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09/09/2016
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Cour d'appel Bruxelles (2e chambre), 09/09/2016


Jurisprudence - Droit de la construction

J.L.M.B. 16/928
I. Architecte - Relations avec les clients - Indépendance - Incompatibilité avec la profession d'entrepreneur - Antériorité du contrat d'entreprise et du cahier des charges - Nullité.
II. Entrepreneur - Rupture - Nullité du contrat - Restitutions réciproques - Privation de la marge bénéficiaire (33,30 %).
III. Intérêts - Restitutions réciproques - Dette de valeur - Intérêts compensatoires.
1. L'ordre public requiert que l'architecte soit indépendant de l'entrepreneur et que la conception et le contrôle de l'exécution des travaux soient dissociés de leur exécution, dans l'intérêt tant de la profession d'architecte que de celui des maîtres de l'ouvrage.
L'absence d'indépendance de l'architecte résulte des circonstances suivantes :
- le cahier des charges et l'avant-projet de construction établis avant l'intervention de l'architecte par l'entrepreneur révèlent que celui-ci a agi en réalité comme promoteur ;
- en reprenant au centime près dans le contrat d'architecture le prix de construction fixé préalablement par l'entrepreneur, le contrat d'architecture démontre que l'architecte n'a nullement conçu l'ouvrage, mais entériné le projet établi par l'entrepreneur.
L'absence d'indépendance de l'architecte et la violation du principe d'incompatibilité entre cette profession et celle d'entrepreneur entraîne la nullité absolue de la promesse de vente, de la convention d'entreprise, du contrat d'architecte et du procès-verbal de réception provisoire.
2. Dans le cadre des restitutions réciproques, il y a lieu de priver l'entrepreneur de sa marge bénéficiaire estimée à 33,30 pour cent.
3. Les intérêts alloués au maître de l'ouvrage dans le cadre d'une demande de restitution sont de nature compensatoire puisque les indemnités dues constituent une dette de valeur.

(S.A. S. / Danielle, la S.P.R.L. A. et Donald )


Vu le jugement attaqué, prononcé contradictoirement le 15 mars 2011 par le tribunal de première instance de Nivelles, (...)
I. Les faits
1. Le 2 novembre 1999, un contrat intitulé « promesse de vente » a été conclu entre Danielle, en qualité de « maître de l'ouvrage », et la S.A. S., représentée par la S.P.R.L. R., en qualité de « constructeur ».
La représentante commerciale de la S.P.R.L. R., signataire de la convention, était Jocelyne, épouse d'Éric.
L'article 1er de la convention prévoit que :

« Le constructeur et le maître de l'ouvrage s'engagent à entreprendre les diverses démarches dans le but de construire un immeuble conformément au cahier des charges et à l'avant-projet, ci-annexés, contresignés par les parties : type S.F.U. 946/45. Le maître de l'ouvrage fera réaliser le plan de construction par un architecte (...) ».

En vertu de l'article 2,

« Le constructeur et le maître de l'ouvrage s'engagent à signer un contrat d'entreprise pour la construction d'une habitation suivant l'avant-projet susmentionné et exécuté selon le cahier des charges ci-joint pour le prix global de 3.149.966 BEF, sous réserve de la résistance du sol et des prescriptions urbanistiques (...). Le prix s'entend hors T.V.A. et hors honoraires d'architectes ».

