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25/01/2016
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Cour d'appel Liège (3e chambre b), 25/01/2016


Jurisprudence - Droit des assurances

J.L.M.B. 16/603
I. Assurances - Généralités - Conditions générales - Champ contractuel - Connaissance - Acceptation tacite.
II. Assurances - Généralités - Assurance accident - Faute lourde - Ivresse - Lien causal - Preuve - Protection du consommateur - Déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties - Nullité partielle de la clause - Dispositions impératives.
1. Les conditions générales qui ont été transmises à un intermédiaire professionnel, tel un courtier, sont considérées comme entrées dans le champ contractuel dès lors que le preneur d'assurance pouvait facilement en prendre connaissance préalablement à la conclusion du contrat et qu'il les a donc acceptées tacitement par la signature de ce dernier.
2. La clause contractuelle qui exclut de la garantie d'assurance les accidents survenus en état d'ivresse ou sous l'influence de stupéfiants utilisés sans indication médicale, mais qui met la charge de la preuve de l'absence de lien de causalité entre la faute lourde et le sinistre sur l'assuré, crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties. Cependant, la nullité qui en découle ne doit être appliquée qu'à la disposition qui met à charge de l'assuré la preuve de la relation causale et non à la « cause d'exclusion » contractuelle en elle-même, l'équilibre étant réparé par l'application des dispositions légales impératives que sont les articles 8, alinéa 2, et 11 de la loi du 25 juin 1992.

(A.I.G. Europe Limited / Christine et Suzanne )


Vu le jugement rendu le 9 octobre 2013 par le tribunal de première instance de Liège et le jugement rendu le 25 février 2015 par le tribunal de première instance de Liège division de Liège, (...)
Quant au fondement de ces demandes
1. L'appelante [1], auprès de laquelle Raymond, père de Suzanne et Simone, avait souscrit une police d'assurance « Assurance homme-clé » le 9 octobre 1995 garantissant le paiement d'un capital et d'une rente mensuelle en cas de décès accidentel, a refusé sa garantie suite au décès de Raymond survenu le 21 juillet 2009 aux motifs suivants :

« Le dossier répressif

Au moment des faits, l'assuré avait un taux d'alcool sanguin de 2.64 gr/l.

Il a été conclu que l'origine de l'accident est à rechercher dans le comportement de l'assuré qui, pour une raison indéterminée mais potentiellement en relation avec un taux d'alcool sanguin nettement supérieur à la limite prescrite, a perdu le contrôle de son engin.

Les conditions de l'assurance

Sont exclus les accidents survenus en état d'ivresse ou sous l'influence d'alcool ou de stupéfiants ».

2. L'appelante fonde son refus sur l'article 6 des conditions générales intitulé « Exclusions », lequel, en son point f, exclut de l'assurance les accidents « survenus en état d'ivresse ou sous l'influence de stupéfiants utilisés sans indication médicale, sauf s'il est établi par l'assuré ou les bénéficiaires que l'état incriminé n'a pas été la cause de l'accident ».
3. Les intimées contestant que les conditions générales soient entrées dans le champ contractuel, il appartient à l'appelante, qui entend s'en prévaloir, de rapporter la preuve du contraire.
À cette fin, elle doit démontrer que ces conditions générales ont été portées à la connaissance du preneur d'assurance Raymond préalablement ou au plus tard à la conclusion du contrat ou à tout le moins qu'il a eu la possibilité raisonnable d'en prendre connaissance, le preneur ne devant [s']en prendre qu'à lui-même s'il a sciemment ou par négligence fermé les yeux sur ce dont il aurait pu être aisément informé.
Il convient d'assimiler à la connaissance effective la possibilité raisonnable qu'a eue Raymond d'en prendre connaissance.
Il faut en outre une acceptation de ces conditions générales par l'intimé, expresse ou tacite (au plus tard lors de la formation du contrat) [2].
En l'espèce, Raymond avait souscrit le contrat via un intermédiaire professionnel, son courtier.
Ce courtier disposait des conditions générales de la compagnie.
Il appartenait à Raymond de prendre connaissance des conditions générales auprès de lui avant de signer les conditions particulières.
S'il ne l'a pas fait alors qu'il pouvait facilement en prendre connaissance avant de s'engager, il doit être considéré que tacitement mais certainement il les acceptait.
Ces conditions générales s'imposent aux intimées qui sont ses héritières, lesquelles d'ailleurs dans le courrier du 3 janvier 2011 adressé par leur conseil à l'appelante reprenaient dans son intégralité le contenu de l'article 6.f. des conditions générales alors que le courrier antérieur envoyé par l'appelante ne le reprenait pas textuellement, et ont déposé ces conditions générales dans leur dossier de pièces.
4. Par la disposition de l'article 6.f. des conditions générales, l'appelante a entendu s'exonérer de ses obligations en cas de faute lourde commise par l'assuré : conduite en état d'ivresse ou sous l'influence de stupéfiants utilisés sans indication médicale.
Ainsi, en vertu de l'article 8, alinéa 2, de la loi du 25 juin 1992 [3] sur le contrat d'assurance terrestre :

