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03/10/2014
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Cour d'appel Liège (20e chambre c), 03/10/2014


Jurisprudence - Droit public

J.L.M.B. 15/742
Responsabilité - Pouvoirs publics - Responsabilité - Choses - Voie navigable - Objet pris par l'hélice d'un bateau - Responsabilité de la région .
Il est de l'essence d'une voie navigable d'être exempte de tout obstacle ou de tout élément, même extrinsèque au cours d'eau, empêchant la navigation normale. La présence d'objets immergés dans une voie navigable, susceptibles de constituer une entrave à la circulation et un danger pour les bateliers constitue une caractéristique anormale de cette voie navigable, susceptible de causer un dommage.
Lorsque l'origine d'un dommage à une péniche ne trouve aucune autre explication raisonnable que celle d'un objet qui a été pris par l'hélice du bateau en mouvement qui s'est coincé entre l'hélice et le tunnel à tribord et que divers objets ont été retirés de la zone par les plongeurs, la responsabilité de la région, gardienne du canal, est engagée, même si l'objet à l'origine du choc n'est pas déterminé avec précision.

(Émile et Alliance batelière de la Sambre belge / Région wallonne )


Vu le jugement prononcé le 28 mai 2013 par le tribunal de commerce de Namur (...)
Antécédents et objet de l'appel
Les faits et l'objet de la demande sont exactement énoncés par les premiers juges dans le jugement déféré à l'exposé duquel la cour se réfère.
Il suffit de rappeler que le 8 août 2011 le bateau « K. » propriété d'Émile qui naviguait sur le canal du Centre a subi une avarie à la sortie de l'écluse d'Obourg.
Par citation du 16 juillet 2012, Émile et son assureur l'A.B.S.B. qui l'a indemnisé de son dommage sous déduction de la franchise contractuelle, postulent la condamnation de la Région wallonne à les indemniser du préjudice subi en sa qualité de gardienne de la voie navigable dont ils allèguent qu'elle était atteinte d'un vice au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil.
Par jugement rendu le 28 mai 2013, le tribunal de commerce de Namur les a déboutés de leur demande.
Par leur appel, Émile et l'A.B.S.B. critiquent ce jugement dont ils postulent la réformation. Ils réitèrent les demandes formulées devant les premiers juges et la condamnation de la Région wallonne à les indemniser de leurs dommages.
La Région wallonne demande de dire l'appel recevable mais non fondé et de condamner les appelants aux dépens.
Discussion (...)
II. Éléments pertinents pour la solution du litige
1. Le 8 août 2011, Émile adresse à son assureur la déclaration suivante :

« En sortant de l'écluse de Obourg cent mètres en dessous choc violent dans l'hélice. Stopper directement, appelé l'écluse (...) l'éclusier a entendu le choc (...) téléphone à l'assurance. Attend le plongeur demain vers 8 heures. Les plongeurs de l'office ont plonger [sic] jusque minuit trouver des déchets attend la suite ».

Dans le registre de l'écluse d'Obourg, l'éclusier mentionne, sous la date du 8 août 2011, que le « K. » est sorti de l'écluse à vide à 18 h 35, qu'il a probablement accroché quelque chose quelques mètres en aval de l'écluse et qu'il a entendu un gros bruit tel qu'une explosion. Il a averti le garde, Marc, pour qu'il fasse les constatations d'usage.
Marc relate dans ce même registre qu'il a fait appel à des plongeurs qui ont inspecté la zone deux cents mètres en aval et cinquante mètres en amont. Selon Marc, ils n'ont rien trouvé qui pourrait justifier un tel bruit et le bateau a repris sa route le lendemain 9 août. L'ingénieur de la Région wallonne, Pedro, note dans le registre à cet égard qu'ont été retirés de l'eau un cadre de vélo, quelques pneus et une bouteille de gaz ne portant pas de traces de lacération.
2. L'A.B.S.B. a fait appel à un scaphandrier qui a inspecté l'hélice le 9 août 2011. Son rapport mentionne qu'il n'a pas constaté de dommages palpables (hélice cinq pales bronze) mais qu'il a remarqué des traces de peinture rouge sur une pale.
Les appelants déposent à leur dossier des photos des pièces et déchets retirés de l'eau par les plongeurs.
3. Un rapport contradictoire de taxation des dégâts a été établi par l'ingénieur Pedro pour la Région wallonne et par l'expert fluvial Alex Ducoffre pour Émile, lesquels se sont d'abord rendus le 12 septembre 2011 à Seneffe pour une inspection visuelle du bateau alors qu'il était en cours de déchargement mais « il était impossible de voir quoi que ce soit », de sorte qu'il a été décidé de réaliser l'expertise sur chantier naval le 5 octobre 2011.
L'examen de l'arrière du bateau à sec a donc été réalisé le 5 octobre 2011 au chantier naval de Moortgaat à Anvers. La description des avaries est la suivante :

