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24/12/2012
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Justice de paix Wavre (2nd canton), 24/12/2012


Jurisprudence - Baux - Occupation précaire

J.L.M.B. 13/90
Baux - Bail à loyer - Occupation sans titre ni droit - Culture - Droits de l'homme - Pacte de New-York - Association revendiquant des droits culturels - Droit à l'occupation d'immeubles désertés (non) .
L'article 23 de la Constitution n'a pas pour effet d'octroyer un logement à celui qui en est privé ou qui menace de l'être. Il sert essentiellement pour permettre au juge, là où les mécanismes classiques se révèlent insuffisants ou trop restrictifs, d'atténuer les conséquences de l'expulsion par l'octroi d'un délai à l'expulsé, avec l'aide du C.P.A.S., de se reloger, fût-ce provisoirement. Lorsque les occupants sans titre ni droit ne prétendent pas à disposer d'un bail mais entendent occuper les lieux gratuitement pour des motifs relevant de leur droit à leur expression culturelle, ils ne peuvent invoquer l'article 23 de la Constitution pour établir l'existence d'un droit à l'occupation de ces lieux.
Si l'article 15 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 novembre 1966 impose une obligation aux États signataires en matière culturelle, cette obligation se limite néanmoins à permettre la liberté de participation à la liberté culturelle et à la possibilité (et non à l'obligation) de prendre des mesures pour le maintien, le développement et la diffusion de la culture, lesquelles sont laissées à l'appréciation de l'État. Cette convention ne donne aux particuliers aucun moyen d'imposer aux États ou autres particuliers de mettre à leur disposition les conditions matérielles jugées nécessaires par eux pour atteindre leurs objectifs culturels.

(S.A. M. / F. C. et autres )


