurait consenti un crédit pour la rénovation d'une maison et qui l'aurait libéré, sans la moindre vérification de sa part, permettant ainsi à son bénéficiaire de financer un attentat ?
II résulte de ce qui précède qu'en réalité, la finalité du crédit n'est pas un élément distinctif et qu'en toute hypothèse, il repose sur une conception inexacte des raisons pour lesquelles elle est prévue.
Tant la période de prélèvement que la finalité du crédit participent de la modalisation du droit de prélèvement consenti au crédité. Cette modalisation s'inscrit directement dans le droit commun des contrats et dans l'autonomie de la volonté des parties. Cette modalisation participe également au devoir de prudence et de diligence du banquier. Partant, et sans même avoir égard à la qualification nouvelle proposée par la partie demanderesse, il échet de constater que le contrat conclu par les parties ne renferme aucun élément radicalement incompatible avec la qualification d'ouverture de crédit.
La demande ne peut être accueillie.
Il est constant que le contrat de prêt est un contrat réel qui ne se forme que par la remise de la chose prêtée, par exemple une somme d'argent.
Avant cette remise, il n'y a pas de contrat. Par la remise, le contrat naît mais à concurrence seulement de ladite remise. Si la chose prêtée est une somme d'argent, le contrat ne naît qu'à concurrence de la somme remise. S'il y a successivement plusieurs remises de sommes d'argent, il y a autant de contrats de prêts que de remises puisqu'à chaque fois le contrat naît à concurrence du montant de ladite remise.
Il s'ensuit que les concepts de « prélèvement », de droit de prélèvement ou même de liberté de prélèvement sont totalement étrangers au contrat de prêt : la chose ayant été remise, l'emprunteur n'a pas de droit à l'égard du prêteur. Spécialement, il n'a pas le droit de demander la remise de quelque chose puisque, précisément, il est déjà en possession de ce qui fait l'objet du prêt.
Le droit de prélever n'existe en réalité, sur le plan juridique, que dans l'ouverture de crédit.
S'agissant d'une ouverture de crédit réalisable par la mise à disposition d'une somme d'argent, par exemple un crédit de caisse ou un crédit d'investissement, il naît du contrat d'ouverture de crédit le droit pour le crédité d'exiger du créditeur qu'il mette à disposition la somme d'argent convenue.
Il suffit donc de constater qu'il existe un droit de prélever pour qu'il y ait une ouverture de crédit. En revanche, les modalités concrètes mises à son exercice sont totalement indifférentes. C'est en effet confondre le droit et son exercice, qui sont deux choses radicalement différentes.
Le seul fait de discuter, comme le fait la partie demanderesse, des modalités auxquelles aurait été soumise la prétendue « liberté de prélèvement » ou, plus exactement ce droit de prélèvement, suffit en soi à démontrer que, dans la thèse défendue par la partie demanderesse elle-même, ce droit existe.
Or, comme la banque l'a démontré, ce droit est totalement étranger au prêt.
Partant, la demande ne peut être accueillie.
10. Plusieurs éléments du contrat sont radicalement incompatibles avec la qualification de prêt.
La banque a démontré que la mise à disposition des fonds convenue est radicalement incompatible avec la qualification de prêt.
Il existe en outre d'autres éléments qui le sont tout autant, à savoir l'absence d'intérêts en l'absence de prélèvement, la commission de mise à disposition du capital, la reprise d'encours, l'unicité voulue par les parties.
11. La partie demanderesse soutient, à titre subsidiaire, qu'il convient de faire application de la théorie de l'abus de droit afin de se voir rembourser l'indemnité de funding loss.
La fonction modératrice de la bonne foi interdit au créancier d'abuser de son droit. Par ce biais, les cours et tribunaux peuvent, lorsque les circonstances l'imposent, tempérer la rigueur contractuelle, qui est le corollaire du principe de la convention-loi fondé sur l'article 1134, alinéa 1er, du Code civil.
L'abus de droit peut « résulter de l'exercice d'un droit d'une manière qui dépasse manifestement les limites de l'exercice normal de celui-ci par une personne prudente et diligente ». Tel est le cas lorsque le préjudice causé est sans proportion avec l'avantage recherché ou obtenu par le titulaire du droit.
