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25/07/2014
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Justice de paix Arlon-Messancy, 25/07/2014


Jurisprudence - Droit public et administratif

J.L.M.B. 14/835
I. Expropriation - Procédure - Pouvoir judiciaire - Pouvoir exécutif - Rectification d'une erreur matérielle dans l'arrêté - Arrêté rectificatif adopté en cours de procédure.
II. Expropriation - Procédure - Exploit - Citation - Délai de citation - Nullité - Couverture.
III. Expropriation - Généralités - Propriété - Copropriété - Pas d'expropriation de la part dans l'indivision - Nullité (non) - Droit à l'expropriation.
IV. Expropriation - Généralités - Transparence de l'administration - Motivation formelle des actes administratifs - Motivation générale - Faits réels - Proportionnalité.
V. Expropriation - Généralités - Utilité publique - Présomption - Cession ultérieure à une personne privée.
1. Il n'appartient pas au juge judiciaire, mais bien à l'autorité administrative elle-même, de corriger une erreur matérielle concernant un numéro de parcelle cadastrale comprise dans le dispositif d'un arrêté ministériel autorisant une expropriation. Un arrêté ministériel rectificatif peut, cependant, être admis après l'introduction de la procédure judiciaire (solution implicite).
2. En matière d'expropriation pour cause d'extrême urgence, le délai de citation de huitaine n'est pas prescrit à peine de nullité mais la sanction de nullité générale du droit commun lui est applicable. Pareille nullité peut cependant être couverte si l'acte a atteint le but que la loi lui assigne.
Il en est ainsi lorsque la citation tardive ne fait que corriger l'heure de comparution contenue dans une citation antérieure respectant le délai, que les parties ont comparu lors de la vue des lieux, y ont fait valoir leurs observations et ont convenu d'un calendrier de procédure pour l'échange de leurs conclusions et la fixation d'une date de plaidoiries.
3. La demande d'expropriation d'une parcelle privative qui ne contient pas la demande d'expropriation de la quotité d'une partie commune qui lui est indivisiblement liée n'est pas nulle, mais l'exproprié est en droit d'exiger de l'expropriant l'acquisition de la totalité de son bien, en partie privative et en partie commune.
4. Un arrêté d'expropriation, dont la motivation formelle n'est constituée que de formules générales empruntées tantôt au Schéma de développement de l'espace régional et tantôt au Plan Marshall 2.Vert sans considération reposant sur des faits réels et sans élément précis permettant d'établir un rapport raisonnable entre cette expropriation et le but réel de celle-ci, qui reste indéfini, ne satisfait pas aux exigences de motivation formelle des actes administratifs.
5. L'inscription d'une affectation au plan d'aménagement du territoire fait naître une présomption d'utilité publique sans faire perdre au juge son pouvoir de contrôle.
Lorsque l'expropriation de garages en sous-sol qui ne nécessitent ni réaménagement, ni réhabilitation paysagère ou environnementale, ni assainissement quelconque n'a d'autre objet que le transfert de propriétaires privés à des propriétaires publics en vue d'une cession ultérieure à un propriétaire privé sans que l'ensemble cesse d'être affecté à un usage privatif, l'utilité publique de l'expropriation n'est pas démontrée.

(Ville de X. / M. G. et autres )


