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18/12/2015
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De chauffeur à débardeur : une aggravation du risque dont l'absence de déclaration ne peut être reprochée au preneur d'assurance


Jurisprudence - Assurances

Assurances - Généralités - Assurance individuelle accident - Absence de déclaration de l'aggravation du risque en cours de contrat - Changement de profession - Omission ou inexactitude non intentionnelles - Absence d'information révélant que le changement aggravait le risque - Charge de la preuve .
Observations. .

A. Le contexte factuel et la question de droit
L'arrêt annoté illustre un cas d'aggravation du risque soumis au régime de l'article 26 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre (devenu l'article 81 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances [1]). Les faits de la cause sont relativement simples. L'époux et père des intimés avait souscrit un contrat d'assurance individuelle accident qui prévoyait le versement d'un capital en cas de décès. Par un avenant en date du 3 mars 2008, il a déclaré exercer la profession de chauffeur de camion. Peu de temps après, le 30 juin 2008, il décède accidentellement sur les lieux de son travail, suite à la chute d'un arbre mort qui le frappe à l'arrière de la tête.
L'assureur refuse de prester l'intégralité de sa garantie au profit de l'épouse et des enfants bénéficiaires au motif que son assuré n'a pas déclaré son changement de profession, lequel constituerait une aggravation du risque couvert. En effet, dans le contrat d'assurance, la victime était renseignée comme chauffeur alors que, au moment de l'accident litigieux, cette dernière exerçait la profession de débardeur (métier qui consiste à transporter des bois coupés par le bûcheron jusqu'à une place de dépôt située au bord d'une route forestière où un camion pourra venir les charger). Il convient de noter, qu'au contraire du débardeur, le transporteur de bois n'est pas exposé au milieu forestier.
La question juridique qui se pose est alors de savoir si ce changement de profession constitue une aggravation du risque et, le cas échéant, si la non-déclaration de celle-ci peut être reprochée au preneur d'assurance.
B. Le régime de l'aggravation du risque
Le régime de l'aggravation du risque en cours d'exécution du contrat d'assurance, tel que prévu par l'ancien article 26 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, a été instauré en vue de préserver l'équilibre entre les prestations des parties contractantes. En effet, pour fixer le montant exact de la prime d'assurance due, l'assureur apprécie la gravité du risque à couvrir. Si, en cours de contrat, l'intensité du risque vient à se modifier, l'économie du contrat est bouleversée et un réexamen de celui-ci est nécessaire [2]. C'est parfois le cas lorsque, comme en l'espèce, le souscripteur d'une assurance contre les accidents change de profession [3].
Ce régime s'applique à tous les contrats d'assurance à l'exception de trois branches : l'assurance sur la vie [4], l'assurance maladie et l'assurance-crédit (article 26, paragraphe 1er, alinéa 1er). Ces exceptions sont d'interprétation stricte [5]. Puisque l'assurance individuelle accidents fait partie de la catégorie des assurances autres que sur la vie, elle est soumise au régime de l'article 26 de la loi [6].
1. L'obligation de déclaration
L'article 26, paragraphe 1er, de la loi du 25 juin 1992 renvoie explicitement aux conditions de l'article 5 (nouvel article 58 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances) concernant l'obligation de déclaration lors de la conclusion du contrat. Ces deux dispositions qui prévoient des solutions similaires « répondent à des préoccupations analogues à deux moments successifs » [7].
À la conclusion du contrat, le preneur « a l'obligation de déclarer exactement (...) toutes les circonstances connues de lui et qu'il doit raisonnablement considérer comme constituant pour l'assureur des éléments d'appréciation du risque » (article 5, alinéa 1er) (principe de la déclaration spontanée). Dans le cadre de l'arrêt commenté, il a été considéré que, puisque la victime n'exerçait pas encore la profession de débardeur au moment de la formation du contrat, le litige se situe bien dans le cadre de l'article 26 de la loi et non dans le cadre de l'article 5.
En cours de contrat, le preneur d'assurance a l'obligation de déclarer les aggravations du risque [8], c'est-à-dire « les circonstances nouvelles ou les modifications de circonstances qui sont de nature à entraîner une aggravation sensible et durable du risque de survenance de l'événement assuré » (article 26, paragraphe 1er, alinéa 1er[9]. Le législateur n'a pas précisé le délai endéans lequel cette déclaration doit être effectuée mais on considère généralement que celle-ci doit intervenir dans un délai raisonnable à partir de la prise de connaissance de l'aggravation par le preneur [10]. Par ailleurs, il convient de rappeler que, même si c'est le cas en l'espèce, il n'est pas exigé que la circonstance nouvelle ait ou puisse avoir une influence sur le sinistre lui-même [11].
2. La notion d'aggravation sensible et durable du risque
Bien que l'obligation de déclaration repose sur le preneur, la charge de la preuve de l'aggravation du risque, en revanche, incombe à la compagnie d'assurances (application de l'article 1315, alinéa 2, du Code civil), laquelle peut être rapportée par toutes voies de droit [12]. En l'espèce, la compagnie d'assurances soutient que le passage de la profession de chauffeur à la profession de débardeur a pour effet d'exposer l'assuré au milieu de la forêt ce qui augmente de manière sensible et durable le risque de décès accidentel.
