Jurisprudence - Droit du travail - Contrat de travail
I. |
Contrat de travail - Licenciement pour motif grave - Liberté d'expression - Abus - Insubordination. |
II. |
Contrat de travail - Généralités - « Sonneur de tocsin » - Étendue de la protection. |
La liberté d'expression n'est pas un droit absolu. Dans le cadre d'une relation de travail, il y a lieu de respecter un équilibre entre la liberté d'expression du travailleur et son devoir de loyauté vis-à-vis de l'employeur.
Si le travailleur abuse de son droit à la critique, il se rend coupable d'insubordination.
Le travailleur qui révèle une information relevant de l'intérêt public (illégalités ou mauvaises pratiques) doit être protégé contre toutes mesures prises à son encontre, à moins qu'il ne soit établi qu'il abuse de son droit de critique.
(D. P. / S.A. T. )
(...)
- Le 1er juin 1986, Madame D. P., ci-après l'appelante, entre au service de S.
- Elle poursuit sa carrière durant de nombreuses années au sein du groupe tant en Belgique qu'à l'étranger à la plus grande satisfaction de son employeur.
- Le 1er janvier 2007, elle est nommée responsable commerciale au sein de la S.A. T. avec maintien de son ancienneté (...)
- Par courrier recommandé du 11 février 2010, la société [T.] a notifié à l'appelante son licenciement :
« Par la présente, nous vous confirmons que nous mettons fin à votre contrat de travail avec effet immédiat et pour motif grave.
Les motifs vous seront dénoncés dans le délai légal ».
- Par pli recommandé du 15 février 2010, la société notifiait à l'appelante les motifs de son licenciement en ces termes :
« Les faits dont nous avons pris connaissance le 10 février, et qui font suite à de nombreux autres faits accomplis depuis le mois de décembre dernier, nous ont amenés à résilier votre contrat de travail pour motif grave le 11 février.
Conformément au voeu légal, nous vous dénonçons par la présente les motifs graves qui justifient ce congé :
1. Dans le courant du mois de décembre, il a été mis fin au contrat de travail conclu entre T. et Monsieur M. B., directeur général auquel vous rapportiez.
Lorsque vous avez pris connaissance de cette résiliation, vous vous êtes adressée à vos supérieurs, par mail du 15 décembre pour leur notifier que vous ne pouviez pas "comprendre et soutenir cette décision".
Le 16 décembre, vous avez envoyé une copie du mail que vous adressiez la veille à la direction, à de nombreuses personnes, en ce compris des clients (internes au groupe) et des collaborateurs de T., avec le commentaire :
"Pour info
Voilà, les syndicats ont gagné (...) on peut espérer que cela ira maintenant mieux avec ce nouveau monsieur avec ces gens de T. (...)".
2. Le 17 décembre, Monsieur M. et Madame V. H. vous ont invitée à un entretien au cours duquel ils vous ont signalé que, s'ils pouvaient comprendre votre déception face au départ de votre supérieur, il ne vous appartenait néanmoins pas de "critiquer" publiquement au sein de la société la décision des organes de direction de la société et de tenter de déstabiliser celle-ci. La société vous a infligé deux jours de mise à pied, conformément aux dispositions du règlement de travail.
Nous espérions ainsi que l'incident était clos.
3. Le 18 décembre, vous avez réagi à cette sanction :
- en indiquant que vous acceptiez la décision de licenciement de M. B. même si vous ne pouviez la soutenir ;
- en indiquant que les syndicats font la loi chez T., ce que tout le monde sait et ce que M. B. était en train de changer lorsqu'il a été licencié ("fired") ;
- en reprochant au D.R.H. de vous avoir demandé de vous exprimer en français ;
- en indiquant que vous ne pouvez accepter que le travail de trois années passées avec M. B. soit annihilé en raison de la décision de le licencier ; que vous ne pouvez survivre en Wallonie, isolée, comme femme ; que vous avez dû vous battre pendant un an pour prendre votre place dans la bastille wallonne et que vous n'avez plus l'énergie de recommencer ;
- que vous étiez fatiguée de devoir vous battre pour la position des femmes au sein de S., que vous avez uniquement pu le faire grâce à M. B. (et personne d'autre) et que vous ne pouvez plus vous battre seule ;
- que vous avez apprécié le caractère multiculturel au sein de S. et que vous ne pouvez pas accepter que votre "top management" "tue cela" et ne souhaite pas que "vous progressiez dans cette direction".