Vu le jugement rendu par le tribunal de céans le 24 juin 2014 (...)
Les demandes
Pour rappel, la demanderesse expose que, par arrêté ministériel du 14 janvier 2014, elle a été autorisée à exproprier pour cause d'utilité publique et conformément à la procédure d'extrême urgence prévue par la loi du 26 juillet 1962, les immeubles suivants sis (...)
- d'une part, dans l'ancien « hôtel de police », cadastré 653K, (...)
- d'autre part, le garage cadastré section A, n° 596C, d'une contenance de quarante centiares appartenant à (...).
Par ordonnances du 30 avril 2014, la comparution des parties sur les lieux a été fixée au 20 mai 2014 et Monsieur Albert Collet désigné en qualité d'expert.
Significations-citations ont été faites, sur requêtes de la demanderesse, par l'huissier de justice suppléant Lamouline et l'huissier de justice Xhardé de Messancy les 9 et 13 mai 2014 aux défendeurs de comparaître sur les lieux le 20 mai 2014.
La demanderesse entend à présent qu'il soit fait droit à ses requêtes, que soient fixées les indemnités provisionnelles revenant aux défendeurs et qu'il soit dit pour droit que l'expert Collet poursuivra sa mission telle que la définit la loi du 26 juillet 1962. (...)
Les arrêtés ministériels des 14 janvier et 27 juin 2014
Le ministre de l'Environnement, de l'Aménagement du territoire et de la Mobilité a, par arrêté ministériel du 14 janvier 2014, arrêté que « l'acquisition, par la (demanderesse), des biens cadastrés ou l'ayant été à (...), 1re division, section A, n° 582C, 596C, 597, partie non bâtie du n° 623/02A, partie du n° 656K (quarante-six boxes), repris dans le périmètre du site SAR/AV53 dit « Ancien hôtel de police » à (...), est déclarée d'utilité publique ; En conséquence, la (demanderesse) est autorisée à procéder à l'expropriation de ces parcelles ».
Dans son jugement du 24 juin 2014, le tribunal a relevé que si, dans sa motivation, cet arrêté ministériel vise notamment les biens cadastrés (...), 1ère division, section A, n° 596C et 653K - objets de la présente procédure -, il n'est plus question, dans son dispositif, de l'acquisition de ce dernier bien mais de celui cadastré (...), 18e division, section A, n° 656K.
Il a donc, dans le souci du respect des droits de la défense des parties, ordonné, avant-dire droit, la réouverture des débats en vue de leur permettre de s'expliquer sur la discordance existant entre les motifs et le dispositif dudit arrêté ministériel quant à l'identification de la parcelle - 653K ou 656K - sur laquelle se situent les biens des défendeurs et, le cas échéant, sur les incidences éventuelles de cette discordance, réservant la recevabilité, le fond et les dépens.
La demanderesse dépose actuellement l'arrêté ministériel pris par le ministre de l'Environnement, de l'Aménagement du territoire et de la Mobilité le 27 juin 2014 aux termes duquel, « considérant qu'une erreur matérielle s'est glissée dans l'arrêté ministériel du 14 janvier 2014 (...) (dès lors) que tant l'arrêté de reconnaissance du site à réaménager que (le) préambule de l'arrêté autorisant l'expropriation se réfèrent correctement au numéro 653K et que (...) la parcelle 656K n'existe pas dans le périmètre du site à réaménager », à l'article 1er de l'arrêté ministériel du 14 janvier 2014, « le numéro 656K doit se lire 653K ».
Elle sollicite du tribunal qu'il corrige l'erreur matérielle que porte le dispositif de l'arrêté ministériel du 14 janvier 2014 et dise qu'il y a lieu d'y lire le n° 653K au lieu du n° 656K.
Avec (...), il convient de souligner que le tribunal ne saurait corriger l'erreur matérielle que porte ledit arrêté ministériel, pareille correction appartenant à la seule autorité administrative, laquelle y a d'ailleurs procédé en adoptant l'arrêté ministériel du 27 juin 2014.
Partant, il sera donné acte à la demanderesse de ce que le dispositif de l'arrêté ministériel du 14 janvier 2014 se lit comme suit :

« Le ministre de l'Environnement, de l'Aménagement du territoire et de la Mobilité a arrêté que l'acquisition, par la demanderesse, des biens cadastrés ou l'ayant été à (...), 1re division, section A, n° 582C, 596C, 597, partie non bâtie du n° 623/02A, partie du n° 653K (quarante-six boxes), repris dans le périmètre du site SAR/AV53 dit « Ancien hôtel de police » à (...), est déclarée d'utilité publique ; en conséquence, la demanderesse est autorisée à procéder à l'expropriation de ces parcelles ».

