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17/01/2017
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Cour d'assises Province de Namur, 17/01/2017


Jurisprudence - Droit pénal et procédure pénale - Délai raisonnable

J.L.M.B. 17/141
I. Droits de l'homme - Procès équitable - Droit au silence - Preuve illégale - Preuves subséquentes - Violation irréparable.
II. Droits de l'homme - Procès équitable - Droit au silence - Dépassement du délai raisonnable - Violation irréparable. .
III. Droits de l'homme - Procès équitable - Atteinte irrémédiable aux droits de la défense - Irrecevabilité des poursuites.
1. Lorsque diverses preuves ont été recueillies consécutivement aux déclarations auto-incriminantes des accusés interrogés en l'absence d'un avocat, la circonstance que ces accusés aient pu, dans la suite de l'enquête, être conseillés par un avocat et contredire les preuves recueillies irrégulièrement ne permet pas de compenser le fait qu'ils n'ont pas été informés de leur droit au silence et de ne pas contribuer à leur propre incrimination et qu'ils n'ont pas eu la possibilité d'être assistés d'un avocat. Cette situation a, en l'espèce, eu un impact irréparable sur leur défense lorsque les preuves irrégulières ont, dans une mesure substantielle, déterminé les suites de l'enquête et son orientation.
2. L'écartement des débats des déclarations auto-incriminantes irrégulièrement obtenues des accusés ainsi que les éléments matériels qui en sont la conséquence ou une décision selon laquelle une éventuelle culpabilité ne pourrait se fonder sur de tels déclarations et éléments matériels seraient parfaitement théoriques compte tenu du dépassement du délai raisonnable et ne permettraient pas de conclure que la liberté des accusés d'organiser leur défense comme ils l'entendent serait restaurée de manière effective : les éléments de preuve irréguliers et les éléments matériels qui en découlent ont orienté la défense des accusés en les confinant dans une stratégie de défense que l'écoulement du temps n'a fait que renforcer.
3. Les poursuites sont irrecevables lorsque, dans les circonstances propres à la cause et en tenant compte de la balance entre, d'une part, la nécessité de garantir l'équité du procès et, d'autre part, les intérêts des victimes et le trouble éventuel à l'ordre social, il n'est plus possible de remédier de manière suffisante à l'atteinte irrémédiable portée aux droits de la défense afin de permettre la tenue d'un procès équitable.

(Raymond et Danielo )


(...)
1. Les principes
1.1. En vertu de l'article 6, paragraphe 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)».

Le délai raisonnable est celui dans lequel une action publique exercée à charge d'une personne doit être jugée ; ce délai prend cours au moment où l'intéressé est « accusé » du chef d'infractions faisant l'objet de l'action publique, c'est-à-dire le jour où la personne se trouve dans l'obligation de fait de se défendre.
Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause, lesquelles commandent une évaluation globale, et eu égard à sa complexité, au comportement du prévenu et à celui des autorités judiciaires ; la durée de la procédure pénale qui doit être appréciée comprend aussi bien celle de l'information que celle de l'examen de la cause devant la juridiction de jugement (notamment Cass., 8 février 2005, R.G. n° P.04.1317.N).
De la seule constatation que le délai raisonnable est dépassé, la juridiction de jugement ne peut déduire que l'action publique est irrecevable (Cass., 24 février 2004, R.G. n° P.03.1148.N), à moins que les preuves n'aient été perdues entre-temps ou que l'exercice des droits de la défense soit devenu impossible en raison de l'écoulement du temps (Cass., 21 juin 2005, R.G. n° P.05.0526.N).
Comme l'écrit justement D. Vandermeersch (« Le contrôle et la sanction du dépassement du délai raisonnable aux différents stades du procès pénal, Rev. dr. pén. crim., 2010, p. 1001), le dépassement du délai raisonnable peut compromettre de façon décisive l'exercice des droits de la défense et/ou rendre impossible l'administration « contradictoire » de la preuve, entraînant ainsi une atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable. Dans cette hypothèse, la juridiction de jugement devra déclarer les poursuites irrecevables.
1.2. Suivant le même article 6, paragraphe 1er :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)».