À nouveau, vous avez adressé ce mail à des clients (internes au groupe) et collaborateurs de la société.
Cette lettre était un acte d'insubordination manifeste à l'égard de notre entretien de la veille, et aurait sans nul doute déjà constitué un motif grave. Comme vous l'écrivez néanmoins dans le dernier alinéa de votre mail, il était rédigé sous le coup de l'émotion.
4. Cette circonstance et votre passé au sein du groupe nous ont donc amenés à ne pas mettre immédiatement fin à votre contrat de travail, mais nous vous avons, par contre, adressé le 22 décembre un avertissement recommandé en vous indiquant que tout nouvel acte d'insubordination serait cette fois-ci considéré comme un motif grave.
5. Suite à cet avertissement, vous avez été en incapacité de travail. Lors de votre reprise, vous avez rencontré Monsieur van C. les 21 et 22 janvier et avez menacé de saboter commercialement la société lors de l'entretien du 21 janvier si la société ne mettait pas fin à votre contrat de travail.
6. Le 25 janvier dernier, vous avez indiqué à Madame I. P. que vous aviez dit à Monsieur Be. de la société A. M. que "les contrôles de qualité pour ces produits (marches d'escalier) ne seront désormais plus faits. En outre, vu le départ de M. B., il n'y aura plus de soutien pour cet objectif qualité auprès d'A. M., car c'était M. B. qui défendait les intérêts de ce client".
Le 25 janvier, vous avez visité le client R. en tenant des propos diffamatoires sur T.
Le 26 janvier toujours, alors que nous prenions connaissance du nouveau logo, vous avez cru opportun de vous adresser, à nouveau à toute l'équipe, dans les termes suivants :
"Ce logo a été mis au point par M. B. (...) c'était un beau cadeau de départ pour nous tous (...)".
Monsieur Van C. vous a une fois encore demandé de ne pas adresser de tels commentaires à un public aussi large.
7. Le 29 janvier, nous vous avons donc adressé un nouveau pli recommandé en vous rappelant ces faits et en vous demandant leur signification. Nous avons convenu de nous rencontrer le 3 février. Toutefois, en raison de votre incapacité, ce rendez-vous a été reporté au 5 février.
Le 5 février, lors de cet entretien :
a) Vous n'avez pas souhaité répondre à la question qui vous était posée concernant le nouveau logo de T.
b) Vous avez refusé de vous expliquer des propos tenus lors de votre visite au client R.
c) Vous nous avez signalé que vous n'aviez jamais menacé de saboter T.
d) Vous n'avez pas plus contesté avoir dit, lors de la réunion commerciale interne du 22 janvier, que "les syndicats ont encore gagné".
e) En ce qui concerne le contact téléphonique du 26 janvier 2010 entre le client R. et une employée de T., portant sur votre visite du 25 janvier au cours duquel vous auriez affirmé que rien n'allait plus chez T., vous avez à nouveau refusé de répondre.
f) Vous avez catégoriquement nié avoir rapporté le 25 janvier 2010 à Madame P. les propos que vous aviez tenus auprès du client A. M.
g) Vous avez catégoriquement nié avoir indiqué au client vitrerie Be. à (...) que "T. est une société pourrie depuis vingt-cinq ans, les délégués mènent la danse, on ferait mieux de fermer T., c'est tout ce que T. mérite".
8. Ce 8 février, il nous a été rapporté que lors de la réunion de Design Expert du 26 janvier 2010 à (...), vous auriez indiqué à monsieur Bo. (vitrerie Be.) que vous ne le prendriez pas mal si cette firme ne s'approvisionnait plus chez T.
