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08/06/2016
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Cour du travail Liège, division de Liège (3e chambre), 08/06/2016


Jurisprudence - Contrat de travail

J.L.M.B. 17/61
I. Prescription - Matières civiles - Office du juge - Action civile résultant d'une infraction.
II. Droit pénal social - Non-paiement de la rémunération - Infraction réglementaire - Délit collectif.
1. Il incombe au juge qui, en examinant la demande qui lui est soumise, relève que les faits invoqués à l'appui de la demande peuvent révéler l'existence d'une infraction, de soulever d'office le moyen de la prescription de l'action civile résultant d'une infraction et d'examiner ce moyen de prescription de façon prioritaire, même si ces faits constituent aussi un manquement contractuel et même si la demande tend à l'exécution d'obligations contractuelles.
2. L'élément moral d'une infraction réglementaire se réduit à la constatation de la simple conscience de commettre une infraction. Celle-ci doit être examinée au plan de l'imputabilité.
En matière d'infraction réglementaire, à défaut qu'une intention spécifique puisse être déterminée, ce qui sera le cas la plupart du temps, il n'est guère possible de retenir la fiction du fait pénal unique fondé sur un dessein criminel unique et persistant, l'unité d'intention étant inconcevable là où l'existence d'une intention déterminée ne peut être retenue.

(Sylvain / S.P.R.L. C. )


Vu le jugement rendu entre parties le 10 décembre 2014 par le tribunal du travail de Liège, division de Liège, sixième chambre (R.G. n° 418.535) ; (...)
II. Les faits
Sylvain a été engagé par la S.P.R.L. dans les liens de contrats de travail d'ouvrier à durée déterminée du 2 août 2005 au 31 octobre 2005 et du 2 novembre 2005 au 31 janvier 2006, puis à partir du 1er février 2006 dans les liens d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'ouvrier boulanger pour des prestations de trente heures par semaine.
Par courrier recommandé du 19 octobre 2012, Sylvain a notifié à la S.P.R.L. un préavis de trente-cinq jours, prenant cours le 28 octobre 2012 de sorte que le contrat a pris fin le 24 novembre 2012.
Par requête déposée le 8 octobre 2013, Sylvain a sollicité condamnation de la S.P.R.L. à lui payer :
  • à titre [de] régularisation de salaire la somme de 16.900,20 euros sous déduction d'un montant net de 5.000 euros versé à titre d'acompte ;
  • à titre de dommage et intérêts pour paiements des impôts sur les arriérés de rémunération comptés sur un seul exercice, la somme provisionnelle d'un euro.
V. Discussion
5.1. Comme l'a justement rappelé le premier juge, l'article 4 de la C.C.T. du 12 novembre 1997, prise au sein de la C.P. n° 118.03 rendue obligatoire par arrêté royal du 18 juin 1998, disposition que l'on retrouve dans les C.C.T. qui lui succèdent les 15 novembre 1998 et 5 mai 2000, rendues obligatoires respectivement par arrêtés royaux des 20 octobre 2000 et 12 juin 2002, définit quatre catégories barémiques susceptibles de concerner la présente cause (...)
Lors de son engagement par la S.P.R.L. à partir du 2 août 2005, Sylvain, qui est titulaire d'un diplôme de l'enseignement secondaire professionnel obtenu après six années d'études dans la section boulanger-pâtissier délivré par l'École d'hôtellerie de Liège le 30 juin 2003 et d'un certificat de qualification obtenu dans la section boulanger-pâtissier, après six années d'études, également délivré le 30 juin 2003 délivré par l'École d'hôtellerie de Liège, devait appartenir à la catégorie barémique 2 déterminée par les C.C.T. précitées et être rémunéré conformément au barème déterminé pour cette catégorie.
De même, à partir du 2 août 2007, Sylvain, qui a deux ans de pratique en tant qu'ouvrier de catégorie 2, doit être rémunéré sur la base du barème prévu pour la catégorie 3 des mêmes C.C.T.
À partir du 2 août 2009, Sylvain a deux ans de pratique et donc d'expérience dans la profession comme deuxième ouvrier en catégorie 3, de sorte qu'il doit appartenir à la catégorie 4, d'une part, comme étant capable d'exercer les différentes fonctions de pâtissier et, d'autre part, comme exerçant la tâche de pétrisseur fournier.
On observe que, dans un décompte établi en décembre 2012, le secrétariat social de la S.P.R.L. régularise la rémunération due à Sylvain en catégorie 4 à partir du mois d'août 2009 et que, dans un courrier du 6 mars 2013, le conseil de la S.P.R.L. précise que la catégorie 4 n'est applicable à Sylvain qu'à partir d'août 2009.
Sylvain dépose à son dossier une pièce particulièrement révélatrice, où le dirigeant de la S.P.R.L. lui donne des instructions sous l'intitulé : « Ceci est la marche à suivre en date du 1er juin 2010 » ; on y trouve, énumérées d'heure en heure à partir de 3 heures du matin, les tâches que doit accomplir Sylvain (identifié in fine à 6 heures du matin par : « Bonjour Sylvain me voil࠻), impliquant notamment l'allumage des fours, l'enfournement de divers produits, le pétrissage des pâtes, la réalisation de tartes au riz, etc., tâches mentionnées : « comme d'habitude ».
Comme le proposait la S.P.R.L. dans l'échange de courrier avec la F.G.T.B. en fin d'année 2012 et début d'année 2013, Sylvain devait être rémunéré sur la base du barème de la catégorie 4 à partir du 20 août 2009 et on doit regretter que les parties n'aient pu s'accorder à ce moment sur la base d'un accord transactionnel qui était proposé.
5.2. La S.P.R.L. soulève le moyen de la prescription de la demande formulée par Sylvain.
Dans un arrêt prononcé le 23 juin 2006, la Cour de cassation siégeant chambres réunies (R.G. n° S.05.0010.F)  [1] a jugé :