(...)
II. Les faits
la S.A. M. est propriétaire d'un bâtiment composé d'un hangar de 1.300 mètres carrés et de 200 mètres carrés de bureaux à L., (...). Ce bâtiment est inoccupé depuis deux ans à la suite de problèmes de pollution du sol et il est en vente depuis lors.
Les défendeurs exposent qu'ils sont membres du « Collectif post-météo » qui revendique de pouvoir disposer d'un espace d'expression culturelle permettant la mise en place à L. d'une culture spontanée, d'expression artistique libre, sur la base d'activités autogérées. Les démarches qu'ils ont effectuées en ce sens auprès de l'échevin de la culture de la ville d'O. n'ont précédemment abouti à aucun résultat.
C'est ainsi que leur collectif a déjà occupé, d'octobre 2010 à janvier 2011, un bâtiment situé à L. qu'il a dû libérer en exécution d'un jugement rendu par le tribunal de céans. Les défendeurs précisent qu'au terme de leur occupation de cet immeuble, lors de la remise des clés, il fut constaté par les responsables de I'U.C.L. qu'ils avaient respecté le bâtiment et qu'ils ont payé les charges liées à leur occupation des lieux.
Les défendeurs admettent qu'ils ont également occupé l'ancienne poste de L. jusqu'à ce qu'ils en soient délogés par la police.
Ils expliquent qu'ils ont pris possession du bâtiment appartenant à la demanderesse le 29 septembre 2012 et que la serrure d'une des portes située à l'arrière du bâtiment était brisée, en sorte que, pour le protéger, ils ont changé cette serrure. Ils ont également immédiatement informé le bourgmestre, l'échevin de la culture, un conseiller communal et un employé de la société qui gère l'immeuble de cette occupation et de leur souhait d'entamer le dialogue.
Les défendeurs plaident que, dans leur démarche, ils ont reçu le soutien des représentants de la ville d'O. et que ceux-ci ont fait savoir à l'agence immobilière la pleine confiance qu'ils avaient dans le collectif. Alors qu'un rendez-vous avait été fixé avec l'agence et que le collectif lui avait adressé une proposition de convention d'occupation à titre précaire, le rendez-vous fut annulé par cet agent immobilier. Entre-temps, de nombreuses activités ont été organisées dans les lieux.
De son côté, la demanderesse fait valoir que le collectif occupait déjà l'immeuble depuis quelques jours lorsqu'elle fut avisée de cette occupation le 1er octobre 2012. Elle a dépêché un de ses préposés pour convaincre le collectif de libérer les lieux ce qu'il a refusé.
Dès le 5 octobre, son conseil a pris contact avec le conseil des défendeurs afin d'obtenir la libération volontaire des lieux ou, après comparution volontaire éventuelle, leur condamnation à ce faire. La cause ne put cependant pas être introduite avant le 13 novembre 2012 en raison des manoeuvres dilatoires des défendeurs. (Les défendeurs contestent ces manoeuvres dilatoires.)
Ce n'est qu'à la fin du mois d'octobre 2012 qu'elle a pu faire visiter le bien par des amateurs. Jusque-là, le collectif était injoignable même s'il avait fait part de son accord pour comparaître volontairement devant nous.
Le 31 octobre, elle a été informée par son agence immobilière de l'intérêt porté par une société pour une location avant la fin de l'année 2012 pour autant que l'immeuble soit libéré pour cette date.
Une offre d'acquisition conditionnelle lui a été adressée le 7 décembre 2012 pour une occupation prenant cours le 1er février 2013 pour une durée de neuf ans et une indemnité d'occupation de 9.000 euros par mois. La condition d'acquisition pour un prix de 450.000 euros tient au règlement d'un contentieux relatif à la pollution qui affecte le bien.
II. Position de la S.A. M.
Pour justifier sa demande, la S.A. M. s'appuie sur l'article 544 du code civil [1], l'article 1er du Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme [2] et l'article 16 de la Constitution [3].
Se référant à l'arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'homme le 25 mars 1993 en cause de Costello-Roberts c. Royaume-Uni également cité par les défendeurs et où il est dit que : « l'État ne saurait se soustraire à sa responsabilité en délégant ses obligations à des organismes privés ou des particuliers », la S.A. M. relève que c'est à l'État - et non à elle - que les défendeurs doivent s'adresser pour obtenir le respect de leurs droits.
La demanderesse constate également, alors que les défendeurs prétendent que le bourgmestre et le conseiller communal les ont assurés de leur soutien, que ce conseiller communal a confirmé par téléphone à son conseil qu'il n'avait en aucun cas cautionné la prise de possession sans droit d'un bâtiment qui appartient à des tiers. Sa démarche s'est limitée à une tentative de conciliation pour éviter les mêmes incidents que lors de l'occupation de l'ancienne poste.
La demanderesse oppose encore à l'occupation des lieux par les défendeurs qu'il s'agit d'un bien privé et qu'il leur appartenait en conséquence de s'adresser à elle plutôt qu'à des mandataires politiques pour obtenir l'autorisation d'occupation. Elle constate que l'échange de courriels entre le collectif et le conseiller communal date d'octobre 2010 et que le conseiller communal envisage de trouver d'autres solutions que l'occupation illégale.
La localisation du bâtiment s'oppose également à l'occupation du collectif puisqu'il s'inscrit dans le zoning X. qui est réservé à des activités à caractère scientifique.
