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16/02/2016
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Tribunal civil francophone Bruxelles (36e chambre), 16/02/2016


Jurisprudence - Avocat

J.L.M.B. 16/244
Impôts - Revenus des personnes physiques - Profits se rapportant à un exercice antérieur - Aide juridique - Indemnités versées par l'État aux avocats - Revenus payés tardivement par le fait d'une autorité publique - Exigence d'une faute ou d'une négligence (non). .
Le fait que ce soit en application des dispositions légales qui organisent cette indemnisation que les indemnités versées aux avocats qui pratiquent l'aide juridique leur sont payées avec plus d'un an de retard, ce qu'ils ne peuvent raisonnablement ignorer lorsqu'ils acceptent une désignation dans ce cadre, et non en raison d'une faute ou d'une négligence commise par l'État, ne peut les priver du bénéfice du régime de la taxation des profits se rapportant à un exercice antérieur, au motif que la tardiveté du paiement n'est pas imputable à une faute ou à une négligence de l'autorité publique. Pareille exigence de faute ou négligence ne figure nullement dans le texte de l'article 171, 6°, deuxième tiret, du Code des impôts sur les revenus 1992 qui dispose que ce bénéfice peut être invoqué dès que le retard de paiement intervient « par le fait de » l'autorité publique.

(Bernard / État belge, S.P.F. Finances )


(...)
1. Objet du litige
Le litige concerne l'enrôlement [de] Bernard à l'impôt des personnes physiques pour l'exercice d'imposition 2010, suivant avertissement-extrait de rôle notifié le 20 décembre 2012 (article n° 626.614.110), pour un montant de 13.461,70 euros.
Cet enrôlement faisait suite à la notification, le 13 novembre 2012, d'un avis de rectification de la déclaration souscrite, endéans les délais légaux, par Bernard, rédigé comme suit :

« Arriérés d'honoraires

Vous reprenez au code [1652] - arriérés d'honoraires - un montant de 33.668,14 euros.

Cependant, l'arrêt de la Cour de cassation du 23 avril 2010, mentionne que les arriérés d'honoraires perçus par les avocats sont taxables au taux plein.

Les travaux préparatoires des lois des 7 juillets 1953 et 28 mars 1955 ont fait apparaître que les termes par le fait de l'autorité publique signifient que la tardiveté du paiement ou de l'attribution de rémunération doit être imputable à une faute ou à une négligence de l'autorité publique : "en l'espèce, le paiement des indemnités par le ministre de la Justice au cours de l'année 2009 pour des prestations effectuées antérieurement ne résulte pas d'une faute dans le chef du ministre de la Justice mais de la procédure instituée par l'article 508/19 du Code judiciaire et par l'arrêté royal du 20 décembre 1999 contenant les modalités d'exécution relatives à l'indemnisation accordée aux avocats dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne et relatif au subside pour les frais liés à l'organisation des bureaux d'aide juridique.

Cette procédure est relativement longue, mais, la longueur de la procédure légale n'incombe pas à l'État belge. C'est le législateur qui l'a voulue comme telle » (Civ. Mons, 5 avril 2012, R.G. n° 10/3339/A).

Le montant que vous reprenez en arriérés sera donc ajouté à vos recettes reprises au code [1650] - profits ».

L'avis de rectification portait également sur le rejet de divers frais professionnels déclarés par Bernard.
Par la réclamation du 29 avril 2013 introduite par son conseil, Bernard sollicitait le dégrèvement intégral de l'imposition litigieuse, bien que la réclamation ne contestait que la taxation globale des indemnités perçues dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne (la question du rejet des frais professionnels n'est nullement abordée).
Par décision du 22 octobre 2013, le directeur a déclaré la réclamation recevable et non fondée.
La demande, telle que modifiée par voie de conclusions, tend à entendre :
  • Avant dire droit, dès l'audience d'introduction, poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :

« L'article 171, 6°, 2e tiret du Code des impôts sur les revenus 1992 viole-t-il les articles 10, 11, 23, alinéa 3, 2° et 172 de la Constitution, le cas échéant combinés aux articles 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et/ou 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, dans la mesure où, pour bénéficier d'une imposition distincte des profits de profession libérale payés tardivement par le fait d'une autorité publique, il exige que la tardiveté du payement ou de l'attribution de rémunération doit être imputable à une faute ou à une négligence de l'autorité publique ? ».