« En vertu de l'article 26 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable au litige, l'action civile résultant d'une infraction sera prescrite cinq années révolues à compter du jour où l'infraction a été commise, sans qu'elle puisse l'être avant l'action publique.

Cette disposition s'applique à toute demande tendant à une condamnation qui se fonde sur des faits révélant l'existence d'une infraction, lors même que ces faits constituent également un manquement aux obligations contractuelles du défendeur et que la chose demandée consiste en l'exécution de ces obligations.

12. Il ressort de l'arrêt attaqué du 16 octobre 2003 que l'action du demandeur avait pour objet la condamnation de la défenderesse au paiement d'"arriérés de rémunération pour heures supplémentaires" et que le demandeur a "donné un fondement délictuel à son action (en) se basant sur la (prétendue) infraction de non-paiement de la rémunération" et a invoqué la prescription quinquennale prévue à l'article 26 de la loi du 17 avril 1878.

13. L'arrêt attaqué du 17 août 2004, qui refuse d'examiner la prescription de la demande au regard dudit article 26 au motif que le demandeur persiste "à réclamer (...) l'exécution d'obligations contractuelles et non la réparation du dommage subi par l'infraction invoquée", viole cette disposition légale ».

La motivation de cet arrêt permet de considérer que la Cour de cassation adopte la conception factuelle de l'objet de la demande, confirmant l'enseignement qu'elle avait initié dans un arrêt prononcé le 14 avril 2005 (R.G. n° C.03.0148.F)  [2] (...)
De l'enseignement qui se dégage de l'arrêt précité prononcé le 23 juin 2006 par la Cour de cassation, la cour de céans retient qu'il incombe au juge qui, en examinant la demande qui lui est soumise, relève que les faits invoqués à l'appui de la demande peuvent révéler l'existence d'une infraction, de soulever d'office le moyen de la prescription de l'action civile résultant d'une infraction et d'examiner ce moyen de prescription de façon prioritaire, même si ces faits constituent aussi un manquement contractuel et même si la chose demandée consiste dans l'exécution d'obligations contractuelles.
Effectuant cette démarche, le juge doit identifier la norme pénalement sanctionnée qui lui semble applicable, opérer la qualification des faits qui lui sont soumis en regard de cette norme et déterminer à quel auteur l'infraction peut être imputée.
Si, à l'issue de la démarche précitée, soit à l'occasion de l'une des trois opérations, le juge retient que les faits ne constituent pas une infraction, il doit logiquement écarter l'application de la prescription de l'action civile née d'une infraction et examiner alors l'application de la prescription de l'action contractuelle visée à l'article 15 de la loi du 3 juillet 1978 puisque le moyen de la prescription est en l'espèce soulevé par la S.P.R.L.
Le non-respect des dispositions d'une convention collective de travail rendue obligatoire par arrêté royal constitue une infraction pénale en application de l'article 56 de la loi du 5 décembre 1968.
Les conventions collectives des 12 novembre 1997, 15 décembre 1998 et 5 mai 2000 prises au sein de la C.P. n° 118.03 rendues obligatoires respectivement par arrêtés royaux des 18 juin 1998, 20 octobre 2000 et 12 juin 2002 déterminent le barème de rémunération minimum obligatoire en regard des catégories dans lesquelles peuvent être rangé les travailleurs, de sorte que le non-respect de ce barème minimum constitue une infraction.
La S.P.R.L. n'ayant pas respecté les dispositions des C.C.T. précitées rendues obligatoires par arrêté royal, l'élément matériel de l'infraction est établi.
5.3. En ce qui concerne l'élément moral, indispensable pour que puisse être retenue l'existence d'une infraction, celui-ci se réduit en l'espèce à fort peu de chose.
Comme l'expose F. Kéfer, traitant des infractions réglementaires :

