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01/06/2016
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Cour d'appel Liège (10e chambre), 01/06/2016


Jurisprudence - Droit de la famille - Filiation et adoption

J.L.M.B. 17/43
Filiation - Contestation de paternité - Action du père biologique - Intérêt de l'enfant - Connaissance des origines .
L'intérêt de l'enfant doit s'apprécier en fonction de l'objet de l'action et non en fonction des droits dérivés de la filiation.
Le droit au respect de la vie privée de l'enfant sous-tend le droit à la vérité sur ses origines et sur la connaissance qu'il doit avoir de l'existence d'un père biologique et de demi-frères et soeurs.
Il ne peut être considéré que faire droit à la demande de reconnaissance du père biologique lorsqu'un enfant est intégré dans une famille non disloquée et stable constitue une ingérence dans le droit au respect de sa vie familiale et privée.
Il est de l'intérêt de l'enfant de connaître la vérité sur ses origines paternelles et d'établir à cet égard une situation juridique conforme à celle-ci, ce qui permettra à l'enfant de se construire au mieux.

(Aurore et Oscar / Jean-Marc et Me B. Piette, tuteur ad hoc de Cédric )


Vu le jugement prononcé le 6 mai 2015 par le tribunal de la famille de Namur (...)
Antécédents et objet des appels
La cour se réfère à l'exposé des faits du premier juge.
Pour la compréhension du litige, il s'agit de rappeler qu'Aurore et Jean-Marc ont eu une liaison sentimentale de juillet 2005 à avril 2006 et ont loué ensemble un logement qu'ils n'ont occupé que quelques jours en novembre 2005.
Durant cette période, Aurore est enceinte et en informe Jean-Marc.
En avril 2006, suite à la rupture définitive, elle lui demande de s'effacer à l'égard de l'enfant qu'elle porte alors qu'elle reprend la vie commune avec son compagnon Oscar avec lequel elle vivait depuis plus de dix ans et avec lequel elle a une fille née en 2003.
Le 5 mai 2006, Jean-Marc écrit à Aurore et propose de réaliser un test A.D.N. pour déterminer qui est le père biologique de l'enfant.
Le 8 mai 2006, Oscar effectue une reconnaissance de paternité de l'enfant que porte Aurore.
Aurore et Oscar se marient le 16 juin 2006 et Cédric naît le 16 juillet 2006.
Le 12 juillet 2007, Jean-Marc introduit une action en contestation de paternité basée sur l'article 330 du Code civil en citant Aurore et Oscar, et modifie le fondement de sa demande par voie de conclusions en visant l'article 318 du Code civil.
Le jugement, prononcé le 14 mai 2008 par le tribunal de première instance de Namur, dit la demande recevable et ordonne une expertise sanguine.
Les défendeurs interjettent appel du jugement.
Un tuteur ad hoc (Maître Benoît Piette) est désigné le 15 janvier 2009 sur invitation de la cour et fait intervention volontaire à la cause pendante devant la cour de céans le 9 mars 2009.
Par arrêt du 30 juin 2009, la cour de céans confirme le jugement entrepris sous la seule émendation qu'avant de statuer au fond, elle désigne le Docteur Abati pour procéder à une expertise génétique.
Par décision du 19 mars 2010, sur pourvoi des consorts Aurore-Oscar, la Cour de cassation casse l'arrêt prononcé le 30 juin 2009 au motif qu'il n'a pas été prononcé par un juge ayant assisté à toutes les audiences et renvoie la cause devant la cour d'appel de Mons.
Par arrêt du 21 mai 2012, la cour d'appel de Mons confirme le jugement entrepris sous la précision que l'expertise ordonnée doit être une expertise génétique à confier au Docteur Froment.
Cet arrêt est signifié le 11 juin 2012 par la partie Jean-Marc.
Le rapport déposé par le Docteur Froment le 26 juillet 2012 conclut à la paternité de Jean-Marc à l'égard de Cédric à plus de 99,9999 pour cent.
Par arrêt du 29 novembre 2013, la Cour de cassation rejette le pourvoi introduit par les consorts Aurore-Oscar à l'encontre de cet arrêt.
Par requête déposée le 28 mai 2014, les consorts Aurore-Oscar saisissent la Cour européenne des droits de l'homme.
Aux termes du jugement entrepris, le premier juge :
  • dit pour droit que l'enfant Cédric, né à (...) le 16 juillet 2006 n'a pas pour père Oscar ;
  • dit pour droit que l'enfant Cédric, né à (...) le 16 juillet 2006 a pour père Jean-Marc ;
  • dit que, conformément à l'article 333 du Code civil, le dispositif du jugement sera transcrit dans les registres de l'état civil en marge de l'acte de naissance n° 1821 et de l'acte de reconnaissance dressé le 8 mai 2006 ;
  • dit fondée la demande d'indemnisation pour préjudice moral et condamne les consorts Aurore-Oscar à payer 5.000 euros à titre de dommage moral ;
  • condamne les consorts Aurore-Oscar aux dépens de la partie Jean-Marc.
Par leur appel, les consorts Aurore-Oscar sollicitent que l'action originaire soit déclarée non fondée, et à titre subsidiaire, qu'il soit sursis à statuer aux fins de poser à la Cour constitutionnelle les trois questions préjudicielles qu'ils développent en termes de conclusions.
À titre plus subsidiaire, ils sollicitent d'être déchargés de toute astreinte qui serait réclamée par le demandeur originaire, et la compensation des dépens.
Par sa demande incidente, Jean-Marc sollicite que l'indemnisation de son dommage moral soit portée à 8.000 euros.
Le tuteur ad hoc, qui a conclu devant le premier juge que l'intérêt de Cédric était d'être fixé le plus vite possible sur l'identité de son père biologique et de permettre de nouer un lien avec lui, ne dépose pas de conclusions en appel mais confirme oralement que l'intérêt de Cédric est de connaître ses origines sans remettre en cause les liens d'affection existant entre l'enfant et son père légal. (...)
Discussion
1. Les appelants sollicitent que soient posées à la Cour constitutionnelle trois questions préjudicielles, soit :

