Jurisprudence - Droit fiscal
Impôts - Revenus des personnes physiques - Simulation - Convention dont les parties n'ont pas accepté les conséquences juridiques - Preuve - Illicéité . |
Il y a simulation prohibée à l'égard du fisc lorsque les parties établissent des actes dont elles n'acceptent pas toutes les conséquences juridiques.
La preuve de la simulation, qui incombe à l'État, peut être apportée par des présomptions.
(Grégory et Marie / État belge, ministre des Finances )
Vu le jugement prononcé contradictoirement le 28 juin 2011 par la chambre fiscale du tribunal de première instance de Mons. (...)
1. |
Les faits et les rétroactes de la cause |
Grégory est un médecin spécialisé en neurochirurgie, de nationalité française, et a exercé son activité en personne physique en France.
Les hôpitaux de (...) lui ont proposé un contrat inter-hospitalier en attendant que sa discipline puisse devenir rentable et permettre la création d'un service de neurochirurgie pour la région.
Grégory devait obligatoirement s'installer dans la région de (...).
Le 30 juillet 1994, il a constitué la S.P.R.L. N. qui a comme objet l'exercice de la neurochirurgie.
Cette société a acquis de son dirigeant les immobilisations incorporelles dont il était le propriétaire.
À la même date, Grégory, son épouse Marie, et la S.P.R.L. N. ont acquis un immeuble situé (...).
Grégory et Marie ont acquis chacun une moitié indivise de la nue-propriété de l'immeuble et la S.P.R.L. N. a acquis l'usufruit pour une durée de dix ans.
L'intimé a considéré que les charges de l'usufruit étaient à considérer pour moitié comme des avantages de toute nature dans le chef de Grégory et pour moitié comme des avantages anormaux et bénévoles accordés à Marie.
Plusieurs avis de rectification ont été adressés aux appelants (30 octobre 1997, 25 août 1998, 28 avril 2003, 1er février 2001, 17 octobre 2002, 28 novembre 2002 et 16 septembre 2003 pour les exercices d'imposition 1995 à 2003) majorant les rémunérations d'associés actifs déclarées par Grégory.
Nonobstant leur désaccord, des cotisations ont été enrôlées à charge des appelants.
Des réclamations ont été introduites les 23 février 1998, 27 avril 1999, 22 septembre 2003, 13 juillet 2001, 27 janvier 2003, 20 février 2003, 27 juin 2003 et 29 novembre 2004.
Des recours fiscaux ont été formés les 3 février 2003 et 9 novembre 2005.
Les requérants sollicitaient l'annulation des cotisations litigieuses et, à titre subsidiaire, le dégrèvement de celles-ci sauf en ce qui concerne l'exercice d'imposition 2003.
Le jugement déféré a :
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annulé pour vice de forme les cotisations à l'impôt des personnes physiques enrôlées au nom de Grégory et de Marie pour les exercices d'imposition 1998, 1999 et 2000 ;
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dit pour droit que l'apport de clientèle n'est pas simulé pour les exercices d'imposition 1996 et 1997 ;
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annulé les accroissements d'impôts pour les exercices d'imposition 1995, 1996 et 1997 ;
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ordonné le dégrèvement à due concurrence des cotisations à l'impôt des personnes physiques enrôlées au nom de Grégory et de Marie pour les exercices d'imposition 1995, 1996 et 1997.
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débouté les requérants du surplus de leurs demandes.
L'appel tend à obtenir que les autres griefs soulevés devant le tribunal soient dits fondés et sur cette base, l'annulation des cotisations visées ou à tout le moins leur dégrèvement.
Pour sa part, l'État belge forme un appel incident et sollicite de dire les demandes originaires non fondées.
Cet appel incident est recevable.
...
Les appelants soutiennent que l'avis de notification d'imposition d'office du 4 février 2003 a été annulé et remplacé par l'avis de rectification du 16 septembre 2003.
Les appelants considèrent que la motivation de la décision de maintien de taxation du 18 mars 2003 est insuffisante.
La cour fait siens les motifs du premier juge quant au non fondement du grief invoqué par les appelants qui n'explicitent pas plus en degré d'appel le fait que la notification d'office aurait été annulée et remplacée par l'avis de rectification du 16 septembre 2003.
Quant à la convention d'usufruit |
Les appelants font grief au premier juge d'avoir considéré que la convention d'usufruit du 30 juillet 1994 dissimulait en réalité l'octroi au dirigeant d'entreprise et à son épouse d'avantages disproportionnés leur permettant d'acquérir rapidement et à moindre coût la pleine propriété d'un immeuble largement financé par la société.
L'État belge considère en effet que les parties à la convention n'ont pas respecté les conditions légales de l'usufruit et notamment les articles 578, 600, 601, 605, 606, 555, 1108 et 1116 du Code civil.
Il reproche également aux appelants d'avoir réalisé une opération sans lien avec l'objet social de la S.P.R.L. N. rendue possible par la collusion entre la société et son dirigeant et ce en violation des dispositions prévues aux articles 133, paragraphe 3, et 138bis L.C.S.C. et 49 C.I.R. 1992.
Contrairement à ce que soutiennent les appelants, l'administration a toujours invoqué la simulation lors de ses avis de rectification.
« La simulation implique que des parties concluent simultanément deux conventions, l'une apparente et l'autre secrète ; cette dernière a pour objet de détruire totalement ou partiellement les effets de la convention apparente mais elle exprime la volonté réelle de ces parties » (P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, tome 1, Bruylant, 2010, n° 253).