2. Le 22 mars 2000, Jocelyne s'est fait remettre une somme de 1.000.000 de francs belge par Danielle à titre d'avance sur la construction de la maison, en indiquant que les travaux allaient débuter.
Ce montant sera, en réalité, utilisé par Jocelyne « à des fins personnelles », ce qu'elle reconnaîtra, et remboursé à Danielle après de nombreuses démarches de sa part.
3. Le 5 avril 2000, Danielle a acheté un terrain à bâtir à (...).
Le 7 avril 2000, un contrat d'architecture a été conclu entre Danielle et la société d'architecture S.P.R.L. A., représentée par son gérant, l'architecte Donald.
Les travaux de réalisation de l'habitation de Danielle y sont évalués, « à titre indicatif », à 3.149.966 de francs belges H.T.V.A. (article 1er du contrat).
Une mission complète d'architecture fut confiée à l'architecte Donald, sous réserve de certains points du contrat type, qui sont indiqués comme étant « sans objet » :
  • « la rédaction du cahier des charges accompagné, le cas échéant, des métrés » ;
  • « la collaboration aux opérations de soumission et d'adjudication » ;
  • « le contrôle et la vérification des mémoires ».
Les honoraires d'architecte sont fixés à 5,50 pour cent du coût total de l'immeuble.
4. Le 30 mai 2000, un devis estimatif a été établi par S., tenant compte des options choisies par Danielle. Le prix de la construction a été porté à 3.329.094 de francs belges H.T.V.A. 21 pour cent.
5. Le plan définitif a été établi le 25 août 2000 par l'architecte Donald.
Le même jour, le contrat d'entreprise a été signé par Danielle avec S.
L'article 1er de la convention prévoit que le constructeur s'engage à construire ou à faire construire le bâtiment conformément aux plans et cahier des charges annexés, établis par l'architecte Donald.
Il est prévu que les travaux seront exécutés pour le prix global de 3.116,278 de francs belges H.T.V.A. (article 2), soit 77.250,51 euros.
6. Le permis d'urbanisme a été accordé le 29 août 2000 par la ville de (...).
7. Le chantier a été entamé sur la base d'un document d'implantation établi le 5 septembre 2000 par S., ayant fait l'objet d'une brève note de l'architecte, signée pour le bureau A. par Paul, le beau-fils de Jocelyne.
Le 20 juin 2001, Danielle a mis l'entrepreneur en demeure notamment d'achever les travaux en vue de la réception provisoire de l'immeuble, de lui payer des indemnités de retard et de lui faire parvenir l'intégralité des procès-verbaux de chantier.
8. Un procès-verbal de réception provisoire a été établi le 4 juillet 2001. L'architecte Donald n'était pas présent ; il était représenté par un Sieur Michel. (...)
III. Discussion et décision de la cour
Examen du fondement de la demande originaire

La demande

16. La demande originaire visait à entendre prononcer la nullité des conventions d'entreprise intervenues entre les parties et, en conséquence, à entendre condamner les défendeurs originaires à restituer, à titre principal, l'ensemble des sommes versées en exécution de celles-ci, soit 93.325,56 euros, majorée des intérêts judiciaires et des dépens.
À la suite des transactions intervenues, la demande actuelle de Danielle tend à entendre prononcer la nullité de la convention d'entreprise intervenue entre elle et S. et, en conséquence, à entendre condamner cette dernière à lui payer 89.546,20 euros. À titre subsidiaire, elle postule l'indemnisation des malfaçons, chiffrées à 48.711,28 euros et, à titre extrêmement subsidiaire, à 7.785,85 euros.
17. Bien qu'une transaction soit intervenue entre Danielle et l'architecte et que celle-ci ne formule plus de demande contre ce dernier, la cour doit examiner l'ensemble des rapports contractuels qui ont lié les parties dès lors que la nullité du contrat d'entreprise peut résulter du seul fait de l'absence d'indépendance de l'architecte, les deux contrats étant liés entre eux de manière indissociable.

Rappel des principes

18. L'article 4 de la loi du 20 février 1939 sur la protection du titre et de la profession d'architecte prévoit qu'il doit être recouru au concours d'un architecte pour l'établissement des plans et le contrôle de l'exécution des travaux pour lesquels une demande préalable d'autorisation de bâtir est imposée.
Dans le même sens, l'article 4 du règlement de déontologie de l'Ordre des architectes, approuvé par l'arrêté royal du 18 avril 1985, prévoit que l'architecte doit disposer de l'indépendance nécessaire pour lui permettre d'exercer sa profession, conformément à sa mission d'ordre public et aux règles de la déontologie, et d'assumer ainsi la responsabilité des actes qu'il accomplit.
L'article 6 de la loi du 20 février 1939 déclare par ailleurs l'exercice de la profession d'architecte incompatible avec celle d'entrepreneur.
L'article 10 du règlement de déontologie visé ci-dessus rappelle également cette règle.
Il ressort, tant de l'article 6 de la loi du 20 février 1939 que de l'économie générale de la loi, que l'architecte doit être indépendant vis-à-vis de l'entrepreneur et que la conception et le contrôle de l'exécution des travaux doivent être dissociés de leur exécution, tant dans l'intérêt de la profession d'architecte que celui des maîtres de l'ouvrage. Il s'agit d'une disposition d'ordre public.

