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22/11/2012
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Cour d'appel Liège (20e chambre), 22/11/2012


Jurisprudence - Droit médical

J.L.M.B. 13/145
Hôpitaux - Médecin - Responsabilité - Nouveau-né prématuré - Ischémie décelée tardivement - Défaut de surveillance infirmière - Absence de transfert - Absence de démarche diagnostique - Perte de chance - Cause de l'ischémie indéterminée - Lien causal certain (non) .
Le défaut de surveillance d'un grand prématuré, dans un hôpital ne disposant pas d'un service néonatal de soins intensifs et dont l'encadrement par un personnel infirmier qualifié était insuffisant, est constitutif d'une faute dans le chef de l'hôpital en ce qu'il a conduit à une mise en évidence tardive du phénomène ischémique et à un retard de diagnostic. La pédiatre de garde a commis une erreur d'appréciation et une imprudence constitutives d'une faute en prenant la décision de garder le nouveau-né dans le service de néonatologie en dépit de la faiblesse de l'encadrement, et de ne pas le transférer vers un service de soins intensifs alors qu'il s'agissait d'un cas lourd et à très haut risque. Elle est également en faute pour n'avoir pas, après la découverte de l'ischémie, effectué de démarche diagnostique à même d'en identifier la cause et d'adapter la thérapie en fonction du diagnostic précis.
La perte d'une chance pour l'enfant de subir des séquelles moins importantes grâce à des soins plus adéquats doit, pour être prise en considération, se trouver en lien causal certain avec ces fautes. Il n'est pas établi que, si l'enfant avait bénéficié d'un encadrement permettant la découverte rapide de l'ischémie, son diagnostic et un traitement approprié, elle avait une chance réelle et sérieuse de conserver des séquelles moindres, dans la mesure où, d'après les experts, l'origine de l'ischémie ne peut être déterminée avec précision, de sorte qu'il n'est pas établi qu'il existait une chance sérieuse de réduire, par des soins optimaux, son évolution défavorable.

(L. N., A.-M. B. et A.N.M.C. / Province de Namur, J. E. et A. Bo. )