L'aggravation est dite sensible lorsque « le risque de survenance de l'événement assuré [13] s'est aggravé de telle sorte que, si l'aggravation avait existé au moment de la souscription, l'assureur n'aurait consenti l'assurance qu'à d'autres conditions », voire « n'aurait en aucun cas assuré le risque aggravé » (article 26, paragraphe 1er, alinéas 1er et 3). La preuve que l'assureur n'aurait contracté qu'à d'autres conditions peut être déduite du comportement adopté par l'assureur dans des situations analogues et notamment de la production de documents internes établissant la politique de la compagnie en matière de couverture et de tarification [14]. Dans le cadre de l'arrêt annoté, la compagnie d'assurances a déposé des pièces démontrant que la prime qu'aurait dû payer l'assuré en tant que « débardeur » s'élevait à la somme de 762,84 euros alors que celle payée en qualité de « chauffeur » ne se chiffrait qu'à 488,58 euros.
En outre, l'aggravation doit être « durable » [15]. Ainsi, une aggravation seulement temporaire ne justifie pas l'application du régime prévu par l'article 26 [16]. Dans l'arrêt qui nous retient, la victime n'était pas en train d'effectuer ses activités de débardage à titre purement occasionnel. Exerçant sa profession de manière journalière, il s'agit bien d'une circonstance qui s'inscrit dans la durée.
3. Les sanctions d'un défaut de déclaration
Dès lors, si la qualification d'aggravation sensible et durable du risque s'impose directement aux yeux de la cour, la sanction du défaut de déclaration donne en revanche lieu à davantage de discussions... En effet, n'ayant pas procédé à la déclaration requise par l'article 26, paragraphe 1er, le preneur s'expose à l'application du paragraphe 3 qui règle le cas où un sinistre surviendrait avant la régularisation du contrat [17].
Dans le cadre de l'arrêt commenté, l'assureur cherche à démontrer le caractère fautif de l'absence de déclaration de l'aggravation du risque. En effet, si le défaut de déclaration peut être reproché au preneur d'assurance, l'assureur ne devra prester sa garantie que partiellement [18] : il n'interviendra que « selon le rapport entre la prime payée (soit 488,58 euros) et la prime que le preneur aurait dû payer si l'aggravation avait été prise en considération (soit 762,84 euros) » (article 26, paragraphe 3, b). Autrement dit, cela permettrait à la compagnie d'assurances de ne verser que 64 pour cent de la prestation initialement convenue ! En revanche, si le défaut de déclaration ne peut être reproché au preneur, l'assureur est tenu de couvrir intégralement le sinistre (article 26, paragraphe 3, a).
Le caractère « reprochable » ou « irréprochable » du défaut de déclaration s'analyse à la lumière de l'article 5 de la loi du 25 juin 1992 qui oblige le preneur d'assurance à ne déclarer que les circonstances qu'il doit raisonnablement considérer comme constituant, pour l'assureur, des éléments d'appréciation du risque [19]. De manière générale, le défaut de déclaration peut être reproché à l'assuré si celui-ci a commis une faute in abstracto, autrement dit, s'il n'a pas agi comme un preneur d'assurance normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances [20].
Dans le cas d'espèce, le juge a estimé que le preneur d'assurance ne devait pas raisonnablement considérer, en cours d'exécution du contrat, que son activité de débardeur faisant suite à son activité de chauffeur de camion constituait pour la compagnie une circonstance nouvelle ou une modification de nature à aggraver sensiblement le risque de survenance de l'événement assuré. La seule constatation que le transporteur de bois n'est pas exposé au milieu de la forêt, au contraire d'un débardeur, ne suffit pas, selon lui, à démontrer le caractère « reprochable » de l'absence de déclaration.
Par ailleurs, il convient de rappeler que le principe de l'exécution de bonne foi des conventions trouve également à s'appliquer en droit des assurances [21]. Il n'est pas toujours évident pour le preneur, profane en la matière, de savoir ce qui constitue un élément d'appréciation du risque dans l'esprit de l'assureur. Ceci a pour corollaire qu'il appartient à l'assureur, dans certaines circonstances, « d'attirer l'attention de son preneur d'assurance sur les événements susceptibles d'influencer son appréciation du risque » [22], de ne pas demeurer passif [23] et de prendre l'initiative de poser une question [24]. Dans le cadre de l'arrêt annoté, le juge constate qu'à aucun moment, lors de la formation du contrat ou en cours de celui-ci, la compagnie d'assurances n'a remis un formulaire ou un quelconque document révélant que le métier spécifique de débardeur constituait pour elle un élément d'appréciation du risque entraînant une augmentation de prime [25]. Dans ces circonstances, la cour a estimé que le preneur ne pouvait pas raisonnablement penser que l'assureur voyait une différence fondamentale dans l'exercice de l'une ou l'autre profession. Puisque le défaut de déclaration ne peut pas être reproché au preneur, la compagnie d'assurances n'est pas fondée à limiter son intervention.
En se référant ainsi aux documents remis par la compagnie, le juge doit toutefois veiller à ne pas sous-entendre qu'il appartiendrait à l'assureur d'interroger périodiquement son assuré sur les circonstances pouvant aggraver le risque et, notamment, sur un changement d'activité. En effet, un tel raisonnement serait contraire au dispositif légal puisque l'article 26 oblige l'assuré à déclarer spontanément l'aggravation du risque ! Cependant, à titre personnel, il ne nous semble pas excessif de la part du juge de s'être basé sur ces documents compte tenu des circonstances particulières du cas d'espèce. En effet, techniquement parlant, la seule différence entre un débardeur et un chauffeur de camion se situe dans le fait que le premier transporte le bois du lieu où il est coupé jusqu'à la lisière de la forêt alors que le second effectue la suite du voyage sur les routes, soit en dehors de l'environnement forestier. Puisque ces deux activités sont étroitement liées (voire quasiment identiques), il nous paraît légitime de la part du juge d'avoir examiné tous les indices qui auraient raisonnablement permis à l'assuré de prendre conscience que son changement de profession constituait une circonstance aggravant le risque couvert.