Comme l'y invitait le tribunal en son jugement du 24 juin 2014, la demanderesse lui a remis ses observations, pièces à l'appui, de même qu'aux défendeurs et partie intervenante volontaire pour le 1er juillet 2014.
Il ne saurait dès lors être fait grief à celle-ci d'avoir procédé ainsi, les défendeurs et la partie intervenante volontaire n'établissant nullement que l'arrêté ministériel du 27 juin 2014 ne leur aurait pas été communiqué.
Cet arrêté ministériel n'aurait en tout état de cause pu l'être avant même d'être pris, et certainement pas concomitamment avec l'arrêté ministériel du 14 janvier 2014 qu'il rectifie.
Le raisonnement des défendeurs et de la partie intervenante volontaire à cet égard sera donc rejeté. (...)
La nullité de la citation donnée d chacun des défendeurs
Les défendeurs soulèvent d'abord la nullité de la citation du 13 mai 2014 au motif que, dès lors qu'elle a été donnée pour l'audience du 20 mai 2014, le délai de huitaine prévu par l'article 5 de la loi du 26 juillet 1962 n'a pas été respecté.
Il est vrai qu'aux termes de cette disposition, la citation doit être signifiée huit jours au moins avant celui fixé pour la comparution.
En effet, la Cour de cassation a, par arrêt du 15 janvier 1998 (Pas., 1998, I, p. 78 et obs. G. D.), précisé que, nonobstant le fait que la loi du 26 juillet 1962 relative à la procédure d'extrême urgence en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique ne prévoit elle-même aucune nullité au cas où le délai de huit jours au moins avant la comparution des propriétaires ou usufruitiers, prévu pour la citation de ceux-ci à être présents sur les lieux aux jour et heure fixés par le juge, n'est pas respecté, l'application de cette loi est néanmoins compatible avec l'application de la sanction de nullité générale de droit commun en cas d'une telle violation.
L'article 710 du Code judiciaire dispose que « les délais fixés pour la citation sont prescrits à peine de nullité. Il s'agit d'un cas de nullité absolue, mais dont le non-respect peut être couvert par le recours aux articles 864, alinéa 2, et 867 du Code judicaire » (A. Hoc, J. Vanderschuren, et J.-F. Van Drooghenbroeck, « L'introduction de l'instance », Actualités en droit judiciaire, Formation permanente CUP, Larcier, 2013, vol. 145, p. 155, n° 9).
La couverture de la sanction peut intervenir si l'acte de procédure a, malgré tout, réalisé le but qui lui est assigné par la loi (article 867 du Code judiciaire) (G. Closset-Marchal, « Droit judiciaire privé - Introduction et incidents de l'instance - Examen de jurisprudence », R.C.J.B., 2014, p. 104, n° 45, et références citées).
En l'espèce, il ressort des pièces de la procédure que la citation donnée à chacun des défendeurs le 13 mai 2014 « complète et modifie (celle à eux) signifiée précédemment - à savoir le 9 mai 2014, qui y est annexée - concernant l'heure de comparution erronée à la formule de comparution (erreur matérielle) mais qui est bonne dans les attendus et l'ordonnance jointe ».
Toutes les parties ont comparu ou été représentées lors de la vue des lieux du 20 mai 2014, les défendeurs y ont été entendus en leurs observations et ont convenu, avec la demanderesse, du calendrier arrêté pour le dépôt de leurs conclusions et de la date fixée pour les plaidoiries, en telle sorte que leurs droits de la défense ont été respectés.
Les défendeurs n'ont donc nullement été surpris par la citation rectificative tardive du 13 mai 2014 et n'ont aucunement pâti de ce fait.
Partant, il faut considérer que, conformément au prescrit de l'article 867 du Code judiciaire, cet acte de procédure a réalisé le but que la loi lui assigne (J. Englebert, « Les nullités », Le point sur les procédures (2e partie), Formation permanente CUP, vol. 43, p. 107, n° 47).
L'argumentation des défendeurs quant à la nullité de la citation doit dès lors être écartée.
La nullité des demandes
Les défendeurs font valoir que la demanderesse limite l'expropriation à la seule partie privative de leurs biens, à l'exclusion des parties communes ou indivises.
Ils soulignent que ces parties forment un tout indivisible et estiment que les demandes doivent être dites nulles.
Dans la mesure où les défendeurs ont acquis - hormis en ce qui concerne le garage cadastré section A, n° 596C, appartenant à (...) - la propriété exclusive d'un ou de plusieurs garages fermés, ils ont acquis en même temps en copropriété et indivision forcée une quotité déterminée des parties communes se rattachant aux parties privatives de ce(s) garage(s).
Aux termes de l'article 577-2, paragraphe 9, du Code civil, « (...) la quote-part dans les biens immobiliers indivis ne peut être aliénée, grevée de droits réels ou saisie qu'avec l'héritage dont elle est inséparable. (...) ».
En l'espèce, la quotité des parties communes se rattachant aux parties privatives de chacun des biens concernés par l'expropriation litigieuse se devait donc d'être l'objet de cette expropriation avec les parties privatives dont ladite quotité est inséparable, ce que la demanderesse a négligé de faire.
