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24/02/2016
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Cour d'appel Liège (16e chambre A), 24/02/2016


Jurisprudence - Droit des jeunes

J.L.M.B. 17/110
I. Aide à la jeunesse - Aide consentie - Service d'aide à la jeunesse - Compétence territoriale - Résidence familiale - Aide la plus proche possible du jeune.
II. Aide à la jeunesse - Aide consentie - Dépens et frais - Procédure hybride qui suit les règles de la procédure civile gratuite mais dont la finalité est la recherche d'une contrainte judiciaire dans les rapports entre particuliers avec les instances de l'aide à la jeunesse - Intérêt du mineur.
1. Un service d'aide à la jeunesse est territorialement compétent pour connaître d'une demande d'aide consentie qui lui est adressée par un jeune qui, si sa résidence familiale est établie en Communauté flamande, ne parle pas le néerlandais, est scolarisé en Communauté francophone et a quitté le domicile de sa mère à la suite d'une rixe au cours de laquelle son beau-père l'a grièvement blessé pour se réfugier chez un de ses condisciples résidant en Communauté francophone.
2. Un mineur ne peut être condamné aux dépens et frais de la procédure que lorsqu'il est poursuivi sur la base de l'article 36.4 de la loi du 8 avril 1965 pour un fait qualifié infraction.
L'action introduite sur la base de l'article 37 du décret sur l'aide à la jeunesse n'est pas une action publique mais elle n'est pas non plus de nature civile puisqu'elle peut déboucher sur une intervention contraignante de la puissance publique au sein de la famille.
Les dispositions du Code judiciaire relatives aux frais et dépens sont incompatibles avec les principes des règles spécifiques applicables en matière protectionnelle. L'intérêt du mineur s'oppose à ce que les dépens soient mis à sa charge lorsque le conflit qui l'oppose aux autres parties est régi par le décret sur l'aide à la jeunesse.

(Communauté française de Belgique / Alain, Mathilde, Jean-Claude et Francine )


Vu le jugement prononcé le 7 août 2015 par le tribunal de la jeunesse de l'arrondissement judiciaire de Liège, division de Liège (...)
Alain, de nationalité française, réside avec sa mère et son beau-père Bernard à Tongres lorsqu'il est victime, le 6 juin 2015, d'un coup de couteau de son beau-père.
Grièvement blessé, il est emmené à pied par sa mère à l'hôpital aux urgences à Tongres, sans aucune assistance de son beau-père qui dispose pourtant d'une voiture.
Après avoir reçu les premiers soins, le jeune refuse de réintégrer la résidence familiale et est hébergé à partir du 7 juin 2015 jusqu'au 14 août 2015 dans le foyer d'un de ses amis et condisciples de l'athénée royal de Liège I.
Il dépose plainte contre son beau-père le 7 juin 2015, avec l'assistance de Jean-Claude. Francine l'accompagne à deux reprises pour des soins médicaux.
Le jeune fait grief à sa mère d'être sous l'influence de son beau-père, de ne pas le protéger à suffisance de celui-ci, à l'égard duquel elle est ambivalente, refusant de s'en séparer alors qu'elle est elle-même victime de sa violence.
Le litige porte sur la compétence territoriale du conseiller d'aide à la jeunesse de Liège qui a refusé d'intervenir pour le jeune qui a sollicité son aide le 22 juin 2015 après ses examens qu'il a réussis, considérant qu'il devait s'adresser au C.B.J. de Tongres.
Eu égard à l'exécution provisoire dont est assorti le jugement entrepris, deux programmes d'accord ont été signés au S.A.J. les 14 août 2015 et 10 septembre 2015, prévoyant le placement du jeune à l'Auberge des Haxhes tout en fréquentant l'internat de l'athénée royal de l'Air Pur à Seraing avec retour progressif les week-ends et les congés scolaires chez sa mère.
L'article 32, paragraphe 1er, du décret du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la jeunesse énonce que :

« Le conseiller est chargé d'apporter l'aide prévue par le présent décret aux jeunes qui ont leur résidence familiale dans son arrondissement.

