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13/12/2013
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L'avocat, le confident, la victime, l'article 458bis du code pénal et la Cour constitutionnelle


Jurisprudence - Généralités

Secret professionnel - Avocat - Statut - Principe de légalité en matière pénale - Égalité de traitement - Personnes vulnérables - Indices d'un danger sérieux et réel - État de nécessité - Droits de la défense .

1. La Cour constitutionnelle vient de rendre un arrêt en demi-teinte à propos d'une disposition légale importante qui étend déraisonnablement « l'autorisation de parler » octroyée à de nombreux professionnels pourtant soumis à une indispensable obligation de confidentialité. Cette mesure concerne, non seulement les avocats, mais tous les fournisseurs d'aide ou d'assistance, au premier rang desquels les soignants et les travailleurs sociaux. La décision commentée mérite l'approbation en tant qu'elle annule l'article 6 de la loi du 30 novembre 2011, autrement dit la rédaction nouvelle de l'article 458bis du code pénal, « en ce qu'il s'applique à l'avocat dépositaire de confidences de son client, auteur de l'infraction qui a été commise au sens de cet article, lorsque ces informations sont susceptibles d'incriminer ce client », accueillant ainsi le second moyen du recours formé par l'Orde van Vlaamse balies et son président. En revanche, la réponse négative que donne la Cour au premier moyen de ce recours, d'une portée plus large et qui eût ainsi entraîné une annulation plus étendue de cette disposition, apparaît plus décevante. Pour bien comprendre l'arrêt (II), il importe au préalable de rappeler l'évolution que la loi précitée a imprimée à l'article 458bis du code pénal, et les sérieuses critiques que sa réécriture a suscitées (I).
I. Le contenu du texte : une large érosion du secret professionnel
2. La réécriture de l'article 458bis du code pénal, dans le cadre d'une réaction émotionnelle et médiatisée à un « scandale » réel mais ciblé (A), laisse émerger, en raison du recours à des notions extrêmement vagues, d'incontestables difficultés d'appréciation pour les professionnels visés (B).
A. Une évolution législative regrettable
3. S'inspirant des recommandations de la « Commission spéciale relative au traitement d'abus sexuels et de faits de pédophilie dans une relation d'autorité, en particulier au sein de l'Église », la loi du 30 novembre 2011 modifiant la législation en ce qui concerne l'amélioration de l'approche des abus sexuels et des faits de pédophilie dans une relation d'autorité a considérablement remodelé le champ de la répression pénale à cet égard [1]. Réécrivant complètement l'article 458bis du code pénal, issu de la loi du 28 novembre 2000 relative à la protection pénale des mineurs, son article 6 est apparu singulièrement inquiétant. Il induit en effet une véritable dilution du secret professionnel [2], lequel figure pourtant depuis des décennies au fronton des obligations de toute personne amenée à recueillir des confidences ou à prendre connaissance de données médicales, personnelles et familiales sensibles.
L'article 458bis du code pénal énonce les conditions dans lesquelles les personnes tenues au secret professionnel peuvent, sans crainte d'encourir une sanction pour violation de ce secret, révéler certaines infractions au parquet. Son champ d'application est extrêmement large. Il vise évidemment les médecins et les avocats, mais plus généralement tous les professionnels de l'aide et de l'assistance : l'ensemble du personnel soignant, mais aussi tous les intervenants - travailleurs sociaux, enseignants, animateurs de mouvements de jeunesse ou de clubs sportifs... - qui, « par état ou par profession », peuvent être amenés à recueillir les confidences de personnes en danger, en difficulté ou en souffrance. Le présent commentaire de l'arrêt n° 127/2013 de la Cour constitutionnelle doit se lire à la lumière des précédentes contributions dans lesquelles ses deux signataires ont eu l'occasion d'exposer les nombreuses questions que suscite la rédaction nouvelle de ce texte, et de pointer ses potentielles conséquences pratiques [3].
4. Pour bien percevoir la portée de cette décision, il faut avoir constamment à l'esprit que l'article 458bis - objet du recours en annulation de l'O.V.B., par le truchement de l'attaque portée contre l'article 6 de la loi du 30 novembre 2011 qui en a fait ce qu'il est aujourd'hui - vise « toute personne qui, par état ou par profession, est dépositaire de secrets et a de ce fait connaissance d'une infraction » d'attentat à la pudeur ou de viol, d'homicide ou de lésions corporelles volontaires, de mutilations génitales, de délaissement ou d'abandon d'enfant dans le besoin, ou de privation d'aliments ou de soins, « qui a été commise sur un mineur ou sur une personne qui est vulnérable en raison de son âge, d'un état de grossesse, de la violence entre partenaires, d'une maladie, d'une infirmité ou d'une déficience physique ou mentale » (italiques ajoutés)  [4]. Cette personne pourra, « sans préjudice des obligations que lui impose l'article 422bis » (obligation de porter assistance à une personne en danger), « en informer le procureur du Roi, soit lorsqu'il existe un danger grave et imminent pour l'intégrité physique ou mentale du mineur ou de la personne vulnérable visée, et qu'elle n'est pas en mesure, seule ou avec l'aide de tiers, de protéger cette intégrité, soit lorsqu'il y a des indices d'un danger sérieux et réel que d'autres mineurs ou personnes vulnérables visées soient victimes des infractions (en question) et qu'elle n'est pas en mesure, seule ou avec l'aide de tiers, de protéger cette intégrité » (italiques ajoutés).
Ce texte, adopté dans l'urgence et dans un contexte de forte médiatisation, est donc loin de se limiter à la problématique des abus sexuels commis sur les mineurs ou aux faits de pédophilie survenus dans une relation d'autorité. Il vise, sans distinction aucune, toute situation d'abus impliquant toute « personne vulnérable », sans tenir compte d'aucune circonstance ou contingence spécifique, et concerne toutes les professions soumises au secret. La rédaction antérieure, nettement plus sobre et placée sous le sceau manifeste de l'état de nécessité conçu comme une clé d'appréciation autorisant la divulgation, ne visait que les (mêmes) infractions commises sur un mineur et n'autorisait la personne dépositaire du secret à informer le procureur du Roi qu'« à condition qu'elle ait examiné la victime ou recueilli les confidences de celle-ci, qu'il existe un danger grave et imminent pour l'intégrité mentale ou physique de l'intéressé et qu'elle ne soit pas en mesure, elle-même ou avec l'aide de tiers, de protéger cette intégrité » [5].
