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11/10/2016
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Tribunal civil Namur (9e chambre référés), 11/10/2016


Jurisprudence - Médias

J.L.M.B. 17/18
Internet - Réseaux sociaux - Liberté d'expression - Abus - Compétence du juge des référés - Intervention préventive (non) - Intervention répressive - Atteinte à l'honneur et à la considération - Ingérence - Proportionnalité .
L'intervention du juge des référés de manière préventive ne peut se concevoir en matière de liberté d'expression. Toutefois, dès lors que les cours et tribunaux doivent également avoir égard au droit de chacun de protéger son honneur et sa réputation, le juge des référés peut intervenir à titre répressif lorsque l'usage de la liberté d'expression dégénère en abus et conduit manifestement à causer un dommage à autrui difficilement réparable par le recours à une procédure judiciaire de type classique devant le juge du fond.
S'il apparaît, prima facie, que les conditions de faute, de préjudice et de lien de causalité sont réunies, le juge des référés peut ordonner le retrait d'un réseau social d'une publication portant atteinte à l'honneur et à la réputation. Une telle ingérence dans la liberté d'expression peut se révéler nécessaire dans une société démocratique si elle vise à éviter tout trouble à l'ordre social qui découlerait inévitablement d'une société où chaque citoyen pourrait en toute impunité proférer publiquement des paroles injurieuses et/ou haineuses envers un tiers.

(Armand et Francine / Coralie )


(...)
I. Antécédents
Coralie est la fille d'Armand et de Francine.
Les parties sont actuellement en litige devant le tribunal de la famille du Brabant wallon suite à deux actions introduites par les parties Armand et Francine afin d'obtenir un droit aux relations personnelles avec leurs-petits enfants.
En juillet 2016, il a été rapporté par des tiers aux parties demanderesses que Coralie avait publié sur le réseau Facebook deux articles qu'elles estiment gravement attentatoires à leur vie privée et à leur réputation puisqu'il y est question d'abus que le couple Armand et Francine auraient commis sur la personne de leur fille Coralie lorsqu'elle était enfant et de l'orientation sexuelle de son frère Michel.
N'ayant pu obtenir de Coralie le retrait amiable desdits articles, les parties demanderesses ont introduit une première action en référé.
Par ordonnance du 16 août 2016, le tribunal a fait droit à leur demande.
Dès la signification de la décision, Coralie a retiré les articles litigieux.
Toutefois, en date des 14 et 26 août 2016, Coralie a publié :
  • un texte dactylographié qui constitue des notes prises par sa thérapeute à l'occasion de séances d'hypnose,
  • la référence à un livre, Maman, c'est quoi l'inceste ?, assortie du commentaire « Mon deuxième combat, sortir les mots après avoir été abusée, après l'inceste (...) En parler, c'est guérir, c'est avancer, aujourd'hui je suis plus forte et ouvre la boîte à secrets (...) ».
Coralie n'a pas réagi aux demandes de retrait qui lui ont été adressées.
Les parties Armand et Francine ont alors introduit, le 30 août 2016, une seconde action en référé. Il s'agit de l'actuelle procédure.
Constatant toutefois que « la prochaine audience de référés n'a lieu que le mardi 6 septembre 2016 » et qu'elles « ne pouvaient attendre sept jours supplémentaires et le délai complémentaire pour le prononcé du jugement », les parties Armand et Francine ont déposé le 31 août 2016 une requête unilatérale adressée au président du tribunal de première instance, qui a statué comme suit :

« Condamnons Coralie à retirer de son compte Facebook et de tout autre éventuel réseau social la publication relative à un livre C'est quoi l'inceste ? et les commentaires en relation avec celle-ci ;

Condamnons Coralie à retirer de son compte Facebook et de tout autre éventuel réseau social les notes relatives aux séances d'hypnose vantées ;

Interdisons à Coralie toute publication généralement quelconque sur Facebook ou tout autre réseau social faisant état explicitement ou implicitement d'une quelconque atteinte à son intégrité physique ou morale et complicité d'une atteinte à son intégrité physique ou morale ;

Le tout, dès le lendemain du prononcé de la décision à intervenir, sous peine d'une astreinte de 1.000 euros par jour de retard ;

Condamnons Coralie aux dépens en ce compris une indemnité de procédure fixée au montant de 5.000 euros vu le caractère manifestement déraisonnable de la situation » (ordonnance du 1er septembre 2016).