 


[1] Loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, M.B., 30 avril 2014, p. 35.487. Le nouvel article 81 reprend à l'identique le régime de l'aggravation du risque prévu par la loi du 25 juin 1992, sous réserve de l'ajout d'un petit bout de phrase au second alinéa du paragraphe premier (« sans préjudice des dispositions de la partie 3, titre III, chapitre 2 » de la loi, c'est-à-dire des dispositions nouvelles en matière de segmentation). Pour un aperçu global des changements opérés par la loi du 4 avril 2014, voy. B. Dubuisson (sous la direction de), La nouvelle loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, Bruxelles, Larcier, 2015.
[2] M. Fontaine, Droit des assurances, 4e édition, Précis de la Faculté de droit de l'Université catholique de Louvain, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 187.
[3] A contrario, pour un arrêt où le changement de profession n'a pas été considéré comme une aggravation sensible et durable du risque, voy. Anvers, 29 novembre 2004, Rev. dr. santé, 2008-2009, p. 397 (reconversion d'un médecin de famille en médecin du sport).
[4] C. Devoet, « Assurance-vie - Les obligations des parties », in Traité pratique de l'assurance n° 74, II.1.10., Waterloo, Kluwer, 2013, p. 239.
[5] P. Colle, « La déclaration du risque lors de la souscription et en cours d'exécution du contrat d'assurance », in B. Dubuisson et P. Jadoul (sous la direction de), La loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre - Dix années d'application, collection Droit des assurances (n° 13), Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 71.
[6] Pour une décision en ce sens, voy. Comm. Mons, 5 janvier 2001, R.D.C., 2002, p. 228.
[7] M. Fontaine, op. cit., p. 188.
[8] Pour des illustrations d'aggravations du risque assuré, voy. P. Colle, op. cit., pp. 69-70.
[9] L. Schuermans, Grondslagen van het Belgisch verzekeringsrecht, Anvers, Intersentia, 2008, p. 350, nos 496 à 498 ; P. Rubinfeld, « L'aggravation du risque assuré : obligations respectives du preneur et de l'agent d'assurance », For. ass., 2009, p. 18.
[10] M. Fontaine, op. cit., p. 190.
[11] Cass., 25 juin 1987, Pas., 1987, I, p. 1322. Un lien causal entre l'aggravation du risque et la réalisation du sinistre n'est pas requis pour que la sanction d'un défaut de déclaration trouve à s'appliquer (Liège, 13 novembre 1990, R.G.A.R., 1995, p. 12.510 ; S. Fredericq , H. Cousy et J. Rogge, « Overzicht van rechtspraak (1969-1978) - Verzekeringen », T.P.R., 1981, p. 397).
[12] A. Bluekens, « De (bewijs)last van de verzekeraar : hoe zwaar weegt het risico ? », Rev. dr. santé, 2008-2009, pp. 400-401. Voy. également Bruxelles, 31 mai 1999, Bull. ass., 1999, p. 501 ; Mons, 13 juin 2006, cette revue, 2007, p. 433 ; Mons, 3 octobre 2006, Bull. ass., 2007, p. 344.
