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30/05/2013
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Cour d'appel Mons (21e chambre), 30/05/2013


Jurisprudence - Droit civil - Imprévision

J.L.M.B. 13/652
Contrats - Exécution - Marchés publics - Exécution - Prestation de services - Déséquilibre du contrat (oui) - Obligation de renégociation (oui) - Cessation du contrat par l'adjudicataire - Indemnité (oui) .
Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature, de sorte que si, dans l'exécution d'une convention, une partie se comporte d'une manière contraire à l'équité ou à la loi, elle doit être déclarée responsable du dommage que ce comportement a causé à l'autre partie.
Le principe de l'exécution de bonne foi des conventions s'oppose en outre à ce que le créancier demande la poursuite de la convention initiale, malgré un bouleversement de l'économie contractuelle allant jusqu'à la ruine du débiteur.
Lorsque le contrat connaît incontestablement un déséquilibre, les mécanismes conventionnels qui avaient été prévus en ce cas peuvent s'appliquer. Il n'en résulte pas nécessairement que ce déséquilibre soit imputable à la faute de l'une ou l'autre partie.
Dans ce type de circonstances, l'adjudicataire d'un marché public est, conformément aux dispositions du cahier des charges, en droit de mettre fin au contrat et de demander une compensation en raison de ce déséquilibre.

(S.A. S. / Ville de X. )


