Jurisprudence - Droit commercial
Faillite - Conditions - Gérant de société - Aveu de faillite - Mandat constituant une activité professionnelle - Mandat conférant le statut d'entrepreneur - Absence de but économique propre - Critère non exigé par la loi . |
L'exercice d'un mandat indépendant de gérant de société constitue une activité professionnelle afin de procurer à celui-ci un revenu et lui confère la qualité d'entrepreneur.
En exigeant que le gérant poursuive un but économique qui lui soit propre par la livraison de biens ou des prestations de services sur un marché, le juge énonce une condition que la loi ne prévoit pas. Ce gérant peut être déclaré personnellement en faillite si les conditions de fond de la faillite sont réunies.
(Luc )
Vu le jugement prononcé le 8 octobre 2018 par le tribunal de commerce du Brabant wallon.
(...)
III. |
Les faits et antécédents de la procédure |
1. Luc est le gérant statutaire de la S.P.R.L. A., qu'il a constituée le 5 janvier 2017. Les statuts prévoient que le mandat de gérant sera rémunéré ou gratuit suivant décision de l'assemblée générale. Aucune décision de l'assemblée générale n'est produite ; cependant il est établi que Luc perçoit effectivement un « salaire gérant » de 1.400 euros par mois.
2. Il a précédemment été le gérant de la S.P.R.L. F., dont la faillite a été déclarée ouverte par jugement du tribunal de commerce du Brabant wallon le 20 mars 2017.
Aux termes d'un jugement d'accord prononcé le 27 septembre 2016 par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, Luc est tenu solidairement avec la S.P.R.L. F. de payer à la S.A. Belfius un montant provisionnel de 80.000 euros. Ce jugement lui est signifié le 16 février 2017 avec un commandement de payer 80.583,08 euros.
Le 19 mars 2018, Luc est condamné à payer 20.992,03 euros à augmenter des intérêts à Maître Dedobbeleer, curateur de la faillite de la S.P.R.L. F. Ce jugement lui est signifié avec un commandement de payer 23.731,18 euros le 29 mai 2018.
3. Par acte déposé dans le registre central de la solvabilité, le 11 juillet 2018, Luc fait aveu de faillite.
Le 21 août 2018, le tribunal de commerce du Brabant wallon ordonne la réouverture des débats.
Par le jugement entrepris, le tribunal dit pour droit que Luc ne peut être déclaré en faillite.
Luc interjette appel de cette décision qu'il demande à la cour de mettre à néant. Il sollicite qu'il soit dit pour droit qu'il est une entreprise au sens de l'article I.1, alinéa 1er, du Code de droit économique et qu'il soit constaté qu'il est en état de cessation de paiement et d'ébranlement de crédit. Il demande dès lors de déclarer ouverte sa faillite sur aveu, ordonner l'accomplissement des formalités légales et renvoyer la cause devant le tribunal de l'entreprise du Brabant wallon pour la suite des opérations de faillite.
4. Le jugement entrepris a dit pour droit que Luc n'est pas une entreprise au sens du Code de droit économique (ci-après C.D.E.) et qu'il ne pouvait être déclaré en faillite. Il motive sa décision par les considérations suivantes : le fait qu'est une entreprise la « personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre d'indépendant » signifie que cette personne poursuit un but économique qui lui est propre, par la livraison de biens ou prestations de services sur un marché » ; Luc « était actif uniquement auprès de la S.P.R.L. F. en sa qualité de gérant. Il n'avait pas de clients et ne poursuivait dès lors pas sur un quelconque marché un but économique qui lui est propre ».
5. Aux termes de l'article XX.99 du C.D.E., « le débiteur qui a cessé ses paiements de manière persistante et dont le crédit se trouve ébranlé est en état de faillite ».
Aux termes de l'article I.22, 8°, du C.D.E. (au chapitre 14 relatif aux définitions particulières au livre XX), le débiteur est « une entreprise à l'exception de toute personne morale de droit public ».
Aux termes de l'article I.1°, du C.D.E. (inséré par l'article 35 de la loi du 15 avril 2018 portant réforme du droit des entreprises), est une entreprise :
« chacune des organisations suivantes :
(a) toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant;
(...) ».
Cette nouvelle définition se caractérise, selon de nombreux commentateurs, à la fois par son caractère inabouti et sa vocation à s'appliquer très largement. Elle dépasse la notion de commercialité au profit de critères présentés par le législateur comme devant garantir plus de sécurité juridique.
Les trois conditions qu'elle pose sont réunies, en l'espèce.
Luc est une personne physique.
L'activité de gérant est exercée par Luc à titre indépendant ; il a le statut de dirigeant d'entreprise et dirige seul la société ; il est assujetti au régime de sécurité sociale pour travailleurs indépendants.
L'exercice du mandat de gérant par Luc constitue une activité « professionnelle » au sens commun du terme, s'agissant d'un métier et non pas d'une activité exercée à titre d'amateur.
« La neuvième édition du dictionnaire de l'Académie française donne du mot profession la définition suivante : "Métier : activité qu'une personne exerce régulièrement afin de se procurer les moyens nécessaires pour subvenir à son existence" » (W. Derijcke, « Les nouveaux champs d'application du droit de l'insolvabilité », in C. Alter (sous la direction de), Le nouveau droit de l'insolvabilité, Bruxelles, Larcier, 2017, p. 23).
Les travaux préparatoires de la loi du 15 avril 2018 précitée, justifiant l'absence de nécessité de définir l'expression « activité professionnelle », indiquent que :
« le terme "profession" est utilisée (sic) par le législateur depuis 1807 et encore aujourd'hui pour la définition de "commerçant" (« Sont commerçants ceux qui exercent des actes qualifiés commerciaux par la loi et qui en font leur profession habituelle, soit à titre principal, soit à titre d'appoint ») sans que cela soit défini par le législateur » (Projet de loi portant réforme du droit des entreprises, Exposé des motifs, Doc. parl., n° 54-2828/001, p. 11).
L'exercice de son mandat de gérant par Luc est effectué à titre professionnel, en vue de lui procurer son revenu.
En exigeant que Luc poursuive un but économique qui lui est propre, par la livraison de biens ou prestations de services sur un marché, le jugement entrepris a énoncé une condition inexistante.
6. Le passif de Luc s'élève à plus de 100.000 euros. Il déclare n'avoir aucun actif et rien n'indique qu'il pourrait mobiliser à bref délai des liquidités pour faire face à son passif exigible. La cessation des paiements est établie. Eu égard à l'ancienneté des dettes, elle est persistante.
Il a par ailleurs été rappelé que Luc a fait l'objet de deux jugements de condamnation suivis de significations-commandements de la part de la S.A. Belfius et de Maître Dedobbeleer q.q., ce qui indique que ces créanciers ne lui font plus confiance.
Le crédit de Luc est dès lors ébranlé.
7. Il se déduit de ce qui précède que les conditions de la faillite sont réunies et que, par conséquent, l'appel est fondé.
Pour ces motifs, la cour,
Reçoit l'appel et le dit fondé ;
Déclare ouverte sur aveu la faillite de Luc, (...)
Siég. : Mmes M.-Fr. Carlier, Fr. Custers et C. Heilporn.
Greffier : Mme P. Delguste. |
Plaid. : MePh. Dechamps. |