  • Mettre à néant la décision litigieuse et ordonner l'annulation/le dégrèvement de la cotisation à l'impôt des personnes physiques enrôlée pour l'exercice d'imposition 2010 sous l'article de rôle n° 626.614.110.
  • Condamner l'État belge à rembourser toutes sommes indûment perçues à majorer des intérêts moratoires.
  • Condamner l'État belge aux dépens, en ce compris l'indemnité de procédure fixée au montant majoré de 2.750 euros.
Lors de l'audience du 26 janvier 2016, le conseil de Bernard a précisé que la Cour constitutionnelle avait été saisie d'une question préjudicielle identique suite au jugement du tribunal de première instance du Brabant wallon du 2 février 2015 et que la Cour avait pris l'affaire en délibéré.
Bernard a donc demandé au tribunal de céans de ne pas poser la question préjudicielle visée dans le dispositif de ses conclusions puisqu'une réponse à celle-ci était attendue prochainement.
L'État belge conclut à l'absence de fondement de la demande ou, subsidiairement, à son fondement partiel.
La demande, régulière en la forme, est recevable.
II. Les faits
Les faits utiles à la solution du litige peuvent être résumés comme suit :
  • Bernard exerce la profession d'avocat.
  • Pour l'exercice d'imposition 2010 (revenus de 2009), il a déclaré en code 1650 de la déclarations (profits) le montant de 89.565,65 euros et, en code 1652 de la déclaration (arriérés d'honoraires), le montant de 33.668,14 euros, correspondant à 75 pour cent des indemnités perçues cette année-là dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne, afin de bénéficier, pour ce montant, d'une taxation distincte [1] à un taux plus avantageux. L'administration a rectifié la déclaration d'impôt de Bernard afin d'imposer globalement les honoraires déclarés en code 1652 avec les autres revenus de Bernard.
III. Discussion
1. Les thèses défendues par les parties
1. Bernard sollicite le bénéfice du régime de taxation distincte instauré par l'article 171, 6°, 2e tiret du C.I.R. 1992 sur un montant de 33.668,14 euros, correspondant à 75 pour cent des indemnités perçues en 2009 dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne.
Bernard invoque, outre l'existence d'un accord conclu avec l'administration à ce sujet, la réunion dans son chef des conditions prévues par la disposition précitée du C.I.R. 1992 dès lors qu'il conteste vivement l'interprétation qui en est donnée par la Cour de cassation et que l'État belge fait sienne.
Bernard conclut donc au dégrèvement intégral de la cotisation litigieuse [2].
2. L'État belge conteste l'existence d'un accord concernant la déclaration en « arriérés d'honoraires » d'un montant de 33.668,14 euros pour l'exercice d'imposition litigieux.
Pour le surplus, il conteste que l'article 171, 6°, C.I.R. 1992 permette la taxation distincte revendiquée par Bernard dès lors que l'application de cette disposition légale suppose que la tardiveté du paiement résulte d'une faute ou d'une négligence commise par l'autorité publique.
Cette disposition ne pourrait donc, selon l'État belge, jamais être appliquée aux indemnités « B.A.J. » puisque les modalités de paiements de celles-ci résultent du système mis en place par le législateur et non d'une faute ou d'une négligence commise par une autorité publique.
Tout au plus, l'État belge accepterait cette taxation distincte, à titre subsidiaire, pour un montant de 3.211,18 euros.
2. Le principe de sécurité juridique et de confiance
3. II convient d'emblée de constater qu'aucun accord n'existait entre Bernard et l'administration fiscale concernant la déclaration de 75 pour cent des indemnités perçues dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne en 2009 au code 1652 de la déclaration et, par conséquent, la taxation de celles-ci selon le régime des arriérés d'honoraires.
En effet, l'accord vanté par Bernard précise, sans équivoque possible, que « l'accord n'est valable que pour l'exercice 2008 et ne vise pas que ce poste. Dans votre cas, ça veut dire en particulier que pour vos indemnités pro deo l'article 171, 6°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (C.I.R. 1992) doit être appliqué correctement (dossier par dossier) (...) ».
Il résulte, cependant, du libellé de l'accord conclu pour l'exercice 2008 que l'administration fiscale ne semblait pas contester, à l'époque, le fait que les indemnités perçues dans le cadre de l'aide juridique puisse bénéficier du taux distinct prévu par l'article 171, 6°, C.I.R. 1992, pour autant que toutes les conditions soient remplies, alors qu'elle le conteste aujourd'hui.
Par conséquent, il s'impose de déterminer si Bernard peut se prévaloir du principe de sécurité juridique et de confiance pour enjoindre à l'État belge d'appliquer l'article 171, 6°, 2e tiret du C.I.R. 1992 aux indemnités « B.A.J. » qu'il a perçues en 2009.
4. Un arrêt de principe du 27 mars 1992 (Pas., I, 1992, p. 680) a énoncé que les principes de bonne administration, parmi lesquels figure le principe de sécurité juridique et de confiance, s'appliquent aussi en matière fiscale et s'imposent à l'administration des finances.
La Cour de cassation précisait que « le droit à la sécurité juridique implique notamment que le citoyen doit pouvoir faire confiance à ce qu'il ne peut concevoir autrement que comme étant une règle fixe de conduite et d'administration » et que « il s'ensuit que les services publics sont tenus d'honorer les prévisions justifiées qu'il ont fait naître dans le chef du citoyen ».
La Cour de cassation a, cependant, tempéré sa jurisprudence en précisant que, bien que l'administration doive respecter les attentes légitimes que son comportement a pu susciter dans le chef d'un contribuable, elle ne peut pas, pour autant, s'affranchir du respect de la loi fiscale et renoncer à un impôt légalement dû.
Elle a, de la sorte, opéré une hiérarchie entre le principe de légalité et le principe de sécurité juridique. Son enseignement est synthétisé dans une jurisprudence, désormais constante, comme suit :

« Les principes de bonne administration, qui comprennent le droit à la sécurité juridique, s'imposent à l'administration fiscale. L'administration fiscale doit appliquer la loi et n'est pas libre de renoncer à établir l'impôt légalement dû. Le droit à la sécurité juridique n'implique pas que le contribuable puisse se prévaloir de l'attitude antérieure de l'administration, même constante pendant plusieurs exercices, qui n'a pu faire naître dans son chef la conviction justifiée que l'administration renonçait à l'application stricte de la loi » (Cass., 18 décembre 2009, Pas., 2009, pp. 3076-3087 ; Cass., 10 décembre 2009, Pas., 2009, pp. 2957-2970 ; Cass., 30 mai 2008, Pas., 2008, n° 334).

