Jurisprudence - Assistance judiciaire
Assistance judiciaire - Preuve de l'insuffisance des moyens - Décision du bureau d'aide juridique - Juge judiciaire lié par cette décision (oui) - Pas d'atteinte à l'indépendance du juge . |
Conformément à l'article 667, alinéa 2, du Code judiciaire, la décision du bureau d'aide juridique octroyant l'aide juridique de deuxième ligne constitue la preuve des moyens insuffisants. Le juge de l'assistance judiciaire est lié par cette décision.
L'indépendance du juge garantie par l'article 151 de la Constitution et l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme ne permet pas au juge de ne pas appliquer une loi pour exercer un contrôle différent de celui que le législateur lui a accordé.
(X. )
La requérante sollicite la réformation de l'ordonnance du 26 avril 2017 du bureau d'assistance judiciaire du tribunal de première instance francophone de Bruxelles (R.G. n° 17/668/1) qui lui a été notifiée le 26 avril 2017.
Par cette ordonnance, ce bureau lui a refusé le bénéfice de l'assistance judiciaire sollicitée en vue d'introduire par requête devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, tribunal de la famille, une action en divorce contre Serge domicilié à (...).
1. L'appel, introduit dans le délai légal, est recevable.
2. La requérante justifie l'insuffisance de ses moyens d'existence au sens de l'article 667, alinéa 2, du Code judiciaire vu qu'elle a obtenu l'aide juridique totalement gratuite par décision du B.A.J. du 11 avril 2017.
Contrairement à ce que décide le bureau du tribunal, cette décision suffit à établir la preuve que la requérante dispose de moyens d'existence insuffisants.
Cette règle découle de l'article 667, alinéa 2, du Code judiciaire, tel que modifié par l'article 16 de la loi du 6 juillet 2016.
L'exposé des motifs de la loi permet d'établir très clairement que la volonté du législateur a été d'harmoniser les conditions d'accès de l'aide juridique de deuxième ligne et de l'assistance judiciaire et de synchroniser les conditions pour en bénéficier. À cette fin, les conditions d'accès ont été uniformisées et le texte de l'alinéa 2 de l'
article 667 du Code judiciaire a été modifié, pour bien faire apparaître que lorsque la décision d'octroi de l'aide juridique de deuxième ligne a été accordée, le juge n'a pas à opérer un second examen des conditions d'insuffisance des moyens d'existence, sauf si la décision est antérieure de plus d'un an (voy. alinéa 3 de l'
article 667 du Code judiciaire), ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
« Ainsi, si le bureau d'aide juridique a octroyé l'aide juridique de deuxième ligne, cette décision constituera la preuve de ressources insuffisantes et s'imposera au bureau d'assistance judiciaire ou au juge si aucune décision n'a encore été rendue à propos de cette dernière. La procédure est donc simplifiée : le demandeur de l'aide juridique de deuxième ligne, s'il obtient le bénéfice de cette dernière, ne devra plus réintroduire les pièces justificatives devant le bureau d'assistance judiciaire ou devant le juge pour prouver sa situation financière. Les conditions d'accès à l'aide juridique et à l'assistance judiciaire étant identiques, il n'y a pas de raison d'imposer un double examen du même critère » (Exposé des motifs, Doc. 54 1819/001, p. 22).
Le législateur ayant opté pour un système dans lequel le juge de l'assistance judiciaire est lié par la décision du B.A.J. en ce qui concerne la condition d'insuffisance des moyens d'existence, il n'appartient pas au juge de remettre en question ce choix. La jurisprudence antérieure du présent bureau n'a plus lieu d'être, au vu du choix législatif clairement opéré.
Le juge doit appliquer la loi, sauf à considérer que celle-ci devrait être écartée par une disposition de droit international supérieure, et sauf, lorsque les conditions en sont remplies, à interroger la Cour constitutionnelle sur une éventuelle contrariété de la loi à la Constitution et/ou à un droit fondamental garanti par une disposition de droit européen ou de droit international (voy. l'article 26, paragraphe 4, de la loi spéciale du 6 Janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle).
Ainsi, le juge ne peut pas, lui-même, refuser d'appliquer une loi au motif qu'elle serait contraire à la Constitution ; le contrôle de constitutionnalité a été confié à la Cour constitutionnelle, ce qui en assure l'uniformité.
L'indépendance du juge garantie par les articles 151, paragraphe 1er, de la Constitution et 6.1. de la C.E.D.H. constitue une garantie du procès équitable pour les justiciables, liée à l'impartialité du juge. Elle est source d'obligations pour le juge (voy. P. Marchal, « Principes généraux du droit », R.P.D.B., Bruxelles, Bruylant, 2014, pp. 144 et s.). Elle n'est pas une prérogative reconnue au juge qui lui permettrait de ne pas appliquer une loi pour exercer un contrôle différent de celui que le législateur lui a attribué.
Le bureau du tribunal n'indique par ailleurs pas les éléments qui lui permettraient, dans le cas d'espèce, de remettre en question l'appréciation réalisée par le B.A.J. et dès lors de devoir réexaminer les documents soumis à celui-ci ou dont il résulterait que la décision du B.A.J. pourrait avoir été la conséquence d'une fraude de la requérante, laquelle ne peut être présumée.
Il résulte de ce qui précède que l'ordonnance entreprise sera réformée, l'insuffisance des moyens d'existence de la requérante étant établie par la désignation du B.A.J. datant de moins d'un an, conformément à l'article 667, alinéa 2, du Code judiciaire.
3. L'ordonnance entreprise a par ailleurs déjà considéré que la cause est « juste » (n'est pas manifestement irrecevable ou mal fondée au sens de l'
article 667 du Code judiciaire).
Par ces motifs, (...)
Déclare l'appel recevable et fondé ;
Accorde à la requérante le bénéfice de l'assistance judiciaire entièrement gratuite pour introduire par requête devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, tribunal de la famille, une action en divorce contre Serge, domicilié (...) et pour procéder à la signification du jugement à intervenir, le tout pendant une durée limitée expirant le 11 avril 2018. (...)
Siég. : Mme C. Verbruggen.
Greffier : Mme M. Melkenbeeck. |
Plaid. : MeM. Gribovschi. |