Vu le jugement prononcé le 7 décembre 2011 par la deuxième chambre civile du tribunal de première instance de Charleroi, (...)
1. Les faits et antécédents de la procédure
1. En avril 2003, la ville de X. (ci-après la ville), au travers de sa régie foncière, décide de mettre en oeuvre une nouvelle politique de stationnement. Dans ce cadre, elle décide de remettre en place trois parcovilles implantés sur la ville en 1990 et cinq Fast Park en cours de construction. À cet effet, elle entame une consultation et définit des conditions de base pour la gestion et l'exploitation des parcovilles et des parcs de stationnement.
Après discussions, un cahier des charges n° 13/2003 pour la gestion et l'exploitation des parcovilles et des parcs de stationnement est établi.
2. Le 29 juillet 2003, le collège échevinal décide d'attribuer le marché à la société de droit français C. (ci-après C.).
Le cahier des charges prévoit notamment, dans un article 19, que « dans le cas où le chiffre d'affaires annuel des parcs de stationnement n'atteindrait pas le niveau prévu au compte d'exploitation prévisionnel annexé, du fait de la constatation de taux de respect inférieurs à ceux indiqués ci-dessus, la régie foncière et l'adjudicataire se concerteront afin de rétablir l'équilibre économique de l'opération ».
En application de l'article 20 de ce cahier des charges, la régie foncière fera son affaire du personnel nécessaire dans le cadre de l'exploitation des parcs de stationnement.
Le 12 novembre 2003, le collège échevinal décide de la mise à disposition des parkings de stationnements Fast Park (et notamment les parkings D. 1, M. et R.) à la société C. La décision lui est notifiée le 25 novembre 2003 et les procès-verbaux de mise à disposition sont joints, accompagnés des permis uniques, du procès-verbal du service d'incendie et des pièces relatives à l'électricité.
3. Le 20 février 2004, la société C. décide de confier l'exploitation des parkings à un sous-traitant, la S.A. C. P. (ci-après C. P.).
S'agissant du personnel, C. P. confirme à la ville les modalités d'engagement et précise « n'oublie pas de faire parvenir à C. une autorisation à contracter via son délégué en Belgique avec la société T. I. pour compte de la régie autonome et de refacturer ces prestations à la régie autonome ».
Le 15 avril 2004, l'échevin délégué à la régie foncière autorise C. à confier à la société C. P. et à son représentant de X. le soin de conclure pour compte de C. des contrats intérimaires avec la société T. I. en vertu de l'article 20 de la convention n° 13/2003.
Des factures seront émises dès le 31 décembre 2004.
Le 22 novembre 2004, une réunion du comité d'accompagnement se tient en présence de représentants de la régie des bâtiments et de représentants de la S.A. C. P.
Il y est notamment acté que la convention C.- ville devra être précisée avant la présentation des comptes d'exploitation de l'exercice 2004 (notamment l'article 20 du statut du personnel) et que C. introduira une demande de permis d'environnement sur la base du permis de bâtir qui sera fourni par la régie pour les parcovilles, tandis qu'un permis unique a été remis par la ville à C. lors de la réception des Fast Park.
Une nouvelle réunion du comité d'accompagnement se tient le 26 janvier 2005.
Le 13 décembre 2005, la ville suggère la tenue d'une réunion ayant pour objet la renégociation indispensable de la convention qui la lie à C. Elle confirme d'emblée le mode opératoire souhaité par C. P. pour l'aéroport et le retrait du Fast Park M. du contrat, et présume qu'il n'y a pas d'opposition sur ce point.
C. répond le 19 décembre 2005 son souhait de participer à une telle réunion, de revoir l'équilibre du contrat qui pourrait encore être affecté par le retrait du Fast Park M. et pourrait en accepter l'idée si certains éléments sont acceptés : parmi ces points, C. évoque la prise en charge des factures liées aux salaires des personnels d'exploitation de l'ensemble des Fast Park Parcoville (encore toutes impayées à ce jour) et une avancée rapide et significative dans l'élaboration de solutions pour rééquilibrer économiquement la concession.
Le dossier ne comprend pas de procès-verbal de la réunion qui se serait tenue le 23 janvier 2005.
4. Suite à la fusion rétroactive au 31 janvier 2005 des deux entités, la société de droit français S. (ci-après S.) vient aux droits de C. Le 10 avril 2006, elle relance les discussions suite à la réunion qui s'était tenue le 23 janvier 2005 et évoque à nouveau le besoin de renégocier le contrat. Elle précise notamment que, le 15 avril 2004, la régie foncière établissait une attestation aux termes de laquelle elle autorisait la société C. à confier à la société C. P. le soin de conclure pour le compte de la société C. des contrats intérimaires en vertu de l'article 20 de la convention.
Elle indique que cette attestation ne soustrait pas la ville à ses propres obligations en vertu de l'article 20. Elle précise que les sommes engagées par C. s'élèvent à présent à 464.425,97 euros et souligne que les factures sont restées impayées.