5. Fort de cette évolution, l'État belge considère que, les conditions d'application de la taxation distincte relevant d'une question de droit et l'administration ne pouvant pas renoncer à l'établissement de l'impôt légalement dû, le principe de légalité l'emporte sur le principe de sécurité juridique.
Il s'ensuit que, un accord aurait-il même existé, Bernard ne pourrait pas s'en prévaloir.
6. Le tribunal ne peut, cependant, souscrire, de manière inconditionnelle, à la thèse selon laquelle le principe de sécurité juridique et de confiance aurait nécessairement un rang inférieur au principe de légalité de l'impôt de sorte que l'administration fiscale pourrait toujours se délier des accords qu'elle conclut ou de règles fixes de conduite qu'elle adopte si ceux-ci devaient être contraires à la loi.
[3]. Il est vrai que, en principe, l'interprétation par un juge d'une disposition légale se limite « à éclairer et à préciser la signification et la portée de celle-ci, telle qu'elle aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur » (C.J.U.E., Grzelczyk ,20 septembre 2001, C-184/99, point 50). Lorsqu'elle est imprévisible, l'application de l'interprétation d'une disposition légale à des faits antérieurs au prononcé de la décision qui la contient est cependant susceptible de constituer une violation du principe général de sécurité juridique.
Dans son célèbre arrêt Defrenne II, la Cour de justice de l'Union européenne a ainsi considéré que les mêmes « considérations impérieuses de sécurité juridique tenant à l'ensemble des intérêts en jeu, tant publics que privés » qui lui permettaient, selon le traité, de limiter les effets de ses arrêts d'annulation pouvaient, de façon exceptionnelle, l'amener à limiter, hors tout texte légal, les effets de ses arrêts d'interprétation aux revendications relatives à des périodes postérieures à sa prononciation (C.J.U.E., Defrenne, 8 avril 1976, aff. 43/75, points 72-74).
Dans son célèbre arrêt Marckx (Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, paragraphe 58), la Cour européenne des droits de l'homme a également admis que le principe de sécurité juridique permettait, dans certaines circonstances, de dispenser de remettre en cause les actes ou situations juridiques antérieurs au prononcé d'un arrêt constatant une violation de la Convention européenne des droits de l'homme.
En droit belge, le droit transitoire jurisprudentiel est plus timide. Il a toutefois émergé dans le cadre du contentieux préjudiciel résultant des arrêts de la Cour constitutionnelle constatant l'inconstitutionnalité d'une disposition légale.
L'article 8, alinéa 2, de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle ne permet, en effet, de limiter les effets dans le temps que de ses arrêts d'annulation.
Consciente des importants problèmes de sécurité juridique qu'une telle limitation pouvait entraîner, la Cour de cassation a décidé, à plusieurs reprises, qu'il appartenait « au pouvoir judiciaire, lors de l'interprétation de la loi, de fixer dans le temps les effets de la violation de la Constitution à laquelle conclut la Cour constitutionnelle dans une réponse à une question préjudicielle » et que le juge qui constatait « ainsi l'application dans le temps de l'anticonstitutionnalité constatée par la Cour constitutionnelle », devait « tenir compte de la confiance légitime de la société dans les dispositions légales et des exigences impératives de la sécurité juridique » (Cass., 20 décembre 2007, Pas., n° 2421 ; Cass., 29 septembre 2011, Pas., p. 2094).
À son tour, la Cour constitutionnelle a décidé que

« l'incertitude liée à l'applicabilité dans le temps des dispositions jugées inconstitutionnelles peut justifier que la Cour prévienne cette insécurité juridique dans l'arrêt préjudiciel » et que, bien que « le constat d'une inconstitutionnalité dans un arrêt préjudiciel soit déclaratoire, les principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime peuvent dès lors justifier de limiter l'effet rétroactif qui peut découler d'un tel constat » (C.C., arrêt n° 125/2011 du 7 juillet 2011, B.5.3. et B.5.4.) [4].

Le tribunal estime, par analogie, qu'il revient également au juge, dans des circonstances exceptionnelles, de tenir compte de la confiance légitime des sujets de droit et, plus largement, des exigences impératives de la sécurité juridique lorsqu'il détermine les effets dans le temps soit d'un revirement de jurisprudence, soit d'une interprétation qui n'était pas, raisonnablement, prévisible par les sujets de droit.
8. Bernard expose qu'il pouvait légitimement croire que l'administration fiscale acceptait d'appliquer aux indemnités perçues dans le cadre de l'aide juridique le régime de taxation distincte édicté par l'article 171, 6 °, 2e tiret C.I.R. 1992 en raison :
  • de l'accord dont il disposait en ce sens,
  • de l'interprétation donnée à cette disposition par l'administration fiscale elle-même dans les commentaires administratifs du Code des impôts sur les revenus.
Le tribunal a déjà constaté ci-dessus que, bien que l'accord conclu ne concerne pas l'exercice d'imposition 2010, le contenu de ce dernier laissait clairement la porte ouverte, pour l'avenir, à l'application du régime de taxation distincte pour autant que Bernard prenne la peine de démontrer, dossier par dossier, que les honoraires déclarés en code 1652 de la déclaration concernaient bien des prestations réalisées sur plus de douze mois et payées après l'année des prestations, en une seule fois.
En outre, force est de constater que le commentaire administratif du Code des impôts sur les revenus n'indique aucune condition relative à une faute ou une négligence du chef de l'autorité publique.
Le n° 171/345 [5] du Com.I.R. 92 est en effet rédigé comme suit :

« Les profits ne peuvent être imposés distinctement au taux moyen afférent aux autres revenus de la même période imposable (...) que s'ils répondent simultanément aux trois conditions suivantes :

1° ils doivent se rapporter à des actes accomplis durant une période supérieure à douze mois ;

2° ils doivent être payés - directement ou indirectement - par une autorité publique (voy. 171/347) ;

3° ils doivent être payés en une fois (voy. toutefois 171/349) ».