Cette négligence ne saurait justifier de dire les demandes nulles, mais les défendeurs seraient en droit d'exiger l'acquisition, par la demanderesse, de la totalité de leurs biens expropriés, en parties privatives et en parties communes (Expropriations, Journée jurisprudentielle, 14 juin 1996, Collège national des experts architectes de Belgique, pp. 92-93).
Le raisonnement des défendeurs quant à la nullité des demandes doit donc être rejeté.
La légalité externe - L'absence de motivation de l'arrêté ministériel du 14 janvier 2014
Les défendeurs font reproche à l'arrêté ministériel du 14 janvier 2014 autorisant la demanderesse à exproprier pour cause d'utilité publique, conformément à la procédure d'extrême urgence, des biens immeubles leur appartenant de ne porter aucune motivation sérieuse quant au projet devant être réalisé, quant à la nécessité de les exproprier dans le cadre de la réalisation de ce projet et quant au caractère indispensable d'une expropriation immédiate.
Il n'est pas discuté que, comme l'assigne la Cour de cassation au juge (8 mars 1979, Pas., 1979, I, p. 814), celui-ci a l'obligation de vérifier la légalité de l'expropriation interne et externe de l'arrêté d'expropriation en telle sorte qu'il peut être amené à soulever d'office certains moyens.
L'arrêté d'expropriation doit faire l'objet d'une motivation en la forme faisant apparaître les motifs justifiant le recours à cette procédure.
Dans un arrêt du 3 février 2000 (J.L.M.B., 2000, p. 1773), la Cour de cassation a précisé le contenu de la motivation que doit comprendre l'arrêté d'expropriation. Il doit énoncer les motifs pour lesquels l'expropriation s'avère nécessaire, ce qui implique qu'elle doit être fondée sur des faits réels, qu'un rapport raisonnable entre l'expropriation envisagée et le but visé doit pouvoir s'en déduire et que, suivant le cas, il doit en apparaître que les options politiques prises ont été évaluées.
La loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs est applicable aux arrêtés d'expropriation. En effet, ceux-ci ont une portée individuelle en ce qu'ils s'adressent à un nombre limité et identifiable de citoyens et en ce qu'ils ne contiennent aucune règle générale et abstraite (B. Pâques, L'expropriation pour cause d'utilité publique, p. 114, n° 103 ; E. Causin, Droit des victimes d'expropriation et d'autres privations de propriété, Anthemis, 2011, pp. 143-144, n° 77).
En l'espèce, l'arrêté ministériel du 14 janvier 2014, se référant à celui du 30 septembre 2013 arrêtant définitivement le périmètre du site SAR/AV53 dit « Ancien hôtel de police » à (...) comprenant notamment les parcelles cadastrées ou l'ayant été à (...), 1re division, section A, n° 596C et 653K, précise avoir pour objet d'autoriser l'expropriation d'extrême urgence pour cause d'utilité publique de ces parcelles « en vue d'assurer la réhabilitation du site défini par l'arrêté ministériel du 30 septembre 2013 précité ».
Il énonce que le projet s'inscrit,
- d'une part, dans le schéma de développement de l'espace régional (S.D.E.R.) qui préconise d'apporter des solutions adaptées aux situations dégradées. « Il convient plus particulièrement, dans une optique d'élimination systématique des chancres urbains, de restructurer les zones fortement dégradées, notamment par des opérations de rénovation urbaine et par l'assainissement et la rénovation de sites d'activité économique désaffectés (actuellement sites à réaménager) ; (...) » ;
- d'autre part, dans le Plan Marshall 2.Vert qui s'assigne de mobiliser le territoire wallon pour développer l'activité économique à grande échelle, en particulier de réhabiliter les sites à réaménager, et qui a accordé à la demanderesse un budget de 1.170.000 euros.
Il fait valoir, quant à la nécessité de l'expropriation, que ;
  • les propriétaires ne démontrent ni la volonté ni la capacité d'atteindre l'objectif d'intérêt général qu'est le réaménagement du site, à l'inverse de la demanderesse ;
  • les services de la zone de police ont quitté l'hôtel de police qui occupait la plus grande partie du site en mars 2013 et il y a urgence à réaménager ce site afin d'éviter la création d'un chancre au centre-ville ;
  • la réalisation du réaménagement, dont se chargera la demanderesse et le régime d'octroi des subventions en matière de sites à réaménager, impliquent sa maîtrise foncière du terrain ;
  • les propriétaires des parcelles concernées n'ont pas donné de suite favorable à l'information que leur a donnée la demanderesse concernant la présente procédure ;
  • l'arrêté ministériel du 30 septembre 2013 n'a été suivi d'aucune initiative des propriétaires du site visant à son réaménagement ;
  • en conséquence, la prise de possession immédiate du bien conditionne le bon déroulement de l'opération de réaménagement tel qu'envisagé par la demanderesse et le respect des échéances strictes fixées par le mécanisme de financement alternatif exposé ci-après ;
  • l'expropriation pour cause d'utilité publique est devenue la seule façon d'assurer la maîtrise foncière du site en vue de son réaménagement ;