9. Nous souhaitions à nouveau vous entendre à ce sujet lorsque, ce mercredi 10 février, vous avez à nouveau adressé un mail à vos supérieurs, en le copiant à de nombreux collaborateurs et clients, dans les termes suivants : [...]
Le dernier alinéa de ce courrier constitue donc une ultième répétition d'une critique de votre direction à l'égard de nombreux collaborateurs et clients de l'entreprise. Nous vous avions déjà sommée, lors de notre entretien du jeudi 17 décembre, ainsi que par notre recommandé du 22 décembre, notre entretien du 21 janvier et par notre courrier du 29 janvier, de cesser les critiques, fussent-elles voilées ou indirectes, à l'égard des décisions prises par la direction, vous rappelant que ces faits sont constitutifs d'insubordination et donc de motif grave.
Nous pensons avoir été particulièrement patients entre le 18 décembre et le 10 février mais cette répétition d'événements, ponctuée par votre courriel du 10 février dernier, ont définitivement ruiné toute notre confiance et rendent toute poursuite de notre collaboration définitivement impossible. Les faits ci-dessus constituent non seulement des actes d'insubordination notoires et impertinents, mais également la mise en oeuvre du sabotage dont vous avez menacé la société le 21 janvier 2010.
C'est la raison pour laquelle nous avons été amenés, le 11 février 2010, à mettre fin à votre contrat de travail avec effet immédiat, sans indemnité ni préavis, pour motif grave.
Nous effectuons le calcul de votre rémunération pour le mois de février et des pécules de vacances de sortie. Ceux-ci vous seront versés très prochainement.
Dans le même temps, nous vous adresserons les documents sociaux ». (...)
6.1. |
La rupture pour motif grave |
L'appelante ne remet pas en cause le jugement en ce qu'il admet que le licenciement est intervenu dans le double délai de trois jours ouvrables.
Il appert des pièces du dossier qu'en effet, le délai a été respecté.
6.1.1. Le texte
En vertu de l'article 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, (...)
Est considérée comme constituant un motif grave, toute faute grave qui rend immédiatement et définitivement impossible toute collaboration professionnelle entre l'employeur et le travailleur. (...)
6.1.2. Son interprétation quant à la réalité et la gravité des motifs
Le fait qui justifie le congé sans préavis ni indemnité est le fait accompagné de toutes les circonstances de la cause invoquées par la lettre notifiant ce motif et de nature à lui conférer le caractère d'un motif grave
[1].
Ce fait doit être imputable, fût-ce partiellement, au membre du personnel licencié
[2]. L'employeur a la charge de la preuve de cette imputabilité
[3].
Pour apprécier la gravité du motif invoqué pour justifier le congé sans préavis ni indemnité, le juge peut prendre en considération des faits qui sont étrangers à ce motif et ne sont pas mentionnés dans la lettre de congé lorsqu'ils sont de nature à l'éclairer sur la gravité du motif allégué
[4].
Quant aux faits susceptibles d'être retenus comme fautes, il est de jurisprudence constante, et parfaitement conforme à la notion de gravité requise, que de simples négligences, voire une certaine incompétence, ne peuvent justifier un licenciement pour motif grave tandis, qu'au contraire, constituent un motif grave
[5] des manquements qui traduisent une désinvolture délibérée
[6] ou un manque de conscience professionnelle flagrant attendu d'une personne exerçant des fonctions à responsabilité
[7], qui révèlent des précédents manquements dissimulés
[8] ou encore qui sont le reflet d'une insubordination manifeste pour autant que l'ordre donné soit légitime
[9] et émane d'une personne habilitée à le donner
[10].
