Me Connecter
Me connecter
PartagerPartager
Fermer
Linked InTwitter
Partager
Partager

Recherche dans la JLMB

Retour aux résultatsDocument précédentDocument suivant
Information
17/09/2012
Version PDF
-A +A

Cour d'appel Bruxelles (16e chambre), 17/09/2012


Jurisprudence - Droit rural - Bail à ferme

J.L.M.B. 14/295
I. Compétence ratione materiae - Baux - Bail à ferme - Action en passation d'acte authentique après le non-exercice du droit de préemption - Tribunal de première instance - Pas d'appel obligatoire en conciliation.
II. Baux - Bail à ferme - Droit de préemption - Notification du contenu de l'acte de vente - Signature par un clerc - Absence de préemption - Nouvelle notification - Inutilité.
III. Baux - Bail à ferme - Droit de préemption - Prix élevé - Osmose inverse (non).
IV. Dépens et frais - Indemnité de procédure - Cumul d'une demande évaluable en argent et d'une demande non évaluable.
1. L'action en passation d'un acte authentique de vente introduite pas le tiers acquéreur sous condition suspensive du non-exercice d'un droit de préemption en l'absence d'exercice de ce droit est de la compétence du tribunal de première instance. Elle ne doit pas être précédée d'un appel en conciliation.
2. L'absence de préemption dans le mois de la notification, par le notaire, sous pli recommandé, du contenu de l'acte de vente, rend la vente au tiers acquéreur sous condition suspensive parfaite, en conséquence de quoi l'acceptation, par le preneur et un tiers présenté comme le cessionnaire de son droit de préemption, de l'offre résultant d'une nouvelle notification réalisée à l'initiative du notaire, par exploit d'huissier de justice, ne peut conduire à une vente parfaite au profit du tiers en question. La deuxième notification doit être imputée à un excès de prudence. Le preneur ne peut être suivi en ce qu'il prétend qu'une copie du compromis n'était pas jointe à la première notification, alors qu'il n'a pas pris la peine d'aller chercher l'envoi recommandé conservé à la Poste durant quinze jours, et que l'affranchissement de l'envoi pour un poids supérieur à 50 grammes laisse penser qu'il contenait une copie de l'acte de vente. La notification confiée par la loi au notaire n'ayant pas le caractère d'un acte authentique, il importe peu qu'elle ne soit pas signée par le notaire lui-même, mais par son clerc, préposé.
3. Le procédé dit de l'osmose inverse consiste à gonfler le prix d'une partie du bien mis en vente soumise au droit de préemption, pour tenter d'empêcher le preneur d'exercer son droit, et à diminuer proportionnellement le prix de la partie qui n'est pas soumise au droit de préemption. Il ne peut y avoir recours à un tel procédé quand le bien vendu est entièrement soumis au droit de préemption. Dans ce cas, le fait de payer le prix fort pour décourager le preneur d'exercer son droit de préemption n'est pas constitutif d'une fraude.
4. Pour être condamnée aux dépens, il faut qu'une partie au procès, en lien d'instance avec la partie gagnante, ait succombé. Le juge ne peut s'écarter du montant de base de l'indemnité de procédure qu'à la condition d'être saisi d'une demande des parties et de statuer par une décision spécialement motivée. Quand des demandes contiennent des chefs évaluables en argent et d'autres non évaluables, l'indemnité de procédure doit être fixée sur la base de la demande pour laquelle l'indemnité la plus élevée est légalement due.

(E. R. / Ph. P. et autres )