Par le biais des conclusions qu'elle a déposées, Coralie forme tierce-opposition à l'encontre de cette décision. (...)
IV. L'action en référé
1. Pour rappel, l'action mue par les parties Armand et Francine vise à voir :
  • condamner Coralie à retirer de son compte Facebook et de tout autre éventuel réseau social la publication relative à un livre C'est quoi l'inceste ? et les commentaires en relation avec celle-ci ;
  • condamner Coralie à retirer de son compte Facebook et de tout autre éventuel réseau social les notes relatives aux séances d'hypnose vantées ;
  • interdire à Coralie de publier sur Facebook ou tout autre réseau social tout texte, photo ou autre document généralement quelconque faisant état explicitement ou implicitement d'une quelconque atteinte à son intégrité physique ou morale et complicité d'une atteinte à son intégrité physique ou morale dont (les parties Armand et Francine) auraient été prétendument les auteurs ;
  • le tout, dès le lendemain du prononcé de la décision à intervenir, sous peine d'une astreinte de 1.000 euros par jour de retard.
2. L'urgence est alléguée en termes de citation, en sorte que l'action est recevable.
3. Le tribunal considère, en outre, que le fait que la diffusion ait déjà été réalisée durant trois semaines, soit entre le 14 août 2016, date de publication des notes relatives aux séances d'hypnose et le 7 septembre 2016, date de la signification de l'ordonnance unilatérale interdisant son maintien, ne suffit pas à considérer que les éventuelles mesures à prendre seraient inefficaces en telle sorte que l'urgence ne serait pas démontrée.
En effet, il n'y a pas eu en l'espèce diffusion à ce point large qu'elle rendrait sans effet les mesures d'interdiction sollicitées, dès lors que les publications litigieuses ne sont visibles que par les « amis Facebook » de Coralie, au nombre de trente-neuf sauf erreur.
Toutefois, cette limitation d'accès n'empêche pas, comme le précisait le tribunal de céans dans son ordonnance du 16 août 2016, la répercussion à l'envi des informations lues par les lecteurs.
Dans un tel contexte, dans lequel elles étaient accusées de faits extrêmement graves à l'encontre de leur fille, faits absolument contestés, il était légitime que les parties Armand et Francine cherchent à obtenir rapidement des mesures visant à mettre un terme à ce qu'ils considèrent comme une voie de fait.

Selon la doctrine [1], « il est admis qu'il y a urgence dès que la crainte d'un préjudice d'une certaine gravité, voire d'inconvénients sérieux, rend une décision immédiate souhaitable (Cass., 21 mars 1985, Pas., 1985, I, p. 908).

Selon la formule devenue classique et empruntée au rapport sur la réforme judiciaire, on recourra au référé « lorsque la procédure ordinaire serait impuissante à résoudre le différend en temps voulu, ce qui laisse au juge des référés un large pouvoir d'appréciation et, dans une juste mesure, la plus grande liberté » (Rapport sur la réforme judiciaire, M.B., 1964, p. 218).

L'urgence sera notamment exclue :
- lorsque la partie demanderesse a tardé à introduire la demande (sauf, évidemment, élément nouveau aggravant la situation existante) ou si elle se trouve elle-même à l'origine de l'urgence alléguée, ou
- si le juge normalement compétent peut intervenir avec la même efficacité que le juge des référés (mesures provisoires ordonnées par le juge du fond, article 19, alinéa 2, du Code judiciaire) ; cela pose de délicats problèmes d'appréciation, car, en théorie, le juge du fond statuant sur la base de l'article 19 du code est habilité à prendre toutes les mesures provisoires voulues, dès l'audience d'introduction de l'affaire ; dans la pratique, il faut arbitrer les chances effectives d'obtenir une décision aussi vite devant le juge du fond que devant le juge des référés (le problème est rendu plus aigu par la revalorisation de l'article 19, intervenue à la faveur de la loi du 26 avril 2007 - voy. E. Boigelot, op. cit., p. 64, n° 18).

