Jurisprudence - Droit des biens
Mitoyenneté - Acquisition forcée - Acte valant prise de possession (non) . |
Le simple fait de tirer avantage de l'existence d'un mur ne suffit pas à fonder une action en acquisition forcée de la mitoyenneté.
Il ne peut être conclu à l'existence d'une prise de possession justifiant l'acquisition forcée de la mitoyenneté lorsque le rapport d'expertise établit l'existence d'un jour de deux centimètres entre les maçonneries, l'absence d'ancrage de la nouvelle construction dans le pignon du mur voisin et l'autonomie du nouveau bâtiment quant à sa stabilité. Le seul placement d'un joint extérieur en façade ne constitue pas une prise de possession.
Des travaux en sous-oeuvre réalisés sous le mur pignon de l'immeuble voisin en vue de limiter les dégradations pouvant l'affecter à la suite de tassements différentiels ne constituent pas une prise de possession démontrant la volonté de rendre ce mur mitoyen.
(Grégoire et Denise / S.P.R.L. P. )
Vu le jugement rendu le 5 mars 2012 par le tribunal de première instance de Huy (...)
Les faits ont été correctement énoncés par le premier juge à l'exposé duquel la cour se réfère.
Il suffit de rappeler les éléments qui suivent.
L'intimée, société de promotion immobilière, a entrepris la construction d'un immeuble à appartements dit « X. » sur un terrain situé aux confins de la rue C. et de la rue S.
Le projet immobilier est érigé sur le fonds contigu au terrain et à la maison commerciale des appelants.
Suite aux travaux de terrassements, les appelants ont déclaré subir des dommages à leur immeuble, et ont postulé la désignation d'un expert. Par une ordonnance du 14 avril 2009, le tribunal a désigné l'expert Stalport afin qu'il constate et décrive les éventuels dégâts qui affecteraient, suite auxdits travaux, l'immeuble des appelants.
Les appelants ont soutenu et soutiennent que l'intimée s'appuie sur leur mur et leur pignon, que l'intimée a refusé le rachat de la mitoyenneté.
Par jugement du 8 décembre 2009, le tribunal de première instance siégeant en référé a désigné l'expert Stalport, en vue de relever les données techniques, usurpation, voie de faits, valant ou non prise de possession du mur, et donner son avis s'il y a lieu ou pas à acquisition de la mitoyenneté par la S.P.R.L. P. en fonction des données techniques du dossier.
L'expert Stalport a rendu son rapport le 21 décembre 2010.
Devant le premier juge, les appelants sollicitaient la condamnation de l'intimée au rachat de la mitoyenneté ; à titre subsidiaire, ils sollicitaient « une indemnisation pour les usurpations de possession et les voies de fait commises sur leur mur », la condamnation de l'intimée à leur payer « une somme de 2.500 euros ex aequo et bono pour les désagréments et autres voies de fait qui ont été constatés par le Professeur Rigo ».
Le premier juge les a déboutés de leur demande de rachat de mitoyenneté et a ordonné la réouverture des débats quant à la demande de condamnation au paiement de la somme de 2.500 euros estimant cette demande non en état d'être jugée, le rapport de l'expert Stalport désigné pour décrire les dégâts à l'immeuble des appelants n'étant pas déposé, l'intimée n'ayant pas conclu quant à cette demande.
En degré d'appel, les appelants sollicitent la condamnation de l'intimée au rachat de la mitoyenneté.
À la page 3 de leurs conclusions, ils énoncent « qu'à titre subsidiaire, les appelants sollicitent une indemnisation pour les usurpations de possession et les voies de fait commise sur leur mur ».
Les appelants énoncent que l'intimée produit en pièce 15 de son dossier un rapport de réunion qui doit être écarté aux motifs qu'il n'est pas signé par eux, ni par leur architecte.
L'absence de leur signature ou de celle de leur architecte a pour effet de rendre ledit document unilatéral mais cela ne justifie pas pour autant de l'écarter des débats.
Il n'est pas fait droit à cette demande.
Quant à la demande de rachat de la mitoyenneté |
L'article 661 du Code civil ne vise expressément que la vente forcée de la mitoyenneté ; la doctrine et la jurisprudence considèrent cependant que cette disposition permet à certaines conditions de forcer son voisin à acquérir la mitoyenneté d'un mur séparatif privatif.
En l'espèce, cette demande des appelants demeure non fondée.
En effet, à considérer comme établi que le mur serait privatif, quod non, il n'y a de toute façon pas eu une usurpation ou voie de fait valant prise de possession du mur des appelants par l'intimée laquelle témoignerait, par son refus de faire cesser cette prise de possession prétendue, d'une volonté d'acquérir la mitoyenneté.
Il faut une usurpation matérielle et effective, peu importe que l'intimée profite des avantages inhérents à la proximité immédiate du mur voisin.
« Attendu que le droit pour le propriétaire d'un mur séparatif de contraindre son voisin à acquérir la mitoyenneté de ce mur suppose que ce voisin commette une usurpation ou une voie de fait valant prise de possession et à laquelle le propriétaire du mur puisse s'opposer ;
Qu'il faut que cette prise de possession revête un caractère tel qu'à défaut pour son auteur d'y mettre fin la volonté de celui-ci d'acquérir la mitoyenneté du mur s'en déduise sans équivoque » (Cass., 28 juin 2001, Pas., 2001, I, p. 1254).