Elle indique qu'à défaut d'avoir assuré la navette indispensable pour garantir l'attractivité du parking D., elle a été contrainte de louer un bus pour en assurer la continuité. Elle précise que les sommes engagées par C. de ce chef s'élèvent à 96.109,33 euros et souligne que les factures sont restées impayées également.
Elle précise enfin avoir été contrainte d'intensifier les activités de surveillance sur les sites suite à la défection totale des patrouilles policières, dépassant le cadre de la surveillance des parcs de stationnement. Elle précise que les sommes engagées par C. s'élèvent à ce niveau à 95.202,07 euros et demande réparation de ce préjudice.
Par conséquent, elle met en demeure la ville de verser la somme de 655.737,37 euros dans un délai de quarante-cinq jours. À défaut, elle annonce son intention de récupérer sa créance par la voie judiciaire et envisagerait la résiliation de la convention à partir du mois de juin prochain, conformément aux articles 38 et 39 de la convention.
La ville y répond le 26 avril 2006 et évoque des discussions en cours avec un consultant au sujet de la résiliation. La ville envoie un second courrier le 15 mai 2006, contestant formellement les montants réclamés alors que S. reste devoir des sommes importantes suite au non-respect du cahier des charges. Compte tenu des discussions en cours, elle demande le retrait de cette mise en demeure.
Bien que tous les courriers ne soient pas déposés, il semble que des discussions aient effectivement été entamées à l'initiative de ce consultant.
5. Le 13 octobre 2006, la ville, d'une part, et S. et C. P., d'autre part, signent une lettre d'intention par laquelle elles considèrent qu'il convient d'apporter remède à différentes difficultés pratiques et de rétablir l'équilibre financier du contrat. La lettre d'intention ne constitue pas un engagement contractuel mais se limite à énoncer les principes de base qui seront traduits dans des avenants à établir à l'avenir. Cette lettre d'intention énonce certaines modalités pour l'avenir et évoque un montant de l'ordre de 850.000 euros à verser par la ville pour rééquilibrer financièrement la convention jusqu'à la date de la signature d'un avenant.
Il semble que les négociations aient été assez loin, pour aboutir à un projet d'avenant non signé.
6. Le 11 septembre 2008, la régie communale autonome prend contact avec C. P. pour demander la reprise des discussions au point où elles avaient été laissées, et suggérant de prendre comme référence la proposition de convention C. P. Elle devrait avoir effet au 31 décembre 2008.
Le 30 septembre 2008, S. adresse une facture relative à la mise à disposition du personnel « C. P. » selon décision du 15 avril 2004. La facture 08283 porte sur les salaires d'octobre 2007 à juin 2008 et s'élève à la somme de 107.311,52 euros.
Une lettre de ferme contestation sur les montants réclamés est rédigée par la ville le 24 octobre 2008.
7. Le 5 novembre 2008, le conseil de S. écrit à la ville, pour l'identifier comme seule interlocutrice, pour s'écarter du projet d'avenant qui reposait sur l'idée d'une poursuite des relations contractuelles, ce qui n'est plus le cas envisagé, et pour réclamer les montants repris dans la mise en demeure du 15 octobre 2008.
Le 16 décembre 2008, S. attire l'attention de la ville sur l'expiration du permis unique pour l'exploitation du parking Fast Park R. et demande à la ville de régulariser dans l'urgence.
8. Le 22 juin 2010, S. indique sa volonté de mettre fin au contrat et fait application de l'article 38 de la convention. Elle dénonce ses pertes d'exploitation et y ajoute le financement de charges incombant à la ville à savoir des frais de personnel facturés à concurrence de 1.503.296 euros et des locations de bus pour un montant de 122.986 euros.
La ville en accuse réception le 29 juin 2010.
9. Le 3 novembre 2010, S. lance citation contre la ville de X.
Elle demande la condamnation de celle-ci à lui payer :
  • la somme de 1.753.021,98 euros à titre de factures émises en exécution de l'article 20 du cahier des charges, au titre de frais de personnel et d'intérimaires et de location de bus-navettes, ainsi que les intérêts sur ces factures, calculés conformément à la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, soit 558.358,78 euros au 31 octobre 2010 ;
  • la somme de 1.434.288 euros au titre de dommage subi par elle du fait de l'exécution défectueuse par la ville des obligations qui lui incombent en vertu de la convention (794.288 euros de pertes subies depuis le début du contrat et 640.000 euros de manque à gagner correspondant à 80 pour cent du résultat positif escompté, selon le compte prévisionnel d'exploitation) ;
  • la somme de 536.636 euros au titre du dommage subi du fait de l'absence d'amortissement et dépenses consenties dans la perspective d'une exploitation (compte arrêté au 31 décembre 2009) jusqu'au terme du contrat, soit jus[que] fin 2014.
Elle forme également par la citation une sommation de payer au sens de l'article 1154 du Code civil.
Par voie de conclusions, la ville conclut au non-fondement de toutes les demandes et précise que si des sommes devaient être dues, il conviendrait de les compenser avec les redevances impayées.