« Les infractions rentrant dans cette catégorie présentent cette caractéristique commune, du point de vue de l'élément moral, qu'elles ne requièrent ni intention, ni faute au sens où on l'entend dans les infractions d'imprudence. Tel est le cas, par exemple de nombreuses infractions au Code de la route, au droit fiscal et économique, mais aussi à la plupart des dispositions du droit du travail.

Les lois qui organisent la répression en cette matière punissent la simple violation matérielle de leur prescription. Elles ne recherchent que l'acte lui-même, le punissent dès qu'il est constaté et ne s'enquièrent ni des causes ni de la volonté qui l'a dirigé » (F. Kéfer, Le droit pénal du travail, la Charte, 1997, n°143).

Citant les arrêts prononcés par la Cour de cassation les 6 novembre 1985 (Pas, 1986 I, p. 261), 10 avril 1970 (Pas., 1970, I, p. 682) et 3 octobre 1994 (J.T., 1995, p. 26 ; Bull., 1994, p. 788 ; J.L.M.B., 1995, p. 616), elle poursuit :

« Ces arrêts énoncent donc sans ambiguïté que la responsabilité pénale n'est subordonnée qu'à deux conditions : la transgression matérielle et l'imputabilité (liberté et conscience), sans qu'aucun élément moral ne soit nécessaire » (ibidem, n° 144).

Et encore : « Les délits prévus par le droit du travail sont donc, sauf disposition expresse contraire, des délits réglementaires ne requérant aucun élément moral particulier. Il n'en va autrement que lorsque le législateur le prévoit » (ibidem, n° 179).

L'élément moral qui peut être retenu en présence d'une infraction réglementaire se réduit dès lors à la constatation de la simple conscience de commettre une infraction, qui doit être examinée au plan de l'imputabilité.
On observera au passage en matière d'infraction réglementaire qu'à défaut que puisse être déterminée une intention spécifique, ce qui sera le cas la plupart du temps, il n'est guère possible de retenir la fiction du fait pénal unique fondé sur un dessein criminel unique et persistant, l'unité d'intention étant inconcevable là où il ne peut être retenu l'existence d'une intention déterminée.
Sylvain, qui d'ailleurs n'identifie en rien ce dessein criminel unique et persistant qui ne peut consister dans la simple répétition de l'acte délictueux, doit en outre établir l'imputabilité de l'infraction à la S.P.R.L. en rencontrant les moyens que celle-ci développe pour faire obstacle à l'imputation.

« Si l'infraction peut être déclarée établie, constituée par le seul accomplissement de l'acte matériel, indépendamment de toute faute ou intention, la responsabilité du prévenu ne peut être retenue que si le juge constate en outre que l'acte peut lui être imputé. Toute infraction, qu'elle soit ou non réglementaire, doit être le résultat de l'activité libre et consciente de son auteur (...). Depuis lors, l'erreur et l'ignorance invincibles ont également été reconnues comme exonératoires de responsabilité en cas d'infraction réglementaires, la Cour de Cassation témoignant par-là de l'exigence d'un élément psychologique, de l'imputabilité pour condamner » (F. Kéfer, Le droit pénal du travail, la Charte, 1997, n° 144).

