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31/01/2017
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Cour européenne des droits de l'homme (2e section), 31/01/2017


Jurisprudence - Droits de l'homme

J.L.M.B. 17/49
I. Droits de l'homme - Respect de la vie privée - Perquisition - Mandat visant un logement dans un immeuble qui en contient plusieurs - Perquisition dans d'autres logements du même immeuble - Violation.
II. Droits de l'homme - Procès équitable - Preuve - Matières pénales - Irrégularité de la preuve - Appréciation du caractère équitable de la procédure dans son ensemble.
1. Vu l'importance des droits garantis par l'article 8 de la Convention des droits de l'homme et de l'ingérence que constitue une perquisition dans ce droit, un mandat de perquisition ne peut être interprété de manière aussi extensive qu'il vise un immeuble entier constitué de plusieurs logements et occupés par de multiples personnes y ayant leur domicile, sauf motivation particulière du juge d'instruction.
La perquisition menée dans pareil immeuble, dans le domicile d'une personne qui n'est pas visée par le mandat, viole dès lors cet article.
2. L'admission de preuves obtenues en violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ne se heurte pas en soi aux exigences du droit à un procès équitable tel qu'il est garanti par l'article 6, paragraphe 1er, de la Convention.
Lorsque l'irrégularité dénoncée n'est pas légalement sanctionnée par une nullité, qu'elle n'entache pas la fiabilité des preuves recueillies, qu'elle n'a pas été commise intentionnellement, que la partie visée est poursuivie pour des faits très graves, que les éléments recueillis ne concernent que des preuves matérielles, que d'autres éléments à charge peuvent mener à la déclaration de culpabilité et que la partie poursuivie s'est vu offrir la possibilité de contester devant trois degrés de juridictions les éléments recueillis et les constatations faites et de s'opposer à leur utilisation, rien ne permet de conclure que l'admission de ces preuves par les tribunaux internes ait été arbitraire ou manifestement déraisonnable, ou que les droits de défense de cette partie n'aient pas été suffisamment respectés.

(Kalneniene / Belgique )


Requête n° 40233/07
Procédure
1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 40233/07) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont une ressortissante lituanienne, Madame Aušra Kalneniene (« la requérante »), a saisi la Cour le 4 septembre 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). (...)
En droit
I. Sur la violation alléguée de l'article 8 de la Convention
27. La requérante allègue que la perquisition ayant eu lieu à son domicile sans mandat du juge d'instruction constitue une violation de son droit au respect de sa vie privée et de son domicile tel que protégé par l'article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».

