Jurisprudence - Droit de la construction
I. |
Entrepreneur - Responsabilité décennale - Maître de l'ouvrage - Charge de la preuve - Obligation de collaboration. |
II. |
Entrepreneur - Responsabilité décennale - Terrain situé sous la voirie - Éléments connus du maître de l'ouvrage - Conséquences. |
III. |
Entrepreneur - Responsabilité décennale - Architecte - Responsabilité après réception - Devoir de conseil - Obligation d'avertissement - Charge de la preuve - Fautes concurrentes - Parts respectives des maître de l'ouvrage, architecte et entrepreneur. |
Dans le cadre de l'obligation de collaboration qui est imposée à tous les participants à l'acte de construire, professionnels ou non, le maître de l'ouvrage doit assumer le risque de la construction sur le terrain qui lui appartient et les conséquences de ses choix. Il lui incombe d'établir les fautes commises par les professionnels auxquels il fait appel.
Le maître de l'ouvrage ne peut fonder ses griefs sur le fait que le bâtiment est construit sous le niveau de la voirie alors qu'il connaissait cet élément dès avant l'acquisition de son terrain.
À défaut de signature des procès-verbaux de réunion par le maître de l'ouvrage, les architecte et entrepreneur ne justifient pas de la réalité de leur avertissement au maître de l'ouvrage de la nécessité de modifier le projet, suite à la découverte d'un problème de niveau.
Le manquement des architecte et entrepreneur à leur devoir de conseil et la faute du maître de l'ouvrage ayant décidé de bâtir sur un terrain humide situé sous la voirie sont d'égale importance, chacun d'entre eux devant supporter le dommage à raison d'un tiers.
(S.A. I. / S.A. L.V.I. et G. W. )
Vu le jugement prononcé le 28 juin 2011 par la quatrième chambre civile du tribunal civil de Charleroi (...)
Antécédents de fait et de procédure |
Le litige est relatif à la construction, en 1999, d'un bâtiment industriel de 1684 m2 pour compte de la S.A. I. par la S.A. L.V.I., sous la surveillance de l'architecte W.
Le premier juge a adéquatement exposé les faits de la cause et leur historique, exposé que la cour fait sien.
Par citation du 11 juin 2001, la S.A. I., qui se plaignait de retards, non-achèvement, malfaçons, vices cachés et graves problèmes d'étanchéité ayant causé à plusieurs reprises des infiltrations d'eau au bâtiment pour lequel elle avait accordé la réception provisoire sans réserve le 10 janvier 2010, sollicitait, avant dire droit, la désignation d'un expert et la condamnation de l'entrepreneur, la S.A. L.V.I. et de l'architecte G. W. à lui payer la somme provisionnelle de 3.000.000 francs.
Par jugement du 21 mars 2002, le premier juge dit la clause d'arbitrage contenue dans le contrat d'entreprise, soulevée par la S.A. L.V.I., contraire à l'article 1678 du Code judiciaire et désigna en qualité d'expert l'architecte Erik Selis avec pour mission notamment d'examiner le bâtiment litigieux, de dire s'il était affecté de vices et malfaçons et de chiffrer le coût des réparations sans donner un avis sur les responsabilités de ceux-ci.
Les parties s'opposant sur la question de la stabilité du bâtiment, l'expert fit appel à l'ingénieur Demoor en qualité de sapiteur, lequel a exclu tout problème à ce niveau.
Le rapport définitif de l'expert, déposé le 2 avril 2004, conclut que les travaux n'avaient pas été réalisés conformément aux règles de l'art ni suivant les plans du permis de bâtir qui prévoyaient un niveau inférieur à la voirie de 39 cm maximum alors qu'il avait constaté une différence de 70 cm.
Il énumère les vices et malfaçons constatés à l'immeuble et évalue le coût de leur remise en état à une somme de l'ordre de 22.500 euros.
Par jugement du 3 mars 2005, le premier juge ordonne, avant dire droit sur les responsabilités, la comparution personnelle des parties afin qu'elles s'expliquent plus amplement sur le contenu des procès-verbaux de chantier et sur l'infraction à l'ordre public résultant de la violation des dispositions de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, les travaux n'ayant pas été, selon l'expert, exécutés conformément au permis de bâtir.
Cette comparution se déroula le 11 octobre 2005 en l'absence de Monsieur P. G. qui avait suivi le chantier pour compte de l'appelante mais démissionné de ses fonctions en 2005.
Par jugement du 9 janvier 2007, son audition en qualité de témoin fut ordonnée afin qu'il s'explique sur les circonstances dans lesquelles il avait signé les divers documents de l'entreprise et notamment, le 14 octobre 1999, le plan fixant les niveaux d'implantation du bâtiment.