La S.P.R.L. n'invoque aucun moyen faisant obstacle à l'imputation de l'infraction.
La prescription applicable est celle déterminée par l'article 26 du titre préliminaire du Code d'instruction criminelle, de sorte que l'action introduite par citation du 8 octobre 2013 n'est pas prescrite pour ce qui concerne les montants dus durant la période qui va du 8 octobre 2008 au 24 novembre 2012, mais est par contre prescrite en ce qui concerne les montants dus avant le 8 octobre 2008. (...)
5.4. Sylvain sollicite l'octroi de dommages et intérêts réparant le dommage subi suite à l'imposition des arriérés de rémunération dus par la S.P.R.L., chiffrés à 1 euro provisionnel.
En l'état, Sylvain n'établit pas ce dommage, résultant d'une imposition différée de sa rémunération, ni dans son montant, ni dans son principe.
Le paiement d'arriérés de rémunération suite à la condamnation à intervenir de la S.P.R.L. à payer à Sylvain une régularisation de sa rémunération pour les années 2008 à 2012 emportera nécessairement l'établissement d'un impôt sur ce revenu professionnel à charge de Sylvain, l'existence de cet impôt n'étant pas en soi la conséquence de la faute commise par la S.P.R.L. en n'ayant pas payé à Sylvain sa rémunération barémique, mais uniquement la conséquence des obligations fiscales pesant sur tout citoyen.
S'agissant d'arriérés de rémunération, ils ne seront pas imposés globalement avec les autres revenus de Sylvain, ce qui aurait pour effet d'accroître sa charge fiscale, mais bien imposés distinctement au taux moyen de la dernière année précédant celle au cours de laquelle ces arriérés seront perçus.
Il n'y aurait préjudice pour Sylvain, résultant du paiement différé de ces éléments de rémunération que si l'imposition de ces arriérés au taux moyen de l'année fiscale précédant le paiement était supérieure au montant de l'imposition qu'aurait dû subir le montant de ces arriérés, considérés pour chaque année à laquelle ils se rapportent, se situant alors dans la tranche marginale d'imposition la plus élevée déterminée pour cette année-là.
En l'état rien ne permet d'identifier l'existence d'un tel dommage de sorte qu'il peut tout au plus être donné acte à Sylvain de réserves quant à l'indemnisation éventuelle d'un tel dommage. (...)

Dispositif conforme aux motifs.

Siég. :  MM. A. Havenith, M. Pottier et J. Schneider.
Greffier : M. J. Hutois.
Plaid. : MesM. Brisbois (loco J. George) et Ph. Hansoul.

 


[1] N.D.L.R. : cette revue, 2007, p. 698.
[2] N.D.L.R. : cette revue, 2005, p. 858 et obs. G. De Leval.


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Il incombe au juge qui, en examinant la demande qui lui est soumise, relève que les faits invoqués à l'appui de la demande peuvent révéler l'existence d'une infraction, de soulever d'office le moyen de la prescription de l'action civile résultant d'une infraction et d'examiner ce moyen de prescription de façon prioritaire, même si ces faits constituent aussi un manquement contractuel et même si la demande tend à l'exécution d'obligations contractuelles.  

L'élément moral d'une infraction réglementaire (en l'espèce, le non-paiement de la rémunération) se réduit à la constatation de la simple conscience de commettre une infraction. Celle-ci doit être examinée au plan de l'imputabilité. En matière d'infraction réglementaire, à défaut qu'une intention spécifique puisse être déterminée, ce qui sera le cas la plupart du temps, il n'est guère possible de retenir la fiction du fait pénal unique fondé sur un dessein criminel unique et persistant, l'unité d'intention étant inconcevable là où l'existence d'une intention déterminée ne peut être retenue.

Date(s)

  • Date de publication : 21/04/2017
  • Date de prononcé : 08/06/2016

Référence

Cour du travail Liège, division de Liège (3 e chambre), 08/06/2016, J.L.M.B., 2017/16, p. 734-738.

Traduction

Arbeidshof Luik, afdeling Luik (3de kamer), 08/06/2016

Branches du droit

  • Droit judiciaire > Procédure judiciaire > Principes généraux du droit procédural > Moyen d'office
  • Droit pénal > Titre préliminaire c.i. cr. > Victimes et personnes lésées > Action civile

Éditeur

Larcier

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