5. Par rapport à la version initiale de la disposition incriminée, certains points restent inchangés :
  • le catalogue des infractions visées demeure intact ;
  • pour que soit autorisée la levée du secret, l'infraction doit déjà avoir été commise; une dénonciation purement préventive n'est donc pas autorisée [6] ;
  • cette divulgation ne peut se faire qu'au parquet, à l'exclusion par exemple des services de protection de l'enfance ;
  • la possibilité de dénonciation reste soumise à un principe de subsidiarité, lequel est supposé garantir qu'il n'en sera fait usage que lorsque le danger ne peut être écarté efficacement de quelque autre manière que ce soit, c'est-à-dire ni par le détenteur du secret professionnel, ni en recourant à l'aide de tiers [7] ;
  • enfin, et cela est essentiel, le dépositaire du secret conserve - en théorie à tout le moins - un pouvoir d'appréciation : la levée du secret est censée demeurer une faculté de dernier ressort (ultimum remedium), et non devenir une obligation.
La nouvelle version de l'article 458bis apporte toutefois des modifications majeures, élargissant à trois égards son champ d'application. Se basant sur l'idée que le secret professionnel servirait trop souvent d'alibi à des silences « coupables », le législateur a entendu très (trop) largement permettre aux personnes tenues audit secret de rompre celui-ci, sur une base légale [8].
B. Des notions floues, génératrices de risques insuffisamment maîtrisés
6. La première modification - qui revêtira un poids décisif dans la décision de la Cour constitutionnelle quant au second moyen - est la suppression de l'exigence d'un lien direct entre la victime et le dépositaire du secret. Il n'est plus requis que ce dernier ait examiné la victime ou recueilli les confidences de celle-ci [9], mais simplement qu'il ait, d'une quelconque manière, pris connaissance de l'infraction commise et se soit convaincu de l'existence d'un danger grave et imminent pour l'intégrité mentale ou physique de la personne vulnérable en cause. Cette évolution majeure a notamment pour effet manifeste d'inclure la profession d'avocat dans les titulaires du droit de parole tel qu'il se voit élargi par l'article 6 de la loi du 30 novembre 2011, alors que cette profession était jusque là tenue au respect absolu du secret professionnel consacré par l'article 458 du code pénal et ne pouvait en être déliée que dans les strictes conditions de l'état de nécessité, et en aucun cas en présence de révélations émanant de l'auteur d'un comportement délictueux [10].
Le deuxième élargissement consiste en ce que, rationae personae, alors que, dans l'ancienne version du texte, le secret professionnel ne pouvait être rompu que si la victime des infractions visées était mineure, l'article évoque désormais les infractions commises sur une personne vulnérable « en raison de son âge, d'un état de grossesse, de la violence entre partenaires, d'une maladie, d'une infirmité ou d'une déficience physique ou mentale » [11].
La troisième évolution opère rationae materiae. Là où le texte originel subordonnait la levée du secret au constat « qu'il existe un danger grave et imminent pour l'intégrité mentale ou physique de l'intéressé », la disposition actuelle évoque une autre situation où le détenteur du secret professionnel « peut » dénoncer au parquet les infractions visées dont il a connaissance : lorsqu'il y existe des indices d'un danger sérieux et réel que d'autres mineurs ou personnes vulnérables en soient victimes. La première hypothèse étant reprise du texte ancien, les termes « danger grave et imminent » peuvent être éclairés par la jurisprudence et la doctrine existantes, applicables par analogie. Mais la possibilité de dénoncer l'infraction n'est donc plus limitée aux seules situations dans lesquelles il existe un danger grave et imminent pour l'intégrité de la victime qui révèle les faits ; elle est étendue à toutes les victimes futures potentielles, non autrement précisées.
Cette inquiétante extension représente l'une des conséquences de la disparition de l'exigence d'un lien direct entre confident et victime. En élargissant le champ d'application de l'article 458bis aux « victimes potentielles », le législateur a clairement visé l'hypothèse où la confidence viendrait, non plus de la victime, mais de l'auteur des faits [12]. Ce faisant, il complique fortement la tâche du professionnel : en le privant du « filet de sécurité » que constitue la constatation directe de l'état ou des dires de la victime - laquelle est de nature à lui apporter une relative certitude des faits commis -, il lui délaisse à présent la lourde responsabilité d'apprécier l'existence d'« indices d'un danger sérieux et réel que d'autres mineurs ou personnes vulnérables visées soient victimes » de faits similaires, et se trouvent dès lors en situation de danger non pas effectif et imminent mais (par définition) futur et hypothétique.
7. La disposition incriminée énonce que la faculté de révélation qu'elle porte s'exerce « sans préjudice des obligations (qu')impose » au professionnel visé l'article 422bis du code pénal, relatif à l'assistance à une personne en danger [13]. La proposition de rédaction du texte élaborée par la Commission parlementaire qui en est à l'origine envisageait de déplacer ce renvoi à l'article 422bis dans un second alinéa de l'article 458bis, qui disposerait que « la personne qui n'informe pas le procureur du Roi, dans les circonstances mentionnées à l'alinéa précédent, peut être poursuivie en application de l'article 422bis ». Ainsi qu'on l'a observé, ceci « revenait, si les mots ont un sens, à transformer une révélation facultative en véritable dénonciation obligatoire, sous peine de poursuite. À notre sens, une telle obligation serait de nature à déconstruire l'édifice de la confidentialité et à déresponsabiliser le professionnel qui aurait correctement analysé la situation et envisagé d'abord une autre forme d'aide. C'est alors la dénonciation qui risquerait de devenir l'alibi commode de la passivité » [14]. Le professionnel prenant connaissance d'une situation de danger serait ainsi désormais placé dans la position de tout citoyen lambda confronté à cette situation [15].
Certes, le législateur affirme n'avoir jamais eu l'intention d'imposer une obligation de parler [16]. L'information au parquet, dans le cadre du nouvel article 458bis, demeure en soi facultative et il appartiendra au professionnel concerné d'arbitrer les valeurs en présence. Le maintien d'un renvoi explicite à l'article 422bis dans le texte pourrait cependant être interprété comme une extension de la qualification de cette infraction : il pourrait non seulement y avoir abstention coupable lorsqu'une personne s'abstient d'intervenir en cas de danger grave et imminent, mais aussi lorsqu'elle n'use pas d'une faculté de dévoilement en présence de simples « indices d'un danger sérieux et réel » visant des victimes futures potentielles [17].