Notamment, tout accusé a le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; il s'agit de normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable consacrée par l'article 6 de la Convention.
En outre, un prompt accès à un avocat fait partie des garanties procédurales auxquelles la Cour européenne des droits de l'homme prête une attention particulière ; pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6, paragraphe ler,
demeure suffisamment « concret et effectif », il faut, en règle générale, que l'accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit (Cour eur. D.H., Salduz c. Turquie, 27 novembre 2008) [1].
La Cour énonce aussi que l'équité de la procédure requiert que l'accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil : discussion de l'affaire, organisation de sa défense, recherche de preuves à décharge, préparation des interrogatoires, soutien moral ou encore contrôle de ses conditions de détention (Cour eur. D.H., Dayanan c. Turquie, 13 octobre 2009) [2].
Sur le plan de la sanction de l'absence d'avocat, deux enseignements peuvent être déduits de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme :
  • une restriction systématique au droit d'être assisté par un avocat en application des dispositions du droit interne suffit à conclure à un manquement aux exigences de l'article 6 de la Convention (notamment Cour eur. D.H., Dayanan c. Turquie, précité) ;
  • les déclarations auto-incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat ne peuvent être utilisées pour fonder une condamnation sous peine de porter une atteinte irrémédiable aux droits de la défense.
La Cour de cassation a en outre énoncé que l'irrecevabilité des poursuites n'est pas la seule sanction possible d'une violation du droit à l'assistance d'un avocat et qu'il peut être conclu à l'absence de violation de l'article 6 de la Convention, notamment s'il apparaît que les déclarations initiales consenties sans cette assistance n'ont pas été utilisées dans la suite de la procédure (notamment, Cass. 10 avril 2012, R.G. n° P. 12.0604.F).
La Cour de cassation considère par ailleurs qu'il appartient au juge, à la lumière des éléments concrets de la cause, de vérifier si le défaut d'assistance d'un avocat au cours d'une audition par la police ou par le juge d'instruction a irrémédiablement porté atteinte au droit à un procès équitable et aux droits de défense (Cass., 27 novembre 2012, R.G. n° P. 12.1204.N).
1.3. En outre, l'article 6, paragraphe 3, de la Convention prévoit que :

« Tout accusé a droit notamment à : (...)

d. interroger au faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; (...) ».