Vu le jugement attaqué, prononcé contradictoirement le 29 avril 2010 par le tribunal de première instance de Nivelles, (...)
I. Les circonstances de fait
1. Le 5 février 2007, Madame O. a signé, en l'étude du notaire X, un compromis par lequel elle vendait à monsieur P. les trois parcelles de terres suivantes, situées (...), d'une superficie totale d'un peu plus de 10 hectares, pour le prix de 257.917,50 euros (soit 25.000 euros l'hectare) :
  • une parcelle de terre sise (...), cadastrée (...) pour une superficie de 3 hectares 80 ares 14 centiares ;
  • une parcelle de terre sise (...), cadastrée (...) pour une superficie de 3 hectares 80 ares 14 centiares ;
  • une parcelle de terre sise (...), cadastrée (...) pour une superficie de 2 hectares 71 ares 39 centiares.
Monsieur P. a payé un acompte de 25.791,75 euros et les droits d'enregistrement de 32.239,69 euros.
L'acte précise que les biens vendus sont occupés par Monsieur M. en vertu d'un bail à ferme et que la vente est conclue sous la condition suspensive qu'il « n'exerce pas, ou ne cède pas le droit d'exercer, le droit de préemption, tel que prévu aux articles 47 et suivants de la loi du 4 novembre 1969 » sur les baux à ferme.
Par envoi recommandé du 22 mars 2007, le notaire X a notifié à Monsieur M. le contenu de l'acte établi sous la condition suspensive du non-exercice du droit de préemption en lui envoyant une copie du compromis comprenant les conditions de vente des terres (ce que Monsieur M. conteste), exception faite de l'identité de l'acheteur.
Monsieur M., absent le 23 mars 2007 lorsque le pli recommandé a été présenté à son adresse, ne l'a pas réceptionné et ne l'a pas réclamé au service de la Poste. Le pli a été retourné le 10 avril 2007 au notaire X, portant les mentions « absent » et « non réclamé ».
Le notaire a ensuite demandé à l'huissier Y de procéder à la signification du compromis à Monsieur M., ce qu'il a fait par exploit du 24 avril 2007.
Par courrier du 22 mai 2007, contresigné par Monsieur R., Monsieur M. a avisé Madame O. de la cession de son droit de préemption des biens litigieux à Monsieur R. et de l'accord de celui-ci.
Par l'exploit de l'huissier Y du 23 mai 2007, la cession du droit de préemption à Monsieur R. et l'acceptation de cette cession par ce dernier a été signifiée par Monsieur M. à Madame O. et au notaire X.
II. La procédure
2. L'action originaire, introduite par la citation du 3 décembre 2007, a été mue par Monsieur P. à l'encontre de toutes les parties actuellement à la cause, à l'exception de l'huissier Y. Elle tendait à entendre dire pour droit que le compromis de vente du 5 février 2007 devait être suivi de la passation d'un acte authentique puisque, selon Monsieur P., Monsieur M. n'ayant pas valablement exercé ni cédé son droit de préemption, la condition suspensive s'était réalisée.
Monsieur P. sollicitait la condamnation de Madame O., sous peine d'astreinte, à passer l'acte authentique dans le mois de la signification du jugement à intervenir et la désignation à cette fin de deux notaires par le tribunal.
Il postulait également que la vente soit dite opposable à Messieurs R. et M. ainsi qu'au notaire X.
À titre subsidiaire, Monsieur P. mettait en cause la responsabilité du notaire X pour l'avoir empêché, en prenant la décision de notifier une seconde fois le droit de préemption, de devenir propriétaire des terres litigieuses. Il sollicitait sa condamnation à lui payer la somme de 138.101,82 euros à titre de dommages et intérêts, couvrant l'équivalent de 18 années d'exploitation des parcelles de terre pour lesquelles il s'était porté acquéreur.
Il postulait également la condamnation de Madame O. à lui restituer l'acompte de 25.791,75 euros et celle du futur acquéreur à lui rembourser les droits d'enregistrement payés.
Madame O. ne s'opposait pas à la passation de l'acte authentique et sollicitait la condamnation de Messieurs M. et R. et/ou, subsidiairement, du notaire X, au paiement de dommages et intérêts, provisoirement limités à un euro provisionnel sur un montant de 25.000 euros, en réparation du préjudice résultant du retard dans la perception du prix de vente.
Monsieur R. sollicitait la passation à son profit de l'acte de vente des biens litigieux et postulait, à titre subsidiaire, la condamnation de Madame O. à lui payer la somme de 25.791,75 euros à titre de dommages et intérêts.
Après avoir cité Monsieur Y en intervention forcée par citation du 30 décembre 2008, Monsieur R. demandait, à titre plus subsidiaire, la condamnation du premier à réparer le dommage causé par les prétendus défauts affectant l'acte de signification de la cession du droit de préemption, effectuée le 23 mai 2007. Il évaluait provisoirement son dommage à 1 euro.
Monsieur M. sollicitait que Monsieur R. soit déclaré propriétaire des parcelles litigieuses et postulait, subsidiairement et pour les mêmes motifs que Monsieur R., l'indemnisation par l'huissier Y de son préjudice à concurrence d'un euro provisionnel.
Monsieur X et Monsieur Y estimaient les demandes dirigées contre eux non fondées.
3. Par le jugement dont appel du 29 avril 2010, le premier juge a fait droit à la demande de Monsieur P. et a désigné, pour concrétiser la passation de l'acte authentique de vente des trois parcelles, les notaires Z et W, le second étant chargé de représenter les éventuelles parties absentes ou récalcitrantes.
Il a, « pour autant que de besoin », dit la vente et l'acte authentique opposables à Messieurs S. M., E. R. et X et a condamné les deux premiers in solidum à payer à Madame O. la somme provisionnelle d'un euro.