28. Le gouvernement s'oppose à cette thèse. (...)

B. Sur le fond (...)

2. Appréciation de la Cour

32. Il est établi que le domicile de la requérante a été perquisitionné par des officiers de police judiciaire le 17 juin 2005 dans le cadre d'une large opération de perquisitions. Il n'est pas contesté qu'une telle perquisition s'analyse en une ingérence dans les droits de la requérante tels que garantis au titre du paragraphe 1er de l'article 8 de la Convention, et plus particulièrement à son droit au respect de son domicile. Pareille ingérence enfreint l'article 8, sauf si elle satisfait aux conditions du paragraphe 2, c'est-à-dire qu'elle est prévue par la loi, poursuit un but légitime et est nécessaire dans une société démocratique (Bykov c. Russie [gde ch.], 10 mars 2009, n° 4378/02, paragraphe 72). En particulier, l'expression « prévue par la loi » impose entre autres le respect du droit interne (Bykov, précité, paragraphe 76 ; voy. également, par exemple, Khan c. Royaume-Uni, n° 35394/97, paragraphe 26, CEDH 2000-V).
33. La Cour rappelle que c'est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, qu'il appartient d'interpréter et d'appliquer le droit interne (Delfi A.S. c. Estonie [gde ch.], n° 64569/09, paragraphe 127, CEDH 2015). Elle ne dispose que d'une compétence limitée s'agissant de vérifier si le droit national a été correctement interprété et appliqué. Il ne lui appartient pas de se substituer aux tribunaux nationaux, son rôle consistant surtout à s'assurer que les décisions de ces derniers ne sont pas entachées d'arbitraire ou d'irrationalité manifeste (Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [gde ch.], n° 73049/01, paragraphe 83, CEDH 2007-I).
34. En l'espèce, la Cour constate d'emblée que les juridictions nationales ont estimé que la perquisition effectuée au domicile de la requérante l'a été sans mandat du juge d'instruction (paragraphe 14, ci-dessus).
35. Le gouvernement fait néanmoins valoir que le mandat de perquisition délivré par le juge d'instruction le 13 juin 2005 était tout à fait régulier, qu'il respectait les formes prescrites par l'article 89bis du C.I.C. et qu'il permettait aux officiers de police judiciaire de perquisitionner le domicile de la requérante.
36. La Cour ne peut souscrire entièrement à une telle analyse. Il ne s'agit pas, en l'espèce, de déterminer si le mandat de perquisition du 13 juin 2005 était régulier, mais de vérifier si celui-ci autorisait légalement les officiers de police judiciaire à procéder à une perquisition au domicile de la requérante, non spécifiquement mentionné dans le mandat litigieux.
37. La Cour rappelle que les exceptions prévues au paragraphe 2 de l'article 8 doivent être interprétées de manière restrictive (Funke c. France, 25 février 1993, paragraphe 55, série A n° 256-A, et Keegan c. Royaume-Uni, n° 28867/03, paragraphe 31, CEDH 2006-X). Aussi, vu l'importance des droits garantis par l'article 8 de la Convention et de l'ingérence que constitue une perquisition dans ce droit, la Cour ne saurait accepter qu'un mandat de perquisition soit interprété de manière aussi extensive comme s'il avait été délivré pour un immeuble entier constitué de plusieurs logements et occupé par de multiples personnes y ayant leur domicile, sauf motivation particulière du juge d'instruction.
38. Au contraire, la Cour est convaincue par l'analyse effectuée par les juridictions internes quant à l'absence de mandat pour procéder à la perquisition dans le logement de la requérante. Or, l'article 89bis du C.I.C. prévoit qu'une perquisition ne peut être effectuée par un officier de police judiciaire que si celui-ci dispose d'un mandat exprès du juge d'instruction (paragraphe 19, ci-dessus). Tel n'était pas le cas en l'espèce.
39. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu'il n'y avait pas de base légale à la perquisition litigieuse, et que celle-ci n'était dès lors pas « prévue par la loi ». Eu égard à cette conclusion, elle n'est pas tenue de rechercher si l'ingérence était « nécessaire, dans une société démocratique », à la poursuite de l'un des buts énumérés au paragraphe 2 de cette disposition (Bykov, précité, paragraphe 82).
40. Partant, il y a eu violation de l'article 8 de la Convention.
II. Sur la violation alléguée de l'article 6, paragraphe 1er, de la Convention
41. La requérante allègue que l'utilisation des éléments de preuve obtenus irrégulièrement pour fonder sa culpabilité et le cadre juridique y afférant ont emporté violation de l'article 6, paragraphes 1er et 2 de la Convention.
42. Maîtresse de la qualification juridique des faits (Bouyid c. Belgique [1] [gde ch.], n° 23380/09, paragraphe 55, CEDH 2015), et eu égard à la formulation du grief par la requérante, la Cour estime qu'il convient d'examiner ce grief sous l'angle du seul article 6, paragraphe 1er, de la Convention. Dans sa partie pertinente en l'espèce, cette disposition se lit ainsi :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) ».

