Jurisprudence - Généralités
Avocat - Statut - Immunité de plaidoirie - Devoirs de délicatesse, de courtoisie et de dignité - Manquements - Radiation . |
Manque gravement aux principes essentiels de délicatesse, courtoisie et dignité, l'avocat qui motive une requête en récusation d'un magistrat par l'allégation que l'appartenance supposée de ce magistrat à la même confession juive que le père d'un prévenu serait de nature à mettre en doute son impartialité.
(Y. / M.P. )
(...)
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 septembre 2016), rendu sur renvoi après cassation (1re ch. civ., 1er juillet 2015, pourvoi n° 14-20. 134), que Maître Y., avocat, a été poursuivi, devant le Conseil de discipline institué dans le ressort de la cour d'appel de Lyon (le conseil de discipline), à la requête du procureur général près ladite cour d'appel et du bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Lyon (le bâtonnier) pour des manquements à la délicatesse, la modération, la courtoisie et la dignité, après le dépôt, à l'occasion d'une instance pénale, d'une requête en récusation de Monsieur X., vice-président au tribunal de grande instance de Lyon, fondée sur la judaïcité supposée de ce magistrat considéré comme de parti pris en faveur de la prévenue, dont le père était prénommé Moïse, et en défaveur de la partie civile qu'il représentait ; (...)
Attendu que Maître Y. fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que, si le choix de la sanction relève de l'appréciation des juges du fond, au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n'est pas hors de proportion avec la faute commise et qu'elle a pu, dès lors, être légalement prise ; qu'en se bornant à énoncer que les infractions graves ainsi constituées aux dispositions des articles 1.3 du règlement intérieur national et 3.1.5 et 3.1 du règlement intérieur du barreau de Lyon seront sanctionnées par la radiation, la cour d'appel, qui ne s'est prononcée qu'au vu des manquements, a explicitement omis d'exercer le contrôle de proportionnalité auquel elle était invitée à se livrer et se devait d'exercer, a ainsi privé de base légale sa décision au regard des articles 6 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu qu'en relevant la gravité de l'atteinte aux principes essentiels de délicatesse, courtoisie et dignité de la profession, ainsi que l'absence de regret de l'intéressé qui n'a pris conscience ni de l'ineptie de ses propos ni de leur retentissement sur l'ensemble de la profession, ce dont elle a déduit que, par son comportement, celui-ci s'était montré indigne d'exercer la profession d'avocat, la cour d'appel a exercé le contrôle de proportionnalité qui lui incombait ; qu'ayant le choix, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, de prononcer l'une des sanctions prévues par l'article 184 du décret du 27 novembre 1991, elle a légalement justifié sa décision de prononcer la sanction de la radiation ; (...)
Par ces motifs, (...)
Rejette le pourvoi ; (...)
Quatrième moyen de cassation
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Maître Y. de ses demandes tendant à l'annulation des décisions des 10 juillet et 16 octobre 2013 et confirmé la décision du Conseil régional de discipline des barreaux du ressort de la cour d'appel de Lyon du 16 octobre 2013 lui ayant infligé la sanction de la radiation
Aux motifs que
- Sur les manquements :
Il est reproché à Maître Y. d'avoir manqué aux obligations de délicatesse, de modération, de courtoisie et de dignité qui régissent la profession d'avocat tels que rappelés à l'article 1.3 du R.I.N. ainsi qu'à l'honneur de sa profession en portant par les écrits contenus dans sa requête en récusation de Monsieur X. une atteinte inacceptable à la dignité et à l'intégralité morale de ce magistrat et d'avoir contrevenu aux dispositions de l'article 3.1.5 du règlement intérieur du barreau de Lyon selon lesquelles l'avocat doit également s'abstenir : « de toute attaque personnelle superflue ou termes inutilement blessants » dans ses écritures et à l'article 3.1.3 du même règlement qui rappelle que l'avocat « réserve aux juges, dans l'indépendance et la dignité, le respect dû à leur fonction ».
À l'appui du syndrome de « l'inversion accusatoire » dont Maître Y. soutient que sa cliente, partie civile, s'est sentie la victime de la part du président Monsieur X. dont il a en vain sollicité la récusation sur le fondement de l'article 668-9 du Code de procédure pénale, la requête en récusation présentée par l'avocat explique que ce ressenti est notamment lié à des constatations d'ordre patronymique et prénonymique ci-dessus reproduites et que la décision attaquée a justement analysées, tout comme l'ordonnance rejetant la requête en récusation, en un rapprochement entre le nom de famille du juge et le prénom du père de la prévenue de nature à mettre en cause l'impartialité du juge en raison de son appartenance supposée au « peuple juif » tout comme le père de la prévenue.
Un tel raisonnement à l'appui d'une requête en récusation d'un magistrat constitue de la part d'un avocat un manquement grave aux principes essentiels de délicatesse, courtoisie et dignité qui régissent la profession d'avocat à l'honneur de laquelle il porte atteinte puisqu'il laisse entendre que l'appartenance supposée d'un magistrat à la même confession juive que le père d'un prévenu est de nature à mettre en doute son impartialité en raison de ladite appartenance. Il porte ainsi atteinte à la dignité et à l'intégrité morale du magistrat concerné dont la judaïcité supposée est considérée comme ayant des conséquences néfastes sur l'exercice de ses fonctions.
Il constitue également une atteinte personnelle, superflue et blessante à l'égard de ce magistrat alors même que la requête en récusation contenait par ailleurs différents arguments, notamment quant à la possibilité pour le magistrat d'ordonner le renvoi de l'affaire et à son attitude lors de l'audience à l'égard de la partie civile et de son avocat.
En conséquence les infractions graves ainsi constituées aux dispositions de l'article 1.3 du R.I.N. et 3.1.5 et 3.1 du règlement intérieur du barreau de Lyon seront sanctionnées par la radiation de Maître Y. et la sanction accessoire de la publicité et il convient de confirmer la décision déférée du 16 octobre 2013.
Alors que si le choix de la sanction relève de l'appréciation des juges du fond au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n'est pas hors de proportion avec la faute commise et qu'elle a pu dès lors être légalement prise ; qu'en se bornant à énoncer que les infractions graves ainsi constituées aux dispositions de l'article 1.3 du R.I.N. et 3.1.5 et 3.1 du règlement intérieur du barreau de Lyon seront sanctionnées par la radiation, la cour d'appel qui ne s'est prononcée qu'au vu des manquements, a explicitement omis d'exercer le contrôle de proportionnalité auquel elle était invitée à se livrer et se devait d'exercer, a ainsi privé de base légale sa décision au regard des articles 6 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Siég. : Mme Batut. |
Plaid. : MesRicard, S.C.P. Boré, Salve de Bruneton et Mégret. |