Il fut entendu le 28 avril 2009 et deux autres témoins furent convoqués ensuite à la demande des intimés dans le cadre d'enquêtes contraires, le 26 janvier 2010.
Le jugement déféré, sur la base des déclarations recueillies lors de la comparution personnelle des parties et des enquêtes, dit la demande non fondée en tant que dirigée contre l'architecte W., à défaut de faute d'ordre conceptuel dans son chef ou de manquement à son devoir de conseil, se référant au contrat d'architecture excluant la responsabilité de G. W. pour les modifications apportées au plan établi par lui et aux explications cohérentes et vraisemblables de l'agent de la S.A. L.V.I.
Les demandes en garantie réciproques introduites par la S.A. L.V.I. et l'architecte furent, en conséquence, déclarées sans objet.
Le premier juge dit la demande dirigée contre la S.A. L.V.I. non fondée en ce qui concerne l'implantation de l'immeuble et les dommages résultant des infiltrations d'eau, l'expert judiciaire ayant précisé que les travaux auraient été conformes aux règles de l'art si le système de drainage conseillé avait été installé.
Il rejeta la demande pour les dégâts au carrelage à défaut de preuve d'une faute de l'entrepreneur à ce sujet et celles relatives à l'ameublement des bureaux, aux peintures et aux troubles de la production et de la rentabilité, postes résultant des infiltrations d'eau dues au défaut d'implantation.
La demande relative aux frais de conseil technique exposés pour le contrôle altimétrique du 27 juin 2000 fut rejetée, le problème ayant été décelé avant l'exécution des travaux, le 14 octobre 1999.
Le premier juge mit à charge de la S.A. L.V.I. les réparations non contestées à la menuiserie extérieure en P.V.C., aux panneaux de façade en béton cellulaire et aux faux plafonds soit la somme de 1.750 euros et ordonna la réouverture des débats avant de statuer sur la demande reconventionnelle de celle-ci ne disposant pas du dossier de pièces de l'appelante.
Celle-ci poursuit la réformation de cette décision et sollicite la condamnation solidaire ou in solidum de l'architecte W. et de l'entrepreneur la S.A. L.V.I. à lui payer les sommes fixées par l'expert judiciaire pour les vices et malfaçons relevés par lui majorées de plus de 100.000 euros pour moins-value du bâtiment, diminution de sa valeur suite à la perte de garantie décennale, perte de productivité, outre 2.500 euros pour le remplacement de la porte d'entrée, et 749,87 euros pour frais de conseiller technique, le tout majoré des intérêts compensatoires à dater de la survenance du sinistre, des intérêts judiciaires et des frais et dépens de l'instance.
Elle conteste tout fondement à la demande reconventionnelle de la S.A. L.V.I. compte tenu des fautes commises par elle et sollicite sa condamnation au paiement de l'indemnité de procédure de base pour les deux instances relatives à cette demande.
la S.A. L.V.I. conclut, à titre principal, à l'absence de fondement de la demande dirigée contre elle, ce qui constitue un appel incident et, à titre subsidiaire, dans l'hypothèse d'une condamnation solidaire ou in solidum avec l'architecte W., forme contre lui une demande en garantie.
Elle persiste également dans sa demande reconventionnelle tendant à la condamnation de la S.A. I. à lui payer la somme de 50.493,43 euros, soit ses factures impayées majorées des intérêts conventionnels au taux de 12 pour cent arrêtés au 6 septembre 2004, de la clause pénale et du coût des travaux effectués à la demande de l'expert judiciaire pour 584 euros, le tout majoré des intérêts judiciaires. (...)
L'appelante prétend que l'immeuble construit par la S.A. L.V.I. est affecté d'un défaut de conception et d'exécution grave mettant sa stabilité en péril dès lors qu'il est construit plus bas que ce que prévoyaient les plans de l'architecte W. : cette erreur de niveau commise par l'entrepreneur et non détectée par l'architecte constituerait, selon elle, la cause des vices cachés qu'elle a découverts depuis l'occupation des bâtiments et des dommages qu'elle subirait encore actuellement.
Elle prétend, en effet, qu'encore aujourd'hui, même après la pose d'un drain comme suggéré par l'expert judiciaire, les lieux sont systématiquement inondés en faisant référence à la pièce 12.3 de son dossier qui ne figure cependant pas dans celui qu'elle a adressé au greffe avant l'audience de plaidoiries.
Le rapport d'expertise, les dossiers de pièces et les déclarations des parties et des témoins entendus par le premier juge contredisent l'analyse de l'appelante.
Elle ne produit aucun élément de nature à établir des problèmes de stabilité du bâtiment qui ont été exclus par le sapiteur mandaté à cette fin par l'expert judiciaire.