Lorsque Bernard a perçu ses indemnités d'aide juridique de deuxième ligne (2009), il ne pouvait pas savoir que l'État belge conditionnerait l'application de la taxation distincte au fait que le paiement réalisé après l'année des prestations résulte d'une faute ou d'une négligence de l'autorité publique.
En effet, cette exigence n'est apparue qu'après que la Cour de cassation ait décidé, le 23 avril 2010, que l'expression « par le fait de » devait en réalité se lire « par la faute de » :

« Par dérogation aux articles 130 à 168 du Code des impôts sur les revenus 1992, l'article 171, 6°, de ce code prévoit un régime spécial de taxation notamment pour certains arriérés de rémunérations dont l'imposition suivant les règles ordinaires de l'impôt des personnes physiques et en raison de la progressivité du taux de l'impôt causerait aux bénéficiaires une charge non équitable lorsque le payement ou l'attribution de ces rémunérations n'a lieu, par le fait de l'autorité publique, qu'après l'expiration de la période imposable à laquelle elles se rapportent effectivement.

Les termes « par le fait de l'autorité publique » signifient que la tardiveté du paiement ou de l'attribution de rémunérations doit être imputable à une faute ou à une négligence de l'autorité publique.

Les travaux préparatoires des lois des 7 juillet 1953 et 28 mars 1955, qui toutes deux avaient déjà instauré dans le même but un régime spécial de taxation, ont fait apparaître cette signification, qui répond aux objectifs du législateur et à laquelle l'article 23 de la loi du 20 novembre 1962, devenu l'article 171 du Code des impôts sur les revenus, n'a pas dérogé » (Cass., 23 avril 2010, R.G.C.F., 2011/1, pp. 55-57).

Cependant, contrairement à ce que prétend l'État belge, cette interprétation n'était pas raisonnablement prévisible [6] lorsque Bernard a perçu les revenus litigieux dès lors que les diverses décisions antérieures à l'arrêt de la Cour de cassation citées dans les conclusions de l'État belge ne concernent pas la problématique des indemnités d'aide juridique.
Les seules décisions se prononçant sur la question sont toutes postérieures à l'arrêt de la Cour de cassation. Elles ne permettent donc pas de démontrer que le sens donné à la disposition litigieuse était connu en 2009.
Le principe de sécurité juridique et de confiance légitime s'oppose à ce que l'interprétation donnée à une norme en 2010 puisse rétroagir lorsque cette interprétation n'était pas, raisonnablement, prévisible.
Compte tenu de ces développements, il apparaît que Bernard l'invoque, à bon droit, plus particulièrement le fait que l'administration admettait qu'une partie des indemnités « B.A.J. » puisse être déclarée en arriérés d'honoraires si les conditions d'application de l'article 171, 6°, 2e tiret du C.I.R. 1992 étaient réunies.
9. Par ailleurs, ainsi qu'il résultera des développements qui suivent, le tribunal considère que l'accord de l'administration d'appliquer cette disposition légale aux indemnités perçues dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne, pour autant que le contribuable démontre que toutes les conditions prévues sont respectées, procède d'une correcte application de la loi fiscale.
3. Les conditions d'application de l'article 171, 6°, 2e tiret du C.I.R. 1992
10. Pour bénéficier de la taxation distincte, les profits doivent répondre simultanément aux trois conditions suivantes :
  1. ils doivent être payés, directement ou indirectement, par une autorité publique,
  2. ils doivent se rapporter à des actes accomplis pendant une période d'une durée supérieure à douze mois,
  3. ils doivent être payés, par le fait de l'autorité publique, après l'année de réalisation des prestations en une fois.
11. Il résulte de l'arrêté royal du 20 décembre 1999 contenant les modalités d'exécution relatives à l'indemnisation accordée aux avocats dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne et relatif au subside pour les frais liés à l'organisation des bureaux d'aide juridique :
  • que l'avocat ne peut introduire son rapport que lorsque la prestation d'aide juridique pour laquelle il a été désigné d'office est terminée ou qu'il en a été déchargé (voy. article 2, 7°),
  • que ses rapports et ceux de ses confrères relatifs aux prestations d'aide juridique terminées lors de l'année judiciaire écoulée ou au cours d'une année antérieure sont transmis avant le 31 octobre à l'Ordre des barreaux concerné (voy. article 2, 3°),
  • qu'avant le 1er février de l'année qui suit, les Ordres des barreaux font des propositions quant à la valeur du point (article 2, 3°),
  • que le ministre détermine alors la valeur du point et que les montants correspondants sont versés successivement à l'Ordre des barreaux, au barreau puis à l'avocat (article 2, 4° et 5°).
Il ressort de ces modalités que la condition de paiement des indemnités en une fois après l'année de réalisation des prestations est toujours remplie dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne.
Il ressort également des conclusions des parties qu'elles s'accordent sur le fait que tant le pouvoir exécutif qui a pris l'arrêté royal précité que le ministre de la Justice et les Ordres des barreaux et des avocats dans le cadre de la mission qui leur est confiée par cet arrêté royal sont des « autorités publiques » au sens de l'article 171, 6°, C.I.R. 1992 de sorte que la condition du paiement par une autorité publique est également remplie.
12. Les parties divergent, pour rappel, sur la portée qu'il convient de donner à l'expression « par le fait de l'autorité publique », l'État belge se ralliant à l'interprétation donnée par la Cour de cassation, Bernard la contestant vivement.
Le tribunal ne peut se rallier à la jurisprudence de la Cour de cassation.
D'une part, il est unanimement admis qu'un texte clair ne s'interprète pas et que la volonté du législateur ne peut être recherchée que si les termes de la loi sont équivoques ou ambigus.
En l'espèce, le tribunal n'aperçoit pas en quoi l'expression « par le fait de » pourrait être équivoque. Il convient, en effet, de donner aux mots leur sens commun en langue française et force est de constater que le mot « fait » reçoit la définition suivante : « acte, phénomène, action » ou encore, dans une acception plus juridique, « tout événement susceptible de produire des effets de droit, d'avoir des conséquences juridiques ».
L'expression « par le fait de » signifie, par conséquent, « par l'action de » [7].
Le sens commun du mot fait est donc totalement étranger à l'idée de faute (le fait et la faute sont, sans équivoque possible, deux notions différentes).
D'autre part, conviendrait-il même d'interpréter le texte légal en vue de rechercher l'intention du législateur, le tribunal ne pourrait que constater que les travaux préparatoires de l'article 171, 6°, 2e tiret, précité ne font aucunement référence à la notion de faute ou de négligence.
En effet, par l'article 93 de l'ancien Code des impôts sur les revenus, devenu l'article 171, le législateur a voulu éviter les conséquences sévères que l'application rigoureuse de la progressivité de l'impôt des personnes physiques entraînerait pour les contribuables qui recueillent certains revenus ayant un caractère plutôt exceptionnel. Selon les travaux préparatoires, le législateur a voulu « freiner la progressivité de l'impôt, lorsque le revenu imposable comprend des revenus non périodiques » (Doc. parl., Chambre, 1961-1962, n° 264/1, p. 85 ; ibid., n° 264/42, p. 126).
L'article 171, 6°, 2e tiret, procède d'une intention similaire. L'exposé des motifs de la loi de réorientation économique du 4 août 1978 (qui modifia l'article 93 précité) indique :