  • la volonté de l'autorité communale de faire disparaître ce chancre urbain et de le réaménager relève de l'intérêt général ;
  • compte tenu du bénéfice pour la collectivité qui résultera du réaménagement du site et de l'amélioration de l'aspect du quartier, l'expropriation du site est proportionnée au but poursuivi.
Il ajoute, quant à la nécessité d'une prise de position immédiate pour des raisons budgétaires, ce qui suit :
  • la Wallonie a décidé d'organiser, complémentairement à son budget traditionnel, un financement alternatif afin d'accélérer l'assainissement des sites à réaménager. La S.A. Sowafinal a été créée et un budget de 100.000.000 euros a été affecté aux opérations de sites à réaménager ;
  • l'opération de réaménagement du site SAR/AV53 dit « Ancien hôtel de police » à (...) a été inscrite dans la liste des sites à réaménager dans le cadre de l'action « réhabiliter les sites à réaménager » du Plan Marshall 2.Vert ;
  • le financement de cette opération se fait par un emprunt contracté par la S.A. Sowafinal, pour le compte de la Wallonie, auprès de la banque Belfius ;
  • la décision du Gouvernement wallon du 4 juillet 2013 fixe :
    • au 28 février 2015 la date limite de conventionnellement,
    • au 30 septembre 2015 la date limite pour l'achèvement physique des opérations et la réception des pièces justificatives par l'administration fonctionnelle,
    • au 31 décembre 2015 la date ultime pour la mise à disposition des fonds, la conversion en emprunt et la clôture du programme Sowafinal 2 ;
  • avant de réaliser le réaménagement effectif du site, la demanderesse doit, au préalable, réaliser des levés, investigations, études et dossiers techniques, tâches qui prendront de nombreux mois mais qui sont conditionnées par la maîtrise foncière du site dans son chef. Tout retard à cet égard entraîne un grand risque d'empêcher la demanderesse de respecter les échéances imposées par le Gouvernement wallon ;
  • tant qu'elles ne sont pas couvertes par une convention spécifique, les enveloppes réservées par le Gouvernement wallon pour le projet gardent un caractère provisoire, étant entendu qu'au-delà du 28 février 2015 l'octroi des subventions n'est plus aucunement garanti ;
  • tout retard dans la réalisation de cette opération d'intérêt public desservirait l'intérêt général, entraînant une détérioration encore plus importante de l'image du quartier ;
  • la prise de possession immédiate des biens conditionne donc le bon déroulement de l'opération de réaménagement envisagée par la demanderesse et l'utilisation effective du budget mobilisé.
S'il ne peut être raisonnablement discuté que l'arrêté ministériel du 14 janvier 2014, tel que rectifié par celui du 27 juin 2014 (voy. ci-avant), est ainsi motivé, il n'en demeure pas moins que cette motivation peut difficilement être considérée comme répondant aux exigences posées par les articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs dès lors qu'elle n'est constituée que de formules générales empruntées tantôt au schéma de développement de l'espace régional, tantôt au Plan Marchal 2.Vert, sans considérations reposant sur des faits réels et sans éléments précis permettant d'établir un rapport raisonnable entre cette expropriation et le but réel de celle-ci qui reste indéfini.
L'ensemble immobilier appartenant aux défendeurs, situé en sous-sol - à la seule exception du garage cadastré section A, n° 596C appartenant à (...), qui se trouve en surface -, en bon état d'entretien - ce qu'admet la demanderesse en ses conclusions déposées le 28 mai 2014 (p. 4) -, spacieux, pourvu d'électricité, d'eau et d'extincteurs, fermé et sécurisé, ne correspond en effet nullement, au vu des constatations effectuées en présence des parties lors de la vue des lieux du 20 mai 2014, à un site pouvant être qualifié de « chancre au centre-ville » dont le réaménagement urgent s'imposerait.
Au surplus, la volonté qu'aurait l'autorité communale de faire disparaître ce « chancre urbain » se trouve contredite par la demanderesse elle-même puisqu'aussi bien son bourgmestre a déclaré publiquement par voie de presse, le 17 mai 2014, soit postérieurement à l'introduction de la présente procédure, son intention de conserver le parking souterrain constitué pour partie des biens appartenant aux défendeurs, « un promoteur immobilier (pouvant) être intéressé de garder un tel parking ».
En conséquence, la motivation formelle de l'arrêté ministériel du 14 janvier 2014 ne satisfait pas aux exigences légales, telles que les a précisées la Cour de cassation dans son arrêt du 3 février 2000.
La légalité interne
1. L'utilité publique
Les défendeurs contestent l'utilité publique de l'expropriation litigieuse et soutiennent que le projet de la demanderesse est de procéder à une opération de promotion immobilière - la construction d'une surface commerciale et de logements - qui s'apparente davantage à de la spéculation.
