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13/06/2014
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Cour d'appel Mons (6e chambre), 13/06/2014


Jurisprudence - Droit public et administratif

J.L.M.B. 14/742
I. Preuve - Matières civiles - Rapport d'expertise judiciaire - Opposabilité à une partie tierce à l'expertise.
II. Propriété - Troubles de voisinage - Réceptivité de l'immeuble - Étendue de la compensation.
III. Marchés publics - Exécution - Obligation de souscrire une assurance couvrant la responsabilité civile du pouvoir adjudicateur et les troubles de voisinage - Absence de transfert de responsabilité.
1. Un rapport d'expertise judiciaire peut valoir comme présomption à l'égard d'une partie qui n'a pas participé à l'expertise judiciaire comme peut l'être le rapport d'un conseiller technique.
2. Le propriétaire d'un immeuble qui, par un fait, ou une omission, ou un comportement quelconque, rompt l'équilibre entre les propriétés en imposant aux propriétaires voisins un trouble excédant la mesure des inconvénients ordinaires du voisinage lui doit une juste et adéquate compensation rétablissant l'égalité rompue.
3. Le montant de la compensation ne diffère guère du coût de la réparation ordonnée sur la base de l'article 1382 du Code civil. L'incidence éventuelle d'un coefficient de vétusté et/ou de la réceptivité de l'immeuble endommagé est d'application, comme en cas de responsabilité aquilienne, dès lors que l'indemnisation ne peut dépasser la réparation intégrale du dommage.
L'obligation contractuelle de souscrire une police couvrant les troubles anormaux de voisinage n'entraîne pas le transfert à l'adjudicataire de l'obligation de compenser ces troubles.

(Région wallonne / Frédéric et Renée et S.A. E. et S.A. E. / S.A. F. )