L'abus de droit ne peut résulter du simple fait que le titulaire du droit tire un avantage de celui-ci.
Le juge ne peut user de son pouvoir modérateur qu'avec une grande réserve : il ne dispose que d'un pouvoir d'appréciation marginale.
Des critères ont ainsi été identifiés pour permettre au juge de déceler l'existence d'un abus, notamment :
  • l'intention exclusive de nuire à son cocontractant ;
  • la volonté de détourner l'exercice d'un droit de sa finalité ;
  • l'exercice sans intérêt ou motif légitime ou sans intérêt raisonnable et suffisant, causant ainsi un dommage à autrui ;
  • le choix, parmi diverses manières d'exercer son droit, même avec des utilités différentes, de l'exercice qui cause un avantage disproportionné par rapport aux inconvénients qui en résultent pour l'autre partie ;
  • le fait pour le titulaire d'un droit de s'en prévaloir après [avoir], par un comportement objectivement inconciliable avec l'exercice normal de ce droit, créé, dans le chef de l'autre partie, la confiance légitime qu'il ne l'exercerait pas.
La sanction de l'abus de droit ne peut être la déchéance totale de ce droit, mais seulement la réduction de celui-ci à un usage normal ou la réparation du dommage que l'abus a causé.
Aucune faute ne peut être reprochée à la banque de ce chef.
Premièrement, l'indemnité de remploi ne constitue que la conséquence d'un choix libre et éclairé éventuellement effectué par la partie demanderesse.
Aussi, la partie demanderesse avait, lors de la conclusion dudit contrat, la possibilité de recourir à d'autres formules proposées par la banque lui permettant soit un remboursement anticipé soumis à l'article 1907bis du Code civil, soit un remboursement anticipé ne comportant aucune indemnité de remploi. Ces autres types d'emprunt comportant cependant un taux d'intérêt plus élevé. Ceci a d'ailleurs été expressément rappelé par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 7 août 2013 et par le tribunal de commerce francophone de Bruxelles dans un jugement subséquent du 28 avril 2015.
Dans la mesure où la partie demanderesse a, en toute connaissance de cause, entendu bénéficier d'un taux d'intérêt plus faible et a souhaité disposer de la certitude que celui-ci demeurerait intangible, elle est particulièrement mal fondée à en critiquer les conséquences y attachées qu'elle connaissait ab initio.
Deuxièmement, la partie demanderesse affirme de manière péremptoire que la banque « va en réalité bien souvent directement réutiliser la somme remboursée pour octroyer un nouveau crédit à un taux avantageux pour elle ».
En réalité, l'indemnité de remploi a un but purement et simplement indemnitaire dans la mesure où l'indemnité de remploi constitue une indemnisation de la banque pour la perte qu'elle encourt à la suite d'un remboursement anticipé, décidé unilatéralement par la partie demanderesse. Ainsi, (i) la banque ne reçoit plus le remboursement des intérêts au taux promis par la créditée, mais (ii) elle doit de son côté continuer à payer sa propre source de financement au taux originairement convenu.
Il échet d'ailleurs de souligner que la faculté de conditionner son accord au paiement d'une indemnité dont la banque détermine librement le montant a été validée notamment par la cour d'appel de Bruxelles.
  • Dans un récent arrêt du 9 mai 2016, la cour d'appel de Bruxelles a encore expressément reconnu que le réinvestissement des fonds après le remboursement anticipé sur le marché interbancaire est une pratique bancaire claire, et qu'il en va de même du calcul de l'indemnité de remploi.
Troisièmement, le caractère prétendument abusif des clauses prévoyant une indemnité de remploi a déjà été fermement rejeté par la jurisprudence.
  • Ainsi, dans un arrêt du 11 avril 2000, la cour d'appel de Bruxelles, confrontée au moyen de l'abus de droit, a rappelé qu'en exigeant le paiement de l'indemnité de remploi, « la banque n'exerce pas son droit d'une manière qui dépasse manifestement les limites de l'exercice normal de celui-ci par un banquier normalement prudent et diligent ».
Partant, la demande doit être déclarée non fondée.
La partie demanderesse avance que la banque aurait agi de mauvaise foi au motif qu'elle ne respecte pas le code de conduite édicté par Febelfin.
Cependant, ledit code est inapplicable rationae temporis dès lors que son article 6 dispose que :