Enfin, la demanderesse fait valoir que, le 7 décembre 2012 elle a reçu une offre conditionnelle d'achat et qu'au dispositif de leurs conclusions, les demandeurs sur reconvention limitaient leur occupation jusqu'à la signature d'un compromis. En l'espèce, elle a obtenu une offre d'achat.
L'offre d'achat prévoit une occupation à partir du 1er février 2013 et implique que des travaux de remise en état du bien qui devra être dans un état proche de celui objet des photos de l'offre commerciale de novembre 2012 ainsi que des travaux de rafraîchissement et d'aménagement des lieux. Ces travaux nécessitent un délai d'exécution d'un mois.
III. Position de F. C., M. R., M. G. et J. S.
À la demanderesse, les défendeurs opposent tout d'abord l'article 23 de la Constitution [4].
Les défendeurs au principal plaident que la notion « d'obligations correspondantes » contenue dans l'article 23 de la Constitution, manifeste la volonté du Constituant de conférer un effet horizontal à cette disposition. Et d'illustrer cette assertion par l'enseignement de A. Vandenburie [5] qui écrit que les droits garantis par l'article 23 de la Constitution « se profilent également comme des droits "de défense" opposables à tous en tant qu'ils sont capables, dans les conflits existant entre personnes privées de modérer les prétentions de titulaires de droits opposés afin d'assurer la protection de ces intérêts ».
Les défendeurs font également référence à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle [6] dont ils déduisent que lorsqu'une disposition conventionnelle internationale lie la Belgique et que cette disposition a une portée analogue aux dispositions constitutionnelles garantissant certains droits, les garanties consacrées par la disposition conventionnelle constituent un ensemble indissociable avec les garanties inscrites dans les dispositions constitutionnelles en cause. Ils ajoutent que la Cour constitutionnelle a jugé que la violation d'un droit fondamental constitue ipso facto une violation du principe d'égalité et de non-discrimination.
Ils en déduisent que l'article 23 de la Constitution doit s'interpréter de manière indissociable de l'article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté à New York le 16 novembre 1966 et qui consacre la reconnaissance par les États signataires du droit de chacun de participer à la vie culturelle, de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications ainsi que de la protection des droits moraux et matériels découlant de toute protection scientifique, littéraire ou artistique dont il est l'auteur.
La Convention des Nations unies sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles adoptée à Paris le 20 octobre 2005 donne aussi l'occasion aux défendeurs de rappeler qu'elle impose que les États signataires s'efforcent de créer sur leur territoire un environnement encourageant les activités culturelles des individus et des groupes sociaux en ce compris des minorités et des peuples autochtones. Elle leur enjoint en outre de s'efforcer à reconnaître l'importante contribution des artistes et de tous ceux qui sont impliqués dans le processus créateur, des communautés culturelles et des organisations qui les soutiennent dans leur travail.
Enfin la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme [7] permet aux défendeurs de rappeler que l'État ne peut rester inactif face à des violations interindividuelles de droits fondamentaux ou s'abstenir de promouvoir la pleine réalisation des droits des individus. L'État ne peut pas plus se soustraire à sa responsabilité en déléguant ses obligations à des organismes privés ou à des particuliers [8].
En présence des difficultés rencontrées pour trouver un espace qui puisse accueillir leurs activités à L., les défendeurs soutiennent qu'il appartient à la demanderesse, S.A. M., de ne pas s'immiscer dans les mécanismes privés qui mettent en oeuvre le droit à la culture et qu'il est nécessaire de faire la balance entre les intérêts contradictoires que sont son droit de propriété et leur droit à la culture. En présence d'un immeuble inoccupé depuis deux ans, leur droit à la culture prime celui de propriété de la S.A. M. et leur droit s'effacera dès que la demanderesse aura mobilisé le sien ainsi qu'ils s'y sont engagés dès les premiers contacts.
Les obligations imposées à l'État leur paraissent devoir s'étendre aux juridictions qui, eu égard aux carences de l'État belge dans ses obligations de réaliser le droit à la culture, ne peuvent dès lors s'immiscer dans les initiatives privées qui, par leurs actions positives, pallient à ces carences.
IV. Appréciation du tribunal
a. L'article 23 de la Constitution
Il nous paraît que l'enseignement d'Aurélien Vandenburie ne se résume pas à l'extrait cité par les défendeurs au principal. Même si sa contribution vise essentiellement le droit au logement, elle cerne à cette occasion la définition des « obligations correspondantes ».
Par ailleurs, si les défendeurs se prévalent essentiellement du droit à une expression culturelle sans contraintes institutionnelles, il apparaît aussi que l'exercice de ce droit implique celui de disposer d'un toit. Leurs exigences rejoignent dès lors celles de ceux qui prônent le droit au logement ; les deux droits sont ici intimement liés et il n'est pas reproché à la S.A. M. de créer, en soi, un obstacle aux activités du collectif.
Qu'il nous soit dès lors permis de reprendre de manière plus exhaustive l'enseignement d'Aurélien Vandenburie dont nous partageons l'avis éclairé [9].
Commentant deux décisions cantonales relatives au droit au logement et qui lui paraissent soulever deux questions, l'auteur écrit :