La Cour européenne des droits de l'homme a indiqué (arrêt Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni, 15 décembre 2011) que l'article 6, paragraphe 3, d, de la Convention consacre la règle selon laquelle, avant qu'un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe être produits devant lui en audience publique, en vue d'un débat contradictoire.
Lorsque les juridictions internes utilisent à titre de preuves les déclarations d'un témoin qui n'a pas comparu et n'a pas été interrogé pendant le procès, la Cour européenne, pour apprécier la compatibilité de la procédure sous l'angle de l'article 6, paragraphes 1er et 3, d, de la Convention, raisonne en trois étapes qui consistent à vérifier :
  • s'il existe un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin et, en conséquence, l'admission à titre de preuve de sa déposition ;
  • si la déposition du témoin absent a constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation ;
  • s'il existe des éléments compensateurs, notamment des garanties procédurales solides, suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense en conséquence de l'admission d'une telle preuve et pour assurer l'équité de la procédure dans son ensemble.
Pour la Cour de cassation, le droit consacré par l'article 6, paragraphe 3, d, de la Convention européenne n'est pas illimité ; sous réserve du respect des droits de la défense, le juge apprécie souverainement s'il y a lieu d'entendre un témoin et si cette audition est nécessaire à la manifestation de la vérité (Cass., 25 septembre 2012, R.G. n° P. 11.2087.N). En l'occurrence, les témoins des faits ou de la culpabilité repris dans l'arrêt du 1er décembre 2016 prononcé suite à l'audience préliminaire ont été considérés comme apparaissant relatifs aux faits et aux questions de la culpabilité des accusés.
1.4. Enfin, le droit à un procès équitable est apprécié au regard de l'ensemble de la procédure.
2. En l'espèce
2.1. Quant au dépassement du délai raisonnable, il résulte du dossier que, si les enquêteurs et les magistrats instructeurs n'ont pas tardé d'une manière injustifiée dans la réalisation de leur travail, il reste cependant qu'un délai de près de quinze ans pour l'accusé Danielo ou de plus de quatorze ans pour l'accusé Raymond qui sépare les arrêts de renvoi du 22 avril 2002 pour le premier et du 7 janvier 2003 pour le second de la présente session d'assises, tout en excluant la durée de la procédure devant la Cour européenne des droits de l'homme (près de six ans pour l'accusé Raymond et plus de cinq ans pour l'accusé Danielo), dépasse manifestement le délai raisonnable dans lequel chacun des accusés pouvait s'attendre à être jugé, sans raison particulière et légitime.
2.2. Quant au droit au silence et à l'assistance d'un avocat, au moment où les accusés Raymond et Danielo ont été privés de liberté, la loi belge ne prévoyait pas la possibilité pour la personne placée en garde à vue d'être assistée d'un avocat lors de l'interrogatoire mené par la police dès le début de la privation de liberté et en cas d'audition par le juge d'instruction.
Par ailleurs, indépendamment de l'état de la législation à l'époque, il n'est pas démontré, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existait des raisons impérieuses de restreindre, pour les accusés, le droit à l'assistance d'un avocat.
Danielo a été convoqué par les enquêteurs le 5 septembre 1996 à 8 heures suite à de nouveaux éléments provenant d'informations obtenues d'une personne désirant garder l'anonymat.
Lors de cette première audition par les enquêteurs, l'accusé n'a pas été informé de son droit au silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination et il n'était pas assisté d'un avocat. Il a été privé de liberté à l'issue de cette audition.
C'est dans ces mêmes conditions (absence d'information de son droit au silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination et non-assistance d'un avocat) qu'ensuite :
  • une perquisition a eu lieu à son domicile,
  • il a été confronté à Carlo,
  • il a été entendu une deuxième fois par les enquêteurs à 17 heures 20,
  • il a été confronté à Christiano,
  • il a été entendu une troisième fois par les enquêteurs à 23 heures 30,
  • il a été confronté à Raymond,
  • il a été interrogé par le juge d'instruction le 6 septembre 1996 à 5 heures 5, et placé sous mandat d'arrêt,
  • il a été entendu une quatrième fois par les enquêteurs à 10 heures, audition au cours de laquelle il fera des déclarations auto-incriminantes et incriminant notamment Raymond,