« Dans l'état actuel de la législation, les honoraires et autres profits qui se rapportent à des prestations accomplies pendant une période d'une durée supérieure à douze mois et dont le montant n'a pas, par le fait de l'autorité publique, été payé au cours de l'année des prestations mais a été réglé en une seule fois, sont taxés comme des revenus de l'année pendant laquelle ils ont été perçus avec application du taux normal d'imposition. Pour y pallier, il est proposé d'appliquer aux honoraires et autres profits de l'espèce un régime analogue à celui qui s'applique déjà actuellement aux "pécules de vacances promérités" payés aux employés. Ceci revient en fait à appliquer aux arriérés d'honoraires, etc., le taux d'impôt applicable à ce qui correspond normalement à douze mois de prestations » (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n° 415/1, pp. 33 et 34).

Le rapport de la commission du Sénat précise :

« Le chapitre II règle le problème de la taxation des honoraires payés par une autorité publique aux titulaires de professions libérales pour des prestations qui sont étalées sur une période de plus de douze mois. Pour éviter une surtaxation due à la progressivité du taux de l'impôt, la quotité des honoraires qui excède proportionnellement un montant correspondant à douze mois de prestations sera imposée distinctement au taux afférent à l'ensemble des autres revenus imposables » (ibid., n° 415/2, p. 51).

En commission du Sénat, le ministre a indiqué :

« Les honoraires qui se rapportent à des prestations accomplies pendant une période supérieure à douze mois et qui, par le fait de l'autorité publique, ne sont pas payés pendant l'année des prestations mais liquidés en une seule fois, sont actuellement imposés au cours de l'année de l'encaissement et le taux d'imposition progressif est appliqué sans atténuation. Dans l'article 51 du projet, il est suggéré un régime analogue à celui qui existe à présent pour le pécule de vacances promérité à l'employé ; dorénavant donc ces honoraires seront subdivisés en deux parties : a. Une première partie qui correspond à douze mois de prestations sera ajoutée aux autres revenus de l'année pour constituer la base imposable ; b. Une deuxième partie - le reste - qui sera taxée distinctement suivant le tarif appliqué aux revenus sub a. (...) Ce régime existe déjà pour le pécule de vacances promérité payé à l'employé qui quitte l'entreprise » (ibid., n° 415/2, pp. 71 et 72).

Ces travaux préparatoires ne font nullement référence à l'exigence d'une quelconque faute ou négligence dans le chef de l'autorité publique pour permettre l'application de la taxation distincte.
Cet « écueil » a, cependant, été contourné par l'arrêt précité de la Cour de cassation en considérant que l'interprétation de l'expression « par le fait de » devait être recherchée dans les travaux préparatoires de la disposition qui deviendra l'article 171, 5°, b, C.I.R. 1992, après avoir constaté que les travaux préparatoires de l'article 171, 6°, n'y avaient pas dérogé.
Or, les travaux préparatoires de l'article 171, 5°, b, ne font pas plus référence à l'exigence d'une faute ou d'une négligence dans le chef de l'autorité publique.
En effet, l'exposé des motifs du projet ayant donné lieu à la loi du 7 juillet 1953 contient les explications suivantes :

« Les rémunérations payées par les pouvoirs publics à leur personnel subissent parfois des modifications avec un effet rétroactif plus ou moins long ensuite de l'intervention tardive, soit des dispositions légales prévoyant ces modifications, soit des mesures d'exécution.

Cet état de choses, qui se présente surtout dans le chef des personnes dont la rémunération est fixée par la loi, provoque des paiements d'arriérés entraînant une application excessive de la progressivité des impôts du fait que la base imposable est constituée par l'ensemble des rémunérations se rapportent effectivement.