8. La Cour constitutionnelle n'a pas admis cette mise sous le boisseau du secret professionnel de l'avocat, sans malheureusement trouver à redire s'agissant des autres prestataires d'aide ou d'assistance. Elle avait en effet à se prononcer, non seulement sur la compatibilité de la rédaction nouvelle de l'article 458bis du code pénal avec les exigences de discrétion qu'impose à l'avocat sa mission de défense en matière pénale, mais aussi, plus largement, sur le respect par ce texte du principe de légalité en matière pénale, lequel est une déclinaison de la condition que toute ingérence à un droit fondamental doit être « prévue par la loi » [18].
Il n'est dès lors pas inutile de rappeler, avant d'examiner l'arrêt commenté, la teneur des « conditions qualitatives qui donnent au principe de légalité tout son sens », étant observé que ce principe est, dans la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, « intimement lié au principe de la prééminence du droit » [19]. Dès l'arrêt Sunday Times c. Royaume-Uni du 26 avril 1979 (paragraphe 49), celle-ci a posé qu'« on ne peut considérer comme une "loi" qu'une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite ; en s'entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé. Elles n'ont pas besoin d'être prévisibles avec une certitude absolue : l'expérience la révèle hors d'atteinte. En outre la certitude, bien que hautement souhaitable, s'accompagne parfois d'une rigidité excessive ; or, le droit doit savoir s'adapter aux changements de situation. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l'interprétation et l'application dépendent de la pratique » [20]. L'article 458bis du code pénal respecte-t-il ces préceptes ?
II. L'intervention (limitée) de la Cour constitutionnelle : une restauration, bienvenue mais partielle, du devoir de confidentialité de l'avocat
9. On perçoit d'emblée les implications manifestes de la modification législative incriminée sur le secret professionnel de l'avocat, pourtant consubstantiel à son activité. S'il est amené à recevoir, de la bouche de son client, des confidences laissant supposer l'éventualité d'agissements délictueux futurs et, partant, l'existence de victimes simplement potentielles - ou à percevoir des signes en ce sens en parcourant son dossier -, il est directement concerné par ce droit de parole inscrit dans le nouvel article 458bis du code pénal. On ne s'étonnera donc guère que l'Ordre des barreaux néerlandophones ait introduit devant la Cour constitutionnelle un recours en annulation de l'article 6 de la loi du 30 novembre 2011.
Deux moyens étaient soulevés [21], l'un relatif au principe de légalité en matière pénale, l'autre soutenant que la disposition attaquée implique une limitation disproportionnée du secret professionnel des avocats, dès lors qu'elle traite ceux-ci de la même manière que les autres catégories de personnes tenues au secret professionnel au sens de l'article 458 du code pénal - telles les médecins, les pharmaciens, les agents de police et les prêtres -, alors que ces personnes se trouvent dans des situations objectivement non comparables ; partant, cette égalité de traitement ne serait pas raisonnablement justifiée, eu égard aux objectifs poursuivis par le législateur.
L'arrêt commenté écarte le premier moyen, de portée générale (A), et accueille le second, centré sur la situation spécifique des avocats (B).
A. Une réponse insatisfaisante au premier moyen
10. Au coeur du premier moyen [22] figure l'appréciation du caractère suffisamment précis, clair et propre à offrir la sécurité juridique des termes dans lesquels l'extension de l'ancienne règle est formulée, s'agissant en particulier des mots « indices d'un danger sérieux et réel que d'autres mineurs ou personnes vulnérables visées soient victimes des infractions » fondant le droit de parole, desquels il résulte, selon le moyen (paragraphe B.9), que « le législateur rendrait impossible la détermination des cas dans lesquels la divulgation d'informations confidentielles par le dépositaire du secret professionnel ne serait pas pénalement répréhensible ».
Après avoir retracé la genèse de l'article 458bis du code pénal (paragraphes B.4 à B.7)  [23], la Cour observe que celui-ci, en ce qu'il « contient des modalités susceptibles d'être déterminantes aux fins de l'application de l'article 458 » du même code (paragraphe B.11.2.), doit satisfaire au principe de légalité en matière pénale, inscrit entre autres dans les articles 12 de la Constitution et 7 de la C.E.D.H. La solution s'imposait. Ainsi que l'indique la Cour (paragraphe B.13.2.), ce principe « procède de l'idée que la loi pénale doit être formulée en des termes qui permettent à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est ou non punissable », sans qu'un trop grand pouvoir d'appréciation soit laissé au juge et en recourant à « des termes suffisamment précis, clairs et offrant la sécurité juridique », ce qui suppose une appréciation au cas par cas au regard de telle disposition pénale spécifique [24].
On notera qu'au passage, la Cour effectue un détour par la notion d'état de nécessité - justification traditionnelle de la méconnaissance de l'obligation de secret, depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 1987 [25] -, mais au prix d'une définition quelque peu alambiquée et imprécise (paragraphe B.3.2.)  [26]. Elle examine ensuite, indépendamment l'une de l'autre, d'abord la notion de personne vulnérable, ensuite l'expression « indices d'un danger sérieux et réel ».

1) La notion de « personne vulnérable »

11. La Cour estime (paragraphe B.15.) qu'« il ne peut être considéré que l'expression "vulnérable" est à ce point vague qu'elle ne permettrait pas au dépositaire du secret professionnel de déterminer si le comportement qu'il se propose d'adopter est susceptible d'engager sa responsabilité pénale ». C'est en référence aux législations existantes qu'elle admet que la notion de « personne vulnérable » répond à l'exigence de précision qu'impose le principe de légalité de la loi pénale (paragraphe B.14.). Elle note que le législateur s'est notamment inspiré de la loi du 26 novembre 2011 modifiant et complétant le code pénal en vue d'incriminer l'abus de la situation de faiblesse des personnes et d'étendre la protection pénale des personnes vulnérables contre la maltraitance [27], laquelle précisait déjà que la situation de vulnérabilité des personnes majeures découle « de l'âge, d'un état de grossesse, d'une maladie, d'une infirmité ou d'une déficience physique ou mentale (qui) était apparente ou connue de l'auteur des faits ».
Il paraît pour le moins rapide de conclure qu'un vocable ou une expression présente « suffisamment de clarté et de prévisibilité » (paragraphe B.14., alinéa 1er)  [28] pour que le principe de légalité soit respecté en relevant que, d'une part, le législateur s'y est déjà référé dans d'autres législations pénales et, d'autre part, la disposition incriminée énumère les circonstances - âge ou état de santé - dont est censée découler la vulnérabilité. L'interprète est, en effet, alors contraint de considérer, pour déterminer si tel comportement est susceptible d'engager une responsabilité pénale, que par définition un jeune ou un vieillard, une femme enceinte ou une personne malade, infirme ou déficiente physiquement ou mentalement sont vulnérables, ce qui, d'évidence, ne va pas de soi.