« La jambe de force du tunnel à tribord est pliée - à renouveler,

Le côté tribord du tunnel est déformé - à redresser ».

Les dommages sont évalués à 1.830 euros plus immobilisation d'un jour, sans aucune reconnaissance préjudiciable quant aux responsabilités et tous droits saufs des parties.
4. Les parties déposent à leur dossier des photos et les appelants produisent en outre un croquis représentant l'hélice et le tunnel.
Chaque partie avance des explications techniques quant à l'avarie.
III. Quant au fondement de l'action
1. Émile et l'A.B.S.B. recherchent la responsabilité de la Région wallonne sur la base de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil. Ils allèguent que la voie navigable dont l'intimée est la gardienne était atteinte d'un vice et que ce vice est la cause de l'avarie du bateau.
En leur qualité de demandeurs, il incombe aux appelants de démontrer l'existence du vice allégué et du lien causal entre ce vice et leur dommage (articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire).
2. Le vice et le lien causal avec le dommage

2.1. Principes

Une chose est affectée d'un vice au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil lorsqu'elle présente une caractéristique anormale qui la rend, en certaines circonstances, susceptible de causer un préjudice, ce vice devant être apprécié in concreto.
Le vice ne doit pas être exclusivement un élément intrinsèque ou un élément permanent et inhérent à la chose existant ou survenu en dehors de toute intervention d'un tiers (Cass., 29 septembre 2006, Pas. 2006, I, p. 1917). Une chose à laquelle une autre chose est adjointe ou incorporée peut en tant que telle être affectée d'un vice. La qualité de chose complexe relève de l'appréciation du juge du fond (Cass., 17 janvier 2003, Dr. circ., 2003, p. 100).
La responsabilité du gardien demeure engagée quelle que soit l'origine du vice qui affecte la chose. Le gardien ne peut s'exonérer de sa responsabilité même s'il ignorait le vice. La présomption de responsabilité pesant sur le gardien de la chose en cas de dommage causé à un tiers ne peut être renversée que si le gardien prouve que le dommage n'est pas dû au vice mais à une cause étrangère : cas fortuit, force majeure, faute d'un tiers ou faute de la victime (N. Estienne, « La responsabilité du fait des choses : quelques développements récents », J.T., 2010, n° 10, p. 773 et nos 19-20, p. 775 et les références citées).
La preuve de vice et du lien causal avec le dommage peut se faire de manière directe, en identifiant de manière précise le défaut qui affecte la chose, ou de manière indirecte ou inductive, le juge ne pouvant déduire l'existence du vice du comportement de la chose que lorsqu'il exclut toute autre cause que le vice (Cass., 11 septembre 2008, Pas., 2008, I, p. 1916).
2.2. Application au cas d'espèce
La Région wallonne ne conteste pas qu'elle est gardienne de la voie navigable et que sa responsabilité peut se voir engagée sur le pied de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil. Elle considère toutefois in casu que la cause de l'avarie est à rechercher ailleurs que dans un vice du canal du Centre et que sa responsabilité n'est pas engagée.
Pour apprécier le vice du canal du Centre, il convient de considérer qu'il est de l'essence d'une voie navigable d'être exempte de tout obstacle ou de tout élément, même extrinsèque au cours d'eau, empêchant la navigation normale. La présence d'objets immergés dans une voie navigable, susceptibles de constituer une entrave à la circulation et un danger pour les bateliers, constitue une caractéristique anormale de cette voie navigable, susceptible de causer un dommage.
La preuve du vice et du lien causal avec le dommage doit s'entendre raisonnablement. Il suffit à cet égard que le batelier établisse qu'il n'y a pas d'autre cause possible ou vraisemblable de la survenance du dommage que l'existence du vice allégué.
La cour relève à cet égard les éléments suivants :
  • le batelier a déclaré qu'en sortant de l'écluse d'Obourg il a ressenti un choc violent sur l'hélice du bateau, qui l'a conduit à stopper immédiatement son moteur ;
  • les dires du batelier sont confirmés le jour même des faits par l'éclusier, préposé de l'intimée, qui précise dans le registre de l'écluse d'Obourg qu'en sortant de l'écluse à 18 h 35 le bateau « K. » a probablement accroché quelque chose à une distance de quelques mètres en aval de l'écluse car il a entendu un gros bruit tel qu'une explosion ;
  • les plongeurs ont retiré divers objets trouvés dans la zone concernée : des pneus, une bonbonne de gaz et un cadre de vélo ou un pare-chocs de voiture de couleur rouge ;
  • des traces de couleur rouge ont été repérées sur les bords de l'hélice du bateau par le scaphandrier. Il y a lieu de relever que l'hélice du « K. » avait subi une autre avarie peu avant les faits litigieux, qu'une expertise contradictoire des dommages survenus à l'hélice a été réalisée avant sa réparation et aucune trace de peinture rouge sur l'hélice ou de dommage à la jambe de force du tunnel à tribord n'est relevée à cette occasion ;