En effet, selon le même auteur, « le magistrat des référés n'a pas l'exclusivité des mesures provisoires : l'article 19 du Code judiciaire autorise le juge du fond à prendre des mesures destinées à régler provisoirement la situation des parties. Ces mesures sont prises par le juge qui va connaître du fond du litige et supposent donc qu'une procédure au fond est introduite (alors que le juge des référés peut intervenir indépendamment de toute procédure au fond) ».

Si donc, en théorie, le juge du fond qu'auraient saisi les parties Armand et Francine avait également la possibilité de prendre des mesures provisoires identiques à celles actuellement sollicitées, et ce avant l'entame des débats sur le fond, le tribunal de céans estime qu'il n'est pas réaliste de considérer qu'elles pouvaient obtenir une décision dans les délais aussi rapides [2], dans un dossier où les parties elles-mêmes ont évalué la durée des débats à nonante minutes.
Enfin, le fait que les parties Armand et Francine ont tenté d'obtenir amiablement le retrait des publications litigieuses ne constitue pas un obstacle à la saisine du tribunal des référés dans le cas d'espèce, compte tenu des liens familiaux existant entre les parties.
L'urgence justifiant à recourir au juge des référés est justifiée à suffisance.
Reste toutefois à vérifier si les parties Armand et Francine sont fondées à solliciter les mesures qu'elles réclament.
3. En matière de liberté d'expression, les dispositions suivantes sont notamment d'application :
  • l'article 19 de la Constitution, qui est rédigé comme suit « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés »,
  • l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, selon lequel « toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, dé cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
  • L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ».
4. En ce que la demande a pour but d'interdire de publier sur Facebook ou tout autre réseau social tout texte, photo ou autre document généralement quelconque faisant état explicitement ou implicitement d'une quelconque atteinte à son intégrité physique ou morale et complicité d'une atteinte à son intégrité physique ou morale dont (les parties Armand et Francine) auraient été prétendument les auteurs, elle est sans nul doute inconstitutionnelle.
Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme [3], qui a constaté l'inexistence en droit belge d'un cadre fixant des règles précises et spécifiques quant à l'application des restrictions préventives à la liberté d'expression et, partant, la violation de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme, l'intervention du juge des référés de manière préventive ne peut se concevoir.
Ainsi, seule une modification de notre Charte fondamentale prévoyant clairement la possibilité d'une mesure préventive, dans des cas limités et avec des modalités précises, permettrait de lever toute ambiguïté et autoriserait le juge des référés à encore y recourir à l'avenir [4].
En matière de liberté de la presse, qui a donné lieu à plusieurs procès retentissants, la doctrine a rappelé à diverses reprises que l'intervention préventive du juge des référés n'était pas envisageable :
- toute mesure préventive en matière de presse est donc interdite, qu'elle concerne la presse écrite ou audiovisuelle [5],
- l'intervention préventive du juge des référés en matière audiovisuelle ne peut plus être tolérée, car elle se fait en pleine violation de la Convention [6],
- l'exercice d'un contrôle judiciaire préventif de la presse, quel qu'en soit le support, reposant sur un cadre purement prétorien, ne saurait en aucun cas satisfaire le régime de la Convention ni correspondre aux exigences de fonctionnement d'une société démocratique [7].
Il en est évidemment de même pour la liberté d'expression reconnue à chaque citoyen.
Une action visant à titre préventif à empêcher Coralie de faire état d'une atteinte à son intégrité physique dont ses parents auraient été les auteurs est dès lors contraire à la Constitution et la Convention de sauvegarde des droits de l'homme.
Cette demande sera donc rejetée.
5. Toutefois, le rôle du juge des référés dans le cadre d'un contrôle postérieur à la publication, ou répressif, reste, même au stade actuel du droit, envisageable.
En effet, quoique l'intervention des magistrats ne peut se concevoir qu'en tenant compte du droit de chacun à exprimer librement son opinion, les cours et tribunaux se doivent également d'avoir égard au droit de chacun à protéger son honneur et sa réputation.
Si la liberté d'expression présente un caractère éminent et essentiel dans une société démocratique, son exercice ne va pas sans limite.
Elle peut, en vertu de l'article 10, paragraphe 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, être soumise à certaines sanctions en vue, notamment, de la protection de la réputation ou des droits d'autrui pourvu qu'elles soient prévues par la loi et qu'elles soient nécessaires, dans une société démocratique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime et à la protection de la réputation, ou des droits d'autrui [8].
La Cour de Strasbourg a clairement affirmé que les droits protégés respectivement par les articles 8 (protection de la vie privée, qui peut, en cas d'atteinte présentant une certaine gravité, couvrir le droit à la réputation) et 10 de la Convention « méritent a priori un égal respect » [9].
Tout comme Coralie a le droit de s'exprimer, les parties Armand et Francine peuvent solliciter que leurs droits fondamentaux soient respectés à cette occasion.