Vu le jugement rendu contradictoirement le 23 novembre 2012, par la quatrième chambre du tribunal de commerce de Charleroi, (...)
Attendu que la cour se réfère à l'exposé du litige et des objets des demandes originaires auquel le tribunal a procédé en rendant le jugement entrepris ;
Attendu qu'il convient toutefois de rappeler les éléments de fait suivants :
  • dans le cadre d'un marché public, la Région wallonne a confié à la S.A. E. des travaux d'aménagement de la berge de la Sambre, à (...) ;
  • une partie des travaux a été sous-traitée à la S.A. F. ;
  • les consorts Frédéric et Renée et les consorts Nathan et Colette sont propriétaires d'habitations, lesquelles longent, par l'arrière, le chemin de halage situé le long de la Sambre, à (...) ;
  • des états des lieux établis, avant et après les travaux, ont révélé l'existence de désordres affectant les immeubles des consorts précités ;
Attendu qu'il convient également de résumer comme suit les antécédents de procédure :
  • les demandes originaires ont été formées par les consorts précités contre l'adjudicataire, lequel a appelé en garantie son sous-traitant ;
  • lesdites demandes ont été étendues à ce dernier ;
  • le tribunal a désigné le sieur Th. Bruyr, ingénieur civil architecte, en qualité d'expert ;
  • celui-ci a déposé son rapport le 22 octobre 2009 ;
  • dans un courrier télécopié, daté du 9 décembre 2009, l'expert a précisé que les dégâts avaient été causés par « les travaux de F. » et que la recherche d'une faute technique éventuelle dans l'exécution des travaux impliquerait de plus amples investigations, extrêmement coûteuses, avec un « très faible espoir d'aboutir à une certitude technique » ;
  • le 12 février 2010, l'expert a déposé un avenant aux conclusions de son rapport, incluant les précisions figurant dans le courrier précité ;
  • le 6 avril 2011, les consorts Frédéric et Renée ont cité la Région wallonne en intervention forcée et ont formé, à l'égard de celle-ci, une demande fondée sur l'article 544 du Code civil ;
  • la Région wallonne a formé une demande en garantie contre l'adjudicataire, fondée sur l'article 38 du cahier spécial des charges ;
  • le jugement entrepris a été rendu le 23 novembre 2012 ;
  • des appels principaux ont été interjetés par la Région wallonne et par l'adjudicataire tandis que les consorts Frédéric et Renée ont formé un appel incident par voie de conclusions ;
  • ces appels sont limités, les consorts Nathan et Colette n'étant d'ailleurs plus à la cause en degré d'appel ;
Attendu que le tribunal a débouté les consorts Frédéric et Renée ainsi que les consorts Nathan et Colette de leurs demandes respectives dirigées contre l'adjudicataire et son sous-traitant ;
Qu'il a dès lors dit la demande en garantie formée par l'adjudicataire contre son sous-traitant, recevable mais non fondée ;
Attendu que le tribunal a fait droit à la demande des consorts Frédéric et Renée, fondée sur l'article 544 du Code civil ;
Que, dans ce contexte, il a condamné la Région wallonne au paiement de la somme de 10.327 euros, majorée des intérêts judiciaires, à partir du 6 avril 2011 ;
Attendu que, selon les motifs du jugement entrepris, le tribunal a débouté la Région wallonne de sa demande en garantie, fondée sur l'article 38 du cahier spécial des charges ;
Attendu que le tribunal a condamné les consorts Frédéric et Renée à la moitié des indemnités de procédure revenant respectivement à l'adjudicataire et à son sous- traitant et leur a délaissé la moitié des frais d'expertise ;
Qu'il a fait de même en ce qui concerne les consorts Nathan et Colette ;
Qu'il a condamné la Région wallonne aux dépens des consorts Frédéric et Renée, liquidés à la somme de 1.431,29 euros représentant le coût de la citation en intervention forcée et l'indemnité de procédure ;
Qu'il a délaissé à l'adjudicataire les frais de sa citation en intervention forcée, dirigée contre son sous-traitant ;
Attendu que la Région wallonne soutient que le montant alloué aux demandeurs originaires est excessif ;
Qu'elle reproche au tribunal d'avoir assimilé la compensation pouvant être accordée sur le pied de l'article 544 du Code civil à la réparation prévue par l'article 1382 du même code et de ne pas avoir tenu compte de la réceptivité de l'immeuble et d'un coefficient de vétusté, sans avoir motivé sa décision à cet égard ;
Attendu que la Région wallonne fait, par ailleurs, grief au tribunal de l'avoir déboutée de sa demande en garantie dirigée contre l'adjudicataire et fondée sur l'article 38 du cahier spécial des charges ;
Attendu que l'appel de l'adjudicataire a été interjeté à titre conservatoire ;
Que celui-ci demande à la cour, en cas de réformation du jugement entrepris, de faire droit à sa demande en garantie dirigée contre son sous-traitant, en ce qui concerne les condamnations qui seraient prononcées contre lui en principal, intérêts et frais, tant à l'égard de la Région wallonne que des consorts Frédéric et Renée ;
Attendu que ces derniers ont formé un appel incident par voie de conclusions ;
Qu'ils reprochent au tribunal de leur avoir délaissé la moitié des frais d'expertise ;
Qu'ils modifient, en degré d'appel, le fondement de leur demande ;
Que celle-ci consiste dès lors à ce que tout ou partie des frais d'expertise, s'élevant en totalité à la somme de 2.285,99 euros, soit mis à charge de la Région wallonne comme constituant « un des éléments de la réparation à laquelle l'auteur du trouble excessif est tenu » ;
Attendu que les appels, principal et incident, ont été interjetés dans les formes et dans les délais légaux ;
Qu'ils sont donc recevables ;
Attendu que la Région wallonne n'a pas été partie à l'expertise judiciaire ;
Qu'en effet, le dépôt du rapport d'expertise est antérieur à la signification à la Région wallonne de la citation en intervention forcée ;
Attendu que c'est toutefois à bon droit que le tribunal a considéré que le rapport d'expertise avait, en ce qui concerne la Région wallonne, la valeur d'une présomption ;
Attendu que les demandeurs originaires produisent, en outre, les états des lieux avant et après les travaux litigieux ainsi que les procès-verbaux de chantier des 21 avril, 28 avril, 11 août et 15 septembre 2006, lesquels mentionnent le risque d'effondrement du mur litigieux et la nécessité de le démolir ;
Attendu que les conclusions du rapport d'expertise, ainsi que le contenu des documents produits par les demandeurs originaires, constituent un ensemble de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes, lesquelles établissent la relation causale entre les travaux litigieux et les désordres constatés par l'expert judiciaire ;
Attendu qu'en vertu de l'article 544 du Code civil, le propriétaire d'un immeuble qui par un fait, une omission ou un comportement quelconque, rompt l'équilibre entre les propriétés en imposant à un propriétaire voisin un trouble excédant la mesure des inconvénients ordinaires du voisinage, lui doit une juste et adéquate compensation, rétablissant l'égalité rompue (Cass., 3 avril 1998, J.L.M.B., 1998, p. 1334) ;
Attendu que, selon l'expert judiciaire, les remèdes aux désordres constatés consistent essentiellement dans la démolition d'un mur de clôture sur une distance au sol de 7,20 mètres et sa reconstruction ;
