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11/01/2013
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Le secret professionnel de l'avocat versus l'obligation de déclaration à la CTIF : est-ce le seul et vrai problème ? Ne se trompe-t-on pas dangereusement de débat ?


• Thème 2 : Les avocats et la lutte contre le blanchiment de capitaux

Avocat - Statut - Secret professionnel - Droits de l'homme - Respect de la vie privée - Blanchiment de capitaux - Obligation de déclaration de soupçon - Champ d'application limité à des activités éloignées de la mission de défense - Transmission des informations par l'intermédiaire du bâtonnier - Pas de
violation .

La loi du 12 janvier 2004 a modifié celle du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux en y insérant un article 2ter rendant applicables aux avocats certaines obligations. La loi belge transposait ainsi les dispositions de la deuxième directive anti-blanchiment du 4 décembre 2001, en portant une série d'obligations d'identification, de vigilance et de déclaration à charge de la profession d'avocat. Ce faisant, la Belgique se mettait également en conformité avec les Recommandations 5, 6, 8 à 11, 12 d, et 16 du GAFI, dans leur version de 2003.
Parmi ces obligations nouvelles, c'est, sans conteste, celle faite aux avocats de transmettre, le cas échéant, des déclarations de soupçons à la Cellule de traitement des informations financières (CTIF-CFI), qui d'emblée a focalisé les réactions d'opposition qui restent aujourd'hui encore solidement répandues et ancrées dans le secteur.
Le législateur semblait pourtant avoir voulu clairement concilier les impératifs internationaux des quarante recommandations du GAFI et des directives européennes, en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, avec le secret professionnel de l'avocat dans sa mission de défense des intérêts de ses clients et de leur représentation en justice.
Cette prise en compte du secret professionnel se retrouvait d'ailleurs aussi dans la directive 2001/97/CE du 4 décembre 2001 et sera reprise plus tard dans la troisième directive 2005/60 du 26 octobre 2005. Cette approche n'est donc pas contestée, ni contestable.
La recherche d'un équilibre impératif entre deux obligations difficilement compatibles reste illustrée par le fait que les deux directives ont comme point commun de ne s'appliquer qu'à certaines des activités susceptibles d'être accomplies par des avocats. En effet, il a été estimé que ces activités ne s'inscrivaient pas nécessairement dans ce que l'on peut considérer comme étant les limites normales de l'exercice d'une mission à laquelle devait rester et reste associé un secret professionnel absolu. Il est à noter que ces activités sont d'ailleurs susceptibles d'être également effectuées par d'autres professions juridiques, comptables et fiscalistes indépendantes, alors que la réciproque ne s'applique pas, ces professions ne pouvant exercer les missions de l'avocat.
Depuis les modifications de 2004, l'obligation de déclaration à la cellule ne concerne, en effet, la profession d'avocat que dans les cas limitativement énumérés - à l'identique de ce que contiennent d'ailleurs les directives de 2001 et 2005 et sous certaines conditions précisées par l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 23 janvier 2008 - « d'assistance du client dans la préparation ou la réalisation de transactions concernant des actes de gestions d'immeubles ou d'entreprises commerciales, de fonds, de titres ou d'autres actifs ou encore l'ouverture ou la gestion de comptes bancaires, d'épargne ou de portefeuilles, l'organisation des apports nécessaires à la constitution, à la gestion ou à la direction de sociétés, la constitution, la gestion ou la direction de trusts, de sociétés ou de structures similaires ».
L'activité de mandataire au nom et pour compte du client dans toute transaction financière ou immobilière est visée également.
La loi du 12 janvier 2004 a tenu compte également d'autres limitations à apporter à l'obligation de déclaration pour concilier encore davantage celle-ci avec les exigences du secret professionnel des avocats. Il a été ainsi fait usage de l'exception mentionnée au point c de la recommandation 16 précitée, à savoir :
« Les avocats, les notaires, les autres professions juridiques indépendantes et les comptables agissant en qualité de juristes indépendants ne sont pas tenus de déclarer les opérations suspectes si les informations qu'ils détiennent ont été obtenues dans des circonstances relevant du secret professionnel ou d'un privilège professionnel légal ».
Ces limitations relèvent également des deux directives précitées. Le considérant 17 de la directive du 4 décembre 2001 indique notamment :
« Il y a lieu d'exonérer de toute obligation de déclaration les informations obtenues avant, pendant et après une procédure ou lors de l'évaluation de la situation juridique du client ».
La Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 23 janvier 2008, a fait définitivement le point, en décidant que :