Il apparaît aux yeux du tribunal de céans que l'ingérence dans le droit à la liberté d'expression que Coralie critique est en l'espèce autorisé dès lors que les atteintes à l'honneur sont pénalement sanctionnées.
En effet, cette ingérence poursuit un but légitime de protection du droit à la réputation que personne ne dénie dans le chef des parties Armand et Francine.
S'agissant de déterminer si les mesures sollicitées sont nécessaires dans une société démocratique, la réponse est affirmative : il s'agit là d'éviter tout trouble à l'ordre social qui découlerait inévitablement d'une société où chaque citoyen pourrait en toute impunité proférer publiquement des paroles injurieuses et/ou haineuses envers un tiers.
6. Il apparaît donc qu'en théorie non seulement un droit à réparation a posteriori doit être reconnu aux parties Armand et Francine à supposer une violation de l'article 1382 du Code civil, mais également qu'il est permis au juge des référés d'ordonner des mesures visant à limiter l'atteinte prétendue à leurs droits et le préjudice qui en découle, dans le respect du droit reconnu à Coralie.
Il appartient néanmoins aux parties Armand et Francine, à l'occasion de la présente procédure, de démontrer un droit suffisamment apparent à obtenir la mesure sollicitée.
Ce n'est que lorsque l'usage de la liberté d'expression dégénère en abus et conduit manifestement à causer un dommage à autrui difficilement réparable par le recours à une procédure judiciaire de type classique devant le juge du fond, qu'il y a place pour l'intervention du juge des référés.
La sévérité avec laquelle ces notions doivent être envisagées s'avère d'autant plus grande lorsqu'il s'agit de restreindre, voire supprimer, un droit aussi fondamental que la liberté d'expression.
In casu, l'action des parties Armand et Francine vise à condamner Coralie au retrait de deux publications :
  • une publication relative à un livre Maman, c'est quoi l'inceste ? ainsi que les commentaires y liés,
  • une publication de notes prises apparemment par sa thérapeute lors de séances d'hypnose.
Les parties Armand et Francine s'insurgent contre ce qu'elles estiment être des accusations graves et mensongères à leur encontre, qui leur causent un préjudice important en termes d'honneur et de réputation.
Coralie explique quant à elle qu'il ne s'agit là que de sa propre opinion à l'égard de ses parents.
Elle maintient qu'elle a été victime de viols alors qu'elle était enfant et revendique le droit à la liberté d'expression, rappelant qu'elle a déposé plainte et que les maux physiques dont elle souffrait se sont amoindris depuis la verbalisation sous hypnose.
7. C'est aux parties Armand et Francine de démontrer qu'en postant sur Facebook les publications litigieuses, Coralie a commis une faute apparemment à ce point importante qu'elle devrait conduire à ce qu'il soit fait droit à la condamnation sollicitée.
Tenant compte des éléments suivants :
  • de manière incontestable, vérifiable aux travers de la publication partagée et de son commentaire, ainsi que des documents relatifs à ses séances d'hypnose, Coralie accuse ses parents d'inceste, soit des abus sexuels répétés commis par son père alors qu'elle était enfant, abus apparemment cautionnés par sa mère qui lui offrait des cadeaux comme pour acheter son silence,
  • ces affirmations, publiées sur Facebook, sont visibles pour tous les « amis » identifiés comme tels sur le réseau social, sont donc publiques et ont été partagées à l'extérieur du réseau, puisqu'elles sont parvenues à la connaissance des parties Armand et Francine,
  • le « dévoilement » de Coralie a eu lieu alors que les parties étaient en litige relativement à un droit aux relations personnelles que les parties Armand et Francine souhaitaient voir reconnu à l'égard des enfants de Coralie, avec laquelle ils étaient en conflit (étranger à tout abus), et sans qu'une accusation de ce type n'ait jamais été portée à leur connaissance jusqu'alors,
  • la plainte pénale récemment déposée par Coralie a de prime abord peu de chances d'aboutir compte tenu de l'écoulement du temps, en sorte qu'il paraît vain d'espérer une vérité judiciaire en réponse aux accusations portées,
  • à l'heure actuelle, les abus sexuels sur mineurs, compte tenu notamment de l'affaire dite Dutroux, sont de nature à susciter un important émoi dans la population, encline à très (trop ?) rapidement mettre au ban de l'opinion publique les personnes visées, même lorsque ces dernières contestent vigoureusement les accusations et bénéficient en tout état de cause de la présomption d'innocence,
  • les atteintes à l'honneur sont punissables pénalement (articles 443 et suivants du Code pénal),
le tribunal de céans considère que, prima facie, l'apparence de faute dans le chef de Coralie est établie.
En affirmant sans nuance, en prenant pour acquis le contenu des séances d'hypnose qu'elle a suivies et constatant une amélioration de sa santé, que ses parents l'ont abusée plusieurs années durant, il y a plus de vingt ans, alors que l'enquête pénale en est à ses débuts et que sans que les parties Armand et Francine n'aient encore eu la possibilité de s'exprimer à cet égard, Coralie paraît, sous réserve de l'examen qu'en fera le juge du fond, à le supposer saisi, avoir commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
8. Les parties Armand et Francine vantent également l'existence d'un préjudice en lien causal avec les faits qu'elles reprochent à leur fille.
Dans le litige entre parties tranché le 16 août 2016, le tribunal de céans avait déjà constaté que :