« L'article 318 du Code civil, dans sa formulation issue des lois des 1er juillet 2006 et 27 décembre 2006, entrées en vigueur le 1er juillet 2007, en tant qu'il autorise la personne qui revendique la paternité de l'enfant à contester la paternité du mari de la mère de cet enfant établie conformément à l'article 315 du Code civil et à substituer sa paternité à la paternité du mari, alors même que la mère et son mari forment, avec l'enfant (et ses éventuels alliés) une famille effective et non disloquée et alors que ni la mère, ni son mari, ni l'enfant ne contestent la paternité du mari, viole-t-il les articles 10, 11, 22 et 22bis de la Constitution belge lus isolément ou en combinaison entre eux ou avec les articles 8, 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 17, 23, alinéa 1er, 23 alinéa 2, 24 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques signé à New York le 19 décembre 1966 ? ».

« L'article 330 paragraphe 1er, du Code civil, dans sa formulation issue des lois des 1er juillet 2006 et 27 décembre 2006, entrées en vigueur le 1er juillet 2007, en tant qu'il autorise l'homme qui revendique la paternité de l'enfant mineur à contester la reconnaissance de paternité faite, du consentement de la mère de l'enfant mineur, avant la naissance de cet enfant, conformément à l'article 329bis, paragraphe 2, du Code civil, par l'homme avec lequel la mère et l'enfant forment une famille effective non disloquée et à substituer sa paternité à celle de cet homme alors que ni la mère, ni l'enfant, ni l'homme ne contestent la paternité issue de cette reconnaissance, viole-t-il les articles 10, 11, 22 et 22bis de la Constitution belge lus isolément ou en combinaison entre eux ou avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 17, 23, alinéa 1er, 23, alinéa 2, 24 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques signé à New York le 19 décembre 1966 ? ».