« Le présent code de conduite entrera en vigueur le 1er juin 2010 pour une période d'un an, avec une reconduction tacite automatique chaque fois pour une période d'un an, sous réserve d'une résiliation écrite par une des parties, au moins trois mois avant l'échéance de reconduction ».

L'ouverture de crédit a été conclue le 21 mai 2008 et le crédit d'investissement est daté du 14 juin 2008. Partant, ledit code est inapplicable à la présente espèce.
La S.P.R.L. C.B. soutient également que la clause relative à l'indemnité de remploi constituerait une clause pénale que le juge est en droit de réduire à un juste montant sur la base de l'article 1231 du Code civil.
Suivant cette dernière, l'indemnité de remploi dépasse le préjudice que la partie défenderesse encourt du fait du remboursement anticipé. Cette demande ne peut être accueillie.
12. Comme il a été précisé ci-avant et contrairement aux allégations non démontrées de la partie demanderesse, l'indemnité de remploi permet effectivement de réparer le préjudice souffert par la banque en cas de remboursement anticipé d'un crédit.
La partie demanderesse estime que la limitation de l'indemnité de remploi par le législateur dans le cadre de la loi relative à diverses dispositions concernant le financement des petites et moyennes entreprises (« loi Laruelle ») signifierait qu'une indemnité de remploi équivalant à six mois d'intérêts est une indemnité suffisante à réparer le préjudice subi par l'établissement de crédit. On peine à comprendre le fondement d'une telle affirmation qui n'est aucunement référencée. S'il est certain que le législateur a entendu protéger à l'avenir les petites et moyennes entreprises sur le modèle de l'article 1907bis du Code civil, il est pour le moins fantasque de soutenir que le législateur aurait pour ce faire eu égard au préjudice subi par les établissements de crédit qui est d'une tout autre ampleur. Ceci ne ressort d'ailleurs ni du texte de loi ni de ses travaux préparatoires.
Au contraire, à l'article 9 de ladite loi, le législateur a estimé que pour les crédits aux entreprises dont le montant dépasse un million d'euros, sans préjudice de l'article 1907bis du Code civil, le montant de l'indemnité de remploi est établi contractuellement entre le prêteur et l'entreprise, étant entendu que ce montant doit être en conformité avec les modalités de calcul énoncées à cet égard dans le Code de conduite visé à l'article 10. Force est de constater que l'article 10 du Code de conduite a retenu pour calcul de l'indemnité de remploi le même modus operandi que celui utilisé par la banque.
En tout état de cause, selon la jurisprudence, une banque est libre de déterminer le prix que le client doit payer en contrepartie d'un remboursement anticipé du crédit, peu importe si ce prix surpasse le préjudice effectivement subi.
13. La clause d'indemnité de remploi ne peut aucunement s'assimiler à une clause pénale dans la mesure où elle ne constitue pas la réparation d'un dommage résultant d'un manquement du crédité à ses obligations contractuelles.
Au regard de ce qui précède, l'indemnité de funding loss ne peut être réduite par application de l'article 1231 du Code civil. La demande est partant non fondée.
14. La demanderesse reproche finalement à la concluante d'avoir manqué à son devoir d'information dès lors qu'elle n'aurait pas été en mesure d'apprécier l'étendue de ses obligations et le montant de l'indemnité de remploi.
Préalablement, il convient de rappeler que c'est au client qu'incombe la charge d'apporter la preuve que la banque aurait failli à son obligation d'information.
Le contenu de l'obligation d'information qui pèse sur la banque à l'égard de son client lors de l'octroi d'un crédit dépend de toutes les circonstances de la cause et, en particulier, de la simplicité ou complexité de l'opération bancaire, de la qualité et de l'expérience du client.
Cette obligation cesse lorsque le client est « averti », c'est-à-dire qu'il est légitimement permis de penser qu'il dispose déjà de l'information ou, qu'en raison notamment de sa qualité ou de son expérience, le client n'a en réalité pas besoin de recevoir cette information.
L'exécution de cette obligation peut prendre la forme de la remise par le banquier des conditions générales bancaires ou autres conditions générales applicables à la relation envisagée, rédigées de manière claire et précise.
Corrélativement à cette obligation d'information, il existe également un devoir de s'informer dans le chef du client, compte tenu notamment de ses moyens, de sa qualité et de son expérience.
En l'espèce, aucune faute ne peut être reprochée dans le chef de la banque, les éléments du dossier démontrant que la demanderesse a clairement été informée concernant l'indemnité de remploi.
Comme le précise la clause relative à l'indemnité de remploi, le montant de celle-ci dépend (i) du montant emprunté, (ii) du moment où le remboursement anticipé intervient, apprécié par rapport à l'échéance du crédit et (iii) du taux d'intérêt pratiqué (perte d'intérêts).
Cette clause est présente dans le contrat d'ouverture de crédit et est mentionnée dans trois des quatre pages, de sorte que la demanderesse ne pouvait l'ignorer. Au contraire, celle-ci en a parfaitement pris connaissance, en a accepté les termes et n'a jamais formulé la moindre contestation au cours de ces dernières années. À aucun moment, celle-ci n'a d'ailleurs exprimé le souhait de s'informer plus avant sur l'application de cette clause.
En matière de funding loss, le tribunal de commerce du Hainaut, division de Namur, a récemment rappelé que :