12. Ceci laisse tout d'abord intact le délicat problème de l'appréciation in concreto. Quand doit-on considérer qu'une personne est vulnérable en raison de « son âge » ? Lorsqu'elle a atteint l'âge de soixante ans, septante ans, quatre-vingts ans ? Dans tous les cas, la limite sera arbitraire et, s'il faut trancher selon le cas d'espèce, la marge d'interprétation délaissée au magistrat apparaît trop large. Sur quoi se fondera-t-il pour estimer que telle personne est vulnérable à cause de son âge, là où une autre du même âge ne le sera pas ? Il est patent que la référence à la vulnérabilité en raison de l'âge est loin d'offrir un critère raisonnablement précis. Le raisonnement est parfaitement transposable à l'hypothèse d'une maladie ou d'une infirmité. Et là où le critère est plus directement observable (état de grossesse, déficience physique), les individus visés doivent-ils ipso facto être considérés comme vulnérables, peut-être parfois au détriment du principe éthique d'autonomie, corollaire de leur liberté ? Ces personnes méritent certes des égards et une protection - par exemple sociale - spécifiques, mais pas forcément un sauf-conduit les propulsant sans plus ample analyse parmi les victimes désignées d'infractions.
Car enfin, au-delà même de cet aspect de qualification concrète, qui traverse l'ensemble du droit pénal et n'est évidemment pas propre à la question ici traitée, n'est-il pas contre-productif de « catégoriser » par trop hâtivement une personne comme vulnérable ? La canaliser exclusivement vers un régime de protection, voire de tutelle, ne risque-t-il pas de tenir en échec son autonomie, au mépris, peut-être, de son besoin d'émancipation ?
Il est un fait que la protection des « personnes vulnérables » est récemment apparue comme l'un des fers de lance du législateur, qui a adopté plusieurs textes poursuivant cet objectif [29]. Si l'intention est louable, le concept de « personne vulnérable » demeure à ce stade extrêmement vague et flou, caractéristiques qui, selon nous, se concilient mal avec le principe d'interprétation stricte du droit pénal. Cela est d'autant plus le cas que, telle qu'elle figure dans le texte nouveau de l'article 458bis, la notion de « personne vulnérable » participe à la définition même de l'infraction, et signe ainsi un élargissement de l'incrimination [30].
À cet égard, la Cour manque donc une occasion de stigmatiser le caractère trop large et générique d'un concept légal qui, pour récurrent qu'il soit, ne permet pas de cerner de manière suffisamment claire et précise le champ d'application qu'il recouvre. À tout le moins est-il permis de regretter qu'elle n'ait pas poussé plus avant son analyse d'une notion-cadre qui, à bien y réfléchir, paraît de nature à poser au moins autant de problèmes qu'elle en résoudrait.

2) L'expression « indices d'un danger sérieux et réel »

13. En ce qui concerne cette expression, qui n'a pas été définie explicitement par le législateur, la Cour constitutionnelle considère qu'il « ne peut davantage être soutenu qu'elle ne répondrait pas à la condition de prévisibilité de la loi pénale » (paragraphe B.17.) et conclut qu'elle « est suffisamment explicite pour que le justiciable soit raisonnablement capable d'en déterminer la portée » (paragraphe B.21.). Elle commence, à cette fin, par se référer à « l'usage courant » des termes utilisés. Cela est quelque peu surprenant, s'agissant non d'identifier le sens de mots tels « indices », « sérieux » et « réel » - lequel ne souffre guère de difficulté conceptuelle - mais d'apprécier leur compatibilité avec le principe de légalité ; or, qui n'aperçoit que pareilles notions emportent une interprétation nécessairement subjective et fluctuante ?
La Cour admet, sans autre discussion, que l'objectif du législateur était que le confident puisse « agir préventivement », sans qu'il soit requis, « pour que le dépositaire du secret professionnel puisse considérer, à la lumière des informations dont il a connaissance, qu'il existe des indices d'un danger sérieux et réel pour l'intégrité » d'une personne vulnérable ou d'une catégorie de personnes vulnérables, « que l'auteur de l'infraction ait établi une relation particulière ou régulière » avec ces personnes (paragraphe B.17.), alors que la légitimité d'un tel objectif, qui pose question, représentait l'un des noeuds du problème et de la question posée par le recours.
Elle ajoute (paragraphe B.18.) « que lorsque les destinataires d'une incrimination, comme ceux qui pourraient être poursuivis pour violation du secret professionnel, ont, comme en l'espèce, un statut particulier en vertu duquel ils disposent ou peuvent disposer d'une bonne information quant à l'opportunité de leurs comportements, on peut attendre de leur part qu'ils fassent preuve, en toute circonstance, de la vigilance nécessaire pour mesurer les limites du devoir de secret qu'implique leur état ou l'exercice de leur profession et d'une prudence accrue lorsqu'il n'existe pas de précédent comparable en jurisprudence ». La Cour cite ici l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme Soros c. France du 6 octobre 2011, relatif à l'imprécision alléguée des textes ayant servi de fondement à une condamnation pénale pour délit d'initié [31], et dans lequel se trouvent synthétisées les exigences des juges de Strasbourg relatives au degré de précision des incriminations pénales (paragraphes 51 à 53).
À cet égard, même s'il va de soi que « beaucoup de lois, en raison de la nécessité d'éviter une rigidité excessive et de s'adapter aux changements de situation, se servent par la force des choses de formules plus ou moins vagues » [32], il reste « qu'une infraction doit être clairement définie par la loi. Cette condition se trouve remplie lorsque l'individu peut savoir, à partir du libellé de la clause pertinente et, au besoin, à l'aide de son interprétation par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale » [33]. Il n'est pas inutile d'observer que, dans l'arrêt Soros, la Cour européenne pose (paragraphes 51-52) « qu'en raison même du principe de généralité des lois, le libellé de celles-ci ne peut présenter une précision absolue. L'une des techniques types de réglementation consiste à recourir à des catégories générales plutôt qu'à des listes exhaustives. (...) L'utilisation de la technique législative des catégories laisse souvent des zones d'ombre aux frontières de la définition. À eux seuls, ces doutes à propos de cas limites ne suffisent pas à rendre une disposition incompatible avec l'article 7, pour autant que celle-ci se révèle suffisamment claire dans la grande majorité des cas. La fonction de décision confiée aux juridictions sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l'interprétation des normes, en tenant compte des évolutions de la pratique quotidienne » (italiques ajoutés). Or, il n'est pas certain que, « dans la grande majorité des cas », l'article 458bis du code pénal soit d'une complète clarté...