« Les articles 330, paragraphe 5, 330, paragraphe 3, et 332quinquies, paragraphe 2, du Code civil violent-ils les articles 10, 11 et 12bis de la Constitution lus isolément ou en combinaison avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 3.1 et 12.1 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant en ce qu'ils réservent à la seule mère d'un enfant mineur âgé de moins de 12 ans la possibilité de refuser de consentir à l'établissement de la paternité de l'homme qui en est l'auteur biologique ? ».

L'article 26, paragraphe 2, de la loi du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle prévoit que la juridiction n'est pas tenue de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle lorsqu'elle estime que la disposition du titre II de la Constitution n'est manifestement pas violée.
Quant aux deux premières questions, avec le premier juge, il convient de constater que celles-ci ont été soumises comme telles à la cour d'appel de Mons, laquelle les a rejetées dans son arrêt actuellement coulé en force de chose jugée et que, par ailleurs, il est manifeste que les dispositions légales critiquées ne portent pas atteinte à la Constitution ni aux normes internationales en ce qu'elles instituent le père biologique titulaire d'actions en contestation de reconnaissance de paternité et/ou de présomption de paternité.
Les appelants déclarent situer actuellement leurs questions au niveau du fondement de l'action alors qu'elles les situaient au niveau de la recevabilité devant la cour d'appel de Mons.
Outre le fait que le libellé est identique, admettre la légitimité de ces questions au niveau du fond reviendrait à priver le juge de tout pouvoir d'appréciation quant au fondement de la demande d'un père biologique dès lors que l'on se trouve en présence d'une famille effective et non disloquée.
Or, selon la Cour constitutionnelle :

« Lorsqu'il élabore un régime légal en matière de filiation, le législateur en principe doit permettre aux autorités compétentes de procéder in concreto à la mise en balance des intérêts des différentes personnes concernées, sous peine de prendre une mesure qui ne serait pas proportionnée aux objectifs légitimes poursuivis (...). La Cour européenne des droits de l'homme a précisé que, dans la balance des intérêts en jeu, il y a lieu de faire prévaloir les intérêts de l'enfant » (C.C., 19 mars 2015, n° 38/2015, point B.4.3., p. 8).

Ceci concerne bien le fondement de l'action et non sa recevabilité ; quel est l'intérêt d'ouvrir la recevabilité de l'action au regard du critère de l'effectivité de la cellule familiale si c'est pour la déclarer d'emblée non fondée sur la base du même critère sans permettre au juge d'en apprécier le fondement en fonction des intérêts à la cause et principalement celui de l'enfant ?
La troisième question vise à donner au mineur le droit de s'exprimer dans un litige qui le concerne et ce, dans le cadre du respect à sa vie privée et familiale.
Cette troisième question n'apparaît pas non plus pertinente dans la mesure où un mécanisme existe pour permettre au mineur de s'exprimer et de faire valoir son intérêt propre. L'existence d'un tuteur ad hoc qui représente uniquement l'intérêt de l'enfant a été prévue en droit belge et est effective dans la procédure en cause.
Les appelants reprochent au tuteur ad hoc de donner un avis sans avoir rencontré l'enfant. Ils doivent cependant expliquer comment ce dernier aurait pu rencontrer l'enfant et lui demander son avis dès lors que les appelants ont confirmé à l'audience que l'enfant n'était pas au courant des procédures qui se menaient autour de sa personne et de leur objet.
2. Les appelants invoquent que l'intimé a négligé de contester la paternité d'Oscar telle que celle-ci était issue de la reconnaissance ante natum opérée du consentement de la mère le 8 mai 2006
Cet argument a déjà été invoqué devant la cour d'appel de Mons laquelle y a répondu dans son arrêt du 21 mai 2012 coulé en force de chose jugée en ces termes (p. 6) :

« En page 3 de leurs conclusions déposées devant le premier juge, les appelants écrivaient :

"En termes de citation, le demandeur invoque, comme fondement de son action, l'article 330, paragraphe 3, du Code civil.