« La simulation ne devient illicite qu'en raison des mobiles qui peuvent animer les parties. Les mobiles illicites sont essentiellement de deux ordres :
- frauder les droits des tiers en créant une fausse apparence, en fonction de laquelle ces tiers règleront leur conduite et détermineront leurs droits et celer les atteintes apportées aux droits de ces tiers par la contre-lettre traduisant la volonté réelle des parties ;
- tenter d'éluder l'application d'une loi d'ordre public ou d'une loi impérative qui devrait régir la convention réelle à la faveur d'une convention ostensible à laquelle cette loi d'ordre public ou cette norme impérative ne doit pas s'appliquer » (P. Van Ommeslaghe, op. cit., n° 273).
La Cour de cassation a précisé que :
« il n'y a ni simulation prohibée à l'égard du fisc ni, partant, fraude fiscale lorsqu'en vue de bénéficier d'un régime fiscal plus avantageux, les parties, usant de la liberté des conventions, sans toutefois violer aucune obligation légale, établissent des actes dont elles acceptent toutes les conséquences, même si la forme qu'elles leur donnent n'est pas la plus normale et même si ces actes sont réalisés à seule fin de réduire la charge fiscale » (Cass., 22 mars 1990, Pas., 1990, I, p. 849).
La preuve de la simulation incombe à l'État belge qui doit établir que la convention litigieuse n'est qu'apparente et que les parties n'en ont pas accepté les conséquences juridiques.
Elle peut être apportée par présomptions.
Comme le soulignent les appelants, la convention occulte ne doit pas nécessairement faire l'objet d'un écrit.
L'usufruit est le droit d'user et de jouir d'un bien appartenant à autrui à charge d'en conserver la substance et d'en jouir en bon père de famille.
En application de l'
article 605 du Code civil, l'usufruitier n'est tenu qu'aux réparations d'entretien. Les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire à moins qu'elles n'aient été occasionnées par le défaut de réparations d'entretien depuis l'ouverture de l'usufruit auquel cas l'usufruitier en est aussi tenu.
L'article 599, alinéa 2, précise également que l'usufruitier ne peut à la cessation de l'usufruit réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu'il prétendrait avoir faites encore que la valeur de la chose en fût augmentée.
Il convient cependant d'apprécier l'importance desdites améliorations et de considérer que :
« à tout le moins les ouvrages importants tels que nouveaux bâtiments et nouvelles annexes dont la valeur dépasse largement le montant des revenus de l'usufruit doivent être soumis non à l'article 599 mais aux principes généraux de l'accession ce qui implique l'obligation pour le nu-propriétaire qui prétend les conserver d'indemniser l'usufruitier » (J. Hansenne, Les biens, Faculté de droit de Liège, 2006, tome II, p. 1041).
La convention de vente ne prévoit aucune dispense quant à l'établissement d'un état des lieux ou de donner caution (articles 600 et 601 du Code civil) et ce sans que cela n'ait suscité de réaction de la part des nus-propriétaires.
L'usufruitier est tenu pendant sa jouissance de toutes les charges annuelles de l'héritage telles que les contributions et autres qui dans l'usage sont censées charges des fruits (
article 608 du Code civil).
Il n'est pas contesté que la société N. a investi plus de 10.000.000 francs belges pour l'achat de l'usufruit, les frais et les travaux liés à la maison d'habitation et a supporté près de 4 millions de charges sur cinq ans .
Il peut être admis que si les deux parties au contrat étaient deux agents économiquement indépendants, la société n'aurait pas consenti à supporter de telles charges en vue de son objet social.
Dans ces dépenses figurent des grosses réparations qui, en application de l'
article 606 du Code civil ne sont pas à charge de l'usufruitier, des réparations dont il n'est pas prétendu qu'elles ont été nécessitées par l'obligation de jouissance passive de l'usufruitier ou des dépenses somptuaires sans lien nécessaire avec l'objet social de la société et qui ne profitent qu'aux nus-propriétaires.
Contrairement à ce que soutiennent les appelants, il n'est pas démontré que la S.P.R.L. N. avait besoin de supporter l'ensemble de ces charges pour pouvoir bénéficier de son usufruit.
Les nus-propriétaires admettent qu'ils vont récupérer la pleine propriété de l'immeuble à l'expiration du terme de dix ans sans payer aucune indemnité, ce qui apparaît anormal dans le chef de l'usufruitier compte tenu de certains investissements consentis par lui.
Contrairement à ce que soutiennent les appelants, il n'est pas établi que l'acquisition de l'usufruit a procuré à la S.P.R.L. N. la jouissance de l'immeuble sur lequel il porte.
En effet, il n'est pas démontré que la société N. exerçait, lors des années litigieuses, une activité sur place, le pourcentage de 15 pour cent auquel font référence les appelants concerne l'exercice d'imposition 2006 lequel n'est pas en cause dans le présent litige et il ne saurait dès lors en être déduit une quelconque occupation à titre professionnel pour les exercices litigieux. La seule mention faite à l'occasion d'un contrôle concerne un coin du salon dans lequel on trouve une table sur laquelle est placé un ordinateur non allumé sans que l'on puisse en déduire qu'ils sont relatifs de l'activité de la S.P.R.L. N. Au demeurant en 2006, est visé un bureau situé à l'étage de l'habitation, ce qui n'était pas le cas en 1997.
Il convient, dès lors, de considérer à l'instar du premier juge qu'il existe un faisceau de présomptions précises et concordantes que la convention d'usufruit est simulée et n'a été conclue non pas pour procurer à la S.P.R.L. N. la jouissance du bien immobilier litigieux mais pour lui faire supporter l'entièreté des charges et des travaux relatifs à l'immeuble au seul profit des nus-propriétaires. (...)
Dispositif conforme aux motifs.
Siég. : Mme M. Hanssens.
Greffier : Mme B. Cantineau. |
Plaid. : MesTh. Radelet et J.-Fr. Dizier. |