Que, pour le surplus, il s'agit de l'abattage et de l'évacuation d'un pommier (adossé à ce mur) et de la plantation d'un nouveau pommier (dont coût total 350 euros hors T.V.A.) ;
Qu'il s'agit également de la réparation d'une porte qui « frotte » (dont coût 127 euros hors T.V.A.) ;
Attendu que les désordres qui nécessitent de tels remèdes excèdent manifestement l'équilibre entre les propriétés ;
Que les tâches décrites ci-dessus sont de nature à rétablir cet équilibre ;
Que le coût de celles-ci constitue donc la juste compensation au sens de la disposition précitée ;
Que, dès lors, le montant de la compensation ne diffère guère, en l'espèce, du coût de la réparation qui serait ordonnée si c'était l'article 1382 du Code civil qui trouvait à s'appliquer et si l'étendue de la réparation se limitait aux tâches précitées (à l'exclusion, par exemple, de l'indemnisation d'un préjudice moral) ;
Attendu que cela n'empêche toutefois pas que soit examinée l'incidence éventuelle d'un coefficient de vétusté et/ou de la réceptivité de l'immeuble endommagé ;
Qu'en effet, le juge doit tenir compte de ces paramètres, lorsqu'ils trouvent à s'appliquer, afin précisément d'éviter que la compensation excède le rétablissement de l'équilibre entre les propriétés ;
Qu'il en est d'ailleurs exactement de même en cas de mise en oeuvre de la responsabilité aquilienne, le juge devant veiller à ce que l'indemnisation ne dépasse pas la réparation intégrale du dommage ;
Attendu que l'état des lieux avant travaux renseigne, en ce qui concerne le mur litigieux, des désordres mineurs qui ne permettent pas de retenir une réceptivité de l'immeuble endommagé ;
Qu'il y est, en effet, question de traces d'efflorescences locales, d'évidements de joints et d'une petite fissure (au singulier) ;
Qu'il y est également précisé que le sommet du mur est couvert par un double versant en briques de terre cuite présentant çà et là des éclats ainsi que des joints évidés ;
Attendu que ce document renseigne une lézarde, laquelle ne concerne pas le mur litigieux, mais un mur mitoyen ;
Attendu que la Région wallonne supporte la charge de la preuve des faits qu'elle allègue dans le cadre de sa défense à la demande originaire principale ;
Que tel est le cas en ce qui concerne l'éventuelle réceptivité de l'immeuble endommagé ;
Que si la Région wallonne n'a pas participé à l'expertise judiciaire, elle a eu néanmoins la possibilité de solliciter un complément d'expertise, une nouvelle expertise ou toute autre mesure d'instruction qui lui aurait semblé opportune ;
Attendu que, dans les conclusions de l'expert judiciaire, il n'est pas question de la réceptivité de l'immeuble endommagé ;
Attendu qu'en revanche, il y est question d'un coefficient de vétusté du mur litigieux ;
Qu'à cet égard, les conclusions de l'expert judiciaire sont confortées par l'état des lieux avant travaux lequel renseigne notamment des traces de réfection du mur litigieux datant d'environ dix ans ;
Attendu que l'expert judiciaire a évalué le coefficient de vétusté du mur litigieux à 20 pour cent et a déduit, sur la base de celui-ci, une somme de 1.500 euros ;
Qu'il s'agit certes d'un montant hors T.V.A. ;
Que les demandeurs originaires ont toutefois, eux-mêmes, réclamé et obtenu, relativement à la démolition et à la reconstruction du mur litigieux, un montant hors T.V.A. ;
Attendu que l'expertise judiciaire, même si la Région wallonne n'y a pas participé, s'est avérée indispensable à la mise en oeuvre de la demande fondée sur l'article 544 du Code civil ;
Que le rapport d'expertise ainsi que d'autres documents ont permis d'établir la relation causale entre les travaux litigieux et les désordres affectant l'immeuble des demandeurs originaires ;
Que les conclusions de l'expert judiciaire ont permis d'évaluer le montant de la juste compensation ;
Que l'expertise judiciaire a valeur, à l'égard de la Région wallonne, de présomption ;
Qu'elle s'apparente donc au rapport d'un conseil technique dont les émoluments constitueraient des frais de défense, distincts des honoraires et frais de l'avocat, non inclus dans l'indemnité de procédure et devant dès lors être compris, en tout ou en partie, dans la juste compensation ;
Attendu que c'est vainement que la Région wallonne fait observer que, lors d'une séance d'expertise, un intervenant s'est étonné que le maître de l'ouvrage n'était pas à la cause ;
Qu'en effet, il ne peut être fait grief aux demandeurs originaires d'avoir, dans un premier temps, dirigé leur action contre l'entrepreneur ;
Que, dans ce contexte, il était pour eux difficile de prévoir que l'examen par l'expert judiciaire de la question de savoir si les travaux litigieux avaient été exécutés dans les règles de l'art nécessiterait des investigations particulièrement onéreuses et disproportionnées par rapport à l'enjeu du litige ;
Attendu que la part des frais d'expertise devant être incluse dans la juste compensation revenant aux demandeurs originaires sera évaluée en équité à la somme de 1.500 euros ;
Attendu que l'article 38 du cahier spécial des charges est exempt d'ambiguïté ;
Que celui-ci ne prévoit aucun transfert de responsabilité ;
Qu'il fait obligation à l'adjudicataire de souscrire une assurance couvrant notamment la responsabilité civile du pouvoir adjudicateur ainsi que les troubles de voisinage pour lesquels le pouvoir adjudicateur pourrait être rendu responsable sur la base de l'article 544 du Code civil ;
Que, dans ces deux cas, c'est bien de l'assurance de la responsabilité du pouvoir adjudicateur dont il est question ;
Que l'adjudicataire est donc le preneur d'assurance tandis que, dans les deux circonstances décrites ci-avant, le pouvoir adjudicateur est le bénéficiaire de l'assurance ;
Qu'aucun assureur n'étant à la cause et l'adjudicataire n'ayant pas cette qualité, c'est à bon droit que le tribunal a débouté la Région wallonne de sa demande en garantie ;
Attendu que la société E. a pris le risque d'interjeter appel du jugement entrepris, à titre conservatoire, et de maintenir ainsi son sous-traitant à la cause en degré d'appel, alors qu'elle savait ou devait savoir que le délai d'appel n'avait pas encore commencé à courir, à défaut de signification du jugement entrepris, qu'aucun appel incident n'avait encore été formé, que la cour n'avait à connaître que d'une demande fondée sur l'article 544 du Code civil (et non sur l'article 1382 du même code) et que la question de savoir si les travaux litigieux avaient été exécutés dans les règles de l'art demeurait de toutes façons sans réponse ;
Que la demande en garantie de la Région wallonne étant non fondée, il doit en être de même de l'appel de l'adjudicataire ;
Qu'il ne s'agit donc pas d'un appel sans objet ;
Que l'adjudicataire est donc bien une partie succombante en ce qui concerne son propre appel ;
Que rien ne justifie que la Région wallonne doive garantir l'adjudicataire en ce qui concerne les dépens d'appel de la partie que celui-ci a intimée ;
Attendu qu'enfin, le montant de l'indemnité de procédure doit être fixé en tenant compte de ce que la demande est évaluable en argent.