  • les conseils techniques des parties ont dû attendre de pouvoir examiner l'arrière du bateau à sec sur le chantier naval de Moortgaat à Anvers pour déceler l'avarie survenue à la jambe de force du tunnel à tribord qui était pliée et au côté tribord du tunnel qui était déformé. Ils n'avaient pu effectuer aucune constatation lorsque le bateau se trouvait à quai à Seneffe et dans un tel contexte, il est plausible que les plongeurs qui ont examiné l'hélice les 8 et 9 août 2011 n'ont pu relever de tels dommages nécessitant un examen plus approfondi. Cela ne signifie pas pour autant et nécessairement que l'avarie serait survenue ultérieurement ;
  • il n'est ni démontré ni soutenu que le bateau « K. » ne pouvait pas circuler nonobstant l'avarie constatée ;
  • l'expert fluvial Ducoffre, conseil technique de l'A.B.S.B., expose que la déformation vers l'extérieur du tunnel et de la jambe de force est due à la pression d'un objet coincé entre l'hélice et le tunnel.
Il y a lieu de rappeler que divers objets ont été retirés de la zone par les plongeurs dont une bouteille de gaz et un cadre de vélo ou un pare-chocs de voiture de couleur rouge. La présence de tels objets durs immergés dans le canal du Centre peu après la sortie de l'écluse, susceptibles de constituer une entrave à la circulation et un danger pour les bateliers, constitue une caractéristique anormale du canal du Centre susceptible de causer un dommage. La voie navigable litigieuse était donc affectée d'un vice.
Il suit de l'ensemble des éléments rappelés ci-dessus que l'origine du dommage ne trouve aucune autre explication raisonnable que celle d'un objet qui a été pris par l'hélice du bateau en mouvement qui s'est coincé entre l'hélice et le tunnel à tribord. Même si l'objet à l'origine du choc n'est pas déterminé avec précision, il importe de rappeler que l'origine du vice ne doit pas être prise en considération. Le choc violent entendu tant par le pilote du bateau que par l'éclusier suivi d'un arrêt immédiat du moteur, ainsi que le constat de l'endommagement de la jambe de force et du tunnel côté tribord ne peuvent s'expliquer que par le fait qu'à la sortie du « K. » à vide de l'écluse l'hélice a happé un objet dur, en métal ou autre, se trouvant dans l'eau.
Les arguments avancés par la Région wallonne quant aux autres causes possibles de l'avarie ne convainquent pas :
  • le garde de section, Marc, énonce que « rien n'a été découvert qui pourrait justifier un tel bruit », alors que dans le même temps l'ingénieur de la Région wallonne relève qu'un cadre de vélo, des pneus et une bouteille de gaz se trouvant dans la zone de l'incident ont été retirés de l'eau par les plongeurs ;
  • il est soutenu que ces pièces n'avaient pas de lacérations ou d'entailles ; il est toutefois visible que le cadre de vélo ou le pare-chocs de couleur rouge est compactée ;
  • l'hypothèse émise par l'ingénieur de l'intimée en pièce 1 de son dossier : « Je n'ai pas d'explication sur le bruit entendu mais une possibilité serait la chute d'un objet métallique dans la cale du bateau (bateau non chargé) avec un effet de résonnance » n'est pas crédible dès lors qu'il résulte des pièces déposées que si le bateau n'était pas chargé de marchandises, il était ballasté (c'est-à-dire que la cale contenait environ soixante à quatre-vingts tonnes d'eau, soit une hauteur moyenne de quarante centimètres) pour permettre le passage sous les ponts et que ce ballast aurait amorti le bruit et la chute d'un objet tombant le cas échéant dans la cale [1].
  • La Région wallonne énonce en pages 7 et 8 de ses conclusions que la déformation d'une jambe de force dans un tunnel peut être provoquée soit par un choc direct, soit disposer d'un point d'appui et d'un mouvement d'entraînement faisant effet de levier via un objet flottant non identifié et suggère que la déformation de la jambe du tunnel constatée sur le « K. » peut s'être produite lors d'une manoeuvre d'accostage en pèrres. Cette hypothèse ne peut être retenue. En effet, le bateau « K. » ne se livrait à aucune manoeuvre d'accostage lorsqu'un choc violent sur l'hélice a été ressenti par le batelier et entendu par l'éclusier. Ce bateau sortait à vide de l'écluse, le choc s'étant produit quelques mètres en aval de cette écluse.
  • La présence de traces d'oxydation et d'une soudure antérieures sur le tunnel n'exclut pas la survenance de l'avarie litigieuse en raison d'un vice de la voie navigable.
  • L'intimée affirme que le bateau naviguait à vide avec une hauteur d'eau entre le fond du bateau et le plafond du canal de près de deux mètres et qu'un cadre de vélo reposant sur le plafond du canal soit deux mètres en-dessous de l'hélice ne saurait être à l'origine des dégradations constatées. Aucun élément objectif n'est produit de nature à étayer cette affirmation qui est contestée par les appelants. On ignore si le bateau a rencontré un objet flottant ou s'il a happé un objet se trouvant au fond du canal dont la profondeur au niveau de la sortie de l'écluse n'est pas connue ni objectivée, étant rappelé que l'origine du vice qui affectait le canal importe peu.
Il suit des considérations qui précèdent que la Région wallonne, gardienne du canal du Centre qui était atteint d'un vice à l'origine du dommage subi par les appelants, doit le réparer. (...)

