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01/12/2016
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Tribunal civil Liège, division de Liège (4e chambre), 01/12/2016


Jurisprudence - Généralités

J.L.M.B. 17/11
Assurances - Protection juridique - Défense pénale - Conflit d'intérêts entre la défense des intérêts civils pris en charge par l'assureur R.C. et la défense pénale de l'assuré - Libre choix de l'avocat - Prise en charge des honoraires par l'assureur .
L'assuré en protection juridique dispose du droit de choisir librement un avocat, notamment lorsqu'un conflit d'intérêts surgit entre lui et son assureur.
S'il est normal que l'assureur qui couvre la responsabilité civile de l'assuré dont il supportera, sous la réserve de la franchise, les conséquences patrimoniales, assure la direction du procès qui relève, en règle de son intérêt propre, la défense pénale mobilise des intérêts d'une autre nature. Les sanctions seront en effet subies personnellement par l'assuré et lorsqu'elles consistent en une peine privative de liberté, même assorties d'un sursis, elles constituent une ingérence radicale dans l'exercice par le condamné de sa liberté individuelle, qui est hors commerce, et doit échapper aux exigences même légitimes de l'arbitrage des intérêts purement privés.
Dans ce cadre, l'assuré doit pouvoir, à tout moment, définir librement avec l'assistance d'un conseil indépendant dans lequel il peut placer sa plus entière confiance, la stratégie de défense la plus adéquate, même si les conséquences civiles devaient s'en trouver aggravées. Pareille liberté n'est pas garantie si l'avocat doit concilier les intérêts éventuellement contraires du prévenu et de l'assureur dans le cadre de la défense pénale et de la défense civile. La circonstance que les stratégies de défense mises en oeuvre soient finalement convergentes est sans incidence sur ce qui précède car c'est à un stade antérieur, celui de la définition des stratégies, qu'il faut éviter que les intérêts éventuellement contraires ne s'influencent dans le chef de l'avocat, même scrupuleux et de bonne foi.
Il en résulte que lorsque l'assureur responsabilité civile et l'assureur protection juridique sont identiques, il existe toujours un conflit d'intérêts entre l'assureur et l'assuré qui est poursuivi pénalement. Partant, dans cette hypothèse, il appartient à l'assureur protection juridique de prendre en charge les honoraires et frais de l'avocat librement choisi par l'assuré pour assurer sa défense pénale.

(Sybille / AMMA Assurances )


(...)
I. Les faits et l'objet du litige
Le litige a pour objet la prise en charge, par l'Association mutuelle médicale d'assurances (ci-après : l'AMMA), des frais et honoraires du conseil personnel de Sybille dans le cadre d'une procédure pénale mue devant la cour d'appel de Liège.
Le tribunal retient à cet égard les éléments suivants :
a. Sybille est médecin. L'AMMA est sa compagnie d'assurance responsabilité civile professionnelle. La police d'assurance contient par ailleurs un volet « protection juridique ».
b. Sybille a été poursuivie pénalement suite au décès, le 5 novembre 2005, du jeune Amaury (articles 418 et 419 du Code pénal).
Dans le cadre de la défense civile et pénale devant la chambre du conseil et devant le tribunal correctionnel, Sybille a été assistée de Maître X., avocat désigné par l'AMMA.
Par un jugement du 15 janvier 2013, le tribunal correctionnel de Liège a reconnu les responsabilités pénale et civile de Sybille dans le décès d'Amaury.
Sybille a formé un appel contre ce jugement. Dans le cadre de la procédure d'appel, elle s'est fait assister de l'avocat de son choix, Maître Jean-Luc Wenric, qui a comparu aux côtés de Maître X., chargé de la défense civile pour le compte de l'AMMA.
Par un arrêt du 6 juin 2014, la cour d'appel de Liège a, réformant le premier juge, acquitté purement et simplement Sybille de la prévention mise à sa charge.
II. Position des parties
a.1. Dans ses conclusions additionnelles, Sybille demande que l'AMMA soit condamnée à prendre en charge le coût de l'intervention de Maître Wenric dans le cadre de la procédure correctionnelle dont elle a été l'objet suite au décès d'Amaury.
Elle demande que l'AMMA soit condamnée à lui payer la somme provisionnelle de 2.762,50 euros, à majorer des intérêts légaux sur la somme de 1.250 euros depuis la date du 9 septembre 2013 jusqu'à complet paiement et sur la somme de 1.512,50 euros depuis la date du 15 mai 2014 jusqu'à complet paiement.
Elle demande encore qu'il soit réservé à statuer quant au surplus et, notamment, quant à l'état d'honoraire définitif et quant aux dépens de la présente procédure.
Elle demande enfin que le présent jugement soit dit exécutoire par provision, nonobstant tout recours, sans caution ni cantonnement.
a.2. À l'audience du 20 octobre 2016, Sybille a demandé que la condamnation soit réduite à la somme d'un euro provisionnel et que le surplus soit réservé.
b. Dans ses conclusions de synthèse, l'AMMA demande que l'action de Sybille soit dite recevable, mais non fondée et que Sybille soit condamnée aux dépens, liquidés à la somme de 780 euros (indemnité de procédure).
III. Discussion
a. En vertu de l'article 156 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, l'assuré en protection juridique dispose du droit de choisir librement un avocat, notamment lorsqu'un conflit d'intérêts surgit entre l'assureur et l'assuré.
Ce principe a été repris dans l'article 20 des conditions générales de la police d'assurance contractée par Sybille auprès de l'AMMA, dans les termes suivants :