  • il a indiqué aux enquêteurs l'endroit où les armes ont été jetées par [l'] un des deux tueurs, il a reconnu les armes découvertes à cet endroit et qui lui ont été présentées par les enquêteurs.
Raymond a été privé de liberté le 5 septembre 1996 à 10 heures, lors de son arrivée dans les locaux de la police et de son audition par les enquêteurs. L'accusé n'a pas été informé de son droit au silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination et il n'était pas assisté d'un avocat.
C'est dans ces conditions que :
  • il a donc été entendu par les enquêteurs jusque 13 heures 45,
  • il a été entendu le 6 septembre 1996 à 1 heure 45,
  • il a été entendu le 7 septembre 1996 à 10 heures, audition au cours de laquelle il fera des déclarations auto-incriminantes,
  • il a été confronté avec Christiano, lequel s'auto-incrimine et incrimine notamment Raymond, et Adriano.
Les auditions et devoirs repris ci-dessus, effectués irrégulièrement, ont été utilisés dans la suite de la procédure puisque notamment :
  • les déclarations de Danielo du 6 septembre 1996 font partie des charges à tout le moins suffisantes retenues par la chambre des mises en accusation dans son arrêt du 22 avril 2002 pour justifier le renvoi de l'intéressé devant la cour d'assises, étape de la procédure qui constitue un préalable indispensable à sa comparution, et donc à sa condamnation (comparez Cour eur. D.H. Stojkovic c. France et Belgique) ;
  • de même, les déclarations de Raymond « relatives aux contacts pris pour l'exécution d'un 'contrat' » qu'il a faites aux enquêteurs pour la première fois le 7 septembre 1996 ont été retenues par la chambre des mises en accusation dans son arrêt du 7 janvier 2003 parmi les charges suffisantes justifiant la mise en accusation et le renvoi de l'intéressé devant la cour d'assises, préalable indispensable comme déjà dit ci-dessus.
Diverses preuves ont été recueillies par les enquêteurs consécutivement aux déclarations auto-incriminantes de Danielo interrogé en l'absence d'avocat ; par exemple, les armes ont été découvertes et saisies, des expertises ont été réalisées à leur sujet et de nombreux devoirs ont été effectués pour déterminer leur provenance et leur cheminement grâce auxdites déclarations auto-incriminantes.
Les accusés privés de liberté n'ont pas eu la possibilité d'être assistés d'un avocat et ont, de ce fait, été entravés dans l'exercice de leurs droits de défense durant plusieurs jours, lors de leurs auditions ainsi que pour des actes d'enquête appelant leur collaboration (telles les confrontations), et à un moment crucial de la procédure puisque l'enquête, qui n'avait plus avancé de manière significative depuis un certain temps, a trouvé un nouveau souffle grâce à de nouveaux éléments provenant d'informations obtenues d'une personne désirant garder l'anonymat, éléments ayant donné lieu aux auditions réalisées dans des conditions contraires à la Convention européenne des droits de l'homme et aux preuves matérielles découlant de ces auditions.
Même si les accusés ont pu, dans la suite de l'enquête, être conseillés par un avocat et contredire les preuves recueillies irrégulièrement, la circonstance qu'ils n'ont pas été informés de leur droit au silence et de ne pas contribuer à leur propre incrimination et qu'ils n'avaient pas la possibilité d'être assistés d'un avocat a, en l'espèce, un impact irréparable sur leur défense puisque notamment les preuves irrégulières ont, dans une mesure substantielle, déterminé les suites de l'enquête et son orientation et même déjà participé à la condamnation des accusés en fondant partiellement leur renvoi devant la Cour d'assises.
Les remèdes que pourrait apporter par exemple l'écartement des débats des déclarations auto-incriminantes irrégulièrement obtenues des accusés ainsi que les éléments matériels qui en sont la conséquence ou une décision selon laquelle une éventuelle culpabilité ne pourrait se fonder sur de tels déclarations et éléments matériels, en supposant qu'un tel tri soit possible dans le présent dossier
- ce qui paraît illusoire -, seraient parfaitement théoriques en l'espèce compte tenu du dépassement du délai raisonnable et ne permettraient pas de conclure que la liberté des accusés d'organiser leur défense comme ils l'entendent est restaurée de manière effective ; les éléments de preuve irréguliers et les éléments matériels qui en découlent ont orienté la défense des accusés Danielo et Raymond et les confinent dans une stratégie de défense que l'écoulement du temps n'a fait que renforcer.