Cette disposition ne s'applique cependant pas en l'espèce dans la mesure où elle vise la contestation de la filiation qui est établie par reconnaissance.

Or, en l'espèce, la paternité du concluant à l'égard de Cédric découle de la présomption de paternité du mari institué par l'article 315 du Code civil".

En appel, les appelants ne justifient pas leur revirement.

En outre, l'intimé n'a eu connaissance de l'existence de la reconnaissance de paternité qu'en cours de procédure, cette reconnaissance ne figurant pas dans l'acte de naissance de l'enfant, né dans les liens du mariage intervenu peu de temps avant la naissance : il a, dans le délai utile de sa connaissance, régulièrement remis en cause ladite reconnaissance ».

Les appelants ne sont plus recevables à soulever cet argument.
3. Quant à l'intérêt de l'enfant
La cour se réfère aux judicieux motifs du premier juge qu'elle fait siens ainsi qu'à la jurisprudence et aux auteurs cités sur ce point de sorte que le jugement entrepris sera confirmé.
1. C'est à juste titre que le premier juge a précisé que l'intérêt de l'enfant devait s'apprécier en fonction de l'objet de l'action et non en fonction des droits dérivés de la filiation, et ce conformément à la jurisprudence constante (voy. note subpaginale n° 22, note de G. Mathieu, après Mons, 14 mai 2012, Rev. trim. dr. fam., 2012, p. 807).
Inévitablement, faire droit à la présente action a des conséquences immédiates et concrètes sur la vie quotidienne de l'enfant puisqu'il change de nom et que, par conséquent, il ne portera plus le même nom que le reste de la famille au sein de laquelle il vit.
Quant aux droits dérivés, ils feront l'objet, le cas échéant, de procédures ultérieures dans lesquelles sera pris également en compte l'intérêt de l'enfant.
À cet égard, l'intimé a toujours précisé qu'il n'entendait nullement effacer la cellule familiale dans laquelle vit Cédric. Il entend seulement que son fils puisse intégrer la vie de famille qu'il forme avec ses trois enfants issus d'un premier lit et qu'il héberge une semaine sur deux.
2. Il est admis aujourd'hui, au regard de l'évolution de la matière à travers notamment les arrêts de la Cour constitutionnelle et de la Cour européenne des droits de l'homme, que le juge doit pouvoir faire la balance des intérêts de toutes les parties en présence en accordant une place prépondérante à l'intérêt de l'enfant sans être restreint en aucune manière dans cette appréciation.
Les appelants invoquent qu'il convient de donner priorité à la famille socio-affective et que l'intérêt de Cédric, inséré dans une famille effective et non disloquée, est de voir sa vie privée et familiale actuelle effectivement respectée, conformément aux normes internationales directement applicables en droit belge.
D'une part, il a été relevé, par la cour d'appel de Mons, dans son arrêt du 21 mai 2012, coulé en force de chose jugée et par le premier juge, que les appelants ont, dès le retour d'Aurore auprès de son compagnon Oscar, décidé de créer une cellule familiale de laquelle était exclu l'intimé, en s'appropriant l'enfant, alors qu'ils connaissaient l'intention de l'intimé d'entreprendre des contacts avec l'enfant.
Les documents déposés et la « spirale procédurale » entreprise par les appelants démontrent à suffisance leur volonté de poursuivre leur vie de famille ainsi qu'ils l'ont décidé et la volonté délibérée d'imposer à Cédric un père qui n'est pas le sien en lui cachant, alors que le père biologique a fait savoir dès avant la naissance son intention de s'impliquer dans la vie de l'enfant, la réalité de ses racines.
C'est en vain qu'ils contestent cet état de fait et qu'ils désignent l'intimé comme agissant uniquement par esprit de vengeance, sans véritable intention constructive et affective.
