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09/11/2016
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Tribunal de commerce francophone Bruxelles (5e chambre), 09/11/2016


Jurisprudence - Droit commercial - Continuité des entreprises

J.L.M.B. 17/260
Continuité des entreprises - Réorganisation judiciaire - Interdiction d'une réduction des créances nées de prestations de travail antérieures à l'ouverture de la procédure de réorganisation - Application aux créances de précompte professionnel de l'État (non) .
L'article 49/1, alinéa 4, de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, qui prévoit que le plan de réorganisation judiciaire ne peut contenir de réduction ou d'abandon des créances nées de prestations de travail antérieures à l'ouverture de la procédure, ne s'applique pas aux créances de précompte professionnel de l'État.

(S.P.R.L. T. / État belge, ministre des Finances )


(...)
Attendu que l'État belge s'oppose à l'homologation du plan en soutenant que sa créance de précompte professionnel doit être assimilée à « une créance née de prestations de travail » au sens de l'article 49/1, alinéa 4, L.C.E., et que toute mesure de réduction ou d'abattement la concernant serait dès lors interdite ;
Que l'État belge se fonde sur les articles 37 et 49/1 de la loi sur la continuité des entreprises et invoque par ailleurs l'arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2014 (en cause D.J. qualitate qua faillite S.A. Atelec c. l'État belge - F.13.0100.F/1) qui enseigne que la créance de rémunération, contrepartie des prestations effectuées en exécution d'un contrat de travail, comprend les montants qui font l'objet d'une retenue par application de l'article 23 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, dont le précompte professionnel, et que la créance de rémunération brute, qui est la contrepartie de cette prestation de travail réalisée au cours de la procédure de réorganisation judiciaire, bénéficie dès lors du statut de dette de la masse ;
Qu'il soutient que le précompte est une prestation effectuée à l'égard du débiteur et que si le précompte professionnel doit être admis comme créance de la masse en matière de faillite, il doit l'être également dans les prestations de travail antérieures à l'ouverture de la faillite dans le cadre d'une procédure de réorganisation judiciaire en vertu de la combinaison des articles 2, 1°, 3bis et 23 de la loi du 12 avril 1965 et des articles 7, 49/1, alinéa 4, de la loi sur la continuité des entreprises, en application duquel « le plan ne peut contenir de réduction ou d'abandon de créances nées de prestations de travail antérieures à l'ouverture de la procédure » ;
Qu'il conclut que, selon l'enseignement de la Cour de cassation, l'article 49/1, alinéa 4, révise implicitement l'alinéa 2 de ce même article et que le plan de réorganisation judiciaire ne peut dès lors pas prévoir d'abattement en principal de sa créance, tant pour les prestations de travail antérieures que pour celles effectuées en cours de sursis ;
Que, par son arrêt du 16 mai 2014, la Cour de cassation s'est prononcée sur la question de savoir si les dettes de précompte professionnel et d'O.N.S.S. peuvent bénéficier de la protection de l'article 37 de la L.C.E. en étant considérées comme des dettes de masse en cas de faillite ultérieure ;
Que l'arrêt de la Cour ne vise pas l'article 49/1 de la L.C.E. mais l'article 37 qui règle le sort des créances se rapportant à des prestations effectuées à l'égard du débiteur lorsque survient la faillite (ou la liquidation de celui-ci), à l'expiration de la procédure de réorganisation judiciaire ;
Que les tribunaux de commerce de Charleroi, Mons et Bruxelles ont toutefois récemment, à bon droit, rejeté l'interprétation donnée par l'administration fiscale à l'article 49/1, alinéa 4, L.C.E. [1] ;
Que la Cour de cassation, dans son arrêt du 27 mars 2015, au sujet du champ d'application de l'article 37 L.C.E., a considéré que celui-ci devait s'interpréter de manière restrictive, contrairement à ce qu'elle avait décidé dans un premier temps dans son arrêt du 16 mai 2014 [2] ;
Attendu que l'État belge estime que Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 24 mars 2016, a tranché dans le sens de ce qu'en vertu de l'article 7 de la L.C.E. et de la loi du 12 avril 1965, il faut conclure que la L.C.E. n'ayant pas prévu de dérogation expresse à cette loi, celle-ci s'applique et que dès lors la rémunération doit être entendue selon l'acception de l'article 3bis de cette loi, à savoir avant imputation des retenues visées à l'article 23, notamment en ce que ladite Cour indique que l'article 49/1, alinéa 4, L.C.E. « interprétée comme visant, la créance fiscale de précompte professionnel, ne peut davantage constituer une forme de privilège pour l'administration fiscale, puisque ce n'est pas cette dernière qui est protégée par la disposition en cause, mais les travailleurs et leur droit à la rémunération, afférente à leurs prestations de travail antérieures à l'ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire » [3] ;
Qu'à juste titre la S.P.R.L. T. indique cependant qu'il convient tout d'abord de relever que comme l'indique la Cour constitutionnelle dans son arrêt :