« La première est de savoir si un juge peut condamner un tiers - personne physique ou morale - privé à fournir un logement décent à ceux qui s'en trouvent démunis. La seconde consiste à se demander si les carences des pouvoirs publics dans la mise en oeuvre du droit à un logement décent garanti par l'article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution peuvent être sanctionnées par le pouvoir judiciaire ».

(...)

« L'article 23 n'a toutefois pas pour effet d'octroyer un logement à celui qui en est privé ou qui menace de l'être [10]. Il sert essentiellement, comme l'écrit Ph. Versailles, "pour permettre au juge, là où les mécanismes classiques se révèlent insuffisants ou trop restrictifs (délais de grâce au débiteur dit 'malheureux et de bonne foi', interdiction de traitements inhumains et dégradants) d'atténuer les conséquences de l'expulsion par l'octroi d'un délai utile à l'expulsé [11] pour lui permettre, avec l'aide éventuelle du C.P.A.S., de se reloger, fût-ce provisoirement" [12] ».

A. Vandenburie rejoint ainsi les conclusions de N. Bernard [13] pour qui :

« En définitive, la réponse à apporter à la question "Qui est le débiteur du droit au logement ?" dépend, pour une large partie, du contenu même de cette prérogative. Que peut attendre le créancier de cette disposition ? Et, pour le débiteur, que signifie concrètement "garantir le droit au logement" ? Exige-t-on de lui qu'il fournisse physiquement un habitat par exemple ? Ou, plus modestement (mais non moins significativement), qu'il tolère - pour un temps - une prolongation de l'occupation de son bien ?».

« Tant qu'aucun relogement n'est postulé et qu'on se "contente" de solliciter un report de l'éviction, il n a aucune raison, semble-t-il, d'exclure les particuliers du cercle des débiteurs. Tel est, d'ailleurs, le sens des décisions de justice prononcées jusqu'ici à l'encontre des bailleurs privés ».

« Appréhendé de la sorte, l'article 23 de la Constitution est bel et bien susceptible de produire des effets dits horizontaux [14]. Et ce, sinon à titre de droit subjectif [15], à titre d'intérêt constitutionnellement protégé à tout le moins [16] ».

« Si, par contre, on entend lier l'expulsion à la fourniture préalable d'une solution de relogement, la puissance publique, alors, semble seule redevable. C'est qu'on glisse, là, d'un devoir d'abstention (ne pas évincer) à une véritable obligation positive d'agir (offrir une habitation de remplacement)  [17]. Il est vrai que les autorités disposent d'un parc de logements susceptible d'accueillir l'évincé, tandis que tel n'est naturellement pas le cas du bailleur privé ».

Il n'est toutefois pas inutile de rappeler que les défendeurs ne prétendent pas disposer d'un bail ou vouloir être titulaires d'un tel droit puisqu'ils entendent occuper les lieux gratuitement c'est-à-dire sans payer de loyer, condition à l'existence d'un bail. Ils ne contestent pas plus occuper les lieux autrement qu'en vertu du droit à leur expression culturelle.
b. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle et la Convention de New York du 16 novembre 1966 (...)
Ainsi qu'il a été rappelé ci-avant, on lit dans cet arrêt [N.D.L.D. : de la Cour constitutionnelle] du 20 octobre 2004 que :

« Lorsqu'une disposition conventionnelle liant la Belgique a une portée analogue à une ou plusieurs des dispositions constitutionnelles précitées (articles 170, 172 et 191), les garanties consacrées par cette disposition conventionnelle constituent un ensemble indissociable avec les garanties inscrites dans les dispositions constitutionnelles en cause. Par ailleurs, la violation d'un droit fondamental constitue ipso facto une violation du principe d'égalité et de non-discrimination ».

« Il s'ensuit que, lorsqu'est alléguée la violation d'une disposition du titre II ou des articles 170, 172 ou 191 de la Constitution, la Cour tient compte, dans son examen, des dispositions de droit international qui garantissent des droits ou libertés analogues ».