Dispositif conforme aux motifs.

Siég. :  Mme M. Burton.
Greffier : M. O. Toussaint.
Plaid. : MesL. Lemaire (loco X. Born) et Ch. Detry.

 


[1] Cette information ne fait pas l'objet de remarque ou de contestation dans le chef de l'intimée.


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  • Il est de l'essence d'une voie navigable d'être exempte de tout obstacle ou de tout élément, même extrinsèque au cours d'eau, empêchant la navigation normale. La présence d'objets immergés dans une voie navigable, susceptibles de constituer une entrave à la circulation et un danger pour les bateliers constitue une caractéristique anormale de cette voie navigable, susceptible de causer un dommage.Lorsque l'origine d'un dommage à une péniche ne trouve aucune autre explication raisonnable que celle d'un objet qui a été pris par l'hélice du bateau en mouvement qui s'est coincé entre l'hélice et le tunnel à tribord et que divers objets ont été retirés de la zone par les plongeurs, la responsabilité de la région, gardienne du canal, est engagée, même si l'objet à l'origine du choc n'est pas déterminé avec précision.

Mots-clés

  • Responsabilité - Pouvoirs publics - Responsabilité - Choses - Voie navigable - Objet pris par l'hélice d'un bateau - Responsabilité de la région

Date(s)

  • Date de publication : 04/12/2015
  • Date de prononcé : 03/10/2014

Référence

Cour d'appel Liège (20 echambre c), 03/10/2014, J.L.M.B., 2015/40, p. 1919-1923.

Branches du droit

  • Droit civil > Obligations hors contrat > Obligation (quasi) délictuelle > Choses
  • Droit civil > Obligations hors contrat > Obligation (quasi) délictuelle > Responsabilité publique
  • Droit public et administratif > Biens publics et domaine public > Voies navigables

Éditeur

Larcier

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