« il n'est pas raisonnablement contestable que si ces articles, qui contiennent des accusations graves de viol et de complicité de viol, et des affirmations attentatoires à la vie privée, sont encore visibles sur la page Facebook de Coralie, ils peuvent être lus par un nombre important de personnes et répercutés à l'envi par ces dernières.

Dans ces conditions, les propos écrits par Coralie sont susceptibles de causer un préjudice très grave et difficilement réparable aux parties demanderesses, sans que le tribunal de céans ne soit tenu à ce stade d'examiner leur véracité ».

Il en est toujours de même aujourd'hui ; le seul fait de la publication des accusations d'abus sexuels et des notes de la thérapeute consultée à plusieurs reprises est de nature à jeter l'opprobre sur les parties Armand et Francine et à ternir à long terme leur réputation, sans aucune garantie que la vérité, quelle qu'elle soit, pourra être connue un jour.
Dans un tel contexte, le préjudice grave et difficilement réparable est, prima facie, établi à suffisance, tout comme le lien causal (qui toutefois ne paraît pas contesté).
9. À la lueur des éléments qui précèdent, le tribunal constate que les conditions pour obtenir la mesure de retrait sollicitée sont remplies, en sorte que cette demande sera déclarée fondée.
En ce qui concerne la mesure d'astreinte sollicitée, il convient d'y faire droit, dans les limites précisées au dispositif, dès lors qu'elle paraît nécessaire pour garantir l'effectivité de la présente décision, l'examen du dossier révélant qu'auparavant, Coralie n'a obtempéré que dans le but d'en éviter le paiement. (...)
Par ces motifs, (...)
Condamnons Coralie à retirer de son compte Facebook ou de tout autre éventuel réseau social :
  • la publication relative à un livre Maman, c'est quoi l'inceste ? ainsi que les commentaires y liés,
  • la publication de notes relatives aux séances d'hypnose,
et ce, dès le lendemain de la signification de la présente ordonnance, sous peine d'une astreinte de 500 euros par jour de retard, avec un maximum de 5.000 euros ; (...)
Siég. :  Mme A.-C. Damar.
Greffier : Mme S. Grégoire.
Plaid. : MesGauche (loco G. de Briey) et J. Englebert.