Le tribunal a réservé à statuer sur le surplus et les dépens.
Monsieur M. et Monsieur R. ont relevé appel de cette décision.
4. Monsieur M. forme en degré d'appel une demande nouvelle : il conteste la compétence matérielle du tribunal de première instance de Nivelles et estime que l'action était irrecevable à défaut d'appel préalable en conciliation.
Subsidiairement, il considère que la demande originaire de Monsieur P. n'était pas fondée et sollicite la réformation de sa condamnation « à des dommages et intérêts pour défense téméraire et vexatoire ».
Monsieur M. réitère pour le surplus sa demande reconventionnelle originaire tendant à ce que Monsieur R. soit déclaré propriétaire des parcelles litigieuses à la suite de la cession de son droit de préemption, et demande, subsidiairement, à être indemnisé par l'huissier Y à concurrence d'un euro provisionnel.
5. Monsieur R. sollicite la réformation du jugement critiqué et postule la condamnation de Madame O. à passer l'acte authentique de vente des biens litigieux à son profit ou, à défaut de ce faire dans les trente jours de l'arrêt [à] intervenir, demande que cet arrêt vaille acte authentique et soit transcrit dans les registres prévus à cet effet.
Monsieur R. formule, à titre subsidiaire, une action en subrogation et retrait et demande qu'il soit dit pour droit qu'il est subrogé dans les droits et obligations de l'acquéreur initial, sous la seule émendation que le prix de vente doit être fixé à la somme de 19.475 euros l'hectare.
II réitère pour le surplus ses demandes subsidiaires de condamnation de Madame O. (à 25.791,75 euros en principal) et de Monsieur Y (« provisoirement » à un euro).
6. Monsieur P., Madame O., Monsieur X et Monsieur Y sollicitent la confirmation du jugement entrepris.
Madame O. précise, en outre, sa demande de condamnation provisionnelle de Messieurs M. et R. et sollicite quelle soit fixée au montant correspondant à l'intérêt légal sur le total du prix de vente depuis la date à laquelle le prix aurait dû être payé jusqu'à parfait paiement, ainsi que leur condamnation aux dépens des deux instances.
Elle ne réitère pas sa demande de condamnation du notaire X au paiement de dommages et intérêts, fondée sur le même chef, à laquelle il n'a pas été fait droit par le premier juge.
Monsieur P. ne sollicite plus la condamnation de Madame O. à passer l'acte authentique sous peine d'astreinte. Il se satisfait donc du jugement entrepris qui dit que « les parties P. et O. signeront l'acte authentique de vente dans le mois de la signification » du jugement.
Dans l'hypothèse où la cour réformerait le jugement dont appel, Monsieur P. forme un appel incident à titre conservatoire : il réitère, à titre subsidiaire, sa demande de condamnation du notaire X à lui payer des dommages et intérêts fixés à la somme principale de 138.101,82 euros ainsi que sa demande de condamnation de Madame O. à lui rembourser l'acompte et celle du futur acquéreur à lui rembourser les droits d'enregistrement payés, en principal et intérêts.
7. Les deux appels étant dirigés contre le même jugement, il convient de les joindre pour connexité.
III. Discussion
a. La position des parties
8. Monsieur P., Madame O., le notaire X et l'huissier Y estiment que Monsieur M. n'a pas exercé son droit de préemption dans le délai légal d'un mois suivant la notification de l'offre de préemption par lettre recommandée du 22 mars 2007, que Monsieur P. est, par conséquent, devenu propriétaire des parcelles et que celui-ci est en droit de requérir la passation de l'acte authentique de vente, à laquelle Madame O. ne s'oppose pas.
Les appelants, Messieurs R. et M., considèrent au contraire qu'ils sont en droit de se prévaloir de la signification du compromis faite par l'huissier Y, le 24 avril 2007 et de l'acceptation de l'offre de préemption par Monsieur R. consécutive à la cession du droit de préemption, notifiée à Madame O. par lettre recommandée du 22 mai 2007 et signifiée le lendemain à Madame O. et au notaire X.
b. La compétence du tribunal et la recevabilité de la demande originaire
9. Monsieur M. conteste, pour la première fois en appel, la compétence du tribunal de première instance de Nivelles au motif que la cause aurait trait au bail à ferme et aurait dès lors dû être portée devant un magistrat cantonal en application de l'article 591 du Code judiciaire. Il estime que l'action était, en outre, irrecevable à défaut d'appel préalable en conciliation.
L'exception tirée du défaut d'appel en conciliation prévue à l'article 1345 du Code judiciaire est tardive et devait être soulevée in limine litis, en application des articles 854 et 868 du Code judiciaire (voy. notamment Cass., 9 mars 1984, Pas., 1984, p. 806).
Ces demandes sont, en outre, non fondées.
La demande originaire principale introduite par Monsieur P., en sa qualité d'acquéreur des parcelles et de tiers au bail à ferme liant Madame O. et Monsieur M., portait sur la passation de l'acte authentique de vente. Il ne s'agit dès lors pas d'une demande en matière de bail à ferme relevant de la compétence spéciale du juge de paix mais d'une action de droit commun relevant de la compétence ordinaire du tribunal de première instance (en ce sens, voy., notamment, Liège, 29 mai 1986, www.juridat.be). Le débat relatif à l'exercice du droit de préemption résulte de demandes incidentes.
Le premier juge était donc compétent et aucun appel en conciliation n'était requis.
c. La procédure de vente d'un bien faisant l'objet d'un bail à ferme
10. L'article 48 de la loi sur les baux à ferme, tel que modifié par la loi du 7 novembre 1988, prévoit que :