Vu le jugement rendu le 3 décembre 2010 par le tribunal de première instance de Namur (...)
Antécédents et objet de l'appel (...)
Il suffit de rappeler que, le 7 octobre 1991, à 6 h 20, A.-M. B. a donné prématurément naissance à L., à la maternité (...).
L'enfant, avec un âge gestationnel de 28 à 29 semaines et un poids de 680 grammes, a été intubé quelques heures et a reçu une alimentation par intraveineuse.
Le 10 octobre 1991, L. présente une ischémie du bras droit qui se complique par une nécrose de la main avec perte des doigts.
Estimant que la survenance de l'ischémie et son évolution péjorative trouvaient leur cause dans des soins inappropriés, dans un manque de surveillance du personnel infirmier et médical ainsi que dans une décision fautive des médecins de ne pas transférer l'enfant dans un centre néonatal de soins intensifs de type « N », les parents de L. ont assigné la Province de Namur, l'Association S. et les docteurs E., Bo. et R. par citations des 15 et 24 mars 1995 puis le docteur V. D. par citation du 12 septembre 1997. L'A.N.M.C., organisme assureur maladie-invalidité de L., est intervenue volontairement à la cause pour réclamer remboursement de ses débours.
Par un jugement prononcé le 31 mai 1999, le tribunal de première instance de Namur a donné acte aux demandeurs de leur désistement d'instance à l'égard de l'Association S., a mis hors cause les docteurs V. D. et R. et, avant de statuer pour le surplus, a désigné un collège d'experts médecins chargés de l'éclairer sur les fautes éventuellement commises et sur le dommage qui en serait découlé.
Le collège d'experts a déposé son rapport au greffe le 2 février 2007.
Par jugement du 3 décembre 2010, le premier juge donne acte à L. N. qu'étant devenue majeure, elle reprend l'instance mue en son nom par ses parents et estime que les demandes ne sont pas fondées, la preuve n'étant pas rapportée que, sans les fautes reprochées, L. avait une chance réelle et certaine d'avoir des séquelles moindres que celles effectivement subies.
L. N., A.-M. B. et l'A.N.M.C. critiquent cette décision. Elles demandent que leurs actions soient déclarées fondées et que la Province de Namur, le docteur E. et le docteur Bo. soient condamnés in solidum au paiement de 11.374,90 euros majorés des intérêts en faveur de l'A.N.M.C., 406.076,98 euros provisionnels en faveur de L. N. et 7.500 euros majorés des intérêts en faveur d'A.-M. B.
Elles demandent que le collège d'experts soit chargé de la mission complémentaire visant à préciser la répercussion professionnelle à l'âge de 21 ans de l'invalidité de 45 pour cent dont reste atteinte L. N.
À titre subsidiaire, elles poursuivent la condamnation des intimés au paiement d'un euro provisionnel et la désignation d'un médecin expert chargé de déterminer la part du dommage imputable aux fautes commises par les intimés.
La Province de Namur sollicite, à titre principal la confirmation du jugement a quo, à titre subsidiaire que le collège d'experts précise quelles auraient été les séquelles conservées par L. N. si elle avait bénéficié de soins optimaux et si aucune faute n'avait été commise.
Le docteur A. Bo. demande également la confirmation de la décision entreprise et, subsidiairement, estime que dans les rapports avec les autres co-intimés, elle ne doit être tenue qu'à un pourcentage tout à fait symbolique et sollicite un complément d'expertise relativement au degré d'aggravation des séquelles imputable aux fautes retenues.
Le docteur J. E. demande que le jugement a quo soit confirmé et, à titre subsidiaire, que sa contribution à la réparation du dommage soit symbolique compte tenu de son absence au moment des faits.
Discussion
Les appelantes mettent en cause la responsabilité tant du personnel de (...), à l'époque des faits (...), que des médecins du centre néonatal, les docteurs E. et Bo.
Il convient, dans un premier temps, d'examiner si les fautes invoquées sont établies et, dans un second temps, si elles sont en lien causal avec le dommage dont il est postulé réparation.
Les fautes
Il résulte de l'expertise judiciaire que l'accident ischémique aurait pu se produire dans un service « N ». La responsabilité de l'hôpital et des médecins n'est plus recherchée pour une faute qu'ils auraient commise et qui serait à l'origine de la survenance de l'ischémie mais uniquement pour une faute commise dans la prise en charge et le traitement de cet incident.

Le Centre hospitalier

Rien n'a donc permis au collège d'experts de retenir que l'accident ischémique survenu à L. N. trouvait son origine dans une faute commise par le personnel soignant du centre néonatal. Les experts ont rappelé et se sont étonnés qu'aucune recherche de l'origine de ce trouble n'avait été entreprise par les staffs médical et infirmier.
Les experts ont envisagé plusieurs causes possibles de l'incident ischémique sans pouvoir en retenir une avec certitude, même si deux de celles-ci leur paraissent peu probables.
Par contre, est clairement mis en évidence par l'expertise l'encadrement insuffisant des patients du centre néonatal à l'époque des faits, par manque de personnel formé et en nombre ce dont, plus particulièrement, L. a été victime la nuit du 9 au 10 octobre 1991.
Cette nuit-là, une seule infirmière, Madame D., était présente, avec une puéricultrice qui s'occupait des cas plus légers. Madame D. n'était pas formée en néonatologie. Elle a dit n'avoir rien remarqué ce qui a étonné les experts.
Ce n'est que lors du passage de l'infirmière de nuit à l'infirmière de jour que les lésions ont été observées par l'infirmière De., laquelle a relevé d'emblée la blancheur de la main de l'enfant.
La découverte immédiate de l'ischémie par l'infirmière de jour et la gravité des conséquences de l'ischémie laissant présumer, selon les experts, une découverte tardive de celle-ci, confirment que la lésion était apparue durant la nuit et qu'elle a échappé à l'attention de Madame D.
Il convient de se rallier à l'avis des experts pour qui il y a eu surveillance infirmière insuffisante, amenant une mise en évidence tardive du phénomène et un retard de diagnostic.
Contrairement à ce qu'indique la Province de Namur, les experts n'ont pas examiné les manquements du personnel infirmier uniquement par rapport aux critères de fonctionnement d'un centre « N ».
Certes, les experts épinglent que dans un centre « N » l'encadrement aurait été supérieur tant en termes qualitatif que quantitatif. Mais l'expertise met également en lumière l'insuffisance de l'encadrement infirmier pour un centre néonatal, quel qu'il soit, dès lors qu'il n'y avait aucune infirmière qualifiée en néonatologie la nuit où est survenu l'incident.
Le rapport adressé par le docteur E. au secrétaire de J. E. le 24 avril 1991 va dans le même sens d'une insuffisance de personnel qualifié à l'époque des faits, pour un centre « N », puisqu'il rappelait que :