« L'assuré a la liberté de choisir pour défendre, représenter ou servir ses intérêts, un avocat ou toute autre personne ayant les qualifications requises par la loi applicable à la procédure :

- lorsqu'il faut recourir à une procédure judiciaire ou administrative ;

- chaque fois que surgit un conflit d'intérêts avec AMMA Assurances. (...)

Si l'assuré décide de changer d'avocat ou d'expert, il supportera lui-même les frais et honoraires supplémentaires qui résulteraient de ce choix, sauf lorsque l'assuré se voit obligé, pour des raisons indépendantes de sa volonté, de changer d'avocat ou d'expert.

Si AMMA Assurances estime anormalement élevés les frais et honoraires des avocats et des experts choisis par l'assuré, celui-ci s'engage, à la demande d'AMMA Assurances à solliciter de l'autorité disciplinaire dont ils dépendent ou du tribunal compétent, qu'il en fixe le montant ».

L'AMMA est à la fois l'assureur R.C. professionnelle de Sybille et son assureur protection juridique.
L'assureur R.C. couvre la responsabilité civile de l'assuré, dont il supportera, sous la réserve de la franchise, les conséquences patrimoniales. Dans ce cadre, il assure la direction du procès, qui relève, en règle, de son intérêt propre.
La défense pénale mobilise cependant des intérêts d'une autre nature. En cas de condamnation, les sanctions seront subies personnellement par le condamné et ne sauraient d'ailleurs en aucun cas être couvertes par l'assureur, même lorsqu'elles revêtent une apparence patrimoniale. Lorsqu'elles consistent en une peine privative de liberté (même assortie d'un sursis), elles constituent une ingérence radicale dans l'exercice par le condamné de sa liberté individuelle, qui est hors commerce, et doit échapper aux exigences même légitimes de l'arbitrage des intérêts purement privés.
Cela implique que l'assuré poursuivi pénalement puisse à tout moment définir librement, avec l'assistance d'un conseil indépendant dans lequel il peut placer sa plus entière confiance, la stratégie de défense la plus adéquate (négociation d'une transaction, demande de suspension du prononcé, plaider coupable, plaidoyer d'acquittement, défense de connivence ou défense de rupture...), même si les conséquences civiles devaient s'en trouver aggravées.
Or, pareille liberté n'est pas garantie si l'avocat désigné doit concilier les intérêts éventuellement contraires de la défense du prévenu et de la défense de l'assureur. Le fait qu'il arrive heureusement souvent que les stratégies de défense effectivement mises en oeuvre soient finalement convergentes importe peu à cet égard, dès lors que c'est à un stade antérieur, celui de la définition-même de ces stratégies, qu'il faut éviter que les intérêts éventuellement contraires ne s'influencent dans le chef de l'avocat, même scrupuleux et de bonne foi.
Il en résulte que lorsque l'assureur R.C. et l'assureur protection juridique sont identiques, il existe toujours un conflit d'intérêts entre l'assureur et l'assuré lorsque ce dernier est poursuivi pénalement.
Sybille, qui a exercé le libre choix de son conseil pour la première fois en degré d'appel, peut, en conséquence, faire supporter les frais et honoraires de celui-ci par l'AMMA, en sa qualité d'assureur protection juridique.
b. Pour les raisons indiquées ci-dessus, il est inutile de rechercher si l'avocat mandaté par l'AMMA en instance pour assurer la défense de Sybille au pénal et au civil a correctement rempli sa mission pénale, y compris en informant la prévenue de la possibilité de solliciter une suspension du prononcé au stade des juridictions d'instruction.
c. L'AMMA sera condamnée à payer à Sybille la somme d'un euro provisionnel.
À la demande de Sybille, le surplus sera réservé et la cause, placée au rôle.