14. L'attendu précité, qui paraît bien constituer le coeur de l'argumentaire, s'abrite ainsi sous l'enseignement de la Cour de Strasbourg selon lequel « la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s'agit, du domaine qu'il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires (...). La prévisibilité de la loi ne s'oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé (...). Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d'une grande prudence dans l'exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d'eux qu'ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu'il comporte » [34]. Peu importe dès lors que l'article 458bis ne s'adresse pas uniquement à des juristes, supposés (directement) aptes à calquer leur attitude sur les attentes du juge susceptible d'être saisi d'une prévention de méconnaissance du secret, mais aussi à de nombreux autres intervenants d'horizons très divers, amenés à être confrontés aux situations visées et qui, donc, devront se perdre en conjectures et deviner l'attitude correcte à adopter.
La portée du premier moyen dépassait en effet la situation particulière des avocats, pour s'attaquer frontalement à un texte destiné à de nombreux professionnels qui, « habitués à devoir faire preuve d'une grande prudence dans l'exercice de leur métier », sont sommés de « mett(re) un soin particulier à évaluer les risques qu'il comporte ». La Cour donne ici en quelque sorte l'impression de « botter en touche », dès lors qu'elle renvoie à ces professionnels le soin d'apprécier eux-mêmes la portée in concreto de l'expression « indices d'un danger sérieux et réel », en se référant au sens courant de ces termes. Le principe de légalité pénale est-il véritablement respecté s'il consiste à « faire preuve d'une prudence accrue » lorsque, en l'absence actuelle de toute jurisprudence sur la question, les destinataires de la norme ignorent encore quelle sera la position des magistrats, auxquels il est simplement rappelé qu'ils devront statuer « en considération des éléments objectifs et en tenant compte des circonstances propres à chaque affaire et de l'interprétation restrictive qui prévaut en droit pénal » ?
Il est singulièrement permis d'en douter, et il est regrettable que l'attitude timide de la Cour constitutionnelle aboutisse à faire peser sur le seul professionnel un délicat travail d'appréciation et d'arbitrage. Comment et sur quelle base un médecin, par exemple, va-t-il apprécier la crédibilité du récit d'un abus commis (ou à commettre !) sur un tiers qu'il n'aura pas rencontré et encore moins examiné ? À cela, le législateur répondait déjà qu'il était conscient du problème mais estimait « que la protection inconditionnelle et maximale des mineurs et des personnes vulnérables prime » [35]... En somme, ce n'est que lorsque « aucun indice ne permet de supposer qu'une personne vulnérable est exposée à un danger sérieux et réel, en raison du comportement futur de l'auteur de l'infraction, (que) le dépositaire du secret professionnel devra s'abstenir de divulguer les informations confidentielles qu'il a obtenues » (paragraphe B.20. ; italiques ajoutés). Cette assertion s'apparente à un truisme, et l'essentiel est bien sûr ailleurs : est-ce à dire a contrario que la divulgation est admissible sitôt que le moindre indice, même très légèrement évalué, existerait ? Comment apprécier l'intensité des « indices » requis, dans un contexte par définition fragile et incertain ? N'était-il pas indispensable que des balises plus fermes soient fixées ? L'arrêt, en rejetant de manière assez sommaire et peu rigoureuse le premier moyen, n'y contribue en rien.
15. On a indiqué que le législateur a voulu remédier à ce qu'il considérait être une lacune dans la disposition ancienne, soit le fait que seule la protection de la victime directe puisse donner lieu à la rupture du secret professionnel ; d'autres victimes potentielles devaient, selon lui, pouvoir être protégées [36]. Les écueils que cette volonté - bien sûr en soi louable - peut engendrer dans le chef des professionnels concernés sont légion. Comment identifier une victime potentielle ? Évaluer un risque n'est pas chose aisée [37] : le confident sera toujours tributaire, à cet égard, d'informations concernant la personnalité, le passé, les conditions de vie et de travail de l'auteur présumé. Devra-t-il se limiter aux informations dont il dispose, ou aller jusqu'à vérifier si l'intéressé évolue dans l'entourage d'enfants ou de personnes vulnérables ? Ceci peut se révéler très intrusif, et totalement incompatible avec l'objectif thérapeutique de la prise en charge du patient ; ceci confirme qu'à nos yeux, cette modification législative était d'autant moins nécessaire que le recours à l'état de nécessité permettait déjà, sous l'empire de l'ancienne version de l'article 458bis, la dénonciation de faits pouvant donner lieu à des poursuites dirigées contre le patient-client [38]. Il semble que la Cour constitutionnelle, jugeant sans doute à ce point noble l'ambition du législateur qu'elle permette facilement de faire fi de ces difficultés, se soit positionnée « en opportunité »... par un arrêt dont la motivation ne fait que mettre en exergue les réelles difficultés que nous avons chacun soulignées [39].
Pour le législateur, la levée du secret ne sera « certainement pas (...) un automatisme. Une dérogation au respect du secret professionnel n'est possible que si certaines conditions sont remplies » [40]. Mais, au-delà de l'inextricable malaise qui risque fort de saisir le praticien au moment de se convaincre que lesdites conditions sont ou ne sont pas réunies in casu, quelle subtile limite permettra de départager les situations où il se sera rendu coupable de non-assistance à personne en danger, et celles où rien ne lui sera reproché ? Selon le législateur, « il appartient en premier lieu au détenteur du secret professionnel d'apprécier si les conditions de la dérogation au respect du secret professionnel sont réunies. Ce pouvoir d'appréciation revient en deuxième lieu au magistrat du parquet » [41]. Cela signifie-t-il que le dépositaire du secret ne sera absous que pour autant qu'il ait procédé à la même analyse de la situation que le parquet ? On nagerait alors dans le divinatoire le plus total. Cette explication du législateur ne signifie-t-elle pas insidieusement qu'une fois que l'on a pu estimer que les conditions légales étaient réunies, il existe, non plus un choix dans le chef du professionnel d'avertir ou non l'autorité judiciaire, mais une obligation de parler, que vient renforcer le renvoi à l'article 422bis du code pénal [42] ?