Le présent projet de loi a pour but de porter remède à cette situation » (Doc. parl., Chambre, sess. 1952-1953, n° 328, p. 1).

L'intention du législateur est précisée dans le commentaire des articles du projet de loi ayant donné lieu à la loi du 28 mars 1955 apportant certaines simplifications à la législation relative aux impôts directs. Dans le commentaire commun des articles 3, 4, 5 et 10, 1°, l'auteur de ce projet de loi explique concrètement l'objet principal de la mesure d'imposition séparée des rémunérations payées tardivement par l'autorité publique :

« Certes, l'ajustement des traitements des agents des services publics et assimilés, résultant de la péréquation avec effet au 1er janvier 1951, est terminé à l'heure actuelle et l'on pourrait en conclure qu'une modification du régime fiscal des arriérés de rémunérations serait en ce moment de peu d'utilité pratique.

Il ne faut cependant pas perdre de vue que, depuis la fin de la guerre, quatre péréquations générales des traitements ont été effectuées ; que l'adaptation de certains traitements et celle des pensions reste à faire et, enfin, qu'il existe d'autres causes de révision des traitements ou pensions, avec effet rétroactif (promotions, révisions de carrières, mesures spéciales visant une catégorie déterminée d'agents, etc.). C'est dire que le statut pécuniaire des agents des services publics et assimilés évolue de façon quasi permanente et que le problème fiscal que pose le paiement d'arriérés mérite d'être reconsidéré sans plus attendre » (Projet de loi apportant certaines modifications à la législation relative aux impôts directs, Exposé des motifs, Doc. parl., Chambre, sess. 1954-1955, n° 160/1, p. 5).

La Cour de cassation s'était exprimée sur la portée qu'il convenait de donner à l'article 171,5°, b, C.I.R. 1992 par un arrêt du 23 janvier 1974 (Pas., 1984, I, p. 542) :

« Les termes "par le fait de l'autorité publique" signifient que la tardiveté du paiement ou de l'attribution des rémunérations doit être imputable à une autorité publique ».

Elle réitéra le 18 juin 1987 (Pas., 1987, I, p. 1305).
Le terme « imputable » utilisé par la Cour n'implique pas que le régime de taxation distincte ne puisse s'appliquer qu'en cas de faute ou de négligence commise par l'autorité publique. Tout au plus, la Cour constatait que la tardiveté du paiement devait être la conséquence de l'action de l'autorité publique, permettant implicitement que le bénéfice de la taxation distincte puisse être refusé lorsque la tardiveté du paiement n'est pas exclusivement imputable au fait de l'autorité publique (cet argument de l'État belge sera examiné sous le point 13 ci-dessous).
Enfin, avec Messieurs Van Brustem, le tribunal considère que :

« L'interprétation que fait la Cour de cassation nous semble aller bien au-delà de ce qui motiva les auteurs de la loi du 7 juillet 1953 qui voulaient atténuer les conséquences dommageables pour le contribuable, du fait de la progressivité de l'impôt, de retards dont la cause ne lui était tout simplement pas imputable. Or, s'il peut arriver que le titulaire de profits soit en mesure de convenir des modalités de paiement des honoraires et, dans ce cas, rompre le lien de causalité entre le retard et son imputabilité à l'autorité administrative, tel n'est certainement pas le cas lorsque le retard provient des modalités d'indemnisation de l'aide juridictionnelle » (E. Van Brustem et M. Van Brustem, « L'exclusion du bénéfice de la taxation distincte des arriérés d'honoraires payés aux avocats au titre de l'aide juridictionnelle est-elle justifiée ? », J.L.M.B., 2011/1, pp. 14-20).