En cas de changement de résidence familiale du jeune, le conseiller transmet son dossier au conseiller de l'arrondissement de la nouvelle résidence.

Lorsqu'un jeune se trouve dans le ressort de la Communauté française sans y avoir sa résidence familiale ou si celle-ci ne peut être identifiée, la compétence territoriale du conseiller est déterminée par le lieu où le jeune se trouve ».

La circulaire du 9 novembre 1994 énonce quant à la compétence territoriale du conseiller que :

« Le conseiller est chargé d'apporter l'aide sociale prévue par le décret aux jeunes qui ont leur résidence familiale dans son arrondissement (article 32, paragraphe 1er).

La résidence du jeune correspond normalement à son milieu familial de vie.

La définition de la famille se réfère aux liens juridiques créés par la filiation et, en principe, le milieu familial de vie du jeune est celui de ses parents ou de la personne exerçant, ne fût-ce que partiellement, l'autorité parentale.

En se référant à l'article 1er, 4°, du décret, la définition des familiers fait référence à des liens sociologiques ou affectifs, elle englobe donc aussi les parents d'accueil.

Dans certains cas, il pourrait donc être envisagé dans l'intérêt du jeune, que le conseiller compétent soit celui du lieu où le jeune vit effectivement.

En cas de changement de résidence familiale du jeune, le conseiller transmet son dossier au conseiller de l'arrondissement de la nouvelle résidence.

Lorsqu'un jeune se trouve dans le ressort de la Communauté française sans y avoir sa résidence familiale ou si celle-ci ne peut être identifiée, la compétence territoriale du conseiller est déterminée par le lieu où le jeune se trouve ».

Les travaux parlementaires [1] auxquels se réfère la susdite circulaire énoncent relativement à l'article 32, traitant tant la compétence territoriale que la compétence ratione materiae du conseiller, que :

« Dans le souci de prévoir une aide la plus proche possible du jeune, la compétence territoriale du conseiller est déterminée par la résidence familiale de celui-ci, cette résidence correspondant normalement à son milieu familial de vie.

Si le jeune qui a besoin d'aide se trouve dans le ressort de la Communauté française sans y avoir sa résidence familiale - par exemple parce qu'il y est de passage (exemple : gitans) - ou que celle-ci ne peut être identifiée, la compétence territoriale du conseiller est déterminée par le lieu où le jeune se trouve ».

