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07/01/2015
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Tribunal civil Brabant wallon (1re chambre), 07/01/2015


Jurisprudence - Bail à ferme

J.L.M.B. 17/287
Baux - Bail à ferme - Loi limitant les fermages - Fermage excédant le maximum autorisé - Nullité de la clause contractuelle - Action en répétition - Confirmation de la clause nulle .
Le raisonnement par lequel le juge en arrive à retenir qu'une clause nulle a été confirmée tacitement doit être décisif. Pareille confirmation emportant renonciation à demander remboursement de la partie de fermages excédant le maximum autorisé par la loi peut légitimement se déduire des circonstances de la cause lorsqu'il en résulte que le montant du fermage a été négocié et accepté par les deux parties, que les demandeurs en répétition sont des agriculteurs professionnels parfaitement informés de la législation, que les fermages ont annuellement fait l'objet de décomptes précis qui n'ont jamais fait l'objet d'aucune contestation mais ont, au contraire, été chaque fois suivis du paiement, et qu'aucun doute ne pouvait exister sur la cause de ces paiements. L'acceptation des décomptes intégrant les fermages majorés et l'absence de toute protestation après le paiement du premier fermage ne peuvent s'interpréter que comme une renonciation à se prévaloir de la protection de la loi limitant les fermages.

(Benoît et Philémon / Patrice, Société agricole A.-B., S.A. A. et Société agricole D.-B. )


Vu le jugement prononcé contradictoirement le 5 novembre 2013 par le juge de paix du second canton de Wavre ; (...)
II. Les faits pertinents
Patrice et Marc sont propriétaires d'un ensemble de terres agricoles d'environ deux cent vingt hectares, situées à (...).
Cet ensemble de pâtures et de terres agricoles a été exploité depuis le début 2007 par les frères Benoît et Philémon en association de fait jusqu'au 3 mars 2010. À cette date, Benoît a notifié par pli recommandé une rupture unilatérale de la convention sans préavis. Il a ensuite repris possession des terres.
Par citation du 4 juin 2010, Benoît et Philémon ont cité Patrice et Marc au possessoire pour être autorisés à reprendre possession des terres litigieuses, ce qui a été autorisé par jugement du 18 janvier 2011.
Par citation du 18 février 2012, Benoît et Philémon ont été assignés devant le magistrat cantonal en expulsion pour occupation sans titre ni droit. Ils ont alors introduit une demande reconventionnelle visant à entendre dire pour droit qu'ils étaient titulaires d'un bail à ferme sur les terres litigieuses.
Par jugement du 4 novembre 2011, le juge de paix du second canton de Wavre a fait droit à cette demande reconventionnelle. Cette décision a été confirmée en degré d'appel par jugement du 17 avril 2013 prononcé par ce tribunal autrement composé.
III. L'action originaire et le jugement entrepris
III.1. La demande originaire introduite par Benoît et Philémon avait pour objet d'entendre prononcer la condamnation de Patrice et Marc au paiement de la somme de 200.709,44 euros, représentant la différence entre le fermage légal et la somme effectivement versée.
III.2. Par le jugement entrepris du 5 novembre 2013, le juge de paix a déclaré la demande non fondée et en a débouté Benoît et Philémon.
Cette décision se fondait sur les motifs suivants :

« Les parties conviennent que la législation en matière de fermage est impérative et que la sanction qui frappe les engagements pris en violation de cette législation est la nullité. On comparera avec les articles 24,53 et 56 des règles particulières au bail à ferme qui réputent inexistantes les conventions qui y seraient contraires.

L'article 5 de la loi du 4 novembre 1969 énonce que : "Dans cette mesure où ils dépassent le taux légal, les fermages doivent être restitués au preneur à sa demande. Cette restitution ne s'applique toutefois qu'aux fermages échus et payés des cinq années qui précèdent la demande. L'action du preneur en répétition de ces sommes se prescrit après un an à compter du jour où il aura quitté le bien loué".

Cette disposition n'empêche bien évidemment pas des parties de conclure en connaissance de cause une convention qui permet au bailleur d'obtenir un fermage plus important que le fermage légal. Empêche-t-elle ensuite le preneur de renoncer à la protection qu'elle a pour rôle de jouer et comment peut-on vérifier que ce preneur y a renoncé valablement ?

Dès lors qu'il est admis qu'il s'agit d'une nullité relative, la partie protégée peut renoncer à la protection puisque la nullité absolue suppose la transgression d'une loi d'ordre public que toute partie intéressée peut soulever. Cette nullité peut également être soulevée d'office par le juge.

La partie protégée peut aussi confirmer l'acte nul et démontrer ainsi qu'elle renonce à invoquer la nullité.