Ainsi qu'on a pu l'observer, un tel « glissement (...) pourrait conduire à passer de la concrétisation, dans des situations particulières, d'un état de nécessité circonscrit et assez précisément défini à ce qu'il est permis de qualifier, sans trop forcer le trait, d'incitation à la délation par application d'une forme de principe de précaution », les professionnels étant « soumis à une telle pression, morale ou juridique, sur la foi de simples suspicions ou d'un risque insuffisamment concrétisé, si la révélation devient le principe valorisé et le silence l'exception suspecte », que l'efficacité des relations d'aide s'en trouvera nécessairement altérée [43]. Seuls les avocats en seront désormais, par l'effet de l'arrêt commenté, partiellement épargnés.
B. Une réponse salutaire mais mesurée au second moyen
16. Le second moyen du recours de l'O.V.B. portait sur l'égalité de traitement injustifiée entre les avocats et d'autres catégories de personnes tenues au secret professionnel. Ainsi qu'on l'a déjà observé, la suppression du lien direct entre la victime et le dépositaire du secret découlant de la modification de l'article 458bis du code pénal implique que les avocats sont à présent expressément inclus dans le champ d'application de cette disposition, alors qu'ils étaient jusqu'ici tenus au strict respect du secret professionnel et ne pouvaient en être déliés que dans les conditions de l'état de nécessité (paragraphe B.25.1., alinéa 2).
Ce second moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, soutenait que le droit à la parole tel qu'il résulte de la nouvelle version de l'article 458bis « instaure une égalité de traitement injustifiée entre les avocats et d'autres catégories de personnes qui sont tenues au secret professionnel au sens de l'article 458 du code pénal, telles que les médecins, les pharmaciens, les agents de police et les prêtres » [44], et qu'il en résulte une restriction disproportionnée du secret professionnel de l'avocat (paragraphe B.23), dans la mesure où celui-ci pourra « se délier de son secret professionnel dès qu'à son estime, il existe des indices d'un danger sérieux et réel qu'un mineur ou toute autre personne vulnérable soit victime d'une des infractions visées, sans avoir à apprécier si l'éventuelle commission de cette infraction risque effectivement d'occasionner de manière imminente un péril grave pour l'intégrité physique ou mentale du mineur ou de la personne vulnérable » (paragraphe B.25.2., alinéa 3 ; italiques ajoutés).
Après avoir rappelé sa jurisprudence constante quant à l'exigence d'une justification raisonnable, appréciée « en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause », et d'un « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé », autorisant le législateur à traiter de manière identique des catégories de personnes se trouvant dans des situations essentiellement différentes (paragraphe B.24), et après avoir répété la portée de l'article 458bis telle qu'elle ressort des travaux préparatoires de la loi du 30 novembre 2011 - dont il ressort que le dépositaire du secret peut y déroger même s'il apprend les éléments d'information nécessaires par une tierce personne, voire par l'auteur lui-même (paragraphe B.25.1.)  [45] -, la Cour constitutionnelle devait donc examiner si les avocats se trouvent dans une situation essentiellement différente de celle des autres catégories de professionnels soumis au secret et, dans l'affirmative, s'il est raisonnablement justifié de les soumettre néanmoins au même régime quant aux hypothèses dans lesquelles ils pourront - voire devront - se considérer comme déliés de leur obligation de confidentialité. Elle répond par l'affirmative à la première question (paragraphe B.30), en s'appuyant sur le « statut particulier des avocats » (résumé aux paragraphes B.28.1. et B.28.2.) et sur « la mission spécifique que l'avocat accomplit dans le cadre de l'administration de la justice ». On peut bien entendu l'admettre - même si les médecins, pour ne citer qu'eux, jouissent eux aussi d'un « statut particulier » et remplissent une « mission spécifique » - mais il faut pour cela passer par le raisonnement qui permet à la Cour de répondre négativement à la seconde question et, partant, de censurer partiellement la disposition attaquée ; son approche est ici quelque peu surprenante.
17. En chemin, l'arrêt souligne (paragraphe B.26) qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg qu'une protection particulière est due aux personnes vulnérables : « les États ont l'obligation positive, inhérente à l'article 8 de la Convention, d'adopter des dispositions en matière pénale qui sanctionnent effectivement les infractions contre la personne (...). Lorsque le bien-être physique et moral d'un enfant est menacé, cette obligation revêt une importance plus grande encore », dès lors « que les abus sexuels constituent incontestablement un type odieux de méfaits qui fragilisent les victimes. Les enfants et autres personnes vulnérables ont droit à la protection de l'État, sous la forme d'une prévention efficace les mettant à l'abri de formes aussi graves d'ingérence dans des aspects essentiels de leur vie privée » [46]. Mais il s'en faut de beaucoup que cette protection suppose la transformation des confidents en délateurs, et la substitution d'une orientation pénale à une logique thérapeutique ou d'assistance : s'il est admissible « que, dans le cadre de procédures se rapportant à des abus sexuels et notamment sur des personnes vulnérables, des mesures soient prises pour protéger la victime », il est capital « que ces mesures puissent être conciliées avec un exercice adéquat et effectif des droits de la défense » [47].
C'est en effet sur cet aspect que la Cour constitutionnelle va centrer son raisonnement au regard du second moyen du recours. Faisant glisser l'attention de la position du confident (l'avocat) vers celle de l'auteur des confidences (le client), elle rappelle que le secret professionnel « vise, principalement, à protéger le droit fondamental à la vie privée de la personne qui se confie, parfois dans ce qu'elle a de plus intime » (paragraphes B.3.1. et B.29.1.), ce qui lui permet d'énoncer ensuite que « ces informations bénéficient aussi, dans certaines hypothèses, de la protection découlant, pour le justiciable, des garanties inscrites à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme » (paragraphe B.29.2. ; italiques ajoutés). Cela est curieux, dans la mesure où le moyen était articulé autour de la position de l'avocat et non de celle du client, et n'invoquait pas la violation de l'article 6 de la C.E.D.H.  [48] ... Qu'importe, la Cour va se focaliser sur « l'effectivité des droits de la défense de tout justiciable », laquelle « suppose nécessairement qu'une relation de confiance puisse être établie entre lui et l'avocat qui le conseille et le défend » et implique donc que « le justiciable (ait) la garantie que ce qu'il confiera à son avocat ne sera pas divulgué par celui-ci » [49]. Il s'en déduit « que la règle du secret professionnel imposée à l'avocat est un élément fondamental des droits de la défense » (paragraphe B.29.2. ; italiques ajoutés), en ce que ce secret « constitue (...) "l'un des principes fondamentaux sur lesquels repose l'organisation de la justice vers une société démocratique" » (ibid.), et ce « d'autant plus (...) en matière pénale, où le droit de tout accusé à ne pas contribuer à sa propre incrimination dépend indirectement mais nécessairement (...) de la confidentialité (des) échanges » entre le justiciable et son avocat » (paragraphe B.29.3.)  [50].