« Attendu qu'en vertu de l'article 661 du Code civil, le propriétaire d'un mur de séparation privatif peut demander le prix de la mitoyenneté de ce mur à son voisin lorsque et dans la mesure où celui-ci l'utilise d'une manière telle qu'il en usurpe la copossession et viole le droit de propriété privatif et qu'il ne peut raisonnablement poursuivre pareille utilisation sans avoir la volonté implicite de rendre le mur mitoyen ;
Que la simple circonstance que le voisin tire un avantage du mur préexistant ne constitue pas une telle usurpation » (Cass., 4 décembre 2003, n° rôle C.02.0571.N. ; Cass., 4 mars 2005, J.L.M.B., 2006, p. 564).
En l'espèce, le rapport de l'expert Stalport n'établit pas l'existence d'une usurpation ou une voie de fait valant prise de possession.
Ainsi, il appert des constatations de l'expert exposées à la page 10 de son rapport :
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qu'un jour de deux centimètres a été maintenu entre le pignon de l'immeuble de l'intimée constitué de blocs silico-calcaires de quatorze centimètres d'épaisseur, et le mur des appelants,
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que la structure de la charpente et les hourdis de plancher sont repris sur cette nouvelle maçonnerie sans aucun engravement dans le pignon de l'immeuble des appelants,
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que tout démontre que le nouveau bâtiment de l'intimée est en tout point autonome quant à sa stabilité,
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que les travaux en sous-oeuvre réalisés par l'intimée sous le pignon de l'immeuble des appelants, ne sont pas destinés à assumer les charges de son immeuble mais sont destinés à limiter les dégradations de l'immeuble des appelants conséquentes aux tassements différentiels (un nouvel immeuble imprime des charges importantes au sol ; ces contraintes se traduisent par un tassement du sol entre autre le long du pignon de l'immeuble des appelants ; ce tassement entraîne un effet de basculement de cet immeuble ; il y a donc lieu de renforcer les fondations sous cet immeuble).
Les seuls faits suivants relevés par l'expert :
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la seule maçonnerie de l'immeuble de l'intimée ne permet pas une protection à longue échéance contre les pluies sans le pignon de l'immeuble des appelants,
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l'épaisseur de quatorze centimètres de la nouvelle maçonnerie est insuffisante pour répondre aux normes actuelles en matière d'isolation (si l'immeuble des appelants n'existait pas, dans la situation actuelle, le coefficient d'isolation thermique serait largement insuffisant et entraînerait le refus de permis d'urbanisme ; le bâtiment des appelants a une fonction isolante qui profite à l'immeuble de l'intimée),
ne suffisent pas à établir une usurpation.
Les appelants font référence au rapport du Professeur Rigo.
Ce dernier avait été consulté par l'intimée afin que le chantier se déroule en toute sécurité ; dans son rapport du 15 décembre 2008, il décrit les précautions à prendre afin d'assurer cette sécurité (tripodes, étançons, ...). Ce rapport ne démontre pas l'existence d'une usurpation ou voie de fait valant prise de possession du mur de l'immeuble des appelants par l'intimée.
Il importe en sus de relever que l'expert Stalport interpellé par le conseil des appelants quant à ce rapport, répond qu'il a été rédigé avant exécution de la structure et qu'il ne tient pas compte des aménagements particuliers à prévoir pour éviter la reprise de mitoyenneté. En outre, pour rappel, l'expert judiciaire considère que les travaux en sous-oeuvre réalisés par l'intimée sous le pignon de l'immeuble des appelants, ne sont pas destinés à assumer les charges de son immeuble mais sont destinés à limiter les dégradations de l'immeuble des appelants conséquentes aux tassements différentiels.
Les appelants font valoir qu'un ensemble physique aurait été réalisé entre les deux murs ce que l'intimée conteste.
Les photographies déposées révèlent juste la mise d'un joint extérieur en façade, lequel à lui seul ne permet [pas] de conclure à une véritable prise de possession.
Quant à l'obstruction de la porte qui avait été créée dans le pignon et de la bouche d'aération, elles sont sans incidence, s'agissant d'ouvertures sur la propriété d'autrui qui avaient été autorisées en vertu d'une permission de voirie précaire accordée par l'État belge, laquelle avait pour objet l'installation d'une terrasse de café avec ouverture d'accès dans le pignon de l'immeuble actuellement propriété des appelants, permission qui fut révoquée par le jugement du 23 janvier 1983 du tribunal de première instance de Huy, ledit jugement ordonnant la remise du terrain dans son pristin état.
Quant à la demande d'indemnisation pour les usurpations de possession et les voies de fait commises sur le mur |
Les appelants restent en défaut de démontrer l'existence d'« usurpations de possession » et de « voies de fait commises sur leur mur ».
Quant à la question relative au dommage subi par les appelants suite à l'érection du bâtiment, la cour relève que l'intimée énonce que dans le cadre de l'expertise réalisée par l'expert Stalport quant à ces dommages, les parties ont transigé et couvert le dommage aujourd'hui réclamé.
Par ces motifs, (...)
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les appelants de leur demande de rachat de mitoyenneté.
Dit leur demande subsidiaire non fondée.
Les condamne aux dépens des deux instances, liquidés dans le chef de l'intimée à 1.500 euros d'indemnité de procédure pour chacune des deux instances (soit une indemnité majorée par rapport à l'indemnité de base de 990 euros pour une demande de 5.000,01 euros à 10.000 euros vu la complexité du litige, majoration demandée par l'intimée).
Siég. : Mme B. Prignon.
Greffier : M. M. Leclerc. |
Plaid. : MesTh. Smolders (loco A. Housiaux) et I. Berrewaerts (loco M. Donne). |