La résidence familiale du jeune se situe dans l'arrondissement de Tongres avant les faits litigieux du 6 juin 2015.
Il ne parle pas le néerlandais, a toutes ses attaches à Liège où il est parfaitement scolarisé et a établi son réseau social.
Le jeune a trouvé dans la famille de son ami un refuge que le danger de son milieu familial nécessitait pour assurer sa sécurité et que sa mère était en défaut de lui garantir par son attitude.
Il était donc à tout le moins de passage dans le ressort de la Communauté française où il n'a pas sa résidence familiale, l'allusion aux gitans étant exemplative et à interpréter largement dans l'intérêt du jeune en difficulté, son hébergement dans la famille de son ami ayant en outre duré deux mois.
Il a noué des liens sociologiques ou affectifs évidents et de longue date avec la famille de son meilleur ami qui l'a hébergé en faisant dormir un de ses enfants dans le bureau pour lui offrir une chambre et lui permettre de réussir son année scolaire. Le S.A.J. de Liège a été saisi seize jours après les faits.
Il n'est pas abusif de considérer que la situation du jeune nécessitait l'intervention du S.A.J. de Liège, en conformité avec les travaux parlementaires qui l'envisagent dans le souci de prévoir une aide la plus proche possible du jeune, ce qui était le cas au mois de juin 2015 et l'est encore actuellement puisqu'il est en internat à Liège, qu'il y poursuit brillamment sa scolarité, qu'il y a ses loisirs, jobs de vacances et tout son réseau social, qu'il ne parle que le français, qu'il n'a d'autre projet de formation et d'établissement à la majorité qu'à Liège et qu'il n'a aucune attache sociale à Tongres où il ne revoit sa mère que durant les week-ends et en congés et vacances scolaires, son beau-père s'y étant fixé pour son travail.
Les pièces auxquelles la cour peut avoir égard ne permettent pas de douter que le jeune s'est bien adressé au C.B.J. de Tongres où sa demande n'a pu être comprise. La déclaration de la conseillère à l'audience du 3 février 2016 que le C.B.J. de Tongres, qu'il a contacté, l'a assuré qu'il était prêt à le recevoir en français étant irrelevante dès lors que le jeune a été confronté à ce qu'il pouvait légitimement interpréter comme une fin de non-recevoir au téléphone. Le C.B.J. de Tongres ne l'a jamais recontacté, alors qu'il aurait dû se saisir de la situation de maltraitance et le cas échéant la renvoyer au ministère public pour suite utile.
Le C.B.J. de Tongres n'a jamais pris le relais du S.A.J. de Liège et il ne peut raisonnablement être fait grief au jeune de s'être adressé à ce dernier dans la situation difficile qu'il vivait alors.
Le jugement sera confirmé.
Dépens
L'article 61 de la loi du 8 avril 1965 prévoit que dans le cas où le fait qualifié infraction est établi, le tribunal de la jeunesse condamne la personne concernée aux frais et, s'il y a lieu, aux restitutions..., que les personnes responsables soit en vertu de l'article 1384 du Code civil, soit en vertu d'une loi spéciale sont citées et tenues solidairement avec la personne concernée, des frais, des restitutions et des dommages et intérêts.
Il ressort de ce texte que le mineur ne peut être condamné aux frais que dans les procédures où il est poursuivi sur la base de l'article 36.4 de la loi. En introduisant une telle limitation, l'article 61 de la loi constitue une exception au droit commun de la procédure criminelle (article 162 du Code d'instruction criminelle). Par conséquent, dans toutes les autres procédures initiées par le ministère public, qu'elles soient fondées sur la loi du 8 avril 1965 ou sur les décrets communautaires, les frais restent à charge de l'État car, dans ce cas, le mineur ne commet aucune faute ni infraction qui justifie qu'il soit tenu des frais de l'action publique [2].
L'introduction d'une procédure mue sur le pied de l'article 37 du décret du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la jeunesse ne donne pas lieu au paiement d'un droit d'inscription.
À défaut d'autres dispositions dans les réformes légales successives (dispositions en matière familiale et en matière de droits de greffe), les requêtes déposées au greffe et visant l'article 37 du décret sont inscrites au rôle sous le bénéfice de l'exemption du droit en application combinée des articles 279/1-1° et 162, 45° du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe.
L'action fondée sur l'article 37 du décret est d'une nature particulière, proche de l'action protectionnelle, puisqu'elle peut amener le tribunal à prononcer des mesures d'aide contraignantes. À l'inverse des actions fondées sur les articles 38 et 39 du décret, l'action fondée sur l'article 37 suit les règles de la procédure civile en raison du fait qu'elle est introduite par des particuliers et non par le ministère public. Il ne s'agit donc pas d'une action publique. Mais ce n'est pas parce que les débats sont régis par les règles de la procédure civile qu'il s'agit d'une action de nature civile. En effet, la nature d'une action n'est pas déterminée par les règles de procédure applicables mais bien par sa finalité. Or, la finalité de l'action fondée sur l'article 37 du décret est la recherche d'une contrainte judiciaire dans les rapports entre les particuliers et les instances d'aide à la jeunesse à propos d'une mesure d'aide individuelle. Cette action n'est donc pas de nature civile puisqu'elle peut déboucher sur une intervention contraignante de la puissance publique au sein de la famille. La finalité de questions de nature civile, tels le droit aux relations personnelles des grands-parents ou l'exercice de l'autorité parentale, est de nature toute différente et empêche toute jonction [3].
Une décision du conseiller d'aide à la jeunesse a la même nature protectionnelle que celle du directeur, avec la même autorité de chose jugée à l'égard du juge civil, tenu de réserver à statuer durant la durée de son application si l'objet du litige et des parties sont les mêmes.
En vertu de l'article 2 du Code judiciaire, les règles énoncées par celui-ci « s'appliquent à toutes les procédures, sauf lorsque celles-ci sont régies par des dispositions légales non expressément abrogées ou par des principes de droit dont l'application n'est pas compatible avec celle des dispositions dudit code ». Sauf texte particulier ou incompatibilité de principes, le nouveau régime des indemnités de procédure, déposé dans le Code judiciaire, devrait donc, en règle, s'appliquer devant toute juridiction, et dans tous les contentieux (J.-Fr. Van Drooghenbroeck et B. De Coninck, « La loi du 21 avril 2007 sur la répétibilité des frais et honoraires d'avocat » J.T., 2008, p. 46).
Il convient de considérer que les dispositions du Code judiciaire relatives aux frais et dépens et figurant en ses articles 1017 à 1023 sont incompatibles avec les principes des règles spécifiques applicables en matière protectionnelle, singulièrement dans le cadre du présent recours de nature protectionnelle.
L'application de règles de procédure civile ne change pas la nature protectionnelle du présent recours ni au principe que les frais doivent rester à charge de l'État.
L'intérêt du mineur s'oppose à l'application des règles en matière de dépens lorsque le conflit qui l'oppose aux autres parties [est] régi par le décret du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la jeunesse.
Les parties seront déboutées de leurs demandes relatives aux dépens.
Par ces motifs, (...)
Reçoit l'appel.
Constate l'absence de conciliation.
Confirme la décision entreprise, sous l'émendation que les parties sont déboutées de leurs demandes de condamnation aux dépens.
Siég. :  M. S. Rosoux.
Greffier : Mme L. Pirard.
M.P. : Mme N. Laouar.
Plaid. : MesV. Gabriel et C. Delbrouck.