Par ses conclusions déposées le 6 avril 2011, S. étend sa demande et la majore d'une dernière facture d'un montant de 39.140 euros, ainsi que des intérêts sur cette facture depuis le 1er avril 2011. Elle demande, en outre, la condamnation de la ville à lui payer un euro à titre provisionnel correspondant au coût des équipements repris par la ville de X. à l'occasion de la fin de la concession et du transfert des ouvrages.
Dans ses conclusions de synthèse déposées le 1er juin 2011, la ville de X. demande à titre subsidiaire la désignation d'un expert-comptable.
10. Un jugement a été prononcé le 7 décembre 2011 par le tribunal de première instance de Charleroi qui, en remarque préalable, indique que « l'exposé des antécédents a instillé un doute dans l'esprit du tribunal quant à la viabilité de départ du projet, traduit dans le cahier des charges du 17 juillet 2003 » et considère qu'« une réponse négative serait de nature à conduire le tribunal à s'interroger sur la validité même de la convention mais, en toute hypothèse, à influencer l'appréciation de la manière dont chacune des parties à exécuter (sic) ses obligations ».
En conséquence, le tribunal reçoit la demande et, avant de statuer sur son fondement, il désigne l'expert Leclef dans le cadre d'une expertise simplifiée.
11. Le 3 février 2012, S. dépose une requête d'appel. Elle poursuit la réformation du jugement et demande à la cour de condamner la ville de X. à lui payer :
  • la somme de 1.753.021,98 euros à titre de factures émises en exécution de l'article 20 du cahier des charges, au titre de frais de personnel et d'intérimaires et de location de bus-navettes, ainsi que les intérêts sur ces factures, calculés conformément à la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, soit 558.358,78 euros au 31 octobre 2010 ;
  • la somme complémentaire de 39.140 euros, étant la dernière facture émise par la S.A. S. pour les frais de personnel jusqu'à la fin du contrat au 31 décembre 2010 ainsi que les intérêts sur cette facture depuis le 1er avril 2011 ;
  • la somme de 1.434.288 euros au titre de dommage subi par elle du fait de l'exécution défectueuse par la ville des obligations qui lui incombent en vertu de la convention (794.288 euros de pertes subies depuis le début du contrat et 640.000 euros de manque à gagner correspondant à 80 pour-cent du résultat positif escompté, selon le compte prévisionnel d'exploitation) ;
  • la somme de 536.636 euros au titre du dommage subi du fait de l'absence d'amortissement et dépenses consenties dans la perspective d'une exploitation (compte arrêté au 31 décembre 2009) jusqu'au terme du contrat, soit jus[que] fin 2014 ;
  • la somme d'un euro à titre provisionnel correspondant au coût des équipements repris par la ville de X. à l'occasion de la fin de la concession et du transfert des ouvrages.
Elle forme également une sommation de payer au sens de l'article 1154 du Code civil.
Ces demandes sont reproduites dans les dernières conclusions de synthèse de S. À titre subsidiaire, si une mesure d'instruction devait être ordonnée, elle demande la condamnation de la ville de X. à lui payer une somme provisionnelle de 1.900.000 euros et de renvoyer la cause au rôle pour le surplus.
Par voie de conclusions, la ville conclut à la confirmation du jugement dont appel et demande le renvoi de la cause devant le premier juge.
À titre subsidiaire, si l'appel devait être déclaré recevable et fondé, elle demande de déclarer les demandes originaires recevables mais non fondées.
À titre infiniment subsidiaire, elle demande la désignation d'un expert.
12. Introduit dans les formes et délais légaux, l'appel est recevable. Sa recevabilité n'est du reste pas contestée.
2. Discussion
I. Les griefs contre le jugement a quo
1. S. fait grief au premier juge d'avoir mis en doute la validité de la convention, laquelle n'est évoquée par personne : il est exact que même la ville n'évoque l'équilibre financier de la convention que pour en tirer argument quant à la preuve du préjudice réclamé par S. En aucune façon, la ville de X. n'a évoqué, dans ses conclusions devant le premier juge, une volonté de remettre en cause la validité de la convention.
Même dans ses conclusions prises en degré d'appel, la ville indique implicitement qu'elle s'interroge sur la viabilité de départ de la convention, mais elle n'en tire pas d'argument quant à la formation de la convention, mais bien quant à l'exécution de celle-ci.
C'est à tort que le juge a soulevé ce moyen d'office, alors qu'il n'était invoqué par aucune des parties et sans le soumettre à la contradiction des parties. Les motifs qui sous-tendent la mesure d'instruction ne peuvent être approuvés et le jugement dont appel doit être réformé pour ce motif.
2. Ce motif à lui seul justifie la réformation du jugement dont appel, sans qu'il soit besoin d'aborder les autres griefs.
Statuant en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, la cour entreprend, par conséquent, l'examen du fond de la demande.
II. Le fond des demandes