43. Le gouvernement conteste cette thèse. (...)

B. Sur le fond (...)

2. Appréciation de la Cour

a. Principes généraux
47. La Cour a rappelé les principes généraux applicables en la matière dans son arrêt Bykov c. Russie (précité, paragraphes 88-93) en ces termes :

« 88. La Cour rappelle qu'elle a pour seule tâche, aux termes de l'article 19 de la Convention, d'assurer le respect des engagements résultant pour les États contractants de la Convention. Il ne lui appartient pas, en particulier, de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Si l'article 6 garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant l'admissibilité des preuves en tant que telles, matière qui relève au premier chef du droit interne (Schenk, précité, paragraphe 45, Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, paragraphe 34, Recueil 1998-IV, et Jalloh c. Allemagne [gde ch.], n° 54810/00, paragraphes 94-96, CEDH 2006-IX).

89. La Cour n'a donc pas à se prononcer, par principe, sur l'admissibilité de certaines sortes d'éléments de preuve, par exemple des éléments obtenus de manière illégale au regard du droit interne, ou encore sur la culpabilité du requérant. Elle doit examiner si la procédure, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, a été équitable dans son ensemble, ce qui implique l'examen de l'"illégalité" en question et, dans le cas où se trouve en cause la violation d'un autre droit protégé par la Convention, de la nature de cette violation (voy. notamment, Khan, précité, paragraphe 34, P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, n° 44787/98, paragraphe 76, CEDH 2001-IX, Heglas c. République tchèque, 1er mars 2007, n° 5935/02, paragraphes 89-92, et Allan c. Royaume-Uni, n° 48539/99, paragraphe 42, CEDH 2002-IX).

90. Pour déterminer si la procédure dans son ensemble a été équitable, il faut aussi se demander si les droits de la défense ont été respectés. Il faut rechercher notamment si le requérant s'est vu offrir la possibilité de remettre en question l'authenticité de l'élément de preuve et de s'opposer à son utilisation. Il faut prendre également en compte la qualité de l'élément de preuve, y compris le point de savoir si les circonstances dans lesquelles il a été recueilli font douter de sa fiabilité ou de son exactitude. Si un problème d'équité ne se pose pas nécessairement lorsque la preuve obtenue n'est pas corroborée par d'autres éléments, il faut noter que lorsqu'elle est très solide et ne prête à aucun doute, le besoin d'autres éléments à l'appui devient moindre (voy., notamment, les arrêts Khan et Allan précités, respectivement paragraphes 35 et 37, et paragraphe 43).

91. En ce qui concerne en particulier l'examen de la nature de la violation de la Convention constatée, la Cour observe qu'elle a relevé notamment dans les affaires Khan (précité, paragraphes 25-28) et P.G. et J.H. c. Royaume-Uni (précité, paragraphes 37-38) que l'emploi d'appareils d'écoute secrète était contraire à l'article 8, puisque le recours à de tels dispositifs était dépourvu de base en droit interne et que l'ingérence dans l'exercice par les requérants concernés du droit au respect de leur vie privée n'était pas "prévue par la loi". Néanmoins, l'admission comme preuves des informations ainsi obtenues ne se heurtait pas, dans les circonstances de ces affaires, aux exigences d'équité posées par l'article 6, paragraphe 1er.

92. Quant au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et au droit de garder le silence, la Cour rappelle que ces droits sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable. Ils ont notamment pour but de protéger l'accusé contre une coercition abusive de la part des autorités et, ainsi, d'éviter les erreurs judiciaires et d'atteindre les buts de l'article 6 (John Murray c. Royaume-Uni [2], 8 février 1996, paragraphe 45, Recueil 1996-I). Le droit de ne pas s'incriminer soi-même concerne en premier lieu le respect de la détermination d'un accusé à garder le silence et présuppose que, dans une affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de l'accusé (voy., notamment, Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, paragraphes 68-69, Recueil 1996-VI, Allan, précité, paragraphe 44, Jalloh, précité, paragraphes 94-117, et O'Halloran et Francis c. Royaume-Uni [gde ch.] nos 15809/02 et 25624/02, paragraphes 53-63, CEDH 2007-III). Pour rechercher si une procédure a anéanti la substance même du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, la Cour doit examiner la nature et le degré de la coercition, l'existence de garanties appropriées dans la procédure et l'utilisation qui est faite des éléments ainsi obtenus (voy., par exemple, Heaney et McGuinness c. Irlande, n° 34720/97, paragraphes 54-55, CEDH 2000-XII, et J. B. c. Suisse, n° 31827/96, CEDH 2001-III).