Pour renoncer valablement à invoquer cette nullité, il importe que la renonciation soit faite en connaissance de cause du vice qui officie l'obligation. Nous avons vu ci-avant que les demandeurs n'étaient pas des novices dans le milieu agricole et devaient donc pouvoir calculer la valeur locative des terres qu'ils exploitaient et la comparer au prix qu'ils devaient payer.

Pour être valable, la renonciation à la protection ne peut intervenir qu'après la conclusion de la convention mais aussi après survenance de l'événement qui donne lieu à la protection.

Cet événement est unique lorsqu'il s'agit, par exemple, d'un congé irrégulier ou du versement d'un chapeau. Il est alors aisé de déterminer le moment où intervient la renonciation et, en ce qui concerne le chapeau, il faut admettre qu'il est versé dans le seul but d'obtenir le droit d'exploiter et, le cas échéant, d'évincer un autre candidat.

À la différence de ces deux événements, la convention litigieuse impliquait des prestations successives tant en ce qui concerne l'établissement des comptes entre parties que quant à l'exécution des prestations de preneur ou d'entrepreneur selon que l'on prenne le point de vue de l'une ou l'autre des parties.

Il nous paraît difficile d'admettre que les demandeurs n'aient pas, au moins implicitement, renoncé à invoquer la nullité d'une convention dont ils poursuivaient l'exécution dans les mêmes termes sitôt après avoir réglé les comptes qui aboutissaient à ce qui est apparu être des fermages plus importants que ceux que la loi autorisait. Leur renonciation est donc postérieure à l'événement qui donne lieu à la protection, à savoir le paiement d'un surplus au fermage légal.

La demande doit dès lors être déclarée non fondée et il est inutile de nous prononcer sur la réalité du paiement pour l'armée 2009 ».

Benoît et Philémon ont relevé appel de cette décision par requête déposée le 20 novembre 2013.
IV. Objet de l'appel
Aux termes de leurs dernières conclusions, Benoît et Philémon sollicitent du tribunal de :

- « condamner solidairement, indivisiblement et in solidum l'un à défaut de l'autre, les intimés à payer aux concluants la somme de 200.709,44 euros, à majorer des intérêts moratoires et judiciaires à dater de la citation introductive d'instance jusqu'à parfait paiement,

- condamner les défendeurs aux entiers frais et dépens des deux instances, en ce compris l'indemnité de procédure prévue à l'article 1022 du Code judiciaire, liquidés à la somme 5.500 euros ».

Aux termes de leurs dernières conclusions, Patrice et Marc sollicitent du tribunal de confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions.
Ils sollicitent en outre la condamnation des appelants aux dépens d'appel.
V. Motivation du tribunal
V.1. La demande introduite par Benoît et Philémon est une demande en remboursement d'un trop-perçu de fermage et non une demande de remboursement d'un « chapeau » payé avant rentrée sur les terres de sorte que les considérations émises par les parties concernant cette seconde hypothèse apparaissent non pertinentes pour trancher le présent litige.
Il convient également de préciser que la somme réclamée par Benoît et Philémon d'un montant de 200.709,44 euros correspond à des fermages indûment perçus selon eux par Patrice et Marc pour les années 2008 (127.581,59 euros) et 2009 (124.375,95 euros), déduction faite du fermage légal dû pour les années 2011 et 2012, qui n'a pas été payé (2 x 25.624,05 euros).
V.2. Les appelants fondent leur demande sur le prescrit de l'article 5 de la loi du 4 novembre 1969 limitant les fermages, lequel est libellé comme suit :

« Chacune des parties peut demander la révision du fermage d'un bail en cours sur la base fixée aux articles 2, 3 et 4.

Lorsque le preneur demande la révision du fermage d'un bail en cours dont le taux dépasse le maximum ainsi fixé, le bail n'est pas nul, mais le fermage est ramené au montant établi conformément à ces articles.

La demande du bailleur en révision du fermage n'a d'effet que pour les fermages venant à échéance après la date de la notification par lettre recommandée de l'adaptation du fermage.

Dans la mesure où ils dépassent le taux légal, les fermages doivent être restitués au preneur à sa demande. Cette restitution ne s'applique toutefois qu'aux fermages échus et payés des cinq années qui précèdent la demande, l'action du preneur en répétition de ces sommes se prescrit après un an à compter du jour où il aura quitté le bien loué ».