« En supposant que Madame S. ne s'estimait pas suffisamment informée sur la portée exacte de ces modalités de calcul lors de la conclusion du crédit d'investissement, c'est à elle qu'il incombait de s'informer auprès de la banque, de solliciter toute explication et précision » (Comm. Hainaut, 16 juin 2016, inédit, R.G. n° A/15/723).

Il convient, en outre, de rappeler que la demanderesse était représentée par Luc, qui est un homme d'affaires avisé, dont le parcours professionnel et académique lui permet non seulement de comprendre un contrat mais également d'interroger la concluante en cas d'incertitude.
En outre, le crédit octroyé était destiné à refinancer des crédits antérieurement consentis, ce qui démontre que la demanderesse n'est guère novice en la matière.
La demanderesse était donc parfaitement informée des éléments permettant le calcul de l'indemnité de remploi : elle connaissait le montant qu'elle avait emprunté, elle connaissait le montant qu'elle devait encore rembourser, elle connaissait le taux d'intérêt de son crédit.
Par son silence, la demanderesse - dont il convient de rappeler qu'elle n'est pas un consommateur - a laissé entendre qu'elle avait compris et accepté sans réserve les termes et conditions des ouvertures de crédit.
En conséquence, sa demande doit être rejetée.
15. Enfin, c'est en vain que la demanderesse se prévaut de l'arrêt de la Cour de cassation du 24 novembre 2016.
Ainsi qu'elle le souligne à juste titre, cette décision a été prononcée en matière de prêt et n'est donc pas applicable en l'espèce.
En effet, dans un premier temps, dans son appréciation de la fin de non-recevoir qui lui était soumise, la Cour expose que la juridiction de fond « ne constate pas que le crédit d'investissement souscrit par la demanderesse est non un prêt mais une ouverture de crédit ». Autrement dit, la Cour constate que la juridiction de fond n'avait pas expressément qualifié la relation contractuelle liant les parties.
Dans un second temps, la Cour constate que, dans cette relation contractuelle non autrement qualifiée, le remboursement anticipé était exclu par les conditions générales de la banque mais que, nonobstant cette interdiction, il avait été exceptionnellement autorisé par celle-ci moyennant le paiement d'une indemnité de remploi.
Partant, et dès lors qu'il n'appartenait pas à la Cour d'exclure l'hypothèse d'un contrat de prêt à intérêts, il s'agissait de savoir si l'article 1907bis du Code civil avait uniquement vocation à régir les contrats de prêt à intérêts où le remboursement anticipé était prévu ab initio par les parties ou s'il avait également vocation à régir les contrats de prêt à intérêts interdisant purement et simplement le remboursement anticipé mais pour lesquels le préteur en autorisait ultérieurement le remboursement anticipé à des conditions qu'il détermine.
Sur cette question uniquement, l'arrêt dispose que :

« En décidant que l'indemnité de remploi réclamée par la banque ne devrait pas être soumise à la limitation du plafond instauré par l'article 1907bis du Code civil au motif qu'aucun remboursement total ou partiel n'était autorisé, l'arrêt viole la disposition légale précitée ».