93. Les exigences générales d'équité posées à l'article 6 s'appliquent à toutes les procédures pénales, quel que soit le type d'infraction concerné. Les préoccupations d'intérêt général ne sauraient justifier des mesures vidant de leur substance même les droits de la défense d'un requérant, y compris celui de ne pas contribuer à sa propre incrimination garanti par l'article 6 de la Convention (voy., mutatis mutandis, Heaney et McGuinness, précité, paragraphes 57-58) ».

b. Application au cas d'espèce
48. S'agissant en premier lieu de l'argument de la requérante tiré de l'absence de législation accessible et prévisible déterminant l'admissibilité de preuves obtenues de manière irrégulière, la Cour rappelle qu'elle a déjà considéré que la jurisprudence belge en la matière était suffisamment bien établie au moment des faits et laissait au juge un large pouvoir d'appréciation pour atténuer voire, le cas échéant, effacer les conséquences des irrégularités affectant l'obtention d'une preuve (Lee Davies, précité, paragraphe 47). La Cour ne voit aucune raison de s'écarter de cette constatation en l'espèce, et ce d'autant plus que la jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis l'arrêt dit « Antigone » a été consacrée en 2013 par l'article 32 du titre préliminaire du Code de procédure pénale (paragraphes 22 à 25, ci-dessus).
49. Quant à l'équité de la procédure du fait de l'utilisation des preuves obtenues de manière irrégulière pour fonder la culpabilité de la requérante, la Cour constate que la chambre des mises en accusation dans son arrêt du 10 mai 2006 puis les juridictions du fond ont examiné de manière minutieuse si elles devaient, eu égard à la jurisprudence de la Cour de cassation, écarter des débats les éléments de preuve obtenus lors de la perquisition litigieuse (paragraphes 14 à 17, ci-dessus). Les juridictions prirent en compte le fait que l'irrégularité constatée n'était pas légalement sanctionnée par une nullité, qu'elle n'entachait pas la fiabilité des preuves ainsi recueillies, qu'elle n'avait pas été commise intentionnellement, que la requérante était poursuivie pour des faits très graves, que les éléments recueillis ne concernaient que des preuves matérielles et qu'il y avait d'autres éléments à charge pouvant mener à la déclaration de culpabilité de la requérante. Elles estimèrent qu'il n'y avait donc pas lieu d'écarter les preuves litigieuses des débats.
50. À cet égard, contrairement à ce qu'affirme la requérante, la Cour rappelle qu'elle a déjà jugé à plusieurs reprises que l'admission de preuves obtenues en violation de l'article 8 de la Convention ne se heurte pas en soi aux exigences du droit à un procès équitable tel que garanti par l'article 6, paragraphe 1er, de la Convention (parmi d'autres, Schenk, précité, paragraphe 76, P.G. et J.H., précité, paragraphes 37-38, Khan, précité, paragraphe 35, et Bykov, précité, paragraphe 91).
51. En l'espèce, la Cour relève que les circonstances dans lesquelles les éléments de preuve litigieux ont été recueillis ne font aucunement douter de leur fiabilité ou de leur exactitude. La requérante s'est vu offrir la possibilité de contester devant trois degrés de juridiction les éléments recueillis et les constatations faites et de s'opposer à leur utilisation. De plus, sa condamnation se fonde également sur d'autres éléments de preuve que ceux obtenus lors de la perquisition litigieuse (paragraphe 16, ci-dessus). Par ailleurs, rien ne permet de conclure que l'appréciation par les tribunaux internes ait été arbitraire ou manifestement déraisonnable, ou que les droits de la défense de la requérante n'aient pas été suffisamment respectés.
52. Enfin, s'agissant du droit de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, il n'apparaît pas que la requérante ait, à la différence de l'affaire Allan c. Royaume-Uni (précité, paragraphes 50-53), fait l'objet de contrainte ou de pression, ni même d'un subterfuge pour lui soutirer des aveux ou d'autres déclarations l'incriminant. Au contraire, les preuves recueillies au cours de la perquisition litigieuse sont des éléments matériels qui existaient indépendamment de la volonté de la requérante (voy., mutatis mutandis, Saunders, précité, paragraphe 69, et Jalloh, précité, paragraphe 102).
53. Ainsi, la Cour estime que la procédure conduite dans l'affaire de la requérante, considérée dans son ensemble, n'a pas méconnu les exigences d'un procès équitable.
54. Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 6, paragraphe 1er, de la Convention. (...)