Les appelants soutiennent que s'agissant d'une action en répétition d'indu fondée sur cette disposition qui prévoit expressément que le bail n'est pas nul mais que le fermage est ramené au montant légal, il ne peut être question d'une quelconque confirmation d'une disposition nulle.
Ils affirment également [que] le caractère volontaire du paiement ne peut constituer un obstacle à l'action en répétition d'indu.
V.3. Les appelants ne peuvent être suivis lorsqu'ils affirment devoir faire une distinction entre l'action en nullité et l'action en répétition de l'indu pour en déduire que la confirmation ne peut s'appliquer en l'espèce.
En effet, c'est précisément la nullité qui frappe l'obligation de payer un fermage supérieur au fermage légal [1] qui justifie l'action en répétition que la loi prévoit au profit du preneur [2].
V.4. L'article 5 de la loi du 4 novembre 1969 revêt un caractère impératif [3].
La violation de cette disposition est sanctionnée par une nullité relative.
Il s'en déduit que :
  • rien n'empêche les parties d'y déroger, avec le risque qu'une partie revienne ultérieurement sur cette convention dérogatoire,
  • seules les personnes protégées par cette loi peuvent se prévaloir de la nullité,
  • ces mêmes personnes peuvent renoncer à la protection légale accordée par le législateur en confirmant cette nullité mais après que les droits soient nés [4].
À cet égard, il convient de préciser que

« la confirmation est l'acte juridique par lequel le titulaire d'une action en nullité renonce à invoquer cette nullité et confirme en conséquence, en ce qui le concerne, la validité de l'acte annulable, nonobstant le vice dont il pourrait être atteint » [5].

La confirmation peut être expresse ou tacite. S'agissant de la confirmation tacite, Henri De Page précise que :

« elle est alors indirecte, implicite, et résulte des circonstances, celles-ci ne pouvant s'interpréter que comme impliquant la volonté de confirmer. Rappelons que ce dernier point est essentiel. Il faut, en d'autres termes, que l'induction, le raisonnement du juge, soient décisifs. Dans la pratique, on admet quelquefois trop à la légère les volontés tacites. La validité de la confirmation tacite résulte du texte même de l'article 1338 du Code Civil, qui, après avoir traité de l'acte confirmatif ajoute que l'exécution volontaire, à un moment où les conditions de fond de toute confirmation sont réunies vaut confirmation, à défaut d'acte. L'exécution volontaire n'est d'ailleurs pas le seul mode de confirmation tacite. C'est seulement, comme pour la confirmation expresse, le mode le plus fréquent, le plus habituel. En principe, tout acte, toute attitude dont on peut dire qu'il n'aurait pas été accompli s'il n 'y avait eu volonté de confirmer, peut valoir comme confirmation tacite » [6].

V.5. En l'espèce, il n'est pas contesté que le fermage était payé par la perception par Patrice et Marc des primes PAC, du quota betteravier, des primes agro-environnementales et des primes chicorées selon un décompte établi par la comptable de Patrice et que la somme ainsi perçue par le bailleur à ferme, d'un montant de 150.000 anciens francs belges, était supérieure au fermage légal tel que calculé par Benoît et Philémon, sans que ce calcul ne soit contesté.
Il ressort par ailleurs des explications données par les parties et des pièces déposées que :
  • le montant du fermage a été préalablement négocié et accepté par les deux parties, ainsi que cela résulte des conclusions de synthèse des appelants eux-mêmes dans la cause jugée par ce tribunal autrement composé, portant le numéro de rôle 11/2480A et opposant les mêmes parties [7],
  • Benoît et Philémon sont des agriculteurs professionnels, bien au courant de la législation sur les baux à ferme ; en acceptant un fermage majoré, ils ont agi en connaissance de cause,
  • les fermages des années 2007 et 2008 et les autres créances que les parties en cause pouvaient faire valoir l'une à l'égard de l'autre ont fait l'objet de décomptes précis réalisés par la comptable de Patrice,
  • ces décomptes n'ont fait l'objet d'aucune contestation ; au contraire, ils ont été expressément acceptés puisque le 2 octobre 2008, Benoît et Philémon ont versé à A.-B. la somme de 3.555,63 euros et le 11 mai 2009, la société A. a versé à Benoît et Philémon la somme de 225,85 euros,
  • aucun doute n'existait quant à la cause de ces paiements, les versements portant tous deux la communication « solde décompte »,
  • l'acceptation du décompte intégrant les fermages majorés et l'absence de toute protestation après son exécution en mai 2009 ne peut s'interpréter autrement que comme une renonciation par Benoît et Philémon en toute connaissance de cause à se prévaloir de la protection que la loi leur conférait pour le fermage de l'année 2008,
  • cette renonciation est bien postérieure à l'événement qui donne lieu à la protection, soit le paiement annuel du surplus du fermage légal,
  • aucun décompte n'a été établi par la comptable pour l'année 2009, en raison du litige qui a opposé les parties ; il n'est néanmoins pas contesté que les intimés ont perçu les différentes primes, sans que ne s'élève la moindre contestation de la part des appelants en 2010, dans la continuité de ce qui avait été accepté pour les années 2007 et 2008 en sorte que ceux-ci ont également renoncé en toute connaissance de cause à se prévaloir de la protection que la loi leur conférait pour le fermage de l'année 2009,
  • la preuve d'un paiement indu n'est dès lors pas rapportée,
  • la circonstance que les parties aient été en litige quant à la qualification juridique de la convention qui les liait n'énerve en rien ce raisonnement dans la mesure où dès l'origine, Benoît et Philémon ont soutenu être titulaires d'un bail à ferme moyennant paiement d'un fermage majoré et que rien ne les empêchait d'introduire à titre conservatoire une procédure en restitution des fermages trop perçus s'ils estimaient pouvoir justifier d'un indu.
C'est dès lors à juste titre et pour de judicieux motifs auxquels le tribunal se rallie que le premier juge a déclaré non fondée l'action en répétition formulée par les Benoît et Philémon.
L'appel est dès lors non fondé.
Au regard du raisonnement adopté, il n'y plus lieu de répondre aux autres moyens invoqués par les parties : ils ne sont plus relevants ni pertinents.