a. Préalable : l'exécution de bonne foi des conventions - Les comptes d'exploitation - La lettre d'intention

1. Le principe de l'exécution de bonne foi des conventions résulte de l'article 1134 du Code civil.
En vertu de l'article 1135 du Code civil, « Les conventions obligent non seulement à ce qui est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature », de sorte que si - dans l'exécution d'une convention - une partie se comporte d'une manière contraire à l'équité ou à la loi, elle doit être déclarée responsable du dommage que ce comportement a causé à l'autre partie (voy. J.-F. Romain, « La liberté de commerce et le refus de contracter », R.G.D.C., 1994, pp. 440 et s., spéc. n° 14, p. 459, et la note 75).
Le principe de l'exécution de bonne foi des conventions s'oppose en outre à ce que le créancier demande la poursuite de la convention initiale, malgré le bouleversement de l'économie contractuelle « allant jusqu'à la ruine du débiteur » (P. Wéry, « L'imprévision et ses succédanés », obs. sous Liège, 27 juin 1995, J.L.M.B., 1996, p. 108). La doctrine retient qu'« une partie poursuivant l'exécution d'un contrat devenu radicalement déséquilibré dans son économie, au grand désavantage du cocontractant, pourrait en effet être considérée comme abusant de son droit dans les circonstances précises du cas d'espèce » (J.-F. Romain, Le principe de convention-loi (portée et limites) : réflexions au sujet d'un nouveau paradigme contractuel - Les obligations contractuelles, Éditions du Jeune barreau de Bruxelles, 2000, n° 38.1., p. 142).
2. En l'espèce, il n'est pas sérieusement contestable que les conditions économiques du contrat n'ont pas été rencontrées.
II résulte de la pièce 2 de la ville qu'un compte d'exploitation prévisionnel a été établi mais qu'il n'a pas été respecté. L'article 27 de la convention imposait dans ce cas à l'adjudicataire de fournir, dans les six semaines suivant la clôture du trimestre, un décompte d'exploitation analytique.
Les pièces comprises dans la sous-farde D du dossier S. attestent de l'envoi régulier de ces décomptes, sans observations de la ville si ce n'est le 15 mai 2006 et le 10 juillet 2006, à la suite d'une mise en demeure de S.
Ces décomptes confirment les difficultés financières de l'exploitation. Ils confirment d'ailleurs l'analyse qu'avait faite un concurrent le 22 avril 2003 qui estimait qu'un strict respect du cahier des charges conduisait à une exploitation déficitaire.
3. Il résulte ensuite des faits que les parties ont eu conscience du déséquilibre qui se créait, et ce, dès les premiers mois de l'exploitation :
  • d'une part, des réunions se sont tenues pour assurer le suivi de la convention et, dès le 13 décembre 2005, le déséquilibre de la convention est évoqué par les deux parties. Ainsi, la ville suggère la tenue d'une réunion ayant pour objet la renégociation indispensable de la convention qui la lie à C. (difficultés navette aéroport - retrait du Fast Park M.), tandis que C. répond, le 19 décembre 2005, son souhait de revoir l'équilibre du contrat (prise en charge des factures liées aux salaires des personnels d'exploitation et rééquilibrage global de la convention)
  • d'autre part, par ses courriers du 15 mai 2006 et du 10 juillet 2006, la ville évoque les redevances impayées en réponse à la demande de paiement des factures formulée par S.
Ainsi, il ne peut se déduire de l'attitude de la ville qu'elle aurait accepté tacitement les factures libellées à son encontre, ou qu'elle aurait manqué à son obligation d'exécution la convention de bonne foi.
Les faits relatés dans l'exposé des faits témoignent au contraire de la tenue de réunions et d'une volonté de chacune des parties de revoir la manière dont la convention est exécutée et d'en rétablir l'équilibre, eu égard aux difficultés liées à la navette de l'aéroport, au coût des frais de personnel dont la charge doit être supportée par la ville en application de l'article 20, à la suppression du Fast Park M.
Il en résulte qu'incontestablement, la convention ne respectait pas l'équilibre voulu par les parties et que les mécanismes conventionnels qui avaient été prévus en ce cas peuvent s'appliquer. Il n'en résulte cependant pas nécessairement que ce déséquilibre soit imputable à la faute de l'une ou l'autre partie.
Ainsi, à titre d'exemple, les frais de personnel avancés par S. sont importants, sont répercutés à la ville conformément au modus operandi choisi par les parties pour faire application de l'article 20. Ces factures ne sont pas payées par elle. À l'inverse, S. ne paie pas les redevances dont elle est redevable en vertu de l'article 25 de la convention.
4. Cette volonté commune de revoir les termes de la convention existe dès les premiers mois de son exécution (janvier 2005) et sera réitérée par chacune des parties tout au long de celle-ci.
La volonté de revoir les termes du contrat sera formalisée par la lettre d'intention signée par les parties du 13 octobre 2006.
La portée de cette lettre d'intention reste limitée : elle n'a pas de valeur contractuelle.
Elle peut néanmoins constituer un élément d'appréciation ou d'interprétation quant à la manière dont la convention cadre a été exécutée.
Cette lettre d'intention confirme la volonté des deux parties de renégocier la convention, qu'un des points en débat porte sur la prise en charge des frais de personnel et sur le démontage du parking M., et qu'une indemnisation forfaitaire devrait être versée aux gestionnaires du parking pour « rééquilibrer financièrement la convention », le montant évoqué étant alors fixé à 850.000 euros.
5. Il résulte de ce qui précède que les comptes d'exploitation prévisionnels n'ont pas été respectés.
Parmi les difficultés rencontrées dans l'exécution de la relation contractuelle, certaines pourraient être imputées à la ville, pour autant que cela soit prouvé (limitation du permis d'exploitation dans la durée ; démontage du M. ; surveillance des abords des parkings), mais cela semble moins certain pour ce qui concerne la navette de l'aéroport et les factures du personnel, ainsi qu'il sera démontré ci-après.
C'est pourquoi il ne peut être dit que les manquements dans l'exécution de la convention soient seulement imputables à la ville.