La liberté d'expression est notamment garantie par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, fondement essentiel d'une société démocratique mais non sans limite. Comme le relèvent O. Rijckaert et N. Lambert à la suite de l'examen de trois arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme :
« Ce droit à la liberté d'expression n'est toutefois pas absolu. Si les travailleurs ne sont pas tenus à des devoirs de réserve ou de loyauté absolue envers leur employeur, ils doivent toutefois faire preuve d'égards lorsqu'ils portent une appréciation ou un jugement sur leur employeur, leur supérieur hiérarchique ou leurs collègues de travail. En d'autres termes, les travailleurs bénéficient certainement d'un droit à la critique mais pas d'un droit à l'insulte ou à la caricature méchante. Dans le même sens, ils ne peuvent porter des accusations contre des supérieurs hiérarchiques ou des collègues à la légère, sans la moindre preuve ou commencement de preuve. L'examen de l'existence ou non d'une violation du droit à la liberté d'expression reconnu au travailleur doit être fondé sur une analyse minutieuse des circonstances de faits [...]. [L'ingérence] pour être admissible doit satisfaire à trois tests : le test de légalité, le test de finalité et le test de proportionnalité » [11].
À cet égard, la jurisprudence de Strasbourg opère une distinction entre l'expression verbale, plus volontiers spontanée, et l'expression écrite censée plus réfléchie.
La loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail prévoit en son article 16 que les parties se doivent des égards mutuels. L'article 17 de la même loi fait obligation au travailleur d'agir conformément aux ordres et aux instructions qui lui sont données par l'employeur, ses mandataires ou ses préposés, en vue de l'exécution du contrat. La sanction du licenciement pour motif grave est prévue par la loi en son article 35. Il est donc satisfait au test de légalité. Encore faut-il que la mesure soit proportionnée aux faits et aux circonstances de l'espèce.
L'arrêt
Heinisch c. Allemagne de la Cour européenne des droits de l'homme
[12], arrêt invoqué par l'appelante, pose la question de la protection du « sonneur de tocsin » ou «
whistleblower » en regard du droit à la libre expression. Parmi les conditions requises pour rechercher le juste équilibre entre le devoir de loyauté et le droit à la libre expression lorsque le travailleur signale des illégalités ou des mauvaises pratiques, la Cour suit un raisonnement en six points dont le premier requiert que le signalement soit d'abord fait au supérieur hiérarchique et, seulement lorsque la démarche est infructueuse, faire l'objet d'une diffusion. Il faut aussi que l'intérêt public soit concerné par la révélation de l'information.
6.1.3. Son application en l'espèce
L'appelante peut difficilement contester le contenu des nombreux mails qu'elle a envoyés ainsi que le fait qu'elle les a adressés à de nombreux destinataires dont certains étaient des clients, même s'il s'agit de sociétés se situant dans l'orbite du groupe dont fait partie l'intimée.
Elle s'explique par sa volonté d'obtenir des éclaircissements à la suite de la décision prise par la société intimée de se séparer de son directeur général, M. B., qu'elle présente comme ayant été unanimement apprécié. Elle dit s'être heurtée au mur du silence et considère qu'il doit y avoir un minimum de dialogue avec le personnel. Elle soutient ne pas avoir recherché son intérêt personnel mais celui de la société d'autant que les clients quittaient l'entreprise pour aller à la concurrence à la suite de la mauvaise gestion que précisément M. B. tentait de modifier.
Elle reproche à la société intimée d'avoir monté un dossier contre elle en vue de la licencier alors qu'elle a exécuté son travail avec sérieux et a atteint 94 pour cent de ses objectifs. Elle fait état d'une déstabilisation et d'une trop grande émotivité dans son chef. Elle conteste avoir poussé des clients à la concurrence et justifie l'envoi du mail du 10 février à divers interlocuteurs par le fait que la société ne répondait pas à ses questions et que les destinataires étaient liés à la situation difficile de T.
Sans même aborder la question de la concurrence ou de l'existence de propos tenus auprès de clients, la Cour ne peut que constater que l'appelante a fait preuve d'une insubordination répétée malgré les mises en garde et application d'une sanction disciplinaire, fût-elle-même irrégulière, qui aurait dû l'amener à plus de réserve.
Elle a en effet été fermement invitée à cesser de contester la décision prise de licencier le directeur général et à cesser également de se répandre sur la toile, même en interne, afin de se plaindre et de critiquer la mise à l'écart du directeur général en s'en prenant vigoureusement à la société et à ses organes.