Si, comme l'allèguent les défendeurs, il suit de cette décision que l'article 23 de la Constitution doit s'interpréter de manière indissociable de l'article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté à New York le 16 novembre 1966 [18], encore est-il que ce pacte n'impose d'obligations qu'aux États signataires et qu'en matière culturelle l'obligation se limite à permettre la liberté de participation à la liberté culturelle et la possibilité et non à l'obligation, de prendre des mesures pour le maintien, le développement et la diffusion de la culture.
Les mesures nécessaires pour assurer le maintien, le développement et la diffusion de la science et de la culture sont laissées à l'appréciation des États. La Convention ne donne aux particuliers aucun moyen d'imposer aux États ou aux autres particuliers de mettre à leur disposition les conditions matérielles jugées par eux nécessaires pour atteindre leurs objectifs même lorsqu'ils sont conformes à ceux qui sont rencontrés par la Convention.
Les défendeurs le relèvent eux-mêmes, les observations générales du Comité des droits économiques sociaux et culturels des Nations unies consacrent dans le chef des États une obligation de non-ingérence dans les mécanismes privés qui mettent en oeuvre les obligations qui incombent normalement aux États. A fortiori, voit-on dès lors mal comment cette obligation pourrait contraindre la S.A. M. à offrir au collectif les locaux nécessaires à ses activités culturelles sous prétexte que son immeuble est inoccupé. (...)
La Convention des Nations unies signée à Paris le 20 octobre 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles entend bien entendu favoriser la diversité culturelle en incitant les Parties à créer sur leur territoire un environnement encourageant les individus et les groupes sociaux à l'expression culturelle. Si ses encouragements sont également adressés à la société civile, elle ne contient pas de disposition coercitive à son encontre.
L'obligation faite aux États de faire respecter les droits fondamentaux jusque dans les relations entre particuliers n'est pas à confondre avec l'obligation qui serait faite aux particuliers de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour permettre cette protection et cette promotion de l'activité et de la diversité culturelle.
C'est en conséquence à tort que les défendeurs prétextent qu'il n'existe pas à L. d'espace qui leur permettrait de proposer leurs projets culturels ou artistiques pour soutenir qu'en conséquence, il pèse sur la S.A. M. une obligation de ne pas s'immiscer dans les mécanismes privés qui mettent en oeuvre le droit à la culture ou à tout le moins de mettre en balance son droit à la propriété et le droit à la culture.
Il est contradictoire dans le chef des défendeurs de relever que la Cour de Strasbourg a pu reprocher à un État son inaction face à des violations interindividuelles de droits fondamentaux en ne satisfaisant à son obligation positive de protéger les individus les uns des autres et en même temps de soutenir qu'il revient à l'État, et en l'occurrence au juge, de ne pas s'immiscer dans les initiatives privées qui prennent spontanément le relais des actions positives qui devraient être menées par l'État mais qui ne le font pas.
Cette contradiction naît de ce que les parties sont précisément en conflit à propos d'une initiative unilatérale des défendeurs qui portent atteinte au droit de propriété de la demanderesse et que les juridictions ont pour mission de résoudre ces conflits.
Leur attitude actuelle va également à l'encontre de leur thèse selon laquelle le droit à la propriété de la demanderesse ne peut être opposé valablement à leur droit à la culture dans la mesure où le droit de propriété n'était pas mobilisé de façon concrète, les lieux étant vides depuis deux ans.
Leur exigence d'une occupation gratuite, initiée sans autorisation tandis que la libération des lieux est demandée depuis le 5 octobre 2012, et les modalités qu'ils requièrent pour qu'il leur soit donné congé et qu'ils y satisfassent, sont incompatibles avec le droit, également fondamental, qu'est celui de propriété de la demanderesse et que, pour reprendre leur expression, elle entend mobiliser sans délai.
V. Quant à l'état des lieux de sortie et à l'indemnité d'occupation
Les lieux étant occupés sans titre ni droit, il ne peut être opposé à la demanderesse qu'elle n'a pas fait réaliser un état des lieux d'entrée encore que, même en l'absence d'un état des lieux d'entrée, le bailleur puise dans l'article 1731, alinéa 1er, du code civil le droit de faire la preuve de dégâts locatifs par toutes voies de droit.
S'agissant de prouver un fait, à savoir des dégradations éventuelles en ce compris le bris de serrures, la demanderesse peut les prouver par toutes voies de droit.
Les défendeurs ne contestent pas que les lieux occupés présentent une valeur économique puisqu'elle leur permet d'y exercer leurs activités culturelles et d'y entreposer leur matériel. Il a donc nécessairement une valeur locative comme n'importe quel autre immeuble présenté à la vente ou à la location.
Il s'indique dès lors de désigner un expert chargé du relevé et de l'évaluation des dégâts éventuellement causés par l'occupation des défendeurs et de leur collectif ainsi que de l'évaluation de la valeur locative du bien occupé depuis le 1er octobre 2012 jusqu'à la libération effective. (...)
Pour ces motifs, (...)
Recevons la demande, la demande principale et la demande reconventionnelle et disons seule fondée la demande principale.
En conséquence, condamnons (...) à libérer les lieux sis à L. (...) dans les vingt-quatre heures de la signification du présent jugement. (...)
Siég. :  M. Ch.-E. de Frésart.
Greffier : Mme L. Jonet.
Plaid. : MesM. Ciero et M. Doutrepont.