Par ailleurs, aucun vice caché n'a été révélé par l'expertise qu'elle a sollicitée, seuls des défauts d'exécution ayant été constatés.
Enfin, le problème de niveau d'implantation du bâtiment détecté par les intimés dès avant l'entame des travaux peut, d'après l'expert, être résolu par un système de drainage et de pente adapté.
Il appartient à l'appelante, en sa qualité de demanderesse, d'établir les fautes commises par les professionnels auxquels elle a fait appel pour la réalisation de son projet de construction sans perdre de vue que, dans le cadre de l'obligation de collaboration qui est imposée à tous les participants à celui-ci, professionnels ou non, le maître de l'ouvrage doit assumer le risque de la construction sur le terrain qui lui appartient et les conséquences de ses choix (B. Louveaux, « Rôle et responsabilités du maître de l'ouvrage non professionnel », in Les obligations et les moyens d'action en droit de la construction, Larcier, 2012, pp. [180] et s.).
A. L'implantation du bâtiment
L'appelante semble avoir entamé les négociations en vue de son projet de construction avec la S.A. L.V.I. alors qu'elle n'était pas encore propriétaire du terrain (voy. la première offre de celle-ci du 11 janvier 1999 : « le maître de l'ouvrage s'engage à communiquer dans le mois des signatures du contrat de vente toutes les informations utiles concernant la qualité du sol afin que la résistance puisse être déterminée »).
Le rapport des essais de sol effectués à sa requête, sur demande de l'entrepreneur, le 30 mars 1999, indique expressément que le niveau du terrain se situe à -0,70 m.
Le contrat signé le 11 mai 1999 avec la S.A. L.V.I. est conclu sous réserve de « l'obtention du sol » et prévoit, en sus de la première offre, une rubrique intitulée « terrassement » comprenant notamment l'ensablement du bâtiment sur 20 cm.
Le contrat avec l'architecte signé le 28 mai 1999, après la finalisation du contrat d'entreprise, mentionne que les données concernant la hauteur du terrain lui seront communiquées par le maître de l'ouvrage.
Ces éléments établissent que le niveau du terrain à bâtir situé sous la voirie était un élément connu de l'appelante dès avant son acquisition du terrain à bâtir.
Ils contredisent la déclaration de P. G. du 28 avril 2009 selon laquelle l'appelante n'était pas « consciente que sa construction, dans l'état du terrain, se trouverait plus bas que la voirie ».
Elle n'est donc pas fondée à fonder ses griefs sur le fait d'une construction du bâtiment sous le niveau de la voirie.
L'erreur des plans annexés à sa demande de permis de bâtir ne devait, en outre, pas lui échapper en sa qualité de maître de l'ouvrage signataire de celle-ci.
Pour le surplus, les versions des parties diffèrent.
L'architecte W. dit avoir reconnu son erreur dès sa visite des lieux préalable au début du chantier et en avoir avisé l'entrepreneur et l'appelante, proposant deux solutions pour remédier au problème, l'exhaussement de la construction ou la pose d'un drainage.
L'entrepreneur prétend en avoir entretenu l'appelante et produit un document signé par son représentant le 14 octobre 1999 rectifiant le niveau d'implantation, toujours sous le niveau de la voirie.
L'appelante, représentée par C. M., soutient quant à elle n'avoir « jamais été mise en garde quant aux conséquences de l'absence de décision quant au drainage ou de surélévation du bâtiment », se retranchant derrière l'incompétence du sieur G. qui avait signé le plan d'implantation du 14 octobre 1999.
Si les procès-verbaux des réunions de chantier des 19 octobre et 29 novembre 1999 confirment la version des faits des intimés, soit l'accord du maître de l'ouvrage de prévoir un drainage tout autour du bâtiment pour éviter toute modification au contrat d'entreprise, ils ne sont pas signés par l'appelante, ce qui l'autorise à reprocher à ses cocontractants, architecte et entrepreneur, un manquement à leur obligation de conseil.
Aucun d'eux ne justifie en effet la réalité de son avertissement au maître de l'ouvrage de la nécessité de modifier le projet suite à la découverte du problème de niveau.
Ces fautes et celle de l'appelante qui devait, en sa qualité de maître de l'ouvrage ayant décidé de bâtir sur un terrain mouillé situé sous la voirie, suivre attentivement la réalisation de son projet et s'inquiéter des conséquences de la signature « pour accord » du document à elle soumis par l'entrepreneur le 14 octobre 1999, sont d'égale importance compte tenu de tous les éléments de l'espèce. (...)
Siég. : Mme B. Compagnion.
Greffier : Mme B. Cantineau. |
Plaid. : MesV. Libert (loco Ph. Van den Broecke), P. Daenens et J. de Lamotte. |