« Le Conseil des ministres précise, à titre liminaire, que le juge a quo n'invite pas la Cour à définir une interprétation correcte, mais à déterminer si l'interprétation qu'il retient est conforme aux normes invoquées dans la question préjudicielle » [4] ;

Que le rôle de la Cour constitutionnelle n'est, en effet, « pas de dire si cette interprétation est correcte mais d'examiner si la norme ainsi interprétée est compatible avec les articles 10 et 12 de la Constitution. Ce faisant, la Cour n'empiète pas sur les compétences des juridictions de l'ordre judiciaire » [5] ;
Qu'en rendant son arrêt du 24 mars 2016, la Cour constitutionnelle s'est donc limitée à se prononcer sur le caractère discriminatoire d'une interprétation de l'article 49/1, alinéa 4, L.C.E., sans se prononcer sur la question de savoir si cette interprétation correcte du travailleur comprend également le précompte professionnel ;
Que d'ailleurs, la jurisprudence s'est très largement prononcée dans le sens d'une interprétation restrictive du champ d'application de l'article 49/1, alinéa 4, L.C.E. [6] ;
Que la Cour de cassation s'est également prononcée en ce sens, dans un arrêt du 16 juin 2016, en considérant qu'« il ressort des travaux préparatoires que l'intention était de protéger les travailleurs, en sorte que la règle de l'article 49/1, alinéa 4, L.C.E. ne se fonde pas sur la nature de la créance, mais sur la qualité du créancier » ;
Qu'il convient donc de rejeter la demande de l'État belge et d'homologuer le plan déposé dès lors qu'il paraît respecter l'ordre public et les formalités de la loi sur la continuité des entreprises.

Dispositif conforme aux motifs.

Siég. :  MM. Mille, Berlinblau et Waver.
Greffier : M. A. Wolf.
Plaid. : MesN. Ouchinsky, Ph. Szerer et N. Bourgeois.
N.B. : La surprise de la Cour constitutionnelle : revirement à propos de la dette de précompte professionnel née pendant le sursis au regard de l'application de l'article 37 de la loi sur la continuité des entreprises
Par un arrêt prononcé ce 27 avril 2017 [7], la haute juridiction revient sur des considérations qu'elle a émises dans son arrêt du 24 mars 2016 [8] à propos du précompte professionnel retenu sur le salaire du travailleur par son employeur.
La Cour constitutionnelle a été saisie par la cour d'appel de Mons de deux questions préjudicielles.
  • La première porte sur le sort distinct qui est réservé aux différents types de créances se rapportant à des prestations effectuées en période de réorganisation judiciaire selon leur origine légale ou contractuelle. À cette question, la Cour répond négativement (B.12.).
  • La seconde concerne le sort distinct réservé aux différents types de créances de l'administration fiscale se rapportant à des prestations effectuées en période de réorganisation judiciaire.
À l'origine du précédent arrêt du 24 mars 2016, la cour d'appel de Mons, manifestement, insiste pour comprendre les raisons d'établir une différence entre la prise en compte des différents types d'impôts et le sort qui leur est réservé dans le cadre de l'application de la loi sur la continuité des entreprises. Cette persévérance est intrigante d'autant qu'elle accroît l'incertitude et l'insécurité dans la mesure où les arrêts constitutionnels prononcés sont limités à la seule question interprétative du juge a quo.
Dans son arrêt du 24 mars 2016, la Cour constitutionnelle a estimé que le précompte professionnel pouvait être considéré comme une créance née de la prestation de travail du travailleur [9].
À présent, la Cour répète l'erreur de certaines juridictions qui entretiennent des confusions entre, d'une part, les relations contractuelles unissant le travailleur et l'entreprise en difficulté et, d'autre part, l'obligation qui est faite à ce même employeur de procéder aux retenues fiscales et sociales sur le salaire du travailleur [10]. En effet, la haute juridiction précise, en l'espèce, que « pour les mêmes motifs que ceux qui ont conduit à la réponse à la première question préjudicielle (concernant la créance de T.V.A., qui a appelé une réponse négative), il y a lieu de constater qu'il n'est pas nécessaire d'offrir de telles garanties en faveur de l'administration fiscale pour la dette en matière de précompte professionnel puisque l'administration fiscale n'entretient pas de relations commerciales avec le débiteur en question mais que le précompte professionnel constitue, comme la T.V.A., une créance fiscale dont l'administration fiscale est titulaire par la seule application de la loi. Le fait que le précompte professionnel fait partie de la rémunération brute et que cette rémunération constitue la contrepartie des prestations effectuées en exécution d'un contrat de travail au cours de la procédure de réorganisation judiciaire n'y change rien et n'a pas pour conséquence que l'administration fiscale, qui n'a pas effectué elle-même de prestations et dont la relation vis-à-vis du débiteur est déterminée par la loi, puisse être considérée comme un cocontractant de l'entreprise en question auquel des garanties doivent être offertes afin d'encourager des relations contractuelles » (B.15.).
La cour termine en disant : « Par conséquent, la disposition en cause, dans l'interprétation selon laquelle le précompte professionnel peut constituer une "dette de la masse", fait naître une différence de traitement entre les créances de l'administration fiscale qui n'est pas raisonnablement justifiée » (B.15.).
Ajoutons pour être complet que, selon les attendus B.17. et B.18., la Cour considère que « L'article 37, alinéa 1er, en cause peut toutefois recevoir une autre interprétation, selon laquelle le précompte professionnel ne peut constituer une "dette de la masse. Dans cette interprétation, qui n'est contredite ni par le texte de la disposition en cause, ni par ses travaux préparatoires, et qui trouve appui dans deux arrêts du 27 mars 2015 de la Cour de cassation (Pas., 2015, n° 3, pp. 854 et s., et F.14.0157.N), la différence de traitement dénoncée dans la seconde question préjudicielle entre les créances de l'administration fiscale est inexistante de sorte que l'article 37, alinéa 1er, de la L.C.E. est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution ».
Cet arrêt est tout à fait regrettable. Il alimente une polémique inutile car la Cour, dans son arrêt du 24 mars 2016, tout comme dans celui-ci, donne deux interprétations antinomiques de la distinction à opérer entre les créances fiscales. Dans les attendus qu'elle développe, ajoutons qu'elle ne se réfère plus à la loi sur la protection de la rémunération des travailleurs qui pourtant donne la définition de la rémunération, qui est la contrepartie de la prestation que le travailleur réalise au profit de son employeur.
Cet arrêt ne modifie en rien mon opinion développée dans la note d'observation.
À juste titre, le tribunal de commerce de Bruxelles, dans la décision commentée du 9 novembre 2016, a rappelé le rôle de la Cour constitutionnelle qui est d'examiner si la norme telle qu'interprétée est compatible ou non avec les articles 10 et 11 de la Constitution [11]. J'en conclus que cet arrêt du 27 avril 2017 a une portée réduite à la seule interprétation donnée par la cour d'appel de Mons (B.13.).
Quoi qu'il en soit, en raison des divergences déjà soulignées entre nos hautes juridictions, il est de plus en plus difficile pour les magistrats de prononcer des décisions conformes aux législations qu'ils sont censés appliquer et pour les praticiens du droit de conseiller utilement leurs clients dans le respect des prescrits légaux. C'est désolant.