En l'espèce

19. Le but poursuivi par le législateur est d'éviter la confusion entre les rôles de l'architecte et de l'entrepreneur, car le premier a pour mission de contrôler le second.
En l'espèce, l'absence d'indépendance de l'architecte à l'égard de l'entrepreneur résulte de la circonstance que le projet avait été défini par l'entrepreneur avant l'intervention de l'architecte, qui n'a dès lors pas pu exercer son devoir de conseil et d'assistance à l'égard de Danielle, et n'a en outre pas exécuté sa mission de contrôle de l'exécution des travaux.
L'antériorité de la mission confiée à l'entrepreneur par la « promesse de vente », qui contenait déjà le cahier des charges et l'avant-projet de construction, révèle que celui-ci a agi en réalité comme promoteur et que l'architecte ne pouvait intervenir avec indépendance.
Ainsi, le prix de la construction fixé à 3.149.966 de francs belges dans la promesse de vente est, au franc près, celui repris dans le contrat d'architecture conclu ultérieurement. Le montant final de l'entreprise n'a ensuite varié que de façon insignifiante, compte tenu des options prises par Danielle et des travaux complémentaires.
Contrairement à ce qu'indique l'article 1er du contrat d'entreprise signé postérieurement à la « promesse de vente », l'architecte n'a donc nullement élaboré le projet avec Danielle, ni conçu l'ouvrage, mais a entériné le projet établi par l'entrepreneur. Il n'a, de même, pas procédé à la sélection des entrepreneurs (outre la rédaction du cahier des charges, la collaboration aux opérations de soumission et d'adjudication était contractuellement exclue des missions de l'architecte).
Bien que les études de sol sont indissociables des missions, notamment de conseil, de l'architecte, les essais de sol et l'étude de stabilité n'ont été effectués qu'à la demande de Danielle. Aucun essai de sol préalable n'avait en effet été effectué à l'initiative de l'architecte ; ils ont été demandés par Danielle à un laboratoire spécialisé après la réalisation des premiers terrassements et l'architecte Donald a alors demandé une étude de stabilité à la S.P.R.L. 3 (commande du 22 novembre 2000).
Le fait que l'architecte n'ait pratiquement assumé aucune tâche de contrôle de l'exécution des travaux résulte des rares et succincts rapports de chantier produits, et confirme son manque d'indépendance. Bien que contractuellement chargé d'une mission complète (sous réserve des postes de sa mission déclarés « sans objet »), l'architecte a en outre concrètement limité sa mission aux seuls travaux exécutés par l'entrepreneur S., à l'exclusion du contrôle des travaux de sanitaire et de chauffage qu'il a déclarés « hors de sa responsabilité ».
Cette analyse est encore confirmée par les liens de famille existant entre les parties : alors que l'entrepreneur a été représenté lors de la signature de la « promesse de vente » par la S.P.R.L. R., représentée par Jocelyne, épouse d'Éric, Paul, le beau-fils de Jocelyne, est intervenu pour le bureau d'architecte A.
20. Les obligations d'indépendance et d'impartialité imposées par l'article 4 de la loi du 20 février 1939 et, accessoirement, par son article 6, existant dans l'intérêt général, elles concernent l'ordre public et sont prescrites à peine de nullité.
La violation de ces normes frappe de nullité absolue toutes les conventions qui y participent.
En l'espèce, l'absence totale d'indépendance de l'architecte à l'égard de l'entrepreneur se déduit des éléments qui précèdent et il en résulte la violation du principe de l'incompatibilité entre les deux professions.
Dès lors que l'architecte Donald manquait de l'indépendance imposée par une disposition d'ordre public, tant le contrat d'entreprise que le contrat d'architecture sont nuls, de nullité absolue.
L'annulation de la promesse de vente et de la convention d'entreprise entraîne celle du procès-verbal de réception provisoire.

Les restitutions

21. Ces nullités opèrent avec un effet rétroactif et entraînent en principe des restitutions réciproques, le cas échéant par équivalent, afin de replacer les parties dans la même situation que si elles n'avaient pas contracté.
22. Danielle soutient qu'il convient de priver l'entrepreneur de son droit à restitution car la nullité est en l'espèce uniquement imputable aux professionnels et postule à titre principal le remboursement de la totalité des montants payés à S., soit 89.546,20 euros.
Si le mécanisme de restitution, admis sur la base de la théorie de l'enrichissement sans cause, peut être aménagé par application de l'adage In pari causa turpitudinis cessat repetitio (littéralement : « Lorsque chaque partie est en situation de turpitude, il n'y a pas lieu à répétition ») afin que l'un des cocontractants soit plus sévèrement sanctionné, la cour estime que l'entrepreneur sera suffisamment sanctionné par la privation de son droit au bénéfice.
Il est en effet contraire à l'ordre public que l'entrepreneur s'enrichisse du fait de cette nullité dont il avait ou devait avoir conscience mais des restitutions intégrales ne se justifient pas compte tenu de la valeur des prestations utiles conservées par Danielle.
Les montants dont la restitution est sollicitée par Danielle n'ont pas fait l'objet de critiques ni de contestation par S.
Compte tenu de l'analyse qui précède, la somme payée par Danielle doit être restituée par S. en contrepartie de la restitution par Danielle de la valeur des constructions réalisées, déduction faite de la marge bénéficiaire de l'entrepreneur et des malfaçons et inachèvements.
La somme de 89.546,20 euros T.V.A.C. a été payée par Danielle à S. pour les constructions.
Un solde de 18.694,64 euros T.V.A.C. avait été payé par Danielle par chèques des 4 et 15 juillet 2001, mais ceux-ci ont été protestés. S. demande le paiement de ce solde. Le prix total des constructions facturé par S. s'élève donc à 108.240,84 euros T.V.A.C.
La marge bénéficiaire de S. est estimée à 33,30 pour cent de 108.240,84 euros T.V.A.C. = 36.044,20 euros. (...)
23. Danielle demande que les sommes faisant l'objet de la condamnation soient « majorées des intérêts judiciaires jusqu'au complet paiement ».
Compte tenu de la date de la demande de restitution, formulée par Danielle dans les conclusions déposées le 9 novembre 2001 (la citation introductive d'instance portait sur la désignation d'un expert outre quelques demandes annexes), les intérêts courront à partir de cette date.
Danielle postule également la capitalisation des intérêts dus depuis un an au moins, à compter du 28 janvier 2009.
Les intérêts échus sont de nature compensatoire puisque les indemnités dues constituent une dette de valeur, c'est-à-dire une dette portant non pas sur une somme d'argent trouvant sa source dès l'origine dans la loi ou dans un contrat, mais sur une prestation dont le montant doit être déterminé par le juge.