L'intimé, qui a proposé, dès avant la naissance, un test A.D.N. pour que la situation soit claire et qui continue à poursuivre son action entreprise neuf ans plus tôt, démontre à suffisance le sérieux de ses intentions.
Il a précisé en outre devant le premier juge qu'il n'a jamais voulu harceler les consorts Aurore-Oscar, sans quoi il n'aurait pas manqué d'introduire une action en octroi d'un droit aux relations personnelles (article 375bis du Code civil).
Persistant dans une attitude de dénigrement, les appelants invoquent que Jean-Marc est guidé dans sa démarche judiciaire par la fierté, l'orgueil et une soif de vengeance.
Ils ajoutent que « l'acharnement dont fait preuve l'intimé depuis plus de sept ans démontre à suffisance qu'il est tout à fait prêt à mettre en péril l'équilibre et le bonheur de vivre d'un enfant de 8 ans, de sa soeur, de son frère, de toute une famille particulièrement unie et ce, dans l'espoir pourtant vain de régler des comptes entre adultes », faisant ainsi totalement fi de l'attitude dilatoire qui est la leur depuis des années aux fins de se prévaloir au final, en faveur de leur position, du temps écoulé.
La cellule familiale qu'ils invoquent a été créée par eux en ignorant volontairement l'existence du père biologique.
D'autre part, des nombreuses décisions citées par les appelants, il ressort qu'en présence d'une filiation biologique et d'une filiation juridique, si des liens socio-affectifs doivent être protégés, il appartient au juge de concilier les intérêts concurrents en fonction de l'intérêt supérieur de l'enfant, lequel sera apprécié dans chaque cas concret.
Il n'en ressort pas qu'est donné priorité ipso facto à la préservation de la cellule familiale existante dans l'examen de la protection de l'intérêt de l'enfant.
Le droit au respect de la vie privée de l'enfant sous-entend également le droit à la vérité sur ses origines et sur la connaissance qu'il doit avoir de l'existence d'un père biologique et de demi-frères et soeurs.
L'article 7 de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant prévoit que l'enfant a, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux.
L'article 22 de la Constitution dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale et l'article 22bis dispose que l'enfant a droit au respect de son intégrité morale et physique.
C'est au juge qu'il convient d'apprécier quelle solution sera la plus favorable à la proportionnalité et à l'équilibre des droits des parties en fonction de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Dans ces conditions, il ne peut être considéré que faire droit à la demande de reconnaissance du père biologique lorsqu'un enfant est intégré dans une famille non disloquée et stable constitue une ingérence dans le droit au respect de sa vie familiale et privée.
La cour considère qu'il est de l'intérêt de l'enfant de connaître la vérité sur ses origines paternelles et d'établir à cet égard une situation juridique conforme à celle-ci, ce qui permettra à l'enfant de se construire au mieux.
Si la situation est devenue particulièrement délicate en l'espèce, c'est en raison de l'attitude des appelants qui ont pris le parti, dès le départ, de construire une cellule familiale en dépit de la réalité des origines biologiques de l'enfant et de persister dans la négation de celles-ci.

« Le rôle de la justice est de substituer à l'irresponsabilité des adultes l'autorité d'une décision qui ne sera pas idéale car la situation de l'enfant ne l'est pas, mais offrira au moins la sécurité d'une solution compréhensible, lisible, dépourvue d'ambiguïté » (N. Massager et J. Sosson, in Actualités de droit des familles, filiation et Cour constitutionnelle, Formation permanente CUP, vol. 163, p. 112).