« les conditions de travail pour les infirmières et ce, sans aucune notion du service "N", sont purement et simplement intolérables puisqu'à certaines périodes de la journée et forcément la nuit, l'ensemble du service est supporté par une seule infirmière aidée par une puéricultrice. Vous pouvez comprendre comme il est, dans ces conditions, difficile de faire face non seulement aux enfants hospitalisés qui sont censés être stables mais également aux urgences ».

Le défaut de surveillance de ce grand prématuré, par un personnel qualifié, ayant amené à une découverte tardive de l'ischémie, est en conséquence constitutif de faute dans le chef du personnel infirmier dont doit répondre la Province de Namur.

Le docteur E.

Le docteur E. est le chef du service néonatal.
Le jour de la naissance de L. N., il était en congé, partant en congrès médical pour une semaine. Il est néanmoins passé dans son service, entre 8 h 30 et 10 h, et a vu l'enfant née quelques heures auparavant. Il admet qu'en théorie, il était apte à envisager un transfert vers un centre de soins intensifs « N ».
Cette dernière constatation ne suffit pas à retenir qu'il a commis une faute en ne décidant pas d'un transfert. En effet, c'est le docteur Bo. qui était de garde et présente à l'hôpital depuis la nuit et qui a, après la naissance, décidé de garder l'enfant et de ne pas l[a] transférer, en raison du fait qu'[elle] n'était pas intubé[e].
À aucun moment le docteur Bo. ne soutient avoir demandé ne fusse que l'avis du docteur E. à propos de cet[te] enfant. Au contraire le docteur Bo., pour écarter l'hypothèse de pression politique ou autre, indique lors de son audition qu'elle était la seule à avoir la décision quant au transfert éventuel.
Le docteur E. n'a pas examiné l'enfant et n'a pas pris connaissance de son dossier. Il n'avait, a priori et en l'absence d'avis qui lui soit demandé ou de constatation d'une détresse particulière de l'enfant, aucun motif d'interférer dans les décisions du docteur Bo. en charge de ce nouveau prématuré.
La responsabilité du docteur E. ne peut dès lors pas être retenue.

Le docteur Bo.