La Cour de cassation a souligné, dès le 3 mars 1972 (Pas., 1972, 1, p. 601, et obs. W. G.), que « les cours et tribunaux, en vérifiant si les formalités prescrites par la loi en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique, ont été remplies, ne se limitent pas au contrôle de la légalité externe. Ce contrôle s'étend à la vérification de l'existence d'un excès ou d'un détournement de pouvoir ».
Pour rappel, elle a ajouté, le 8 mars 1979 (Pas., 1979, I, p. 814, op. cit.), que ce contrôle de légalité est pour le juge une obligation, en telle sorte qu'il se doit de soulever d'office les moyens qu'il juge fondés.
S'il est vrai, comme le souligne la demanderesse, que l'inscription d'une affectation au plan d'aménagement du territoire et de l'urbanisme fait naître une présomption d'utilité publique, il est généralement admis que celle-ci est réfragable et que le juge conserve son pouvoir de contrôle (B. Pâques, L'expropriation pour cause d'utilité publique, op. cit., p. 194, n° 251, et références citées).
L'appréciation de l'utilité publique entre dans le champ du pouvoir dit « discrétionnaire » : la marge d'appréciation de l'autorité est relativement étendue, même si elle ne peut conduire à l'arbitraire.
Le critère décisif du but d'utilité publique concerne l'affectation du bien, non pas son appropriation ou la destination de sa propriété.
L'utilité publique peut, dès lors, s'accommoder d'une certaine mixité, tel un partenariat public-privé.
Peuvent donc être validées des expropriations de biens qui entreront dans le domaine privé, mais dont l'affectation finale profitera au public, telle par exemple la libéralisation du marché de l'énergie.
Un tel partenariat a cependant des limites :
- d'abord, l'expropriation d'un bien en vue de transférer sa propriété à une personne privée ou de la destiner à un usage privé - même d'intérêt général - est illicite, sauf lorsque la loi elle-même l'a autorisé, ce qui n'est pas le cas des lois dites « générales » en matière d'expropriation, telle la loi du 26 juillet 1962 ;
- ensuite, le partenariat public-privé doit toujours, donc même lorsque la loi a autorisé la destination privée, être conçu selon une formule excluant toute forme d'aliénation par l'autorité de ses prérogatives de puissance publique (E. Causin, Droit des victimes d'expropriation et d'autres privations de propriété, op. cit., pp. 79 et s., nos 35 et s., et références citées).
Si la rénovation urbaine mise en exergue par l'arrêté ministériel du 14 janvier 2014 est d'un intérêt public évident et n'est pas incompatible avec l'intervention de promoteurs immobiliers dont la motivation première n'est certes pas d'ordre philanthropique (comparez Civ. Bruxelles, 11 décembre 1989, Res jur. imm., 1991, p. 257), il demeure qu'en l'espèce, l'acquisition par voie d'expropriation d'un ensemble de garages privés situés en sous-sol, ne nécessitant aucun réaménagement, aucune réhabilitation paysagère et environnementale, pas plus qu'un assainissement quelconque, n'a d'autre objet que le transfert de propriétaires privés à un propriétaire public en vue d'une cession ultérieure à un autre propriétaire privé, ce sans que cet ensemble cesse d'être affecté à un usage privatif.
Le même raisonnement doit être tenu en ce qui concerne le garage situé en surface, cadastré section A, n° 596C et appartenant à (...).
Partant, l'utilité publique de l'expropriation en litige n'est pas démontrée.
2. L'extrême urgence
Les défendeurs estiment qu'en la cause l'extrême urgence évoquée par la demanderesse fait défaut, plus de quatre mois s'étant écoulés lorsque celle-ci a déposé ses requêtes en expropriation.
La demanderesse lie la notion d'extrême urgence au financement alternatif de son opération de réaménagement du site concerné par l'arrêté ministériel du 14 janvier 2014, financement dont le calendrier a été fixé dans une décision du Gouvernement wallon du 4 juillet 2013 et qui s'échelonne jusqu'au 31 décembre 2015 (voy. ci-avant).
En l'espèce, il apparaît ce qui suit :
- l'extrême urgence peut être tenue pour existante au moment de la signature de l'arrêté ministériel d'expropriation du 14 janvier 2014 ;
- elle a persisté depuis lors ;
- seul un délai de trois mois et quinze jours s'est écoulé entre l'adoption de l'arrêté ministériel du 14 janvier 2014 et l'intentement, le 29 avril 2014, de la procédure judiciaire.
L'extrême urgence peut, par conséquent, être tenue pour respectée en la cause.
Les dépens
La dette engendrée par la condamnation aux dépens est exigible à partir du prononcé du présent jugement et peut, dès lors, produire des intérêts à compter de cette date (G. De Leval, Éléments de procédure civile, op. cit., p. 428, n° 336, note 52 ; Cass., 24 septembre 1953, Pas., 1954, I, p. 36 ; Cass., 30 mars 2001, Pas., 2001, p. 541 ; Civ. Bruxelles, 11 janvier 1988, J.L.M.B., 1988, p. 596 ; Comm. Namur, 10 novembre 1997, J.L.M.B., 1999, p. 152).
Comme le postulent (...), le jugement peut donc condamner à des intérêts sur les dépens.
Par ces motifs, (...)
Donne acte à la demanderesse de ce que le dispositif de l'arrêté ministériel du 14 janvier 2014 se lit comme suit :