Une fois ce détour effectué, la Cour revient à l'avocat et conclut que « lorsqu'elle concerne, comme en l'espèce, des informations confidentielles communiquées par son client et susceptibles d'incriminer celui-ci, la faculté laissée à un avocat de se départir de son secret professionnel touche à des activités qui se situent au coeur de sa mission de défense en matière pénale » (paragraphe B.31.1.)... raison pour laquelle la situation de l'avocat est dans cette mesure « essentiellement différente de celle des autres dépositaires d'un secret professionnel », puisque son devoir de confidentialité participe du respect même des droits de défense de son client. La conclusion de cette analyse - qui aurait mérité une formulation plus claire - est que seuls les avocats des auteurs potentiels des infractions reprises à l'article 458bis sont visés, moyennant un détour par les droits procéduraux fondamentaux de leurs clients.
18. Il est permis de considérer - spécialement à l'heure de l'essor des médiations et du droit collaboratif - que le message aurait gagné à être plus ferme et à embrasser tous les avocats, ceux des auteurs comme ceux des victimes ou des proches, les pénalistes comme ceux qui oeuvrent en dehors des prétoires. Ainsi, quand la Cour assène « que le secret professionnel de l'avocat est un principe général qui participe du respect des droits fondamentaux » (paragraphe B.31.2.), outre que cette formule peut sembler déconcertante [51], on aimerait être certains qu'elle vise tous les avocats par définition, compte tenu de leur « mission spécifique » et quels que soient la teneur de leur activité et le cadre dans lequel ils l'exercent. On n'ose bien sûr croire qu'elle n'aurait eu en vue que les avocats chargés d'une défense pénale, position qui marquerait un net repli par rapport à son arrêt n° 10/2008 du 23 janvier 2008 portant sur les obligations imposées aux avocats par la loi « anti-blanchiment ». Il reste que c'est au regard des considérations qui précèdent, et donc sous un angle restreint, que l'arrêt commenté examine si la limitation du secret professionnel de l'avocat, telle qu'elle découle de la modification de l'article 458bis du code pénal, apparaît proportionnée à l'objectif poursuivi [52] - étant souligné que « la règle du secret professionnel ne doit (...) céder que si cela peut se justifier par un motif impérieux d'intérêt général et si la levée du secret est strictement proportionnée, eu égard à cet objectif » (paragraphe B.31.2.)  [53].
Sans doute « la protection de l'intégrité physique ou mentale des personnes mineures ou majeures vulnérables constitue(-t-elle) incontestablement un motif impérieux d'intérêt général », mais cet impératif ne saurait justifier la nouvelle version de l'article 458bis du code pénal « compte tenu des particularités qui caractérisent la profession d'avocat par rapport aux autres dépositaires du secret professionnel, lorsque l'information confidentielle a été communiquée à l'avocat par son client et est susceptible d'incriminer celui-ci » (paragraphe B.32 ; italiques ajoutés). S'il en va ainsi, selon la Cour, c'est en considération de ce que « le respect des règles déontologiques propres à la profession d'avocat et des principes qui les sous-tendent, de même que le recours à l'état de nécessité (...) permettent de réaliser un juste équilibre entre les garanties fondamentales qui doivent être reconnues au justiciable, en matière pénale, et le motif impérieux d'intérêt général que constitue la protection de l'intégrité physique ou mentale des personnes mineures ou majeures vulnérables » (paragraphe B.33, alinéa 2). Tel est, dans son volet positif, le message essentiel de l'arrêt commenté, qui conclut que la disposition attaquée a porté atteinte de manière disproportionnée aux garanties accordées au justiciable par l'article 6 de la C.E.D.H. et a, ce faisant, violé les articles 10 et 11 de la Constitution.
19. Il n'est pas anodin de relever que ce n'est donc que par le prisme des droits de défense de leurs clients-auteurs que les avocats se voient soustraits au champ d'application de l'article 458bis du code pénal dans sa version remodelée. Vérifiant s'il n'est pas discriminatoire de traiter les avocats de la même manière que les autres dépositaires d'un secret professionnel, la Cour répond par l'affirmative... au motif que la règle attaquée porte atteinte aux droits de défense du client, lesquels sont garantis par une disposition dont la violation n'était pas invoquée en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution ! Le biais est surprenant. Quoi qu'il en soit, dans cette (seule) mesure, les avocats se trouvent dès lors, comme avant la modification incriminée, tenus au scrupuleux respect du secret professionnel consacré par l'article 458 de ce code, dont ils ne pourront être déliés que dans les strictes conditions de l'état de nécessité [54].
En ce qu'elle est de nature à préserver l'exercice le plus effectif possible des droits de la défense, cette position de la Cour constitutionnelle ne peut bien sûr qu'être approuvée. Mais elle opère a minima : il résulte de cet arrêt en demi-teinte qu'à l'égard des avocats conseils d'autres parties que les (potentiels) auteurs des délits énumérés à l'article 458bis, ou intervenant en dehors de toute procédure judiciaire, d'une part, et des nombreux autres professionnels tenus au devoir de secret, à commencer par les soignants, d'autre part, cette disposition dont nous pensons avoir montré en quoi elle est inquiétante demeurera d'application. Il est permis de regretter que les juges de la place Royale n'aient pas saisi l'occasion de ce recours, en particulier sous l'angle du premier moyen soulevé, pour censurer davantage une législation certes généreuse mais passablement effrayante, par les risques insuffisamment maîtrisés qu'elle laisse émerger.
En ce qui concerne les médecins et les autres professionnels de la santé - en ce compris les travailleurs sociaux susceptibles de recevoir les confidences des victimes, des auteurs ou de leur entourage -, s'ils ne prennent pas part à l'administration de la justice, ils constituent les indispensables rouages de l'accompagnement et de la prise en charge thérapeutique que devraient au premier chef entraîner les situations d'abus visées [55]. Or, le recours à l'état de nécessité, strictement entendu comme il se doit, autorisait déjà ces professionnels, sous l'empire de l'ancienne version de l'article 458bis, à dénoncer des faits pouvant entraîner des poursuites contre la personne qui se confie à eux. Combiné, s'agissant des médecins, aux dispositions pertinentes du code de déontologie auquel ils sont soumis, ce raisonnement permettait, nous semble-t-il, de réaliser un juste équilibre entre le respect de la vie privée et de la personne d'autrui, ainsi que du droit d'accès aux soins que garantit le secret professionnel [56], et le motif impérieux d'intérêt général que constitue la protection de l'intégrité physique ou mentale des personnes mineures ou majeures vulnérables.