Par ces motifs, la Cour,
1. Déclare, à l'unanimité, la requête recevable ;
2. Dit, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ;
3. Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6, paragraphe 1er, de la Convention ;
4. Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 combiné avec l'article 8 de la Convention ;
5. Dit, par six voix contre une, que le constat d'une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par la requérante ;
6. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Siég. :  Mme I. Karakas (prés.), MM. N. Vucinic, P. Lemmens, V. Gritco, Mmes K. Turkovic, S. Mourou-Vikström et M. G. Ravarani.
Greffier : M. S. Naismith.
Plaid. : MeJ. de Boeck et M. M. Tysebaert.
Opinion concordante commune aux juges Karaka? et Turkovic
69. Nous avons voté avec la majorité compte tenu de la jurisprudence de la Cour en matière de recevabilité et d'utilisation d'éléments de preuve obtenus de manière irrégulière. Cependant, la présente affaire donne l'occasion d'appeler l'attention sur l'impact que la jurisprudence croissante de la Cour dans ce domaine a sur la notion même de procès équitable dans le droit des différents États.
70. La présente affaire nous rappelle que le Code de procédure pénale belge a été modifié en 2013 de telle sorte que la nullité d'un élément de preuve obtenu irrégulièrement n'est décidée que si, notamment, l'usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable (voy. le paragraphe 25 de l'arrêt). Cette modification fait suite à une jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour constitutionnelle (voy. les paragraphes 22 à 24 de l'arrêt).
71. Si nous sommes d'accord pour dire que l'article 6 « ne réglemente pas l'admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui dès lors relève au premier chef du droit interne » (voy. notamment Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, Série A n° 140, paragraphe 46), nous considérons que cette évolution au niveau national dans le sens d'une acceptation des éléments de preuve obtenus irrégulièrement comme conformes au droit à un procès équitable confirme les avertissements et les préoccupations formulés par de nombreux juges dans leurs opinions séparées sur des affaires semblables depuis l'arrêt Schenk (précité) - en particulier, l'idée que « la notion même d'équité dans le procès pourrait avoir tendance à se réduire ou à devenir à géométrie variable » du fait de l'acceptation d'éléments de preuve obtenus irrégulièrement (voy. l'opinion en partie dissidente de la juge Tulkens jointe à l'arrêt P.G. et J.H. c. Royaume-Uni (n° 44787/98, CEDH 2001-IX)), et que cette acceptation pourrait « desservir une bonne administration de la justice » (voy. l'opinion dissidente commune aux juges Petiti, Spielmann, de Meyer et Carillo Salcedo jointe à l'arrêt Schenk précité) et/ou « porte[r] atteinte à la protection effective des droits garantis par la Convention » (opinion en partie concordante et en partie dissidente du juge Loucaides jointe à l'arrêt Khan c. Royaume-Uni (n° 35394/97, CEDH 2000-V)).
72. Si nous n'allons pas jusqu'à dire qu'un procès ne peut être qualifié d'« équitable » lorsqu'a été admise au cours de celui-ci une preuve obtenue en violation d'un droit fondamental garanti par la Convention (opinion en partie dissidente de la juge Tulkens jointe à l'arrêt P.G. et J.H. précité, paragraphe 1er, voy. aussi l'opinion en partie concordante et en partie dissidente du juge Loucaides jointe à l'arrêt Khan précité), nous croyons que le moment est venu pour la Cour de changer sa rhétorique et de reconnaître ouvertement qu'elle a pour tâche de déterminer des règles minimales de recevabilité des preuves obtenues en violation des droits garantis par la Convention. Cela serait conforme à l'article 19 de la Convention, en vertu duquel la Cour a pour tâche d'assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la Convention.
73. De fait, comme l'ont souligné les juges Kalaydjieva, Pinto de Albuquerque et Turkovic dans leur opinion concordante en l'affaire Dvorski c. Croatie ([gde ch.], 20 octobre 2015, n° 25703/11), la Cour a déjà énoncé une règle d'exclusion automatique des aveux recueillis en violation de l'article 3 et des preuves matérielles directement obtenues par la torture (Jalloh c. Allemagne [gde ch.], n° 54810/00, paragraphes 99 et 105, CEDH 2006-IX, Haroutyounian c. Arménie, n° 36549/03, paragraphe 63, CEDH 2007-III, Gäfgen c. Allemagne [gde ch.], n° 22978/05, paragraphe 176, CEDH 2010). Selon ces juges, l'arrêt Salduz avait instauré une règle automatique d'exclusion pour toute déclaration auto-incriminante faite sans qu'un avocat ait été présent pendant l'interrogatoire alors qu'il n'y avait aucune raison impérieuse de refuser l'accès à un avocat (Salduz c. Turquie [gde ch.], n° 36391/02, paragraphes 55 et 58, CEDH 2008). La Cour a aussi confirmé que l'exclusion des preuves était un redressement approprié en cas de provocation policière (Bannikova c. Russie, n° 18757/06, paragraphe 56, 4 novembre 2010).