« Le propriétaire ne peut vendre le bien de gré à gré à une personne autre que le preneur qu'après avoir mis celui-ci en mesure d'exercer son droit de préemption. À cet effet, le notaire notifie au preneur le contenu de l'acte établi sous condition suspensive du non-exercice du droit de préemption, l'identité de l'acheteur exceptée. Cette notification vaut offre de vente.

Si le preneur accepte l'offre, il doit notifier son acceptation au notaire dans le mois de la notification visée au premier alinéa, auquel cas, conformément à l'article 1583, la vente est parfaite entre parties dès que l'acceptation du preneur est arrivée à la connaissance du propriétaire » (article 48.1, alinéa 1er).

Monsieur M., agriculteur et locataire des parcelles de terre mises en vente, conteste la validité de la notification de l'offre de préemption faite par le notaire X par lettre recommandée du 22 mars 2007. Bien qu'il ne soit pas destinataire de ce courrier, Monsieur R. se joint à ces critiques.
11. Messieurs M. et R. reprochent notamment au notaire X de ne pas avoir joint au pli recommandé la copie du compromis.
L'article 48 exige que le « contenu de l'acte » soit notifié au titulaire du bail à ferme, de façon à permettre que les caractéristiques du bien faisant l'objet de l'offre puissent être déterminées (en ce sens voy., notamment, Cass., 22 février 1990, Pas., 1990, p. 732). La transmission d'une copie du compromis (l'identité de l'acheteur exceptée, conformément à l'article 48 susvisé) n'est pas exigée.
Monsieur M. n'ayant jamais réceptionné le courrier recommandé n'a pas pu prendre connaissance de son contenu. Les appelants ne peuvent, dès lors, affirmer en connaissance de cause que le compromis n'y était pas joint.
Le contraire résulte d'ailleurs de la lecture de la lettre recommandée du 22 mars 2007 du notaire X et de ses annexes. Il se déduit en effet avec certitude du contenu de ce courrier, précisant qu'il comprend deux annexes et du fait qu'il a été affranchi pour un poids supérieur à 50 grammes, qu'il contenait manifestement la copie certifiée conforme du compromis de vente, l'identité de l'acheteur exceptée, telle qu'elle est jointe au courrier déposé par le notaire.
Enfin, contrairement à ce que soutiennent Messieurs M. et R., l'irrégularité de la notification faite par le notaire X ne peut être déduite du seul fait qu'il a été procédé ultérieurement par l'huissier Y à la signification du compromis de vente à la requête du notaire. Ce dernier a expliqué qu'il a fait signifier l'acte une seconde fois car il était soucieux d'éviter un conflit potentiel et voulait s'assurer que Monsieur M. ait connaissance de la vente.
Il est, par conséquent, établi que le notaire X a respecté la procédure légale prévue en notifiant à Monsieur M. les informations requises, c'est-à-dire le contenu du compromis établi sous condition suspensive du non-exercice du droit de préemption, conformément à l'article 48 de la loi sur le bail à ferme.
Cette notification valant offre de vente, il appartenait à Monsieur M., en cas d'acceptation de l'offre, de notifier son acceptation au notaire dans le mois de la notification du compromis (article 48.1, alinéa 2, de la même Ioi).
12. Le fait que la lettre recommandée du 22 mars 2007 ait été signée « p.p. » (« par procuration ») par un des clercs du notaire est également critiqué par les appelants.
La signature de ce courrier par un clerc n'est pas contraire aux règles de la procédure.
Comme l'a décidé le premier juge à juste titre, la signature par le notaire personnellement de la lettre d'accompagnement de la copie du compromis (qui a, elle, été certifiée conforme par le notaire) envoyée par recommandé, n'est pas requise car elle n'a pas le caractère d'un acte authentique. L'objectif de la loi du 7 novembre 1988 modifiant l'article 48 de la loi sur le bail à ferme a été celui d'éviter, en confiant au notaire la mission de notification du contenu de l'acte, que le bailleur présente lui-même l'offre de vente au preneur, ce qui avait antérieurement suscité des abus et des tentatives de mise sous pression. Le notaire doit vérifier qu'il existe bien une offre ferme d'un tiers, ce qui est le cas en l'espèce. Le clerc du notaire, signant le courrier sur le papier à entête du notaire, agit sur ses instructions en tant que préposé et le notaire, qui demeure responsable des actes que pose son clerc, en son nom, remplit ainsi sa mission légale.
Par ailleurs, le fait que la lettre ait ou non été signée personnellement par un notaire est, en tout état de cause, sans lien de causalité avec le dommage invoqué par Monsieur M. Ce dommage, causé par le non-exercice de son droit de préemption, est dû au défaut de réclamation à la Poste du pli recommandé qu'il n'avait pas