 


[1] Conseil de la Communauté française - session 1990-1991 - Projet de décret relatif à la jeunesse, Doc. 165 (1990-1991) - n° 1 : voy., notamment, p. 24.
[2] Fr. Tulkens et Th. Moreau, Droit de la jeunesse. Aide, assistance, protection, Larcier, 2000, p. 860.
[3] Fr. Tulkens et Th. Moreau, op. cit., pp. 924 et 925.


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Un service d'aide à la jeunesse est territorialement compétent pour connaître d'une demande d'aide consentie qui lui est adressée par un jeune qui, si sa résidence familiale est établie en Communauté flamande, ne parle pas le néerlandais, est scolarisé en Communauté francophone et a quitté le domicile de sa mère à la suite d'une rixe au cours de laquelle son beau-père l'a grièvement blessé pour se réfugier chez un de ses condisciples résidant en Communauté francophone.

Un mineur ne peut être condamné aux dépens et frais de la procédure que lorsqu'il est poursuivi pour un fait qualifié infraction sur la base de l'article 36.4 de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié infraction et à la réparation du dommage causé par ce fait. L'action introduite sur la base de l'article 37 du décret du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la jeunesse n'est pas une action publique mais elle n'est pas non plus de nature civile puisqu'elle peut déboucher sur une intervention contraignante de la puissance publique au sein de la famille.

Les dispositions du Code judiciaire relatives aux frais et dépens sont incompatibles avec les principes des règles spécifiques applicables en matière protectionnelle. L'intérêt du mineur s'oppose à ce que les dépens soient mis à sa charge lorsque le conflit qui l'oppose aux autres parties est régi par le décret du 4 mars 1991 .

Date(s)

  • Date de publication : 31/03/2017
  • Date de prononcé : 24/02/2016

Référence

Cour d'appel Liège (16 e chambre A), 24/02/2016, J.L.M.B., 2017/13, p. 609-613.

Traduction

Hof van beroep Luik (16de kamer A), 24/02/2016

Branches du droit

  • Droit civil > Droit de la jeunesse > Communauté française > Aide à la jeunesse

Éditeur

Larcier

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