74. Dans l'élaboration de normes sur l'exclusion des preuves, la Cour devrait avoir un rôle limité compte tenu de sa place subsidiaire. L'exclusion d'éléments de preuve obtenus irrégulièrement devrait demeurer au premier chef une matière régie par le droit interne, pour autant que ces éléments n'aient pas été obtenus en violation des droits garantis par la Convention (voy., parmi bien d'autres, Schenk, précité, paragraphes 45-46, et Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, paragraphe 34, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV). Cela étant, lorsque les preuves ont été obtenues en violation de ces droits, ce devrait être la tâche même de la Cour que de déterminer où et comment fixer la limite de leur recevabilité (voy. l'opinion de la juge Tulkens jointe à l'arrêt P.G. et J.H. précité). Ce faisant, la Cour devrait tenir compte de la nature du droit violé et de la nature de la violation elle-même (voy. Allan c. Royaume-Uni, n° 48539/99, paragraphe 42, CEDH 2002-IX). Bien entendu, rien n'empêche les États de garantir un niveau de protection supérieure à celui appliqué par la Cour.
75. De plus, la Cour doit « examiner avec soin la conformité à l'article 6, paragraphe 1er, d'un procès se basant sur de telles preuves à charge » (voy. l'opinion en partie dissidente du juge Costa jointe à l'arrêt Bykov c. Russie [gde ch.], 10 mars 2009, n° 4378/02). Ce faisant, elle doit s'assurer que les autorités internes exercent leur pouvoir de juguler et de prévenir la criminalité en respectant pleinement les voies légales et autres garanties (Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, paragraphe 116, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII) et qu'elles sont « dissuad[ées] efficacement d'adopter derechef une conduite illicite » (opinion du juge Loucaides jointe à l'arrêt Khan précité).
76. De plus, eu égard aux opinions séparées que l'on trouve dans la jurisprudence récente de la Cour quant à l'évaluation de l'équité globale de la procédure au regard de l'article 6 (voy. notamment l'opinion concordante commune aux juges Spielmann, Karakas, Sajó et Keller jointe à l'arrêt Schatschaschwili c. Allemagne [gde ch.], n° 9154/10, CEDH 2015, et l'opinion en partie dissidente et en partie concordante commune aux juges Sajó et Laffranque jointe à l'arrêt Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [gde ch.], nos 50541/08, 50571/08, 50573/08 et 40351/09, CEDH 2016), nous soulignons que l'équité globale du procès doit être déterminée à la lumière de la Convention lue comme un tout cohérent et interprétée de manière harmonieuse et conforme à son esprit général (Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, paragraphes 68-69, Série A n° 28, voy. aussi Khamtokhu et Aksenchik c. Russie [gde ch.], 24 janvier 2017, nos 60367/08 et 961/11, paragraphe 87).
77. Nous considérons comme la juge Tulkens que « l'équité suppose le respect de la légalité et donc aussi, a fortiori, le respect des droits garantis par la Convention dont précisément la Cour assure le contrôle » (opinion précitée). Il faut donc souligner que l'équité du procès dans son ensemble ne peut être préservée malgré la violation soit d'un élément expressément garanti de l'article 6, soit d'un autre article de la Convention que dans des cas très exceptionnels. Si la Cour ne raisonnait pas ainsi, elle pourrait donner à penser qu'elle tolère la conduite illicite des États. Cela affaiblirait inévitablement la notion même d'État de droit, qui est expressément mentionnée dans le préambule de la Convention et qui est inhérente à tous les articles de cet instrument : « comme la Cour l'a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l'arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (...) Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l'opinion publique dans une justice objective et transparente, l'un des fondements de toute société démocratique » (Lhermitte c. Belgique [gde ch.], 29 novembre 2016, n° 34238/09, paragraphe 67, CEDH 2016).