« Le ministre de l'Environnement, de l'Aménagement du territoire et de la Mobilité a arrêté que l'acquisition, par la demanderesse, des biens cadastrés ou l'ayant été à (...), 1re division section A, n° 582E, 596C, 597, partie non bâtie du n° 623/024 partie du n° 653K (quarante-six boxes), repris dans le périmètre du site SAR/AV53 dit « Ancien hôtel de police » à (...), est déclarée d'utilité publique ; en conséquence, la demanderesse est autorisée à procéder à l'expropriation de ces parcelles » ; (...)

Dit les demandes recevables ;
Dit n'y avoir lieu de considérer comme nulles la citation donnée aux défendeurs le 13 mai 2014, pas plus que les demandes formulées par la demanderesse quant aux seules parties privatives des biens appartenant aux défendeurs et cadastrés ou l'ayant été à (...), 1re division, section A, partie du n° 653K, repris dans le périmètre du site SAR/AV53 dit « Ancien hôtel de police » à (...) ;
Dit pour droit que l'arrêté d'expropriation du 14 janvier 2014, tel que rectifié par celui du 27 juin 2014, n'a pas été légalement motivé au sens de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs et que l'exigence d'utilité publique n'y est pas rencontrée ;
En conséquence,
Dit les demandes non fondées ;
En déboute la demanderesse ;
Condamne la demanderesse aux entiers dépens de l'instance ; (...)
Dit pour droit que la dette engendrée par ladite condamnation aux dépens produira, au profit de (...) des intérêts moratoires calculés au taux légal depuis la date du prononcé du présent jugement jusqu'au complet paiement ; (...).
Siég. :  Mme D. Delooz-Lamers.
Greffier : Mme N. Depienne.
Plaid. : MesB. Dethier (loco J.-P. Poncelet), M. Bungert, P. d'Huart (loco L. Stalars, J.-Ch. Wittamer et C. Gérard), M. Kauten (loco Th. Mortier) et L. Michel.