Dispositif conforme aux motifs.

Siég. :  MM. P. Delatte, Fr. Stevenart Meeûs et B. Bouteiller.
Greffier : Mme C. Vanbel.
Plaid. : MesN. Radelet (loco E. Balate), J. Halbrecq, E. Demols et S. Verva (loco X. D'Hulst).

 



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Un rapport d'expertise judiciaire peut valoir comme présomption à l'égard d'une partie qui n'a pas participé à l'expertise judiciaire comme peut l'être le rapport d'un conseiller technique.  

Le propriétaire d'un immeuble qui, par un fait, ou une omission, ou un comportement quelconque, rompt l'équilibre entre les propriétés en imposant aux propriétaires voisins un trouble excédant la mesure des inconvénients ordinaires du voisinage lui doit une juste et adéquate compensation rétablissant l'égalité rompue.

Le montant de la compensation ne diffère guère du coût de la réparation ordonnée sur la base de l'article 1382 du Code civil. L'incidence éventuelle d'un coefficient de vétusté et/ou de la réceptivité de l'immeuble endommagé est d'application, comme en cas de responsabilité aquilienne, dès lors que l'indemnisation ne peut dépasser la réparation intégrale du dommage. L'obligation contractuelle de souscrire une police couvrant les troubles anormaux de voisinage n'entraîne pas le transfert à l'adjudicataire de l'obligation de compenser ces troubles.

Date(s)

  • Date de publication : 20/01/2017
  • Date de prononcé : 13/06/2014

Référence

Cour d'appel Mons (6 e chambre), 13/06/2014, J.L.M.B., 2017/3, p. 135-140.

Traduction

Hof van beroep Bergen (6de kamer), 13/06/2014

Branches du droit

  • Droit civil > Preuve des obligations > Présomptions
  • Droit judiciaire > Procédure judiciaire > Preuve > Expertise

Éditeur

Larcier

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