2.3. Quant au droit des accusés d'interroger ou de faire interroger les témoins, en raison de l'écoulement du temps encore et du caractère anormalement long de la procédure, vingt-trois témoins sont décédés parmi les témoins apparaissant relatifs aux faits et aux questions de la culpabilité des accusés, dont des témoins déterminants dans le sens étroit rappelé par la Cour européenne des droits de l'homme ; citons, à titre d'exemple, Albert, (décédé le 12 août 2016), Maurice (décédé le 18 décembre 2009), Hubert (décédé le 16 septembre 2006), Luc (décédé le 29 mars 2005) ou Charles (décédé le 19 juillet 2006).
Il existe nécessairement un motif sérieux justifiant la non-comparution de témoins décédés.
Il reste néanmoins que, dans les circonstances propres à la présente affaire, il n'existe pas d'éléments compensateurs suffisants qu'il est encore possible de mettre en oeuvre à ce stade de la procédure et de nature à contrebalancer les difficultés causées à la défense ainsi que pour assurer l'équité de la procédure dans son ensemble.
2.4. Le dépassement du délai raisonnable compromet en la présente cause, de façon décisive, l'exercice des droits de la défense et rend impossible l'administration contradictoire de la preuve dès lors que les accusés n'ont plus la possibilité de faire valoir, de manière réelle et effective, des moyens de défense et de présenter toutes demandes utiles au jugement de la cause et plus spécialement des éléments de preuve à décharge à propos d'une enquête clôturée il y a plus de dix-sept ans.
Les accusés ont certes pu, pendant l'instruction, demander l'exécution de tous les devoirs qu'ils estimaient utiles, mais compte tenu des considérations ci-dessus quant aux éléments de preuve recueillis de manière irrégulière et/ou qui ne sont plus susceptibles d'un débat contradictoire dans le respect de l'oralité des débats, de nouveaux devoirs pourraient s'avérer nécessaire et les accusés pourraient estimer utile d'en solliciter, dès lors notamment que l'irrégularité de certaines preuves est constatée plus de vingt [ans] après qu'elles aient été recueillies, nouveaux devoirs qui seraient vains vu le temps écoulé.
2.5. Il résulte des considérations qui précèdent que le caractère équitable de la procédure prise dans sa globalité ne peut plus être assuré en raison des éléments relevés ci-dessus pris dans leur ensemble :
  • les déclarations auto-incriminantes des accusés recueillies sans l'assistance d'un avocat ont été utilisées dans la suite de la procédure et pour recueillir d'autres éléments de preuve,
  • ces déclarations et les éléments matériels qui en sont la conséquence ne permettent plus aux accusés d'exercer librement leur défense,
  • les déclarations des témoins déterminants décédés ne sont plus susceptibles d'être soumises à la contradiction dans le respect de l'oralité des débats,
  • et compte tenu du dépassement du délai raisonnable, l'exercice normal des droits de la défense des accusés est irrémédiablement compromis dès lors qu'ils n'ont plus la possibilité effective, réelle et concrète de faire valoir des moyens de défense et de présenter toutes demandes utiles au jugement de la cause et plus spécialement des éléments de preuve à décharge à propos d'une enquête clôturée il y a plus de dix-sept ans.
Pour conclure, dans les circonstances propres à la présente cause et en tenant compte de la balance entre, d'une part, la nécessité de garantir l'équité du procès et, d'autre part, les intérêts des victimes et le trouble éventuel à l'ordre social, il n'est pas prématuré de constater l'atteinte irrémédiable aux droits de la défense, il est, par contre, trop tard pour y remédier de manière suffisante pour permettre la tenue d'un procès équitable.
Par ces motifs, (...)
Déclare les poursuites irrecevables. (...)
Siég. :  Mme A. Jackers, MM. Th. Henrion et M. Depasse.
Greffier : M. Fr. Bossiroy.
M.P. : Mme M. Lejeune.
Plaid. : MesA. Wilmotte et Ph. Leloup.
N.B. : Ce 29 avril 2017, à l'occasion de l'hommage qui a été rendu à Jacques Henry par le barreau de Liège, Pierre Defourny a commenté cette décision. Voici un lien qui vous permettra de lire le texte qu'il a prononcé : http://editionslarcier.larciergroup.com/revues/30049_5_30943/revue-de-jurisprudence-de-liege-mons-et-bruxelles-j-l-m-b.html
Un pourvoi en cassation a été formé par le ministère public à l'encontre de cet arrêt.