 



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Sommaire

  • Il n'appartient pas au juge judiciaire, mais bien à l'autorité administrative elle-même, de corriger une erreur matérielle concernant un numéro de parcelle cadastrale comprise dans le dispositif d'un arrêté ministériel autorisant une expropriation. Un arrêté ministériel rectificatif peut, cependant, être admis après l'introduction de la procédure judiciaire. - En matière d'expropriation pour cause d'extrême urgence, le délai de citation de huitaine n'est pas prescrit à peine de nullité mais la sanction de nullité générale du droit commun lui est applicable. Pareille nullité peut cependant être couverte si l'acte a atteint le but que la loi lui assigne. - Il en est ainsi lorsque la citation tardive ne fait que corriger l'heure de comparution contenue dans une citation antérieure respectant le délai, que les parties ont comparu lors de la vue des lieux, y ont fait valoir leurs observations et ont convenu d'un calendrier de procédure pour l'échange de leurs conclusions et la fixation d'une date de plaidoiries. - La demande d'expropriation d'une parcelle privative qui ne contient pas la demande d'expropriation de la quotité d'une partie commune qui lui est indivisiblement liée n'est pas nulle, mais l'exproprié est en droit d'exiger de l'expropriant l'acquisition de la totalité de son bien, en partie privative et en partie commune. - Un arrêté d'expropriation, dont la motivation formelle n'est constituée que de formules générales empruntées tantôt au Schéma de développement de l'espace régional et tantôt au Plan Marshall 2.Vert sans considération reposant sur des faits réels et sans élément précis permettant d'établir un rapport raisonnable entre cette expropriation et le but réel de celle-ci, qui reste indéfini, ne satisfait pas aux exigences de motivation formelle des actes administratifs. - L'inscription d'une affectation au plan d'aménagement du territoire fait naître une présomption d'utilité publique sans faire perdre au juge son pouvoir de contrôle. - Lorsque l'expropriation de garages en sous-sol qui ne nécessitent ni réaménagement, ni réhabilitation paysagère ou environnementale, ni assainissement quelconque n'a d'autre objet que le transfert de propriétaires privés à des propriétaires publics en vue d'une cession ultérieure à un propriétaire privé sans que l'ensemble cesse d'être affecté à un usage privatif, l'utilité publique de l'expropriation n'est pas démontrée.

Mots-clés

  • Expropriation - Procédure - Pouvoir judiciaire - Pouvoir exécutif - Rectification d'une erreur matérielle dans l'arrêté - Arrêté rectificatif adopté en cours de procédure
  • Expropriation - Procédure - Exploit - Citation - Délai de citation - Nullité - Couverture
  • Expropriation - Généralités - Propriété - Copropriété - Pas d'expropriation de la part dans l'indivision - Nullité (non) - Droit à l'expropriation
  • Expropriation - Généralités - Transparence de l'administration - Motivation formelle des actes administratifs - Motivation générale - Faits réels - Proportionnalité
  • Expropriation - Généralités - Utilité publique - Présomption - Cession ultérieure à une personne privée

Date(s)

  • Date de publication : 10/10/2014
  • Date de prononcé : 25/07/2014

Référence

Justice de paix Arlon-Messancy, 25/07/2014, J.L.M.B., 2014/32, p. 1541-1550.

Branches du droit

  • Droit judiciaire > Procédure judiciaire > Exceptions > Nullité
  • Droit public et administratif > Expropriation > Extrême urgence > Conditions
  • Droit public et administratif > Expropriation > Extrême urgence > Procédure
  • Droit public et administratif > Droit administratif > Acte administratif > Motivation des actes administratifs

Éditeur

Larcier

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