« L'article 1154 du Code civil, qui soumet l'anatocisme relatif aux intérêts des capitaux à certaines conditions, concerne les dettes de sommes (...) En matière de dettes de valeur, le juge peut accorder des intérêts sur les intérêts compensatoires sans être lié par les conditions de l'article 1154 du Code civil, s'il considère que la réparation totale du dommage le justifie » (en ce sens, voy. notamment Cass., 22 décembre 2006).

En l'espèce, Danielle ne fait valoir aucun dommage autre que le retard dans l'indemnisation, de sorte que ce dommage sera adéquatement réparé par l'allocation des intérêts compensatoires au taux légal, ceux-ci étant de nature à compenser la diminution de la valeur des indemnités par l'effet de l'érosion monétaire et à assurer la réparation intégrale du dommage subi. (...)

Dispositif conforme aux motifs.

Siég. :  Mmes R. Coirbay, A.-S. Favart et M. van der Haegen.
Greffier : M. Ch. Willaumez.
Plaid. : MesL. Fabre (loco J. Celis), B. Louveaux et E. Vandecasteel (loco D. Mottard).

 



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  • L'ordre public requiert que l'architecte soit indépendant de l'entrepreneur et que la conception et le contrôle de l'exécution des travaux soient dissociés de leur exécution, dans l'intérêt tant de la profession d'architecte que de celui des maîtres de l'ouvrage. - L'absence d'indépendance de l'architecte résulte des circonstances suivantes : -le cahier des charges et l'avant-projet de construction établis avant l'intervention de l'architecte par l'entrepreneur révèlent que celui-ci a agi en réalité comme promoteur; -en reprenant au centime près dans le contrat d'architecture le prix de construction fixé préalablement par l'entrepreneur, le contrat d'architecture démontre que l'architecte n'a nullement conçu l'ouvrage, mais entériné le projet établi par l'entrepreneur. - L'absence d'indépendance de l'architecte et la violation du principe d'incompatibilité entre cette profession et celle d'entrepreneur entraîne la nullité absolue de la promesse de vente, de la convention d'entreprise, du contrat d'architecte et du procès-verbal de réception provisoire. - Dans le cadre des restitutions réciproques, il y a lieu de priver l'entrepreneur de sa marge bénéficiaire estimée à 33,30 pour cent. - Les intérêts alloués au maître de l'ouvrage dans le cadre d'une demande de restitution sont de nature compensatoire puisque les indemnités dues constituent une dette de valeur.

Mots-clés

  • Architecte - Relations avec les clients - Indépendance - Incompatibilité avec la profession d'entrepreneur - Antériorité du contrat d'entreprise et du cahier des charges - Nullité
  • Entrepreneur - Rupture - Nullité du contrat - Restitutions réciproques - Privation de la marge bénéficiaire (33,30 %)
  • Intérêts - Restitutions réciproques - Dette de valeur - Intérêts compensatoires

Date(s)

  • Date de publication : 21/10/2016
  • Date de prononcé : 09/09/2016

Référence

Cour d'appel Bruxelles (2 e chambre), 09/09/2016, J.L.M.B., 2016/34, p. 1626-1631.

Branches du droit

  • Droit civil > Droit des obligations - Principes généraux > Intérêts > Compensatoires
  • Droit civil > Professions > Architecte > Mission - Responsabilité
  • Droit civil > Contrats spéciaux > Construction - Entreprise de travaux > Contrat d'entreprise

Éditeur

Larcier

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