 


[1] Comm. Charleroi, 30 septembre 2014, inédits, B.13.00370 et B.13.00371 ; Comm. Mons, 27 octobre 2014, inédit, R.G. n° 20140012 (P.R.J. La centrale) ; Comm. franc. Bruxelles, 4 février 2015, inédits, R.G. n° H/14/10137 et H/14/10138 (P.R.J. M.G. Productions et P.R.J. Bardafeu).
[2] Cass., 27 mars 2015, R.W., 2015-2016, pp. 1143 à 1144.
[3] C.C., 24 mars 2016, n° 50/2016, 8.14.
[4] C.C., 24 mars 2016, n° 50/2016, A.1.
[5] C.A., 1er mars 2000, n° 26/2000, B.3.
[6] Comm. franc. Bruxelles, 18 février 2015, inédit, R.G. n° H/14/10135 ; Comm. Liège, div. de Namur, 23 mars 2015, inédit, R.G. n° B/14/00242 ; Comm. Liège, div. de Liège, 24 mars 2015, inédit, R.G. n° B/14/100 ; Comm. Hainaut, div. de Charleroi, 30 janvier 2015, inédit, R.G. n° B/14/00187 ; Anvers, 23 avril 2015, inédit, R.G. n° 2015/EV/9 ; Comm. franc. Bruxelles, 7 octobre 2015, inédit, R.G. n° R/15/00035.
[7] Arrêt n° 47/2007, R.G. n° 6368,www.const-court.be .
[8] Arrêt n° 50/2016, commenté sous les points 11 et 25, supra,www.const-court.be .
[9] Point 11 supra.
[10] Point 12 supra.
[11] Point 26 supra.


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Sommaire

L'article 49/1, alinéa 4, de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, qui prévoit que le plan de réorganisation judiciaire ne peut contenir de réduction ou d'abandon des créances nées de prestations de travail antérieures à l'ouverture de la procédure, ne s'applique pas aux créances de précompte professionnel de l'État.

Mots-clés

Continuité des entreprises - Réorganisation judiciaire - Interdiction d'une réduction des créances nées de prestations de travail antérieures à l'ouverture de la procédure de réorganisation - Application aux créances de précompte professionnel de l'État (non)

Date(s)

  • Date de publication : 12/05/2017
  • Date de prononcé : 09/11/2016

Référence

Tribunal de commerce francophone Bruxelles (5 e chambre), 09/11/2016, J.L.M.B., 2017/19, p. 878-881.

Traduction

Franstalige Handelsrechtbank Brussel (5de kamer), 09/11/2016

Branches du droit

  • Droit fiscal > Impôt sur les revenus > Impôt sur les revenus - Précompte et crédit d'impôt > Précompte
  • Droit économique, commercial et financier > Insolvabilité > Réorganisation judiciaire par accord collectif > Élaboration et contenu du plan de réorganisation

Éditeur

Larcier

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