Le docteur Bo. n'assume aucune responsabilité dans la survenance de l'accident ischémique, les experts n'ayant pas pu relever d'erreur médicale directe conduisant à l'accident.
Il résulte par contre du rapport d'expertise que « L., compte tenu de son poids de naissance et de sa grande prématurité, et vu l'absence d'organisation structurelle suffisante de la fonction "N" de (...), devait être prise en charge dans un service néonatal répondant à l'époque déjà aux normes "N" ».
Le cas de L., même s'il ne peut, selon les experts, être considéré comme une « fausse couche tardive », était un cas lourd et à très haut risque. Les experts poursuivent en estimant que « sa prématurité et son poids constituaient des éléments significatifs de la précarité du cas et auraient dû inciter à la faire transférer. En cela, il y a eu manque de discernement de la part des médecins, d'autant plus qu'ils ne pouvaient ignorer, justement par leur compétence, qu'une structure de surveillance adéquate était indispensable pour assurer correctement le suivi d'un enfant à risque très élevé de complications ».
Là où les experts ne peuvent être suivis c'est lorsqu'ils considèrent que c'est l'institution hospitalière, plus que le corps médical, qui engageait sa responsabilité en acceptant de garder l'enfant sans pouvoir lui prodiguer les moyens optimaux à sa prise en charge.
Il existait une convention entre (...) et les centres néonataux « N » de la Citadelle à Liège et de l'Hôpital civil de Charleroi de « réaliser le transfert et la prise en charge des nouveau-nés en détresse, à la demande du docteur E., responsable du centre néonatal de (...) ou en son absence par le pédiatre de garde qui a le nouveau-né en charge. Par nouveau-nés en détresse il est compris ceux dont les soins ne peuvent être optimaux à (...) et ce, après discussion avec l'équipe néonatale de Liège ou de l'hôpital de Charleroi. Les critères de faible poids de naissance et d'âge gestationnel bas ne sont donc pas les seuls retenus dans l'idée d'un transfert ».
Le docteur Bo. a été claire pour affirmer qu'elle ne subissait aucune pression politique ou autre et que c'est à elle que revenait le choix du transfert ou non de l'enfant. C'est donc bien elle qui a pris la décision de garder le nouveau-né dans le service de néonatalogie de (...) qui était un service de type « N » et non l'hôpital.
Le transfert vers un service de soins intensifs en néonatalogie de type « N » se justifiait d'autant plus que le docteur Bo. ne pouvait ignorer la faiblesse du service infirmier, dénoncée quelques mois avant par le chef de service. Elle ne pouvait ignorer que le service de néonatalogie de (...), qui avait pour objectif de devenir un centre « N », était encore loin de disposer de personnel hospitalier comparable aux services « N » permettant d'assurer la surveillance optimale, de type soins intensifs, d'enfants en détresse.
L'absence d'intubation, sur laquelle le docteur Bo. insiste, ne suffisait pas à écarter les risques de complication, ce que confirment les experts pour qui « la tonicité de l'enfant était un élément à prendre en considération mais la grande prématurité avec ses complications bien connues en était un autre qui aurait pu amener à prendre la décision inverse » et pour qui « il aurait été plus raisonnable de penser qu'un enfant de cet âge de gestation et de ce poids était susceptible de présenter des complications et plus prudent de le transférer dans un service universitaire ou apparenté « N », la compétence des infirmières étant dans ces cas primordiale et demandant des connaissances pointues ».
Il y a dès lors bien eu dans le chef du docteur Bo. une erreur d'appréciation et une imprudence, consistant à n'avoir pas organisé le transfert du nouveau-né, constitutives d'une faute.
Les appelantes reprochent également au docteur Bo. de n'avoir pas, après la découverte de l'ischémie, identifié sa cause et adapté la thérapie en fonction du diagnostic.
Les experts confirment que la démarche diagnostique n'a pas eu lieu et que les médecins, croyant d'emblée à l'irréversibilité des lésions (car découverte tardive), ne se sont pas attelés à poser le diagnostic précis. Ils concluent que « tous les moyens nécessaires n'ont pas été utilisés pour aboutir rapidement à un diagnostic et par là à une thérapeutique efficace quant à cette ischémie ».
Dès lors que, comme le soulignent les experts, en cas de spasme artériel d'autres gestes thérapeutiques étaient possibles, il était nécessaire de mettre en oeuvre les moyens de diagnostics qui existaient (écho-döpler, opacification intravasculaire).
L'absence de démarche diagnostique est constitutive de faute dans le chef du docteur Bo.
Le dommage et le lien causal
Le rapport d'expertise ne permet pas d'établir un lien causal certain entre les fautes retenues et les séquelles présentées par L. N. suite à l'accident ischémique.
Le dommage dont L. N. postule réparation ne consiste toutefois pas dans l'ensemble des conséquences de l'ischémie mais dans « la perte d'une chance d'avoir des séquelles moins importantes grâce à des soins plus adéquats ».
La perte d'une chance réelle de guérison ou de survie est prise en considération pour l'indemnisation si la faute est la condition sine qua non de la perte de cette chance. Le juge peut accorder une réparation pour la perte d'une chance d'obtenir un avantage ou d'éviter un préjudice si la perte de cette chance est imputable à une faute (Cass., 5 juin 2008, Pas., 2008, p.1425).
Pour être prise en considération, la chance doit être une chance réelle. En outre, la faute doit être une condition sine qua non de la perte.
En l'espèce, les parties appelantes doivent établir que si L. avait été transférée en centre « N » et avait reçu un encadrement permettant la découverte rapide de l'ischémie, son diagnostic et un traitement approprié, elle avait des chances réelles et sérieuses de conserver des séquelles moindres.
Pour vérifier si cette preuve est rapportée, il convient de se pencher, comme les experts l'ont fait, sur l'origine de l'ischémie. À défaut d'informations fournies notamment par l'infirmière D., les experts ont dû envisager plusieurs causes possibles de l'incident ischémique et en ont avancé quatre.
Il pouvait s'agir d'un spasme artériel suite à un prélèvement à ce niveau dans les heures ou dans les jours qui ont précédé, d'une petite thrombose ou d'un petit embole au départ d'une ponction artérielle, d'une ischémie par compression artérielle secondaire à un oedème du membre ou d'une erreur dans les manipulations liées aux perfusions et prélèvements éventuels réalisés pendant la nuit.
Les chances pour L. N. de séquelles moindres en cas de prise en charge optimale de l'incident dans un centre « N » n'apparaissent sérieuses que dans l'hypothèse d'un spasme artériel. Dans ce cas en effet, il existait un traitement consistant notamment dans le réchauffement du membre controlatéral, ce qui n'a pas été fait, et dans l'application locale de xylocaïne. Les experts estiment que, dans ce cas, le retard apporté au traitement a pu avoir une évolution défavorable sur les séquelles que l'on connait actuellement.
Les experts précisent en page 36 que la perte de chance est formelle et importante s'il s'agit d'un spasme artériel qui aurait pu, après traitement optimal, conduire à des séquelles moindres, voire même absence de séquelles.
Par contre, dans la seconde hypothèse de microthrombi, les experts indiquent que les thérapies actuellement proposées ne font pas l'unanimité et n'étaient de toute façon pas d'actualité à l'époque des faits.
Dans la troisième hypothèse d'une ischémie par compression artérielle secondaire à un oedème du membre, le traitement est, selon les experts, plus difficile à réaliser et on n'arrive pas toujours à minimiser les séquelles.
Bien que les experts privilégient la première hypothèse d'un spasme artériel et estiment peu probables les troisième et quatrième hypothèses (ischémie par compression artérielle et erreur dans les manipulations), ils ne fournissent pas de motif d'exclure l'hypothèse de microthrombi, pour laquelle il n'existait manifestement aucune chance sérieuse de réduire, par des soins appropriés, l'évolution défavorable sur les séquelles.
Dans le doute quant aux causes de l'ischémie, force est de constater que les appelantes, sur qui pèse la charge de la preuve, ne peuvent établir un lien causal certain entre les fautes et la perte de chance qu'elles invoquent, ne démontrant en effet pas que des soins optimaux de l'ischémie auraient certainement donné une chance sérieuse à L. de ne pas subir les séquelles qu'elle présente.
Les demandes demeurent en conséquence non fondées.