 


[1] G. Closset-Marchal, « Examen de jurisprudence (2002-2012) - Droit judiciaire privé - Introduction et incidents de l'instance », R.C.J.B., 2014/1, p. 209.
[2] Voy., notamment, Liège (7e ch.), 22 mai 2001, J.L.M.B. 01/685.
[3] Cour eur. D.H., 20 mars 2011, R.T.B.F. c. Belgique, www.stradalex.com.
[4] Q. Van Enis, « Ingérences préventives et presse audiovisuelle : la Belgique condamnée, au nom de la loi », J.L.M.B., 2011, p. 1257.
[5] D. Voorhoof et Ch. Wiersma, obs. sous Cour eur. D.H., arrêt R.T.B.F., A&M, 2011, p. 376.
[6] K. Lemmens, « La censure préventive en matière de presse audiovisuelle : contraire à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l'homme », J.T., 2012/12, n° 6472, p. 245.
[7] B. Frydman et C. Bricteux, « L'arrêt R.T.B.F. c. Belgique : un coup d'arrêt au contrôle judiciaire préventif de la presse et des médias », Rev. trim. D.H., 2013/9, p. 331.
[8] Corr. Liège, 25 novembre 2015, J.L.M.B., 2016, pp. 358 et s.
[9] Cour eur. D.H., arrêts Van Hannover c. Allemagne (n° 2) et Axel Springer A.G. c. Allemagne, 7 février 2012.


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L'intervention du juge des référés de manière préventive ne peut se concevoir en matière de liberté d'expression. Toutefois, dès lors que les cours et tribunaux doivent également avoir égard au droit de chacun de protéger son honneur et sa réputation, le juge des référés peut intervenir à titre répressif lorsque l'usage de la liberté d'expression dégénère en abus et conduit manifestement à causer un dommage à autrui difficilement réparable par le recours à une procédure judiciaire de type classique devant le juge du fond.

S'il apparaît, prima facie, que les conditions de faute, de préjudice et de lien de causalité sont réunies, le juge des référés peut ordonner le retrait d'un réseau social d'une publication portant atteinte à l'honneur et à la réputation. Une telle ingérence dans la liberté d'expression peut se révéler nécessaire dans une société démocratique si elle vise à éviter tout trouble à l'ordre social qui découlerait inévitablement d'une société où chaque citoyen pourrait en toute impunité proférer publiquement des paroles injurieuses et/ou haineuses envers un tiers.

Mots-clés

Internet - Réseaux sociaux - Liberté d'expression - Abus - Compétence du juge des référés - Intervention préventive (non) - Intervention répressive - Atteinte à l'honneur et à la considération - Ingérence - Proportionnalité

Date(s)

  • Date de publication : 03/02/2017
  • Date de prononcé : 11/10/2016

Référence

Tribunal civil Namur (9 e chambre référés), 11/10/2016, J.L.M.B., 2017/5, p. 220-227.

Traduction

Burgerlijke rechtbank Namen (9de kamer in kort geding), 11/10/2016

Branches du droit

  • Droit international > Droits de l'homme > Droits de l'homme - CEDH > Liberté d'expression - art. 10
  • Droit public et administratif > Poste et télécommunications > Télécommunications > Communication électronique - Internet
  • Droit civil > Personnes > Droits liés à la personnalité civile > Honneur et réputation
  • Droit judiciaire > Référé > Nature de la mesure

Éditeur

Larcier

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