Dès lors que le législateur n'a jamais eu l'intention de donner à l'expression « par le fait de » le sens de « par la faute de », il est normal que les travaux préparatoires de l'article 171, 6°, C.I.R. 1992 n'aient pas précisé qu'ils entendaient déroger à ceux de l'article 171, 5°, b, du même code.
Par ailleurs, si telle avait été l'intention du législateur, les termes « par la faute ou la négligence de » auraient été utilisés.
Tel n'a pas été le cas en l'espèce. Il n'y a dès lors pas lieu de donner aux mots « par le fait de » une signification qu'ils ne peuvent en aucun cas recevoir.
Bernard n'est donc pas tenu de démontrer que les indemnités perçues en 2009 ont été payées tardivement en raison d'une faute ou d'une négligence de l'autorité publique.
Il lui suffit de démontrer que le paiement intervenu après la ou les périodes imposables pendant lesquelles les prestations ont été réalisées résulte du fait de l'autorité publique.
13. À cet égard, c'est en vain que l'État belge prétend que, quel que soit le sens donné à l'expression « par le fait de », l'article 171, 6°, C.I.R. 1992 ne pourrait pas être appliqué dès lors que les avocats agissent dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne sur une base volontaire et qu'ils marquent, de ce fait, leur accord sur les modalités de paiement de leur honoraires.
Le moment du paiement des indemnités ne serait donc pas le fait de l'autorité publique mais bien, à tout le moins pour partie, le fait de l'accord de l'avocat concerné sur les modalités de paiement.
Le tribunal ne peut pas souscrire à ce raisonnement.
En effet, s'il est exact que le lien de causalité entre le moment du paiement et le fait de l'autorité publique peut être rompu par la convention des parties ou la simple faculté de réclamer le paiement de provisions [8], la participation volontaire d'un avocat au système d'aide juridique, véritable service public fonctionnel, ne constitue [en] rien une telle rupture.
Le droit à l'aide juridique est garanti à chaque citoyen par l'article 23, alinéa 2, 2°, de la Constitution. L'aide juridique et les modalités d'exercice de ce droit sont organisées par les articles 508/1 à 508/25 du Code judiciaire ainsi que par l'arrêté royal du 20 décembre 1999 précité.
Concrètement, une personne physique se trouvant dans les conditions de revenus lui permettant de bénéficier de l'aide juridique de deuxième ligne (totalement ou partiellement gratuite) peut, soit s'adresser au bureau d'aide juridique afin d'obtenir la désignation d'un avocat [9], soit s'adresser directement à un avocat afin que ce dernier demande à être désigné par le bureau d'aide juridique.
Par ailleurs, l'avocat qui constate que le client qui le consulte se trouve dans les conditions pour bénéficier de l'aide juridique a l'obligation de l'en informer (article 5.10 du Code de déontologie).
Certes, le système mis en place par l'État belge n'oblige pas l'avocat, sous peine de sanction, à participer à l'aide juridique. Cette obligation existe, cependant, de facto, dans certaines spécialisations, pour lesquelles les clients remplissent toujours les conditions d'accès à l'aide juridique (les étrangers dans le cadre de demande de séjour, les mineurs, les bénéficiaires de l'aide sociale, les détenus, les malades mentaux, ...) de sorte que l'avocat désireux de pratiquer ces matières ne peut le faire que dans le cadre de l'aide juridique.
En outre, une fraction de la clientèle des avocats rentre dans les critères de ressources lui permettant de bénéficier de l'aide juridique. Sous peine d'être privé d'une partie de sa clientèle [10], l'avocat n'a pas toujours d'autres choix que d'accepter de participer au système de l'aide juridique tel qu'organisé par l'État belge.
Enfin, l'avocat peut également être désireux de prêter ses compétences aux personnes économiquement plus défavorisées afin de participer au service public fonctionnel qu'est l'aide juridique.
Ces expressions de volonté n'entraînent en aucun cas un accord de l'avocat sur les modalités de paiement des indemnités. Celles-ci sont organisées par la loi et aucune possibilité de négociation n'existe.
Par conséquent, le fait que les avocats acceptent de participer au système de l'aide juridique ne rompt pas le lien causal entre le moment du paiement et le fait de l'autorité publique.
14. Dès lors que le tribunal a décidé qu'il n'existait pas d'accord, pour l'exercice d'imposition 2010, permettant de déclarer en code 1652 de la déclaration un montant forfaitaire équivalent à 75 pour cent des indemnités perçues en 2009, Bernard doit encore démontrer que les montants d'honoraires pour lesquels il sollicite la taxation distincte (soit 33.668,14 euros) concernent des prestations réalisées sur une période supérieure à douze mois.
À cet égard, Bernard produit le relevé des dossiers pour lesquels il a reçu une indemnisation en 2009. Ce relevé mentionne les dates de désignation et de clôture des divers dossiers.
Selon Bernard, les dossiers pour lesquels des prestations ont été réalisées sur plus de 12 mois totalisent 1.411 points, ce qui correspond à un montant d'honoraires de 1.411 x 23,26 (valeur du point en 2009) = 32.819,86 euros.
Outre le fait que ce total ne correspond pas à celui qui a été déclaré, Bernard a manifestement perdu de vue que, une fois les conditions de la taxation distincte remplies, les honoraires doivent encore être subdivisés prorata temporis en deux parties :
  • une première partie qui correspond à douze mois de prestations est ajoutée aux autres revenus de l'année de perception pour constituer la base imposable globalement,
  • une seconde partie - le solde - qui est taxée distinctement suivant le taux moyen appliqué aux revenus imposables globalement.
L'État belge a effectué le calcul en pièce B1/188 de son dossier et aboutit à la possibilité pour Bernard de revendiquer la taxation distincte à concurrence de 3.211,18 euros.
Interrogé à l'audience sur la pertinence de ce calcul, le conseil de Bernard s'est référé à l'appréciation du tribunal.
Après examen du relevé des dossiers déposé par Bernard, il s'avère que ce calcul doit être légèrement rectifié dès lors qu'il n'a pas tenu compte d'un montant de 41,15 euros imposable distinctement (durée des prestations = 13 mois) et qu'il y a lieu d'imposer les profits de l'exercice d'imposition 2010 de la manière suivante :
  • honoraires imposables globalement 119.981,46 euros
  • arriérés d'honoraires imposables distinctement 3.262,33 euros
L'impôt dû par Bernard devra donc être recalculé en tenant compte de cette répartition.
La demande de Bernard est, dès lors, très partiellement fondée.
Dans la mesure où il succombe, l'État belge doit être condamné à supporter les dépens exposés par Bernard.
En ce qui concerne les dépens, il convient de rappeler que, conformément à l'article 1017, alinéa 4, du Code judiciaire, les dépens peuvent être compensés dans la mesure appréciée par le juge si les parties succombent respectivement sur quelque chef. L'application de cette disposition « ne requiert toutefois pas que les parties aient introduit des demandes réciproques » (Cass., 19 janvier 2012, Pas., p. 158).
Dans la mesure où l'État belge ne succombe que très partiellement, il sera condamné à supporter un dixième des dépens exposés par Bernard, évalués en leur totalité au montant de 1.210 euros.
Il n'y a, en effet, pas lieu d'accorder à Bernard le bénéfice de l'indemnité de procédure au montant maximal fixé par l'arrêté royal du 26 octobre 2007 pour les litiges dont l'enjeu se situe entre 10.000,01 euros et 20.000 euros.
La procédure n'a, en effet, ni été particulièrement complexe, ni entraîné l'accomplissement de devoirs d'instruction plus importants que ceux devant être réalisés dans toute procédure judiciaire.
Par ces motifs, (...)
Ordonne le dégrèvement partiel de la cotisation litigieuse dans la mesure où l'impôt calculé n'a pas tenu compte d'un montant d'honoraires de 3.263,33 euros imposables distinctement conformément à l'article 171, 6°, 2e tiret du C.I.R. 1992 ;
Déboute Bernard du surplus de sa demande ;
Ordonne le remboursement de toutes sommes perçues indûment du fait de la cotisation litigieuse, majorées des intérêts de retard calculés conformément à l'article 418 C.I.R. 1992 ;
Condamne l'État belge à supporter un dixième des dépens de l'instance liquidés en totalité pour Bernard à 1.210 euros.
Siég. :  M. R. Leruth.
Greffier : Mme C. Boone.
Plaid. : MeL. Laperche (loco V. Letellier et Mme M. Assoignons.
N.B. : Voy., en sens contraire, Cass., 23 avril 2010, cette revue, 2011, p. 11, et les observations critiques de Michel et Éric Van Brustem, « L'exclusion du bénéfice de la taxation distincte des arriérés d'honoraires payés aux avocats au titre de l'aide juridictionnelle est-elle justifiée ? ». Voy. aussi, cette fois dans le même sens, Cour constitutionnelle, 25 février 2016, publiée ci-avant, p. 676.