réceptionné.
La notification, effectuée dans les formes prévues par la loi, aurait en effet atteint son but d'information si Monsieur M. avait été chercher ce pli.
13. Constatant le défaut de réaction de Monsieur M. dans le mois de la notification de l'acte, faite le 22 mars 2007 en conformité avec la loi sur le bail à ferme, le notaire X aurait dû considérer la vente comme ferme et définitive. Le non-retrait à la Poste de l'envoi recommandé n'empêche pas qu'il sorte ses effets.
Dès lors que le destinataire, absent lors de la présentation du recommandé, n'a pas réclamé le pli durant le délai de présentation et ne justifie pas qu'il aurait été dans l'impossibilité d'entreprendre les démarches utiles auprès des services de la Poste, l'expéditeur démontre à suffisance que le destinataire était, à tout le moins, en mesure de prendre connaissance de la lettre qui lui a été adressée par la voie recommandée. Le délai dans lequel Monsieur M. devait exercer son droit de préemption a, par conséquent, nécessairement pris cours à la date du 22 mai 2007.
d. La seconde notification du compromis de vente
14. Bien qu'ayant adressé à Monsieur M. le pli recommandé prévu par l'articIe 48 de la loi sur le bail à ferme, le notaire X, soucieux de s'assurer que Monsieur M., qui occupait les parcelles, prenne connaissance de l'existence de la vente, a requis l'huissier Y de procéder à la signification du compromis de vente du 5 février 2007. Celui-ci y a procédé par exploit du 24 avril 2007.
Contrairement à ce qui a été soutenu, la seconde notification a bien été faite par l'huissier Y à la demande du notaire X, ce que tous deux confirment, et non, comme indiqué erronément dans l'acte, à la requête de Madame O.
Si cette notification avait été faite à la requête de Madame O. - quod non - elle ne serait en tout état de cause pas conforme à l'article 48 qui exige qu'elle soit faite par le notaire et ne pourrait dès lors avoir d'effets tels que, comme le soutient Monsieur R., un transfert de propriété en sa faveur.
15. Les appelants font valoir que la première notification était nulle et que la possibilité d'exercer le droit de préemption, notifiée valablement par l'acte du 24 avril 2007, a fait courir un nouveau délai d'un mois.
Cette seconde notification n'est pas prévue par la loi et n'était pas nécessaire dès lors que la procédure de notification par pli recommandé avait été entièrement respectée et qu'il n'y avait pas lieu de la compléter. Elle s'explique par l'excès de prudence dont a fait preuve le notaire X.
Elle n'a donc pas pu faire naître un second délai dans le chef de Monsieur X pour exercer son droit de préemption ou le droit de céder celui-ci.
Un mois après la notification du contenu de l'acte faite le 22 mars 2007 par le notaire X, la vente était parfaite et Madame O. ne pouvait plus vendre à un tiers.
Monsieur M. était dès lors forclos d'exercer son droit de préemption et le droit de céder celui-ci (en application de l'article 48bis de la loi sur le bail à ferme) à échéance du délai d'un mois ayant pris cours le 22 mars 2007. À cette date, Monsieur P. est devenu acquéreur des parcelles litigieuses.
La notification à Madame O. et au notaire X de la cession du droit de préemption à Monsieur R. et de l'acceptation de cette cession par celui-ci n'a dès lors pas pu être valablement faite par Monsieur M. dans le mois de la réception de l'exploit de signification du 24 avril 2007, c'est-à-dire ni par le courrier du 22 mai 2007, ni par l'exploit d'huissier du 23 mai 2007.
C'est en outre à juste titre que le notaire X souligne que, ni la notification à Madame O. par le courrier du 22 mai 2007, ni celle effectuée à Madame O. et au notaire X par l'exploit d'huissier du 23 mai 2007 n'ont été valablement faites conformément à la procédure légale : la notification a été adressée à la venderesse plutôt qu'au notaire et la signification n'a pas été faite ensemble par le cédant et le cessionnaire du droit en conformité avec l'article 48bis de la loi, mais à la seule requête de Monsieur M.
C'est par conséquent à bon droit et pour les motifs que la cour partage que le premier juge a autorisé les parties O. et P. à passer l'acte authentique de vente.
16. Ce n'est qu'à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour réformerait le jugement entrepris, que Monsieur P. met en cause la responsabilité du notaire X pour l'avoir empêché, en prenant la décision de notifier une seconde fois la cession du droit de préemption, de devenir propriétaire des terres litigieuses.