« L'assureur répond des sinistres causés par la faute même lourde du preneur d'assurance, de l'assuré ou du bénéficiaire. Toutefois l'assureur peut s'exonérer pour les cas de faute lourde déterminés expressément et limitativement dans le contrat ».

Cet article 8 est en lien étroit avec l'article 11 de ladite loi [4] dont il n'est qu'un cas particulier, qui dispose que :

« Le contrat d'assurance ne peut prévoir la déchéance partielle ou totale du droit à la prestation d'assurance qu'en raison de l'inexécution d'une obligation déterminée imposée par le contrat à la condition que le manquement soit en relation causale avec la survenance du sinistre ».

Il suit de ces dispositions impératives - article 3 de la loi [5] - qu'il appartient à l'appelante en sa qualité d'assureur de rapporter la preuve de ce lien causal entre la faute lourde et le sinistre nonobstant la façon dont est rédigée la disposition contractuelle litigieuse.
Les intimées invoquent la nullité de cette clause contenue à l'article 6.f. car créant un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties sur la base des articles 31 et 33 de la loi du 14 juillet 1991.
C'est exact mais cette nullité ne doit être appliquée qu'à la disposition qui met à charge de l'assuré la preuve de la relation causale et non à la « cause d'exclusion » contractuelle en elle-même, l'équilibre étant réparé par l'application des dispositions légales impératives précitées [6].
5. L'état d'ivresse, qui doit être pris dans son sens usuel, vise l'état d'une personne qui n'a plus le contrôle permanent de ses actes, sans qu'il soit requis qu'elle ait perdu la conscience de ceux-ci.
En l'espèce, il appert du dossier répressif classé sans suite les éléments suivants :
  • l'accident a eu lieu en agglomération en juillet à 4 h 30 du matin, dans une rue en légère côte ;
  • la visibilité était bonne, le temps sec ;
  • la route était en bon état ;
  • l'éclairage public en bon état de fonctionnement ;
  • les policiers décrivent l'accident ainsi : Raymond, au guidon de sa moto, pour une raison inconnue, quitte la chaussée sur le côté droit, escalade le trottoir, heurte deux bacs de fleurs en béton en bordure d'une habitation, touche la boîte aux lettres et termine sa course dans le mur mitoyen ;
  • le mur mitoyen est fendu et légèrement déplacé ;
  • aucune trace de freinage n'est relevée.
L'analyse du prélèvement sanguin post-mortem a révélé un taux d'alcool de 2,64 gr/l. lors de l'accident.
L'expert automobile Paduart désigné par le procureur du Roi note dans son rapport que :
  • la chaussée est en ligne droite, en pente ascendante et recouverte d'un asphalte en très bon état ;
  • l'accident a eu lieu de nuit, par temps sec et clair ;
  • les conditions de visibilité étaient bonnes ;
  • le système d'éclairage public à décharge de sodium fonctionnait parfaitement ;
  • la densité de circulation était faible à l'heure des faits ;
  • la motocyclette se trouvait dans un bon état mécanique ;
  • il est hautement improbable que la vitesse initiale de la motocyclette ait été supérieure à la limite prescrite soit 50 km/h. ;
  • la motocyclette quelques mètres après le carrefour avec la rue de l'Aîte, dévie de sa trajectoire vers la droite, monte sur le trottoir, heurte successivement deux bacs de fleurs et la boîte aux lettres, situés du côté droit de la chaussée, et percute ensuite le mur mitoyen.
L'expert conclut que l'origine de l'accident est à rechercher dans le comportement du motocycliste qui pour une raison indéterminée mais potentiellement en relation avec un taux d'alcool sanguin nettement supérieur à la limite prescrite a perdu le contrôle de son engin.
Tous ces éléments pris dans leur ensemble constituent un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes, démontrant qu'au moment de l'accident, Raymond, qui se trouvait dans un état d'imprégnation alcoolique important vu le taux relevé, n'avait plus le contrôle permanent de ses actes en sorte qu'à un moment donné, il a dévié de sa trajectoire vers la droite, n'a pu maîtriser sa motocyclette alors qu'il ne roulait pas vite, n'a pas freiné et a percuté deux bacs de fleurs, une boîte aux lettres et un mur.
Il est ainsi établi qu'il était en état d'ivresse lors de l'accident et que sans cet état, l'accident entraînant son décès ne se serait pas produit tel qu'il s'est produit. (...)
Par ces motifs, (...)
La cour, statuant contradictoirement,
Reçoit l'appel et dans les limites de sa saisine,
Confirme le jugement rendu le 9 octobre 2013.
Confirme le jugement rendu le 25 février 2015 en ce qu'il a dit recevables les demandes de Suzanne et de Christine en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure d'âge Simone.
Le réforme pour le surplus et dit ces demandes non fondées. (...)
Siég. :  Mme B. Prignon.
Greffier : M. M. Leclerc.
Plaid. : MesM. Deger (loco Ph. Vossen et B. Ceulemans) et A. Bucco (loco L. Wigny).