Dispositif conforme aux motifs.

Siég. :  Mmes D. Karadsheh, G. Nyssen et D. Depasse.
Greffier : Mme V. Loop Y Fraipont-Tricot.
Plaid. : MesV. Lamal, S. Dehaut (loco B. Demanet et E. Grégoire).

 


[1] Et non la nullité du bail.
[2] V. Lamal, « Fermage et chapeau : la limitation des fermages dépassée ? », Rev. dr. rur., 2012, p. 249.
[3] Cass., 13 janvier 1977, Pas., 1977, I, p. 523 ; Cass., 30 septembre 1998, Pas., 1989, I, p. 119.
[4] P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 341, n° 220 ; G. Benoît, R. Gotzen et R. Rommel (sous la direction de), Le bail à ferme, ouvrage collectif, La Charte, 2009, p. 129.
[5] P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 958, n° 636.
[6] H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, tome II, 2e édition, p. 722, n° 799.
[7] Les conclusions de synthèse des appelants contenaient le passage suivant (c'est le tribunal qui souligne) : « Les concluants exposent que Philémon a négocié dans le courant du mois de janvier 2007 avec Patrice l'exploitation des parcelles litigieuses en vertu d'un bail verbal, moyennant le paiement d'un fermage majoré de 15.000 francs belge de l'hectare pour les prairies et de 30.000 francs belge de l'hectare pour les cultures, soit un montant annuel d'environ 150.000 francs belges, conformément au souhait de Patrice de lui générer un revenu garanti ».


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Le raisonnement par lequel le juge en arrive à retenir qu'une clause nulle a été confirmée tacdivent doit être décisif. Pareille confirmation emportant renonciation à demander remboursement de la partie de fermages excédant le maximum autorisé par la loi peut légitimement se déduire des circonstances de la cause lorsqu'il en résulte que le montant du fermage a été négocié et accepté par les deux parties, que les demandeurs en répétition sont des agriculteurs professionnels parfadivent informés de la législation, que les fermages ont annuellement fait l'objet de décomptes précis qui n'ont jamais fait l'objet d'aucune contestation mais ont, au contraire, été chaque fois suivis du paiement, et qu'aucun doute ne pouvait exister sur la cause de ces paiements. L'acceptation des décomptes intégrant les fermages majorés et l'absence de toute protestation après le paiement du premier fermage ne peuvent s'interpréter que comme une renonciation à se prévaloir de la protection de la loi limitant les fermages.

Mots-clés

Baux - Bail à ferme - Loi limitant les fermages - Fermage excédant le maximum autorisé - Nullité de la clause contractuelle - Action en répétition - Confirmation de la clause nulle

Date(s)

  • Date de publication : 26/05/2017
  • Date de prononcé : 07/01/2015

Référence

Tribunal civil Brabant wallon (1 re chambre), 07/01/2015, J.L.M.B., 2017/21, p. 991-996.

Traduction

Burgerlijke rechtbank Waals-Brabant (1ste kamer), 07/01/2015

Branches du droit

  • Droit civil > Obligations hors contrat > Quasi-contrats > Paiement indu
  • Droit civil > Obligations conventionnelles > Fondements > Renonciation - Rechtsverwerking
  • Droit civil > Contrats spéciaux > Location/louage > Bail à ferme
  • Droit civil > Preuve des obligations > Preuve littérale > Acte récognitif et confirmatif

Éditeur

Larcier

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