Dispositif conforme aux motifs.

Siég. :  Mmes C. Dumortier, E. Dehant et MeFr. Delobbe.
Greffier : M. O. Toussaint.
Plaid. : MesL. Gaj (loco V. Delfosse), Ph. Wéry, V. Carlier et P. D'Heur.
N.B. : En tant qu'elle exclut le lien causal entre les fautes retenues et la perte de chance alléguée, cette décision s'appuie sur l'examen par les experts désignés de l'origine de l'ischémie dont a souffert l'enfant, laquelle demeure incertaine. S'il s'agit d'un spasme artériel, il existait un traitement adéquat à même de diminuer, voire de supprimer les séquelles. En revanche, s'il s'agit d'une micro-thrombose, les experts ont indiqué que les thérapies actuellement proposées ne font pas l'unanimité et n'étaient de toute façon pas d'actualité à l'époque des faits ; or, la responsabilité médicale doit s'apprécier en fonction des données de la science au moment de la prise en charge litigieuse. En raison de ce doute sur la cause de l'ischémie, le lien causal entre les fautes et la perte de chance est écarté, puisqu'il n'apparaît pas certain que des soins optimaux auraient donné à l'enfant une chance sérieuse de ne pas subir les séquelles qu'elle présente.
Cette décision peut paraître sévère, mais c'est à bon droit que la cour d'appel ne confond pas la perte de chance, qui est un type particulier de dommage - qu'il est naturellement permis d'invoquer en présence d'une erreur ou d'un retard de diagnostic -, et la certitude causale qui doit la relier à la faute épinglée ; le doute supprime la causalité [1].
La Cour de cassation a d'ailleurs rejeté le pourvoi formé contre l'arrêt rapporté. Par un arrêt du 6 décembre 2013 (n° C.13.220.F), elle a considéré, après avoir rappelé les motifs pertinents de la cour d'appel, que, contrairement à ce que soutiennent les demanderesses, l'arrêt rapporté n'a pas admis que, si la recherche de la cause de l'ischémie et le transfert de la maman vers un centre « N » avaient eu lieu, la perte d'une chance d'avoir des séquelles moins importantes grâce à des soins plus adéquats ne se serait pas produite telle qu'elle s'est réalisée in concreto, mais a décidé « qu'un lien de causalité n'est établi entre aucune des fautes qu'il retient (...) et le dommage allégué par les demanderesses dès lors que celles-ci ne prouvent pas que l'ischémie trouve sa cause dans une circonstance où les séquelles dont souffre (l'enfant) eussent pu être réduites ».