 


[1] À l'époque A.I.G. Europe puis Chartis Europe.
[2] Voy., sur ces questions, P. Wéry, Droit des obligations, vol. I, Larcier, 2010, pp. 190 et s. ; Formation permanente CUP, 2004, vol. 72, Le processus de formation du contrat, pp. 197 et s.
[3] Actuellement article 62 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances.
[4] Actuellement article 65 de la loi du 4 avril 2014.
[5] Actuellement article 56 de la loi du 4 avril 2014.
[6] Voy. Cass., 13 février 2002, R.G. n° PO.11523.F.


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Les conditions générales qui ont été transmises à un intermédiaire professionnel, tel un courtier, sont considérées comme entrées dans le champ contractuel dès lors que le preneur d'assurance pouvait facilement en prendre connaissance préalablement à la conclusion du contrat et qu'il les a donc acceptées tacdivent par la signature de ce dernier.  

La clause contractuelle qui exclut de la garantie d'assurance les accidents survenus en état d'ivresse ou sous l'influence de stupéfiants utilisés sans indication médicale, mais qui met la charge de la preuve de l'absence de lien de causalité entre la faute lourde et le sinistre sur l'assuré, crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties. Cependant, la nullité qui en découle ne doit être appliquée qu'à la disposition qui met à charge de l'assuré la preuve de la relation causale et non à la « cause d'exclusion » contractuelle en elle-même, l'équilibre étant réparé par l'application des dispositions légales impératives que sont les articles 8, alinéa 2, et 11 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre.

Date(s)

  • Date de publication : 16/12/2016
  • Date de prononcé : 25/01/2016

Référence

Cour d'appel Liège (3 e chambre b), 25/01/2016, J.L.M.B., 2016/42, p. 2000-2004.

Traduction

Hof van beroep Luik (3de kamer b), 25/01/2016

Branches du droit

  • Droit économique, commercial et financier > Assurances > Assurances terrestres > Contrat d'assurance en général
  • Droit civil > Obligations conventionnelles > Fondements > Autonomie de la volonté
  • Droit économique, commercial et financier > Assurances > Intermédiaires de l'assurance

Éditeur

Larcier

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