La demande principale de Monsieur P. étant fondée, sa demande subsidiaire d'indemnisation, devenue sans objet, ne doit plus être examinée.
Messieurs M. et R. ne dirigeant aucune action en indemnisation contre le notaire X, il n'y a pas lieu d'examiner son éventuelle responsabilité.
e. L'action en subrogation et retrait
17. Messieurs M. et R. font tous deux valoir que leur droit de préemption a été violé, en prétendant que la vente conclue le 5 février 2007 a été faite selon le procédé de « l'osmose inverse». Ils affirment que le prix des parcelles a été anormalement gonflé à 25.000 euros l'hectare afin d'empêcher, de manière frauduleuse, Monsieur M. d'exercer son droit de préemption. Ils soulignent que, par acte du 27 septembre 2007, Madame O. a vendu d'autres parcelles à Monsieur P. à un prix qu'ils estiment artificiellement bas, de 16.000 euros l'hectare, « pour compenser le surcoût ».
Le procédé de l'osmose inverse, tel que décrit notamment par la Cour de cassation dans son arrêt du 3 juin 2004 (www.cass.be), concerne une hypothèse particulière, visée par l'article 50 de la loi sur le bail à ferme : celle de la vente d'un bien mixte, ne relevant que partiellement de la loi sur les baux à ferme. Dans le cadre d'une telle vente, le contenu de l'acte ne doit être notifié au preneur qu'en tant qu'il porte sur la partie agricole du bien vendu. Il arrive, dans ce cas, que le prix du terrain non agricole vendu soit illégitimement diminué proportionnellement à l'augmentation du prix du terrain agricole vendu, afin de décourager l'exercice de son droit de préemption par le preneur. Dans ce cas, si son action aboutit, le preneur n'est tenu de payer que le prix qui aurait été dû si le droit de préemption n'avait pas été méconnu.
Les circonstances de l'espèce ne sont pas comparables, la vente portant exclusivement sur des terres agricoles. Par ailleurs, le fait que Monsieur P. ait accepté d'acheter des terres voisines des siennes occupées par un tiers (Monsieur M.) à un prix plus élevé que d'autres terres moins convoitées, pour décourager ce tiers d'exercer son droit de préemption, n'est pas constitutif de fraude.
Enfin, comme l'a, à juste titre, relevé le premier juge, seul Monsieur M. est en droit, en sa qualité de preneur du bail à ferme, de se plaindre d'une méconnaissance de son droit de préemption, à l'exclusion de Monsieur R., son cessionnaire.
18. Monsieur R. forme, à titre subsidiaire, par la voie de ses conclusions d'appel, une demande nouvelle en subrogation et retrait au motif que son droit de préemption aurait été méconnu compte tenu du prix excessif offert pour le bien vendu. Il demande qu'il soit dit pour droit qu'il est subrogé dans les droits et obligations de l'acquéreur initial, sous la seule émendation que le prix de vente doit être fixé à la somme de 19.475 euros l'hectare.
L'article 51 de la loi sur les baux à ferme prévoit qu'« en cas de vente faite en méconnaissance des droits de préemption du preneur, celui-ci peut exiger soit d'être subrogé à l'acquéreur, soit de recevoir du vendeur une indemnité (...) ».
Comme le soulignent à juste titre plusieurs parties à la cause, Monsieur R. ne peut à la fois soutenir, d'une part, qu'il a exercé le droit de préemption qui lui a été cédé et exigera passation de l'acte authentique de vente et, d'autre part, ne pas accepter de payer le prix convenu en proposant un prix inférieur, ce qui constitue un refus de l'offre de vente, le droit de préemption ne pouvant être exercé qu'aux conditions prévues par le compromis.
La demande en subrogation de Monsieur R., outre qu'elle est intentée par le cessionnaire du droit de préemption et non par le preneur, ne pourrait en tout état de cause pas être déclarée fondée. Ni la méconnaissance du droit de préemption par un gonflement artificiel du prix, ni le lien de causalité entre la manipulation des prix invoquée et le dommage dont la réparation est demandée ne sont en effet établis, le dommage trouvant sa cause dans le non-exercice du droit de préemption dans les délais impartis. (...)
g. Les dépens
22. Pour être condamnée aux dépens, il faut qu'une partie au procès, en lien d'instance avec la partie gagnante, ait succombé.
Il a été fait droit à la demande principale de Monsieur P. tendant à la passation de l'acte authentique avec Madame O. Il s'agit d'une demande non évaluable en argent.
La même demande a été faite, à son bénéfice, par Monsieur R. ainsi que par Monsieur M. en faveur de Monsieur R. Ces demandes ne sont pas fondées.