b. Les factures relatives à la prise en charge du personnel

1. Il résulte de l'article 20 du cahier des charges que la ville « fera son affaire » du personnel exploitant nécessaire dans le cadre de l'exploitation des parcs de stationnement.
II résulte des échanges de courriers ultérieurs que le modus operandi consistait à permettre à C. ou son représentant en Belgique - c'est-à-dire C. P. - d'engager du personnel intérimaire auprès de la société T. I.
Ce coût devait en principe être refacturé directement à la ville, ainsi qu'il résulte de la pièce 2 de la sous-farde 2 de S. (courrier au gestionnaire du dossier, à la ville : « N'oublie pas de faire parvenir à C. une autorisation à contracter via son délégué en Belgique avec la société T. I. pour compte de la régie autonome et de refacturer ces prestations à la régie autonome »).
Dans la mesure où, dès le 15 avril 2004, l'échevin délégué à la régie foncière autorise C. à confier à la société C. P. et à son représentant de X. le soin de conclure pour compte de C. des contrats intérimaires avec la société T. I. en vertu de l'article 20 de la convention n° 13/2003, S. pouvait légitimement espérer que les factures qu'elle adresserait sur la base de ces accords seraient honorées.
2. Des factures seront émises dès le 31 décembre 2004. Elles n'ont, individuellement, pas été contestées.
Dans le courrier du 15 mai 2006, par lequel la ville s'oppose à la mise en demeure qui était formulée par S. pour un montant de 655.737,37 euros, il faut bien constater qu'il n'y a pas, en soi, de contestation du principe quant à la prise en charge par la ville de ces montants.
D'ailleurs, dans la lettre d'intention, datée du 13 octobre 2006, il est question d'un montant de factures impayées (personnel et navettes) de l'ordre de 850.000 euros. Il s'en déduit qu'à l'évidence, une part importante des factures relatives à la prise en charge des frais de personnel devait être payée.
3. Par contre, il faut bien constater que l'accord de la ville portait sur l'engagement d'un personnel avec la société T. I., et, semble-t-il, dans un contexte déterminé. Or, les factures relatives à du personnel engagé par d'autres sociétés intérimaires sont versées aux dossiers et elles semblent porter sur d'autres catégories de personnel, sans qu'une vérification précise en ait été faite à ce stade.
C'est donc de manière légitime que la ville s'interroge sur le fait que toutes les factures correspondent exclusivement à du personnel affecté à l'exploitation des parkings litigieux.
Dans la mesure où il apparaît que, dès janvier 2005, les parties s'accordaient sur la nécessité de revoir l'équilibre financier du contrat, il ne peut être considéré que les demandes de vérification des détails des frais de personnel et de personnel intérimaire sont abusives.
La demande de désignation d'un expert-comptable, avant dire droit, est donc parfaitement justifiée, avec la mission reprise au dispositif du présent arrêt.
Il s'agira d'une mission d'expertise classique : eu égard à l'ampleur des vérifications, une mesure d'expertise simplifiée ne serait pas pertinente pour la manifestation de la vérité.

c. Les factures relatives à la navette

1. L'article 5 du cahier des charges dispose dans un dernier alinéa que la ville « fera son affaire du stationnement illicite et de la navette parking D. et S. vers l'aéroport et retour ».
Un petit train était prévu à cet effet.
Le 13 septembre 2004, C. P. dénonce des incidents et demande impérativement une liaison régulière. Le 20 septembre 2004, elle énonce que « pour des raisons commerciales, il a été décidé de prendre en charge et de refacturer les prestations de la navette entre 11 heures et 14 heures. II faut une navette régulière toute la journée sans interruption et clairement identifiable ».
Même si un rapport du comité d'accompagnement du 22 novembre 2004 confirme le fait que C. P. prend actuellement en charge les navettes, il ne peut en déduire qu'elle aurait accepté d'en supporter le coût intégral, contrairement à ce qui est précisé dans la convention.
Au contraire, la lecture des courriers confirme que C. P. prend en charge cette navette en attendant et refacture les prestations à la ville.
Il est donc établi que la ville a été informée de ce coût supporté par son cocontractant et de la répercussion qui en était annoncée.
2. Aucune de ces factures n'a été contestée, ni individuellement ni globalement, avant la lettre du 15 mai 2006 de la ville.
Les factures relatives à la navette doivent être supportées par la ville.
3. Il reste que la pièce J 8 est un relevé des factures mais celles-ci ne sont pas versées au dossier.
Dans le cadre de la mesure d'expertise ordonnée, comme précisé ci-avant, il sera demandé à l'expert de vérifier les factures relatives à la navette et d'en établir le compte.

d. L'exécution défectueuse par la ville et le dommage de S.

1. S. estime que la ville a engagé sa responsabilité contractuelle suite à divers manquements. En termes de conclusions, S. n'invoque pas l'article 38 de la convention mais bien les principes généraux de la responsabilité contractuelle.
Elle invoque divers manquements :
  1. les zones de parking payantes n'ont pas été élargies et les contrôles étaient inexistants ;
  2. l'attrait du parking D. I pour les passagers de l'aéroport a été entamé en raison de l'absence de fiabilité de la navette « petit train» ;
  3. l'imposition de la gratuité du parking pour les visiteurs du parc de la S. a été un frein pour la rentabilité des parkings S. et D. I ;
  4. l'imposition de la gratuité lors de certains évènements a entravé la rentabilité des parkings ;
  5. le fait que le Fast Park justice n'ait pas été loué à la régie des bâtiments a restreint les revenus ;
  6. la réduction progressive des emplacements a diminué la rentabilité générale du projet.
2. Indépendamment du fait que ces manquements, s'ils ont certes été dénoncés par écrit, ne sont pas démontrés concrètement et ne sont pas suffisamment prouvés, c'est à bon droit que la ville souligne que S. a fait un choix en mettant fin à la convention le 22 juin 2010 : elle a décidé de mettre fin à la convention conformément à l'article 38 du cahier des charges.
L'article 38, dernier alinéa, dispose que :

« Dans le cas où un déficit apparaîtrait, l'adjudicataire pourra demander par lettre recommandée accusée de réception, adressée à la régie foncière, qui ne pourra s'y opposer, la cessation anticipée du contrat. Dans ce cas, il sera fait application de l'article 39 du présent cahier des charges ».