 


[1] Article 544 du code civil : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements »
[2] Article 1er du Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».
[3] Article 16 de la Constitution : « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
[4] Article 23 de la Constitution : « Chacun a le droit à mener une vie conforme à la dignité humaine. À cette fin, les différents législateurs garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels dont ils déterminent les conditions d'exercice ».
[5] Les défendeurs au principal citent ici : A. Vandenburie, L'article 23 de la Constitution. Coquille vide ou boîte au trésor ?, Bruxelles, La Charte, 2008, p. 139.
[6] Les défendeurs au principal citent : C.C., arrêt n° 70 du 14 décembre 1998 (lire 1988), p. 9 ; arrêt n° 18/90 du 23 mai 1990, p. 54 ; arrêt n° 162/2004 du 20 octobre 2004, pp. 4-5.
[7] Les défendeurs citent ici : Cour eur. D.H., arrêt du 23 juillet 1968 rendu dans l'affaire relative à certains aspects du régime linguistique de l'enseignement en Belgique (fond) série A, n° 6, p. 34 ; Cour eur. D.H., Lopez Ostra c. Espagne, 9 décembre 1994, paragraphe 51 ; Cour eur. D.H., Ilhan c. Turquie, 27 juin 2000.
[8] Les défendeurs citent ici : Cour eur. D.H., Van der Mussele c. Belgique, 23 novembre 1983, série A, n° 70, pp. 14-15, paragraphes 28-30.
[9] A. Vandenburie, « La mise en oeuvre du droit à un logement décent (article 23 de la Constitution) : du boulevard de Waterloo à l'hôtel Tagawa, où sont les responsables ? », note sous J.P. Bruxelles (2nd canton), 14 novembre 2006 et 22 décembre 2006, R.G.D.C., 2008, p. 489.
[10] L'auteur invite à comparer avec L. Gay, Les «droits-créances » constitutionnels, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 448 : « On observe ainsi que même dans les pays où est consacré expressément un "droit au logement", un droit à prestation matérielle n'en découle pas. Les besoins en logement devant prioritairement être satisfaits par le secteur privé, la norme constitutionnelle y est d'abord interprétée comme une finalité sociale permettant de réguler ce libre jeu de l'offre et de la demande qu'évoque M. Jorion, et donc de limiter l'exercice de certains droits fondamentaux ».
[11] L'auteur renvoie à : J.P. Ixelles (2e canton), 3 décembre 1997, Act. jur. baux, 1998, p. 57.
[12] L'auteur cite Ph. Versailles, « Le droit au logement et l'article 23 de la Constitution », in Ébauches d'un droit au logement effectif, Bruxelles, La Charte, 1997, p. 92.
[13] N. Bernard, « Expulsion et obligation de relogement : quand le droit constitutionnel au logement change de nature », note sous J.P. Bruxelles (4e canton), 26 mai 2009, R.G.D.C., 2009, p. 510.
[14] L'auteur relève ici que Michel Pâques n'hésite pas à déclarer que : « L'article 23 de la Constitution produit certains effets horizontaux » (M. Pâques, Droit public élémentaire en quinze leçons, Bruxelles, Larcier, 2005, p. 371).
[15] L'auteur note : On connaît les vicissitudes qu'il y a à tirer un réel droit subjectif de l'article 23 de la Constitution (A. Vandenburie, « Coupures d'eau, de gaz et d'électricité : ça suffit ! L'article 23 de la Constitution à la rescousse des besoins énergétiques fondamentaux », obs. sous J.P. Mouscron-Comines-Warneton, 24 mai 2004, R.G.D.C., 2008, pp. 274 et s.).
[16] L'auteur renvoie pour une application de l'«intérêt conventionnellement protégé » dans le droit de la Convention européenne des droits de l'homme (qui ne reconnaît pas, in se, le droit au logement). Fr. Tulkens et S. Van Drooghenbroeck, « Le droit au logement dans la Convention européenne des droits de l'homme. Bilan et perspectives », in N. Bernard et Ch. Mertens, Le logement dans sa multidimensionnalité : une grande cause régionale, Namur, ministère de la Région wallonne, collection Études et documents, 2005, pp. 311 et s.
[17] L'auteur cite : N. Bernard, « Pas d'expulsion sans relogement ... du moins lorsqu'il s'agit d'un bailleur public », obs. sous J.P. Uccle, 16 avril 2007, J.L.M.B., 2007, pp. 1006 et s.
[18] Article 15 : « 1. Les États parties au présent pacte reconnaissent à chacun le droit :