À tort, elle soutient que ses critiques étaient autorisées parce que constructives, ce qu'elles n'étaient à l'évidence pas.
S'il n'est pas douteux que le droit à la critique est ouvert, c'est cependant dans certaines limites que l'employé subordonné ne doit pas franchir faute de quoi il peut se rendre coupable d'insubordination.
Ce à quoi s'est livrée l'appelante, ce n'est pas du tout de la critique constructive mais bien un acharnement répété en vue de mettre en cause l'autorité qui seule a le pouvoir de décider de la rupture des contrats de travail mais aussi des mesures qu'elle estime les meilleures pour l'avenir de la société.
À partir du moment où les organes de la société ont informé l'appelante qu'il ne fallait pas remettre en cause la décision, elle n'avait plus à la contester ni à demander des explications qui, en réalité, ne regardent que M. B. et n'ont pas à être ébruitées.
La société a manifestement mis des gants envers l'appelante puisqu'elle a commencé par mettre en garde et infliger une sanction disciplinaire (deux jours de mise à pied), ce qui n'a eu aucun effet, avant de donner une dernière chance à l'appelante, ce qui ne l'a pas empêchée de récidiver le 26 janvier et a provoqué une réaction de la société intimée et l'audition de l'appelante, laquelle va encore envoyer un mail incendiaire le 10 février.
De la part de la responsable commerciale, une telle attitude est inacceptable.
Elle l'est d'autant plus que le fait à l'origine de l'emportement de l'appelante n'est pas un fait répréhensible
[13] qui pourrait lui assurer une certaine protection liée au respect de la liberté d'expression, mais une mesure privée prise à l'égard d'un membre du personnel et dont, surabondamment, la motivation n'a pas été rendue publique et n'avait pas à l'être, de sorte qu'elle ne peut nuire à son destinataire et donc ne justifie pas une mise au point publique (qu'elle soit interne à l'entreprise ou externe).
Ce qui est reproché à l'appelante, ce ne sont pas tant ses questionnements adressés à ses supérieurs directs que, d'une part, la persistance de demandes d'explications à propos d'un fait non répréhensible qui n'est pas d'un intérêt général, sur lequel la société a clos le débat avant même de l'avoir entamé parce que cela ne regardait pas l'appelante sans qu'il puisse lui être aucunement reproché par l'appelante d'avoir agi de la sorte, et surtout, d'autre part, la large diffusion donnée par courriels à ses demandes malgré une mise au point et un avertissement très sérieux que constitue une sanction disciplinaire, fait peu habituel à l'égard d'un cadre.
L'attitude provocatrice de l'appelante tend en effet à conclure que ce n'est pas l'intérêt général qu'elle poursuivait mais qu'elle a fait du licenciement de son supérieur un conflit personnel qu'elle a alimenté plus que de raison.
La liquidation ultérieure annoncée de l'intimée ne peut, par un raccourci saisissant que n'hésite pas à emprunter l'appelante, suffire à considérer que les faits qu'elle a dénoncés sont ainsi établis et qu'elle avait donc raison de s'obstiner.
Comme le relève à raison L. Rottiers et à supposer,
quod non, que l'appelante puisse se prévaloir de la liberté d'expression dans un tel cas de figure, « D'une part, il convient de protéger le sonneur de tocsin contre toutes mesures négatives prises à son égard suite au dépôt d'une plainte, mais il faut, d'autre part, pouvoir le sanctionner lorsqu'il abuse de la procédure »
[14].
La société intimée a largement tenu compte de l'état de l'appelante et a pris le temps avant de décider de la licencier pour motif grave en évitant de réagir impulsivement. L'accumulation de faits d'insubordination et de critiques justifie la mesure qui est proportionnée à la gravité des faits.
La succession des provocations tend à laisser penser que l'appelante cherchait à obtenir son licenciement en comptant cependant sur une indemnité correspondant à son ancienneté et à ses fonctions. Dans son attestation rédigée le 7 décembre 2010, Madame P., occupée au départ par T. mais qui est ensuite passée au service de B. G., le confirme : l'appelante « demandait qu'une solution soit trouvée pour mettre fin à son contrat » du fait de l'ambiance très tendue.