 


[1] Par application de l'article 171, 6°, 2e tiret du C.I.R. 1992 selon lequel « Par dérogation aux articles 130 à 168, sont imposables distinctement, sauf si l'impôt ainsi calculé, majoré de l'impôt afférent aux autres revenus, est supérieur à celui que donnerait l'application desdits articles à l'ensemble des revenus imposables :

6° au taux afférent à l'ensemble des autres revenus imposables : (...)

- les profits visés à l'article 23, paragraphe 1er, 2°, qui se rapportent à des actes accomplis pendant une période d'une durée supérieure à douze mois et dont le montant n'a pas, par le fait de l'autorité publique, été payé au cours de l'année des prestations mais a été réglé en une seule fois, et ce exclusivement pour la partie qui excède proportionnellement un montant correspondant à douze mois de prestations ; ».
[2] Il convient, cependant, de relever dès à présent que la cotisation litigieuse ne repose pas uniquement sur la taxation globale des indemnités perçues dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne mais également sur le rejet de divers frais professionnels que Bernard ne conteste pas. Il n'y aura, par conséquent et en toutes hypothèses, pas lieu de dégrever intégralement la cotisation litigieuse.
[3] Les développements qui suivent sont repris d'un jugement prononcé par la septante-septième chambre du tribunal de première instance francophone de Bruxelles (jugement n° F-20150310-9 (R.G. n° 5/4879/A) du 10 mars 2015,www.juridat.be ).
[4] N.D.L.R. : cette revue, 2011, p. 1426 et obs. M. Westrade.
[5] Alors que l'administration fiscale invoque la jurisprudence de la Cour de cassation pour restreindre la portée de l'article 171, 6 °, 2e tiret C.I.R. 1992, il est étonnant de constater que le commentaire administratif n'a jamais été modifié en ce sens.
[6] Sans préjudice des critiques dont cette interprétation peut faire l'objet, lesquelles seront examinées infra sous le point n° 12.
[7] http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/fait/32729/locution>.
[8] Raisons pour lesquelles l'application du régime de taxation distincte est exclue pour les honoraires payés par des personnes privées et peut l'être pour les honoraires payés par des autorités publiques dans le cadre de contrats conclus avec le prestataire indépendant.
[9] L'avocat désigné est inscrit sur une liste d'avocats désireux d'accomplir à titre principal ou à titre accessoire des prestations au titre de l'aide juridique (article 508/7 du Code judicaire).
[10] Il n'est en effet pas contesté que le mandat de l'avocat lui est conféré par le bénéficiaire de l'aide juridique et non par l'État belge qui n'intervient qu'en qualité de tiers payant.


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Sommaire

  • Le fait que ce soit en application des dispositions légales qui organisent cette indemnisation que les indemnités versées aux avocats qui pratiquent l'aide juridique leur sont payées avec plus d'un an de retard, ce qu'ils ne peuvent raisonnablement ignorer lorsqu'ils acceptent une désignation dans ce cadre, et non en raison d'une faute ou d'une négligence commise par l'État, ne peut les priver du bénéfice du régime de la taxation des profits se rapportant à un exercice antérieur, au motif que la tardiveté du paiement n'est pas imputable à une faute ou à une négligence de l'autorité publique. Pareille exigence de faute ou négligence ne figure nullement dans le texte de l'article 171, 6°, deuxième tiret CIR 1992 qui dispose que ce bénéfice peut être invoqué dès que le retard de paiement intervient « par le fait de » l'autorité publique.

Mots-clés

  • Impôts - Revenus des personnes physiques - Profits se rapportant à un exercice antérieur - Aide juridique - Indemnités versées par l'État aux avocats - Revenus payés tardivement par le fait d'une autorité publique - Exigence d'une faute ou d'une négligence (non).

Date(s)

  • Date de publication : 15/04/2016
  • Date de prononcé : 16/02/2016

Référence

Tribunal civil francophone Bruxelles (36 echambre), 16/02/2016, J.L.M.B., 2016/15, p. 700-712.

Branches du droit

  • Droit judiciaire > Aide juridique > Indemnisation des avocats
  • Droit fiscal > Impôt sur les revenus > Impôt sur les revenus - Impôt des personnes physiques > Régimes spéciaux

Éditeur

Larcier

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