3. « La détermination de l'intérêt supérieur (de l'enfant) doit se faire en fonction du court et du long terme » (J. Korczak, « L'intérêt de l'enfant sur le fil », J.T., 2013, n° 6525, p. 433), de sorte que s'il y a lieu d'admettre que sa stabilité familiale va se trouver bouleversée, ceci sera compensé dans l'avenir par la vérité et la transparence qui seront faites sur ses racines, nécessaires à sa construction.
4. Il n'est pas davantage pertinent de la part des appelants de mettre en balance une famille non disloquée avec l'intégration de l'enfant dans une famille qui n'aurait aucun sens et aucune consistance selon eux.
Si l'enfant n'a pas eu de contacts avec son père biologique jusqu'à présent, c'est en raison de l'attitude des appelants.
Par ailleurs, l'intimé a également construit une famille et a ainsi des enfants qu'il accueille en hébergement égalitaire (Elisa, Aline et Louis) et qu'il voudrait présenter à Cédric qui ignore actuellement l'existence de ses demi-frère et soeurs.
5. Les appelants proposent qu'il soit réalisé une étude sociale au cours de laquelle « la voix et la volonté directes et réelles de Cédric pourraient être recueillies ».
La prise en compte de l'intérêt majeur de l'enfant n'implique pas nécessairement l'audition de celui-ci.
Que déduire en effet des propos d'un enfant qui a grandi au sein d'une famille en ignorant tout de l'existence d'un père biologique tiers et à qui on demanderait son avis sur l'entrée inopinée de celui-ci dans sa vie ?
Il s'agirait tout d'abord d'informer Cédric de la situation, lui qui ignore tout de la réalité biologique et des procédures en cours qui le concernent.
Ensuite, comment demander à un enfant de 9 ans son avis sur son intérêt « à long terme » et éviter de faire peser sur lui une responsabilité déplacée ?
Il résulte de ces considérations qu'il n'apparaît pas adéquat dans le cas d'espèce de faire procéder à des devoirs complémentaires aux fins de recueillir la volonté de l'enfant.
Il résulte de ces considérations que tout autre argument n'est pas pertinent à l'issue du présent litige.
C'est à juste titre que le premier juge a décidé qu'il convenait de faire droit à la demande de Jean-Marc, celle-ci étant plus conforme à l'intérêt de l'enfant que celle des consorts Aurore-Oscar. Le premier jugement sera confirmé. (...)

Dispositif conforme aux motifs.

Siég. :  Mme J. Baiverlin.
Greffier : Mme I. Bongartz.
Plaid. : MesN. Gallus, J.-P. Bayer, Fr. Forêt et J. Bouillard.

 



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L'intérêt de l'enfant doit s'apprécier en fonction de l'objet de l'action et non en fonction des droits dérivés de la filiation.

Le droit au respect de la vie privée de l'enfant sous-tend le droit à la vérité sur ses origines et sur la connaissance qu'il doit avoir de l'existence d'un père biologique et de demi-frères et sœurs.

Il ne peut être considéré que faire droit à la demande de reconnaissance du père biologique lorsqu'un enfant est intégré dans une famille non disloquée et stable constitue une ingérence dans le droit au respect de sa vie familiale et privée.

Il est de l'intérêt de l'enfant de connaître la vérité sur ses origines paternelles et d'établir à cet égard une situation juridique conforme à celle-ci, ce qui permettra à l'enfant de se construire au mieux.

Mots-clés

Filiation - Contestation de paternité - Action du père biologique - Intérêt de l'enfant - Connaissance des origines

Date(s)

  • Date de publication : 03/03/2017
  • Date de prononcé : 01/06/2016

Référence

Cour d'appel Liège (10 e chambre), 01/06/2016, J.L.M.B., 2017/9, p. 412-418.

Traduction

Hof van beroep Luik (10de kamer), 01/06/2016

Branches du droit

  • Droit international > Droits de l'homme > Droits de l'homme - CEDH > Respect de la vie privée
  • Droit civil > Filiation > Filiation biologique > Établissement paternité
  • Droit public et administratif > Droit constitutionnel > Droits et libertés - art. 8-32 > Liberté - art. 12-32
  • Droit international > Droits de l'homme > Droits de l’homme - Autres conventions > Droits de l'enfant - Convention de New York du 20 novembre 1989

Éditeur

Larcier

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