Monsieur P. postulait également que la vente soit dite opposable à Messieurs R. et M. ainsi qu'au notaire X. Il s'agit d'une demande non évaluable en argent, qui a été déclarée fondée par le premier juge, « pour autant que de besoin », et contre laquelle aucun appel n'a été interjeté.
Madame O. sollicitait la condamnation de Messieurs M. et R. à des dommages et intérêts suite au retard subi dans la perception du prix de vente, non encore chiffrés. II a été fait droit à cette demande en première instance et elle a été précisée dans le cadre de la présente instance d'appel.
Les liens d'instance suivants résultent des autres demandes :
  • Monsieur P. dirige contre Monsieur X une demande subsidiaire portant sur 138.101,82 euros ;
  • Monsieur P. dirige contre Madame O. une demande subsidiaire portant sur 25.791,75 euros ;
  • Monsieur R. dirige contre Madame O. une demande subsidiaire portant sur 25.791,75 euros ;
  • Messieurs R. et M. dirigent chacun contre Monsieur Y une demande subsidiaire portant sur un euro provisionnel, sans évaluation du dommage en principal.
Il n'a été fait droit à aucune de ces demandes.
23. Les parties M. et R. succombant dans toutes leurs demandes, il convient de les condamner aux dépens des deux instances de toutes les autres parties, à l'exception de ceux de Monsieur X contre lequel ils n'ont dirigé aucune demande.
Les frais de leurs requêtes d'appel leur seront par conséquent délaissés.
Madame O. ayant toujours confirmé quelle était disposée à passer l'acte authentique, elle ne peut être considérée comme une partie succombante et ne peut être condamnée aux dépens à l'égard de Monsieur P. Il a, en outre, été fait partiellement droit à sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de Messieurs M. et R.
Monsieur P. étant la seule partie à diriger une action contre Monsieur X, les dépens de ce dernier seront mis à sa charge.
Bien que l'huissier Y n'ait été cité en intervention que par Monsieur R., Monsieur M. a également dirigé une demande contre lui. Il convient dès lors de partager entre eux les frais de citation en intervention forcée, non liquidés par Monsieur R.
24. Les parties n'ont consacré en conclusions aucun développement sur les dépens, à l'exception de Monsieur M. qui sollicite, à titre subsidiaire, que les dépens mis à sa charge soient réduits au minimum légal eu égard à sa situation d'indigence, mais qui ne produit aucune pièce de nature à établir cette situation ; cette demande subsidiaire ne sera dès lors pas prise en considération.
Sans autres explications, Monsieur P. demande deux indemnités de procédure de 5.000 euros chacune, Madame O. deux indemnités de procédure de 3.000 euros, Monsieur X sollicite une indemnité de procédure de 5.000 euros pour la première instance et de 5.500 euros en appel, Monsieur Y et Monsieur M. deux indemnités de 5.500 euros et Monsieur R. deux indemnités de 7.800 euros.
L'indexation des indemnités de procédure postulées en conclusions n'a pas été demandée par les parties, hormis par le notaire X.
Selon l'article 1322 du Code judiciaire, le juge ne peut s'écarter du montant de base de l'indemnité de procédure qu'à la condition d'être saisi d'une demande des parties et de statuer par une décision spécialement motivée, de sorte qu'en l'absence de conclusions sur ce point, comme en l'espèce, l'indemnité de procédure sera fixée au montant de base.
Certaines demandes contenant des chefs évaluables en argent et d'autres non évaluables, il y a lieu de fixer l'indemnité de procédure sur la base de la demande pour laquelle l'indemnité la plus élevée est légalement due (Cass., 11 mai 2010, P.10.0109.N).
En application du principe suivant lequel une seule indemnité est allouée par lien d'instance (en ce sens voy. B. De Coninck et J.-Fr. Van Drooghenbroeck, « Deux parties, deux demandes, une juste indemnité de procédure », J.T., 2010, pp. 33 et s.), les indemnités de procédure dues in solidum par Monsieur M. et Monsieur R. seront fixées, pour chaque instance, aux montants de base suivants :
  • à Monsieur P., la somme de 1.200 euros (montant de base pour une demande non évaluable en argent) ;
  • à Madame O., la somme de 2.000 euros (montant de base pour une demande portant sur 25.731,75 euros) ;
  • à Monsieur Y, la somme de 1.200 euros (montant de base pour une demande non évaluable en argent).
Compte tenu du montant de la demande dirigée contre lui par Monsieur P. (138.101,82 euros), c'est à juste titre que Monsieur X sollicite une indemnité de procédure de 5.000 euros (montant de base) pour la première instance et de 5.500 euros en appel (montant de base indexé).