La réalité du déficit est incontestable et justifiait à elle seule qu'il soit fait application de l'article 38, ce qui n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté par la ville.
3. En ce cas, en choisissant de faire application de cette disposition pour rompre la convention, S. a opté pour un mode conventionnel de résolution du contrat. Elle peut dès lors fonder sa demande de réparation d'un dommage sur le pied de l'article 39 de la convention, ainsi qu'elle l'énonce d'ailleurs dans ce courrier du 22 juin 2010.
L'article 39 dispose que :

« En cas de cessation anticipée du contrat à l'initiative de la régie foncière, la régie foncière devra informer l'adjudicataire par lettre recommandée avec accusé de réception au moins six mois avant la date de cessation.

Dans ce cas, l'adjudicataire aura droit à une indemnisation qui intégrera les éléments suivants :

a. la part non amortie des éléments immobilisés par l'adjudicataire à la date de cessation du contrat ;

b. la part non amortie des biens immobilisés du service relatifs et nécessaires à l'exploitation quotidienne du présent contrat ;

c. le montant des pénalités et tous autres frais liés à la résiliation anticipée des contrats de prêts souscrits dans le cadre du contrat ;

d. le montant des autres frais et charges engagés par l'adjudicataire pour assurer l'exécution du présent contrat, pour la partie non couverte à la date de prise d'effet de la résiliation (indemnités de licenciement du personnel, indemnités de résiliation de contrats de sous-traitance, contrat de location de biens mobiliers, etc.) sauf en cas de reprise des engagements stipulés ci-dessus par la régie foncière ;

e. si l'éviction n'est pas due au fait de l'adjudicataire, il aura droit à une indemnité d'éviction du fait de la cessation anticipée, qui s'établit à douze mois de la moyenne de chiffre d'affaires des deux exercices précédents ».

C'est à juste titre que S. fait observer que cette disposition n'instaure pas une clause de dédit au seul profit de la ville mais prévoit les éléments à prendre en compte pour calculer le dommage subi par l'adjudicataire.
Il convient, dès lors, de s'en tenir aux termes de la convention, qui fait la loi des parties, et de déterminer le dommage subi par S. en application de l'article 39 de la convention. Ce dernier définit les éléments constitutifs du dommage : par l'expression « une indemnisation qui intégrera les éléments suivants » et la faisant suivre ces éléments d'une liste précise, l'article 39 a déterminé les éléments qui peuvent être pris en considération pour l'évaluation du dommage global, la liste étant exemplative.
4. S. a déposé un volumineux dossier pour justifier ses prétentions. Pour les motifs énoncés ci-avant, ces documents sont contestés par la ville et, avant de statuer plus avant, la cour juge utile et pertinent qu'ils soient examinés par l'expert judiciaire, qui serait chargé de donner un avis sur le dommage de S., intégrant les différents postes repris aux points 1 à 5 de l'article 39 de la convention.
II convient dès lors de réserver à statuer sur ce chef de demande.

e. Les redevances

La ville a justifié sa position en excipant le fait que les redevances n'étaient pas régulièrement payées par l'adjudicataire. S. estime que le déséquilibre de la convention étant établi dans les faits, elle a, dès le 8 février 2005, demandé l'annulation de la facture reçue le 10 décembre 2004.
La cour observe à ce stade qu'aucune autre facture n'est produite : il convient d'inviter la ville, dans le cadre de la procédure judiciaire, et notamment à l'occasion de l'expertise judiciaire, à déposer toutes les factures de redevance qu'elle aurait éventuellement émises.
En toute hypothèse, l'expert sera invité à donner son avis sur ce point et à déterminer le chiffre d'affaires réellement constaté, de dire s'il est inférieur au chiffre d'affaires indiqué année par année dans le compte d'exploitation prévisionnel et, dans l'affirmative, de donner un avis sur le montant des redevances qui pourrait être conforme à l'équilibre initial voulu par l'article 25 de la convention.