[13] Cette formule ne se réfère qu'à une modification de la probabilité de réalisation du risque (« risque de survenance de l'événement assuré ») et non pas à une aggravation de l'intensité du risque (J.-L. Fagnart, « Le contrat d'assurance en général - L'exécution du contrat », in Traité pratique de droit commercial, tome 3 - Droit privé des assurances terrestres - Principes généraux, Waterloo, Kluwer, 2011, p. 223 ; A. Bluekens, op. cit., p. 401). La notion d'aléa visée dans la disposition ne doit pas être confondue avec une modification de l'objet assuré (pour quelques illustrations jurisprudentielles de ce constat, voy. A. Catteau, « Réalité(s) de l'obligation de faire part d'une aggravation du risque de survenance du sinistre », in Recueil de jurisprudence : Responsabilité, assurances, accidents du travail - vol. 1 : Jurisprudence 2011, Limal, Anthemis, 2013, pp. 241-243).
[14] Bruxelles, 31 mai 1999, Bull. ass., 1999, 501, note J. André-Dumont. Voy. également Anvers, 29 novembre 2004, Rev. dr. santé, 2008-2009, p. 397, note A. Bluekens dans lequel les documents produits par l'assureur ont eu l'effet inverse de celui escompté : « De bijgebrachte indicatieve tabel inzake medische beroepsaansprakelijkheid met classificatie per beroep maakt geen onderscheid met sportgeneesheer noch voorziet in een classificatie voor traumatologische en radiologische handelingen ».
[15] Pour de la jurisprudence sur la durabilité des modifications, voy., par exemple, Gand, 8 juin 2001, A.J.T., 2001-2002, p. 945 ; Liège, 1er janvier 2002, R.G.A.R., 2002, n° 13595 (exemples de modifications durables) ; Mons, 27 mai 2002, R.G.A.R., 2003, n° 13788 (exemple d'une circonstance qui ne présente pas un caractère durable).
[16] Cass., 22 février 1940, Pas., 1940, I, p. 58.
[17] Le régime juridique applicable est différent lorsqu'une aggravation du risque est déclarée conformément à la loi, c'est-à-dire à bref délai et avant la survenance de tout sinistre (voy. article 26, paragraphe 1er, alinéas 2 à 4).
[18] Voy., par exemple, Liège, 25 juin 2008, For. ass., 2009, p. 15.
[19] Projet de loi sur le contrat d'assurance terrestre, Exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 1990-1991, n° 1586/1, p. 18 ; D. De Maeseneire, « Assurance-incendie - Déclarations du preneur d'assurance formation, durée et expiration du contrat », in Traité pratique de l'assurance n° 52, II.11.13., Waterloo, Kluwer, 2013, p. 171 ; Voy., par exemple, Gand, 19 février 2009, R.D.C., 2011, p. 147.
[20] P. Colle, op. cit., pp. 67-68 et p. 73.
[21] M. Fontaine, op. cit., pp. 238 et s. ; voy. également l'article 1.2 des « Règles de conduite de l'entreprise d'assurance » mises au point par Assuralia.
[22] A. Catteau, op. cit., p. 242.
[23] P. Colle, op. cit., p. 57 ; Voy. également P. Rubinfeld, op. cit., p. 19.
[24] M. Fontaine, op. cit., p. 175.
[25] Pour un raisonnement en ce sens, voy. Gand, 19 février 2009, R.D.C., 2011, p. 147.


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Date(s)

  • Date de publication : 18/12/2015

Auteur(s)

  • De Saint Moulin, É.

Référence

De Saint Moulin, É., « De chauffeur à débardeur : une aggravation du risque dont l'absence de déclaration ne peut être reprochée au preneur d'assurance », J.L.M.B., 2015/42, p. 2016-2020.

Branches du droit

  • Droit économique, commercial et financier > Assurances > Assurances terrestres > Contrat d'assurance en général

Éditeur

Larcier

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