Dispositif conforme aux motifs.

Siég. :  M. Y. Van der Steen, Mmes M. Charon et A.S. Favart.
Greffier : M. C. Willaumez.
Plaid. : MesM. Cruysmans (loco B. Cartuyvels), E. Grégoire, P. Renier, D. Guilly (loco F. Van
Malleghem
), J. Goemaere, M. Steinfeld (loco P. Depuydt).

 



Fermer

Sommaire

  • L'action en passation d'un acte authentique de vente introduite pas le tiers acquéreur sous condition suspensive du non-exercice d'un droit de préemption en l'absence d'exercice de ce droit est de la compétence du tribunal de première instance. Elle ne doit pas être précédée d'un appel en conciliation. - L'absence de préemption dans le mois de la notification, par le notaire, sous pli recommandé, du contenu de l'acte de vente, rend la vente au tiers acquéreur sous condition suspensive parfaite, en conséquence de quoi l'acceptation, par le preneur et un tiers présenté comme le cessionnaire de son droit de préemption, de l'offre résultant d'une nouvelle notification réalisée à l'initiative du notaire, par exploit d'huissier de justice, ne peut conduire à une vente parfaite au profit du tiers en question. La deuxième notification doit être imputée à un excès de prudence. Le preneur ne peut être suivi en ce qu'il prétend qu'une copie du compromis n'était pas jointe à la première notification, alors qu'il n'a pas pris la peine d'aller chercher l'envoi recommandé conservé à la Poste durant quinze jours, et que l'affranchissement de l'envoi pour un poids supérieur à 50 grammes laisse penser qu'il contenait une copie de l'acte de vente. La notification confiée par la loi au notaire n'ayant pas le caractère d'un acte authentique, il importe peu qu'elle ne soit pas signée par le notaire lui-même, mais par son clerc, préposé. - Le procédé dit de l'osmose inverse consiste à gonfler le prix d'une partie du bien mis en vente soumise au droit de préemption, pour tenter d'empêcher le preneur d'exercer son droit, et à diminuer proportionnellement le prix de la partie qui n'est pas soumise au droit de préemption. Il ne peut y avoir recours à un tel procédé quand le bien vendu est entièrement soumis au droit de préemption. Dans ce cas, le fait de payer le prix fort pour décourager le preneur d'exercer son droit de préemption n'est pas constitutif d'une fraude. - Pour être condamnée aux dépens, il faut qu'une partie au procès, en lien d'instance avec la partie gagnante, ait succombé. Le juge ne peut s'écarter du montant de base de l'indemnité de procédure qu'à la condition d'être saisi d'une demande des parties et de statuer par une décision spécialement motivée. Quand des demandes contiennent des chefs évaluables en argent et d'autres non évaluables, l'indemnité de procédure doit être fixée sur la base de la demande pour laquelle l'indemnité la plus élevée est légalement due.

Mots-clés

  • Compétence ratione materiae - Baux - Bail à ferme - Action en passation d'acte authentique après le non-exercice du droit de préemption - Tribunal de première instance - Pas d'appel obligatoire en conciliation
  • Baux - Bail à ferme - Droit de préemption - Notification du contenu de l'acte de vente - Signature par un clerc - Absence de préemption - Nouvelle notification - Inutilité
  • Baux - Bail à ferme - Droit de préemption - Prix élevé - Osmose inverse (non)
  • Dépens et frais - Indemnité de procédure - Cumul d'une demande évaluable en argent et d'une demande non évaluable

Date(s)

  • Date de publication : 11/04/2014
  • Date de prononcé : 17/09/2012

Référence

Cour d'appel Bruxelles (16 echambre), 17/09/2012, J.L.M.B., 2014/15, p. 696-706.

Branches du droit

  • Droit civil > Contrats spéciaux > Location/louage > Bail à ferme
  • Droit judiciaire > Procédure judiciaire > Frais et dépens > Indemnité de procédure - répétibilité frais et honoraires avocat

Éditeur

Larcier

User login