Dispositif conforme aux motifs.

Siég. :  M. F. Abu Dalu.
Greffier : Mme G. Lowis.
Plaid. : MesD. Frère et A. Brichard (loco J.-L. Wenric) et O. Douxchamps.

 



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L'assuré en protection juridique dispose du droit de choisir librement un avocat, notamment lorsqu'un conflit d'intérêts surgit entre lui et son assureur.

S'il est normal que l'assureur qui couvre la responsabilité civile de l'assuré dont il supportera, sous la réserve de la franchise, les conséquences patrimoniales, assure la direction du procès qui relève, en règle de son intérêt propre, la défense pénale mobilise des intérêts d'une autre nature. Les sanctions seront en effet subies personnellement par l'assuré et lorsqu'elles consistent en une peine privative de liberté, même assorties d'un sursis, elles constituent une ingérence radicale dans l'exercice par le condamné de sa liberté individuelle, qui est hors commerce, et doit échapper aux exigences même légitimes de l'arbitrage des intérêts purement privés.

Dans ce cadre, l'assuré doit pouvoir, à tout moment, définir librement avec l'assistance d'un conseil indépendant dans lequel il peut placer sa plus entière confiance, la stratégie de défense la plus adéquate, même si les conséquences civiles devaient s'en trouver aggravées. Pareille liberté n'est pas garantie si l'avocat doit concilier les intérêts éventuellement contraires du prévenu et de l'assureur dans le cadre de la défense pénale et de la défense civile. La circonstance que les stratégies de défense mises en œuvre soient finalement convergentes est sans incidence sur ce qui précède car c'est à un stade antérieur, celui de la définition des stratégies, qu'il faut éviter que les intérêts éventuellement contraires ne s'influencent dans le chef de l'avocat, même scrupuleux et de bonne foi.

Il en résulte que lorsque l'assureur responsabilité civile et l'assureur protection juridique sont identiques, il existe toujours un conflit d'intérêts entre l'assureur et l'assuré qui est poursuivi pénalement. Partant, dans cette hypothèse, il appartient à l'assureur protection juridique de prendre en charge les honoraires et frais de l'avocat librement choisi par l'assuré pour assurer sa défense pénale.

Mots-clés

Assurances - Protection juridique - Défense pénale - Conflit d'intérêts entre la défense des intérêts civils pris en charge par l'assureur R.C. et la défense pénale de l'assuré - Libre choix de l'avocat - Prise en charge des honoraires par l'assureur

Date(s)

  • Date de publication : 27/01/2017
  • Date de prononcé : 01/12/2016

Référence

Tribunal civil Liège, division de Liège (4 e chambre), 01/12/2016, J.L.M.B., 2017/4, p. 184-187.

Traduction

Burgerlijke rechtbank Luik, afdeling Luik (4de kamer), 01/12/2016

Branches du droit

  • Droit économique, commercial et financier > Assurances > Assurances terrestres > Assurances de dommage

Éditeur

Larcier

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