Autrement dit, la Cour estime que, en matière de contrat de prêt à intérêts, l'article 1907bis du Code civil doit s'appliquer à toute indemnité réclamée lors du remboursement anticipé, nonobstant l'existence ou non d'un accord ex ante des parties sur cette possibilité.
Une lecture attentive de l'arrêt de la Cour de cassation ne permet aucunement d'en tirer une quelconque conséquence en matière d'ouverture de crédit. En effet, la décision rendue est conditionnée par la possibilité que le contrat sous-jacent puisse être un contrat de prêt à intérêts qui est seul susceptible de rentrer dans le champ d'application de l'article 1907bis du Code civil.
L'enseignement de la Cour de cassation n'est ainsi pertinent que si le contrat litigieux interdit le remboursement anticipé et s'analyse en un contrat de prêt à intérêts, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Dispositif conforme aux motifs.

Siég. :  Mmes M. Swysen, J. Van Elderen et M. L. Niessen.
Greffier : Mme L. Neyts.
Plaid. : MesN. Lissenko et J.-P. Buyle.
N.B. : Pour un arrêt récent dans le même sens, voy. Bruxelles, 13 mars 2018, à paraître in R.D.C., 2019.
Cette décision ainsi que celles qui suivent ont été rendues à propos d'un crédit d'investissement professionnel conclu avant l'entrée en vigueur de la loi du 21 décembre 2013 sur le financement des petites et moyennes entreprises. Cette loi a rendu applicable la limitation de l'indemnité de remploi à six mois d'intérêts (prévue par l'article 1907bis pour les seuls prêts) aux crédits autres que les prêts conclus à dater du 10 janvier 2014 pour autant que leur montant initial ne dépasse pas un million d'euros. Avec la modification opérée par la loi du 21 décembre 2017, le plafond tenant au montant initial du crédit a été porté à deux millions d'euros pour les crédits autres que les prêts conclus à dater du 8 janvier 2018.

 



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Sommaire

L'article 1907 bis du Code civil (CC) ne s'applique qu'aux prêts à l'exclusion des ouvertures de crédit.

S'agissant du financement de l'acquisition d'un immeuble, l'ensemble de la documentation contractuelle révèle l'intention des parties de conclure une ouverture de crédit et non un prêt. Il y est stipulé que la convention litigieuse est un crédit d'investissement s'inscrivant dans le cadre d'une ouverture de crédit et n'étant que l'une de ses formes d'utilisation. Le vocable « crédit » est utilisé à de très nombreuses reprises par les parties dans l'ouverture de crédit, dans la convention de crédit d'investissement et dans l'acte hypothécaire. Le mot « prêt » n'est jamais utilisé. En outre, le crédit d'investissement est régi par les « conditions générales des ouvertures de crédit aux entreprises ». La requalification du contrat ne peut violer la primauté de l'écrit consacrée par l'article 1341 CC. Le caractère réel du prêt est un critère déterminant pour le différencier de l'ouverture de crédit. Le caractère réel du contrat de prêt fait obstacle à toute remise différée, même d'un seul jour, de la chose prêtée. Sans remise, il n'y a pas de contrat et donc pas d'obligation dans le chef de l'une ou l'autre des parties. Tant la période de prélèvement (limitée à un mois) que la finalité du crédit (acquisition d'un immeuble déterminé par le biais d'un prélèvement unique) participent de la modalisation du droit de prélèvement consenti au crédit. Les limitations ainsi apportées ne sont pas incompatibles avec la qualification d'ouverture de crédit. L'ouverture de crédit n'implique pas une liberté absolue de prélèvement. Il n'y a donc pas lieu d'appliquer l'article 1907 bis CC.

Mots-clés

Prêt - Crédit d'investissement - Qualification - Prêt à intérêt versus ouverture de crédit - Critère - Caractère réel versus caractère consensuel - Remboursement anticipé - Indemnité de remploi - Limitation à six mois (non)

Date(s)

  • Date de publication : 25/01/2019
  • Date de prononcé : 12/07/2018

Référence

Tribunal de commerce francophone Bruxelles (16 e chambre), 12/07/2018, J.L.M.B., 2019/4, p. 148-162.

Branches du droit

  • Droit civil > Contrats spéciaux > Prêt > Prêt à intérêt
  • Droit économique, commercial et financier > Droit de la consommation > Droit de la consommation - Droit national > Crédit à la consommation

Éditeur

Larcier

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