 


[1] N.D.L.R. : cette revue, 2015, p. 1640 et obs. M. Nève.
[2] N.D.L.R. : cette revue, 1997, p. 452 et obs. A. Sadzot et M. Nève.


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Vu l'importance des droits garantis par l'article 8 CEDH et de l'ingérence que constitue une perquisition dans ce droit, un mandat de perquisition ne peut être interprété de manière aussi extensive qu'il vise un immeuble entier constitué de plusieurs logements et occupés par de multiples personnes y ayant leur domicile, sauf motivation particulière du juge d'instruction. La perquisition menée dans pareil immeuble, dans le domicile d'une personne qui n'est pas visée par le mandat, viole dès lors cet article.  

L'admission de preuves obtenues en violation de l'article 8 CEDH ne se heurte pas en soi aux exigences du droit à un procès équitable tel qu'il est garanti par l'article 6.1 CEDH.

Lorsque l'irrégularité dénoncée n'est pas légalement sanctionnée par une nullité, qu'elle n'entache pas la fiabilité des preuves recueillies, qu'elle n'a pas été commise intentionnellement, que la partie visée est poursuivie pour des faits très graves, que les éléments recueillis ne concernent que des preuves matérielles, que d'autres éléments à charge peuvent mener à la déclaration de culpabilité et que la partie poursuivie s'est vu offrir la possibilité de contester devant trois degrés de juridictions les éléments recueillis et les constatations faites et de s'opposer à leur utilisation, rien ne permet de conclure que l'admission de ces preuves par les tribunaux internes ait été arbitraire ou manifestement déraisonnable, ou que les droits de défense de cette partie n'aient pas été suffisamment respectés.

Date(s)

  • Date de publication : 10/03/2017
  • Date de prononcé : 31/01/2017

Numéro de rôle

40233/07

Référence

Cour européenne des droits de l'homme (2 e section), 31/01/2017, J.L.M.B., 2017/10, p. 477-483.

Traduction

Europee Hof voor de rechten van de mens (2de sectie), 31/01/2017

Branches du droit

  • Droit international > Droits de l'homme > Droits de l'homme - CEDH > Respect de la vie privée
  • Droit pénal > Information - Instruction > Instruction judiciaire > Actes d'instruction

Éditeur

Larcier

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