 


[1] Sur cette question, voy. récemment les substantielles conclusions de l'Avocat général Werquin précédant Cass., 6 décembre 2013, Pas., 2013/12, n° 661, pp. 2458-2480 ; P. Van Ommeslaghe, « Perte d'une chance et risque réalisé : cherchez l'erreur », in I. Lutte (sous la dir. de), Droit médical et dommage corporel. État des lieux et perspectives, Anthemis, 2014, pp. 211-227 ; N. Estienne, « La perte d'une chance dans la jurisprudence récente de la Cour de cassation : la procession d'Echternach (deux pas en arrière, trois pas en avant ...) », R.C.J.B., 2013, pp. 603-624 ; et, d'une manière générale sur la perte de chance en droit médical, G. Genicot, Droit médical et biomédical, Larcier, 2010, pp. 478-496.


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  • Le défaut de surveillance d'un grand prématuré, dans un hôpital ne disposant pas d'un service néonatal de soins intensifs et dont l'encadrement par un personnel infirmier qualifié était insuffisant, est constitutif d'une faute dans le chef de l'hôpital en ce qu'il a conduit à une mise en évidence tardive du phénomène ischémique et à un retard de diagnostic. La pédiatre de garde a commis une erreur d'appréciation et une imprudence constitutives d'une faute en prenant la décision de garder le nouveau-né dans le service de néonatologie en dépit de la faiblesse de l'encadrement, et de ne pas le transférer vers un service de soins intensifs alors qu'il s'agissait d'un cas lourd et à très haut risque. Elle est également en faute pour n'avoir pas, après la découverte de l'ischémie, effectué de démarche diagnostique à même d'en identifier la cause et d'adapter la thérapie en fonction du diagnostic précis. - La perte d'une chance pour l'enfant de subir des séquelles moins importantes grâce à des soins plus adéquats doit, pour être prise en considération, se trouver en lien causal certain avec ces fautes. Il n'est pas établi que, si l'enfant avait bénéficié d'un encadrement permettant la découverte rapide de l'ischémie, son diagnostic et un tradivent approprié, elle avait une chance réelle et sérieuse de conserver des séquelles moindres, dans la mesure où, d'après les experts, l'origine de l'ischémie ne peut être déterminée avec précision, de sorte qu'il n'est pas établi qu'il existait une chance sérieuse de réduire, par des soins optimaux, son évolution défavorable.

Mots-clés

  • Hôpitaux - Médecin - Responsabilité - Nouveau-né prématuré - Ischémie décelée tardivement - Défaut de surveillance infirmière - Absence de transfert - Absence de démarche diagnostique - Perte de chance - Cause de l'ischémie indéterminée - Lien causal certain (non)

Date(s)

  • Date de publication : 07/11/2014
  • Date de prononcé : 22/11/2012

Référence

Cour d'appel Liège (20 echambre), 22/11/2012, J.L.M.B., 2014/36, p. 1700-1706.

Branches du droit

  • Droit civil > Obligations hors contrat > Obligation (quasi) délictuelle > Faute
  • Droit civil > Obligations hors contrat > Obligation (quasi) délictuelle > Lien de causalité
  • Droit civil > Obligations hors contrat > Obligation (quasi) délictuelle > Dommage
  • Droit civil > Professions > Médecin > Responsabilité
  • Droit civil > Professions > Infirmier > Responsabilité
  • Droit civil > Droit médical - Droit de la santé > Santé publique > Soins aux personnes âgées et malades chroniques

Éditeur

Larcier

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