« les informations connues de l'avocat à l'occasion de l'exercice des activités essentielles de sa profession, y compris dans les matières énumérées à l'article 2ter de la loi du 11 janvier 1993, à savoir la défense ou la représentation en justice du client et le conseil juridique, même en dehors de toute procédure judiciaire, demeurent couvertes par le secret professionnel et ne peuvent être portées à la connaissance des autorités ; que ce n'est que lorsque l'avocat exerce une autre activité, dans une des matières énumérées à l'article 2ter précité, qui va au-delà de sa mission spécifique... qu'il peut être soumis à l'obligation de communication aux autorités des informations dont il a connaissance ».
Voilà en ce qui concerne l'aspect du secret professionnel.
Un autre aspect ne peut toutefois être négligé. C'est la raison fondamentale qui fait que l'on a pu être amené au sein d'organisations internationales mondiales et européennes à considérer, sur la base d'une analyse de risque, que le dispositif préventif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme imposait de restreindre la portée du secret professionnel par rapport à certaines activités, même lorsqu'elles sont accomplies par des avocats.
En se limitant aux matières visées en l'occurrence par ces restrictions, il faut constater qu'elles sont identifiées et reconnues comme présentant le plus grand risque, notamment pour les avocats, d'être utilisées comme vecteurs de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Ce constat a été fait tant au niveau international au départ des travaux conjoints des experts du GAFI sur les typologies, qu'au niveau national comme on peut s'en rendre compte en se référant aux
rapports d'activités annuels de la CTIF disponibles sur son site internet www.ctif-cfi.be. Les statistiques ainsi que les exemples décrits, années après années, montrent que le risque est bien réel et concret de voir des avocats, comme d'autres professions similaires, impliqués consciemment ou inconsciemment dans des actes ou des constructions en relation avec le blanchiment de capitaux criminels (introduction de personnes suspectes auprès d'institutions financières, utilisation de comptes de tiers à des fins litigieuses, intervention dans l'élaboration et la gestion de structures écrans ou de montages sociétaires complexes, réalisation d'opérations financières suspectes pour le compte de tiers impliqués dans des activités illicites ou criminelles).
Formuler l'existence de risques spécifiques à l'un où l'autre secteur en la matière n'a de sens que par rapport à la prise de conscience d'un risque global et à l'évaluation de sa dangerosité.
Aujourd'hui plus que jamais, les organisations criminelles sont résolument entrées dans une logique internationale, commerciale et financière. Le pouvoir corrupteur des capitaux criminels n'est plus à souligner en termes de risque global pour nos systèmes démocratiques et de déstabilisation du système financier international. Les Nations unies évaluent à 2.000 milliards de dollars le CA annuel mondial des revenus des activités criminelles. Moins d'un pour cent seulement est intercepté.
L'interpénétration de l'économie légale, illégale et criminelle constitue une menace réelle pour les Etats de droit.
Aujourd'hui, il faut moins de deux heures pour transférer l'argent sale à l'étranger, alors que les enquêtes criminelles et financières se heurtent à des obstacles multiples, en ce compris d'une manière quasi permanente les montages juridiques, financiers et comptables voulus par des commanditaires qui trop souvent utilisent l'alibi fiscal pour masquer autre chose.
Ces obstacles, quand ils ne sont pas infranchissables, rendent la lutte contre les organisations criminelles et la grande criminalité en col blanc de plus en plus difficile, longue, compliquée et donc à terme inefficace.
D'où l'importance de la détection préventive dans le contexte d'une coopération conjuguée des acteurs publics et privés concernés, en ce compris, dans les limites rappelées ci-dessus, des avocats.
Une apparente absence de participation des avocats via l'intervention des bâtonniers au dispositif anti-blanchiment et contre le financement du terrorisme est cependant constatée de manière récurrente par la CTIF depuis bientôt presqu'une décennie.
Cette constatation est illustrée par les statistiques de la CTIF concernant le nombre de déclarations reçues des bâtonniers depuis 2004, soit quinze en huit ans. Une bonne vingtaine ont été reçues directement des avocats. Ces déclarations ne respectant pas le passage obligé par les bâtonniers compétents ont été invalidées par la CTIF et classées. A partir de 2007, le nombre des déclarations provenant des bâtonniers a fortement diminué. En 2012, elles sont de trois, pour un nombre total de seize mille trois cent quarante-quatre avocats que compte notre pays.
La question pertinente serait de savoir combien de déclarations les différents bâtonniers reçoivent statistiquement ? Malheureusement, et jusqu'à présent, il semblerait que ce feedback minimaliste est lui aussi couvert par un secret professionnel indiscutable.