f. Le provisionnel

Eu égard à l'importance des factures impayées, qu'il s'agisse de frais de personnel ou de frais de navette, et compte tenu de l'intention exprimée par les parties dans la lettre d'intention du 19 octobre 2006 d'indemniser les gestionnaires pour la période antérieure à concurrence de 850.000 euros, la cour estime qu'il est équitable d'accorder une condamnation de la ville à payer à S. une partie des montants réclamés, soit en l'espèce un montant provisionnel de 850.000 euros.
Par ces motifs, (...)
Dit l'appel recevable et dès à présent fondé ;
Met à néant le jugement dont appel, sauf en ce qu'il a déclaré la demande recevable, et, faisant ce que le premier juge eût dû faire ;
Dit la demande dès à présent fondée dans la mesure ci-après précisée ;
Condamne la ville de X. à payer à la S.A. S. la somme provisionnelle de 850.000 euros à titre d'arriérés de factures
Avant de statuer sur le surplus, ordonne la désignation d'un expert judiciaire et désigne Monsieur Pascal Lambotte (...), avec pour mission de :
  • convoquer les parties pour le début de ses travaux dans le mois de la notification de sa mission par le greffe de cette cour ;
  • prendre connaissance des explications des parties et de leurs dossiers inventoriés rassemblant tous les documents pertinents qui lui seront remis ;
  • établir la liste et donner son avis sur les factures émises en application de l'article 20 du cahier des charges ;
  • établir la liste et de donner son avis sur les factures émises à titre de location de bus-navettes et d'établir un décompte ;
  • donner son avis sur le montant de l'éventuel dommage subi par S. du fait de la rupture de la convention, en intégrant les éléments à prendre en considération en application de l'article 39 de la convention (points 1 à 5) ;
  • déterminer le chiffre d'affaires réellement obtenu par S., de dire s'il est inférieur au chiffre d'affaires indiqué année par année dans le compte d'exploitation prévisionnel et, dans l'affirmative, de donner un avis sur le montant des redevances qui pourrait être conforme à l'équilibre initial voulu par l'article 25 de la convention ;
  • établir des décomptes de sommes dues éventuellement par les parties ;
  • répondre à toutes les réquisitions et notes de faits directoires des parties en rapport avec le litige en leur fixant un délai impératif pour le dépôt desdites notes ;
  • tenter de concilier les parties, et à défaut, de faire du tout un rapport motivé, après en avoir communiqué aux parties les préliminaires contenant, un relevé des opérations effectuées, ainsi que des rapports de réunions dressés et des pièces reçues, ses constatations et son avis provisoire, et avoir répondu à leurs observations éventuelles ;
  • déposer ce rapport au greffe de la cour, dans les neuf mois de la notification de sa mission, sauf prorogation précise de ce délai par la cour, à demander, le cas échéant, par l'expert, avant ladite échéance ; (...)
Siég. :  Mme M. Hanssens, M. B. Bouteiller et Mme B. Inghels.
Greffier : Mme B. Cantineau.
Plaid. : MesA. Stevenart, E. Balate (loco B. Lombaert), N. Bonhomme et M. Vangansberg
(loco Fr. Haumont).

 



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Sommaire

  • Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature, de sorte que si, dans l'exécution d'une convention, une partie se comporte d'une manière contraire à l'équité ou à la loi, elle doit être déclarée responsable du dommage que ce comportement a causé à l'autre partie. - Le principe de l'exécution de bonne foi des conventions s'oppose en outre à ce que le créancier demande la poursuite de la convention initiale, malgré un bouleversement de l'économie contractuelle allant jusqu'à la ruine du débiteur. - Lorsque le contrat connaît incontestablement un déséquilibre, les mécanismes conventionnels qui avaient été prévus en ce cas peuvent s'appliquer. Il n'en résulte pas nécessairement que ce déséquilibre soit imputable à la faute de l'une ou l'autre partie. - Dans ce type de circonstances, l'adjudicataire d'un marché public est, conformément aux dispositions du cahier des charges, en droit de mettre fin au contrat et de demander une compensation en raison de ce déséquilibre.

Mots-clés

  • Contrats - Exécution - Marchés publics - Exécution - Prestation de services - Déséquilibre du contrat (oui) - Obligation de renégociation (oui) - Cessation du contrat par l'adjudicataire - Indemnité (oui)

Date(s)

  • Date de publication : 06/06/2014
  • Date de prononcé : 30/05/2013

Référence

Cour d'appel Mons (21 echambre), 30/05/2013, J.L.M.B., 2014/23, p. 1072-1082.

Branches du droit

  • Droit civil > Obligations conventionnelles > Fondements > Bonne foi
  • Droit civil > Obligations conventionnelles > Fondements > Autres
  • Droit public et administratif > Marchés publics > Conditions d'exécution > Règles générales d'exécution - Cahier des charges

Éditeur

Larcier

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