L'appel n'est pas fondé sur ce premier chef de demande. (...)
Par ces motifs, (...)
Confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne les dépens, (...)
Siég. : MM. M. Dumont, K. Alloin et Mme Cl. Wilmet.
Greffier : M. Fr. Alexis. |
Plaid. : MesG. Leblanc (loco K. Maes) et S. Lacombe (loco B. Paquot). |
[1] |
Cass., 28 octobre 1987, Bull., 1988, p. 238. |
[2] |
Voy. H. Deckers, Le licenciement pour motif grave. Études pratiques, Kluwer, 2008, p. 16, et références citées. |
[3] |
C. trav. Liège (12e ch.), 6 mai 2002, R.G. n° 6.610/02. |
[4] |
Cass., 28 octobre 1987, op. cit. ; Cass., 21 mai 1990, Chr. D.S., 1991, p. 11 ; J.T.T., 1990, p. 435, et obs. ; Bull., 1990, p. 107, et R.D.S., 1990, p. 293. |
[5] |
En ce sens notamment, C. trav. Liège (10e ch.), 25 avril 1984, R.G. n° 1374/82 ; C. trav. Liège (5e ch.), 8 janvier 1982, R.G. n° 8293/81 ; C. trav. Bruxelles, 2 décembre 1980, Bull. F.E.B., 1982, p. 752. |
[6] |
C. trav. Bruxelles, 26 février 1985, J.T.T., 1985, p. 473 ; C. trav. Liège, 15 mai 1996, J.T.T., 1997, p. 136 ; C. trav. Liège (8e ch.), 20 janvier 2000, R.G. n° 27.644. |
[7] |
C. trav. Liège (13e ch.), 27 novembre 2001, R.G. n° 6.766/2000, et C. trav. Bruxelles, 25 janvier 2002, Bull. F.E.B., 11/2002. |
[8] |
C. trav. Liège, 27 janvier 1992, J.T.T., 1993, p. 52. |
[9] |
C. trav. Liège, 23 avril 2010, J.L.M.B., 2010, p. 1468 ; C. trav. Bruxelles, 19 mars 2010, Rev. rég. dr., 2009, p. 225 ; C. trav. Bruxelles, 13 juin 2006, Chron. D.S., 2008, p. 153. Voy. également E. Piret, Obligations des parties à la relation de travail. Études pratiques, Kluwer, 2008/5, p. 80. |
[10] |
Voy. M. Jamoulle et F. Jadot, Licenciement et démission pour motif grave, pp. 126 et s. ; R. Manette et P. Delooz, « Le congé pour motif grave », Chroniques de droit à l'usage du Palais, tome 2, Le contrat de travail, formation, exécution, dissolution, pp. 135 et s. ; C. trav. Liège (14e ch.), 22 mai 1997, R.G. n° 5465/96. |
[11] |
O. Rijckaert et N. Lambert, Le respect de la vie privée dans la relation de travail, Études pratiques, Kluwer. 2012/1, p. 80. Voy. également E. Piret, Obligations des parties à la relation de travail, op. cit., p. 7. |
[12] |
Cour eur. D.H., Heinisch c. Allemagne, 21 juillet 2011, req. n° 28274/08. En l'espèce. une employée a été licenciée après avoir déposé une plainte portant des accusations de falsification des rapports de soins non sans en avoir préalablement informé à plusieurs reprises la direction et, suite à son licenciement, elle a divulgué les faits par tracts ce qui entraîna son licenciement pour motif grave. Voy. les commentaires de L. Rottiers. Le sonneur de tocsin : ses origines, son évolution et ses implications en droit social belge. Études pratiques, Kluwer, 2012/4, pp. 48 et s. |
[13] |
Voy. L. Rottiers, op. cit., pp. 42 et s. et p. 80. |
[14] |
L. Rottiers, op. cit., p. 83. |