 


[1] N.D.L.R. : cette revue, 2009, p. 196 et obs. A. Jacobs.
[2] N.D.L.R. : cette revue, 2009, p. 1937 et obs. M. Nève.


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1. Lorsque diverses preuves ont été recueillies consécutivement aux déclarations auto-incriminantes des accusés interrogés en l'absence d'un avocat, la circonstance que ces accusés aient pu, dans la suite de l'enquête, être conseillés par un avocat et contredire les preuves recueillies irrégulièrement ne permet pas de compenser le fait qu'ils n'ont pas été informés de leur droit au silence et de ne pas contribuer à leur propre incrimination et qu'ils n'ont pas eu la possibilité d'être assistés d'un avocat. Cette situation a, en l'espèce, eu un impact irréparable sur leur défense lorsque les preuves irrégulières ont, dans une mesure substantielle, déterminé les suites de l'enquête et son orientation.

2. L'écartement des débats des déclarations auto-incriminantes irrégulièrement obtenues des accusés ainsi que les éléments matériels qui en sont la conséquence ou une décision selon laquelle une éventuelle culpabilité ne pourrait se fonder sur de tels déclarations et éléments matériels seraient parfadivent théoriques compte tenu du dépassement du délai raisonnable et ne permettraient pas de conclure que la liberté des accusés d'organiser leur défense comme ils l'entendent serait restaurée de manière effective : les éléments de preuve irréguliers et les éléments matériels qui en découlent ont orienté la défense des accusés en les confinant dans une stratégie de défense que l'écoulement du temps n'a fait que renforcer.

3. Les poursuites sont irrecevables lorsque, dans les circonstances propres à la cause et en tenant compte de la balance entre, d'une part, la nécessité de garantir l'équité du procès et, d'autre part, les intérêts des victimes et le trouble éventuel à l'ordre social, il n'est plus possible de remédier de manière suffisante à l'atteinte irrémédiable portée aux droits de la défense afin de permettre la tenue d'un procès équitable.

L'écartement des débats des déclarations auto-incriminantes irrégulièrement obtenues des accusés ainsi que les éléments matériels qui en sont la conséquence ou une décision selon laquelle une éventuelle culpabilité ne pourrait se fonder sur de tels déclarations et éléments matériels seraient parfadivent théoriques compte tenu du dépassement du délai raisonnable et ne permettraient pas de conclure que la liberté des accusés d'organiser leur défense comme ils l'entendent serait restaurée de manière effective : les éléments de preuve irréguliers et les éléments matériels qui en découlent ont orienté la défense des accusés en les confinant dans une stratégie de défense que l'écoulement du temps n'a fait que renforcer.

Les poursuites sont irrecevables lorsque, dans les circonstances propres à la cause et en tenant compte de la balance entre, d'une part, la nécessité de garantir l'équité du procès et, d'autre part, les intérêts des victimes et le trouble éventuel à l'ordre social, il n'est plus possible de remédier de manière suffisante à l'atteinte irrémédiable portée aux droits de la défense afin de permettre la tenue d'un procès équitable.

Date(s)

  • Date de publication : 07/04/2017
  • Date de prononcé : 17/01/2017

Référence

Cour d'assises Province de Namur, 17/01/2017, J.L.M.B., 2017/14, p. 647-653.

Traduction

Hof van assisen Provincie Namen, 17/01/2017

Branches du droit

  • Droit pénal > Preuve (en matière pénale) > Légalité de la preuve
  • Droit pénal > Droit pénal - Principes généraux > Droit de la défense > Assistance d'un avocat
  • Droit international > Droits de l'homme > Droits de l'homme - CEDH > Procès équitable
  • Droit pénal > Droit pénal - Principes généraux > Droit de la défense > Droit au silence - Interdiction de l'auto-incrimination

Éditeur

Larcier

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