a. de participer à la vie culturelle ;

b. de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications ;

c. de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l'auteur.

2. Les mesures que les États parties au présent pacte prendront en vue d'assurer le plein exercice de ce droit devront comprendre celles qui sont nécessaires pour assurer le maintien, le développement et la diffusion de la science et de la culture.

3. Les États parties au présent pacte s'engagent à respecter la liberté indispensable à la recherche scientifique et aux activités créatrices.

4. Les États parties au présent pacte reconnaissent les bienfaits qui doivent résulter de l'encouragement et du développement de la coopération et des contacts internationaux dans le domaine de la science et de la culture ».


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Sommaire

  • L'article 23 de la Constitution n'a pas pour effet d'octroyer un logement à celui qui en est privé ou qui menace de l'être. Il sert essentiellement pour permettre au juge, là où les mécanismes classiques se révèlent insuffisants ou trop restrictifs, d'atténuer les conséquences de l'expulsion par l'octroi d'un délai à l'expulsé, avec l'aide du CPAS, de se reloger, fût-ce provisoirement. Lorsque les occupants sans titre ni droit ne prétendent pas à disposer d'un bail mais entendent occuper les lieux gratudivent pour des motifs relevant de leur droit à leur expression culturelle, ils ne peuvent invoquer l'article 23 de la Constitution pour établir l'existence d'un droit à l'occupation de ces lieux. - Si l'article 15 du Pacte international de New York du 16 novembre 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels impose une obligation aux États signataires en matière culturelle, cette obligation se limite néanmoins à permettre la liberté de participation à la liberté culturelle et à la possibilité (et non à l'obligation) de prendre des mesures pour le maintien, le développement et la diffusion de la culture, lesquelles sont laissées à l'appréciation de l'État. Cette convention ne donne aux particuliers aucun moyen d'imposer aux États ou autres particuliers de mettre à leur disposition les conditions matérielles jugées nécessaires par eux pour atteindre leurs objectifs culturels.

Mots-clés

  • Baux - Bail à loyer - Occupation sans titre ni droit - Culture - Droits de l'homme - Pacte de New-York - Association revendiquant des droits culturels - Droit à l'occupation d'immeubles désertés (non)

Date(s)

  • Date de publication : 06/12/2013
  • Date de prononcé : 24/12/2012

Référence

Justice de paix Wavre (2 ndcanton), 24/12/2012, J.L.M.B., 2013/39, p. 2008-2015.

Branches du droit

  • Droit public et administratif > Droit constitutionnel > Droits et libertés - art. 8-32 > Liberté - art. 12-32
  • Droit international > Droits de l'homme > Droits de l’homme - Autres conventions > Droits économiques sociaux et culturels (ONU) - Convention de New York du 19 décembre 1966

Éditeur

Larcier

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