Il reste toutefois interpellant de relever que la CTIF est régulièrement contactée par des membres de cette profession désireux de faire directement une déclaration à cette institution, mais qu'en l'état actuel du droit cette dernière est obligée de renvoyer vers leur bâtonnier respectif. La CTIF est aussi régulièrement confrontée dans des dossiers qu'elle traite, à des opérations de blanchiment réalisées volontairement ou involontairement par des avocats pour compte de leurs clients et qui sont portées à la connaissance de la cellule entre autres par des établissements bancaires.
En dehors de toute considération sur le bien-fondé de faire ou non des déclarations à une cellule de renseignement financier, il est aussi de la responsabilité du secteur d'évaluer et de gérer d'une manière efficiente les risques et les menaces qui sont aujourd'hui inhérents à certaines activités hors limite des missions traditionnelles de l'avocat qui seules ont justifié le secret professionnel de cette profession.
Constatons enfin, que s'il existe un manque de sensibilisation ou de prise de conscience de la dangerosité des phénomènes à combattre, l'absence de visibilité sur la réalité, le nombre et les résultats des contrôles [1] qui doivent en la matière être légalement réalisés par les autorités professionnelles, ne permet pas de se livrer à une évaluation pertinente de la situation. Cette évaluation serait toutefois susceptible de contribuer à une véritable réflexion en faisant table rase des préjugés et des tabous qui alimentent malheureusement depuis près de dix ans des polémiques stériles renforçant une sorte de guerre des tranchées au plus grand bénéfice de la finance criminelle et de son infiltration dans les circuits légaux.
Tentons toutefois de formuler les explications possibles de cette situation ?
La première est que dans les cas énumérés à l'article 2ter, il y a quasi toujours, même implicitement, soit une évaluation juridique de la situation du client, ou une consultation juridique ou un lien passé, présent ou futur possible avec une procédure judiciaire, soit encore une combinaison de deux ou plusieurs de ces hypothèses. Sans qu'il soit question de se livrer à un procès d'intention, il faut raisonnablement admettre qu'en tout état de cause, de tels liens sont tout aussi faciles - voire trop faciles - à invoquer alors qu'ils sont difficiles, voire impossibles à contester.
La deuxième est que dans les cas où une assistance est donnée dans les matières visées à l'article 2ter précité, ces interventions ne suscitent à tort ou à raison aucune déclaration au bâtonnier, ou que si une déclaration est adressée à celui-ci, il estime quant à lui que l'obligation de secret professionnel s'impose, ce qui renvoie à la première explication.
La troisième qui se rapprocherait de la deuxième serait de conclure que le secteur, en totale contradiction avec ceux qui luttent quotidiennement contre les phénomènes criminels dont il est question et évaluent que les risques sont réels et potentiellement importants, n'est pas ou peu affecté par ceux-ci et n'est quasi jamais en situation d'être utilisé ou abusé par des blanchisseurs.
La quatrième qui constituerait le ciment englobant les trois premières, ne serait que le parti pris de l'opposition fondamentale de la profession et/ou des autorités de celle-ci, à une mise en cause d'un secret professionnel absolu.
Les conclusions pour l'avenir ?
La défaut d'application systématique d'une loi ou l'apparence d'une telle inapplication, quelles que soient les excellentes raisons que l'on puisse avoir, contribue non seulement à détricoter le tissu démocratique qui constitue la protection essentielle et primaire contre la montée en puissance des phénomènes criminels et terroristes, mais aussi à affaiblir de l'intérieur et insidieusement des dispositions légales qui sont indispensables pour baser une action opérationnelle effective de lutte contre ces mêmes phénomènes.
N'y-a-t-il pas lieu pour la profession et pour le pouvoir politique de faire alors un choix clair pour répondre à un impératif primordial ?
Cet impératif consiste à ne plus maintenir une double apparence, à savoir : celle de l'image d'une conformité formelle à des impératifs internationaux de lutte contre le blanchiment des capitaux criminels et du financement du terrorisme et celle d'une visibilité plus limitée, mais à terme préjudiciable, d'une opposition fondamentale à la loi et à son esprit qui fonde une non-application effective de celle-ci.
Les solutions possibles ne peuvent venir que d'un véritable dialogue constructif.
C'est celui-ci qu'il faudrait conjointement appeler de nos voeux.

 


[1] Article 39, paragraphe premier, de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.


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Date(s)

  • Date de publication : 11/01/2013

Auteur(s)

  • Delepière, J.-C.

Référence

Delepière, J.-C., « Le secret professionnel de l'avocat versus l'obligation de déclaration à la CTIF : est-ce le seul et vrai problème ? Ne se trompe-t-on pas dangereusement de débat ? », J.L.M.B., 2013/1, p. 25-29.

Branches du droit

  • Droit judiciaire > Barreau > Droits et devoirs des avocats > Secret professionnel
  • Droit économique, commercial et financier > Droit financier > Blanchiment de capitaux
  • Droit international > Droits de l'homme > Droits de l'homme - CEDH > Respect de la vie privée

Éditeur

Larcier

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