20. Le secret professionnel est en effet au coeur de toute relation thérapeutique, et trouve sa justification dans l'obligation de discrétion du professionnel et de respect du confident et des autres personnes impliquées [57]. Il lui est traditionnellement assigné à la fois une fonction d'ordre public - permettre à tout patient de faire confiance au médecin ou à un autre professionnel de santé - et une fonction de préservation de l'intérêt des particuliers, l'obligation de confidentialité devant permettre de protéger la personne contre l'indiscrétion dont elle pourrait être victime de la part du confident, et mettre ce dernier à l'abri des pressions en ce sens [58].
Le secret médical n'est pas pour autant absolu ; son caractère relatif se déduit de la nécessité de le concilier avec d'autres intérêts concurrents. L'article 458bis du code pénal et la modification capitale que lui a imprimée la loi du 30 novembre 2011 ne font que traduire l'évolution des préoccupations sociales dans la prise en compte de ces intérêts, parfois incompatibles avec le secret, qu'il convient de sauvegarder. Cet exercice de balance d'intérêts figure au coeur de toute réflexion éthique.
Le souci toujours grandissant de protéger les personnes vulnérables a conduit le législateur, avec la loi précitée, à faire pencher trop nettement cette balance vers un renforcement du caractère relatif du secret, au moyen d'un élargissement des hypothèses dans lesquelles une dérogation à celui-ci apparaît légitime. Il semblait ainsi animé d'un souci de protection des personnes vulnérables qui se décline de plus en plus en termes de valeur absolue et sous le seul angle répressif, au détriment d'une prise en charge thérapeutique - voire juridique - plus discrète [59]. C'est le caractère relatif de ce souci que la Cour constitutionnelle a manqué une occasion de réaffirmer.

 


[1] Pour un commentaire complet, voy. L. Huybrechts, « De wet tot verbetering van de aanpak van seksueel misbruik en pedofilie binnen een gezagsrelatie », R.W., 2011-2012, pp. 1150-1166 ; A. Dierickx, « Misdrijven gepleegd ten aanzien van een minderjarig of kwetsbaar persoon. Een commentaar bij de wet van 30 november 2011 », N.C., 2013/1, pp. 33-38 ; M. Preumont, « La loi du 28 novembre 2000 relative à la protection pénale des mineurs. La loi du 30 novembre 2011 modifiant la législation en ce qui concerne l'amélioration de l'approche des abus sexuels et des faits de pédophilie dans une relation d'autorité », in Mémento du droit de la jeunesse (2013), Kluwer, 2012, pp. 281-316, et in Vade-mecum des droits de l'enfant, Kluwer, f. mob., 2.4/1 - 2.4/32 ; voy. également le n° 256 du N.j.W., 2012.
[2] G. Genicot, « Tour d'horizon de quelques acquis et enjeux actuels du droit médical et biomédical », in Nouveaux dialogues en droit médical, G. Genicot (sous la direction de), Formation permanente CUP, Anthemis, 2012, vol. 136, pp. 38-48, « La réécriture de l'article 458bis du code pénal, ou la dilution du secret professionnel ».
[3] G. Genicot, « L'article 458bis nouveau du code pénal : le secret médical dans la tourmente », J.T., 2012, pp. 717-725 ; E. Langenaken, « Portée et conséquences de la réécriture de l'article 458bis du code pénal sur le secret professionnel », Rev. Dr. ULg, 2013/1, pp. 65-76.
[4] Les mots « de la violence entre partenaires » ont été ajoutés par la loi du 23 février 2012 modifiant l'article 458bis du code pénal en vue d'étendre celui-ci aux délits de violence domestique (M.B., 26 mars 2012), entrée en vigueur le 1er mars 2013. Un recours en annulation, toujours pendant, a été formé à l'encontre de cette loi (M.B., 26 octobre 2012, p. 65.803).
[5] L'article 458bis du code pénal est originellement issu de la loi du 28 novembre 2000 relative à la protection pénale des mineurs (article 33) ; voy. G. Genicot, op. cit., J.T., 2012, pp. 718-720, et les références citées p. 719, note 14, sur cette loi et la version initiale de la disposition commentée ; adde O. Vandemeulebroeke, « La loi du 28 novembre 2000 relative à la protection pénale des mineurs », in Actualités de droit pénal et de procédure pénale, P. Mandoux et O. Klees (sous la direction de), Éditions du Jeune barreau de Bruxelles, 2001, pp. 223-269. À propos de l'application de cette loi, voy. notamment F. Blockx, « Het medisch beroepsgeheim. Overzicht van rechtspraak (1985-2002) », Rev. dr. santé, 2004-2005, p. 15, n° 34.
[6] Il demeure donc interdit de divulguer des informations concernant une infraction potentielle, qui serait par exemple en préparation ; voy. la proposition de loi modifiant la législation en ce qui concerne l'amélioration de l'approche des abus sexuels et des faits de pédophilie dans une relation d'autorité, Doc. parl., Chambre, 2010-2011, n° 53-1639/001, p. 18, ainsi que l'interpellation de monsieur Yzerbyt à madame Huytebroeck.
[7] Voy. le rapport fait au nom de la Commission de la justice, Doc. parl., Sénat, 1999-2000, n° 2-280/5, pp. 42 et 111 ; I. Van Der Straete et J. Put, « Het spanningsveld tussen beroepsgeheim en kindermishandeling : wetgevendeinitiatieven in België en Nederlands », T. Gez., 2001-2002, pp. 70-84. Ce principe de subsidiarité devra s'appliquer, dans toute sa rigueur, aux extensions à l'égard tant des personnes vulnérables que des autres victimes potentielles.
[8] Sur l'inspiration du législateur et la portée de la réforme, voy. G. Genicot, op. cit., J.T., 2012, pp. 720-725 ; E. Langenaken, op. cit., Rev. dr. ULg, 2013/1, pp. 65-72. Voy. aussi F. Hutsebaut, « Over het belang van het beroepsgeheim : reflecties over de relatie tussen justitie en hulpverlening », in Liber amicorum René Foqué, Larcier, 2012, pp. 235-246.
[9] Dans la version ancienne, la faculté de révélation était expressément limitée aux situations où les faits avaient été révélés au dépositaire du secret par la victime elle-même, puisqu'il était requis que le dépositaire du secret ait examiné celle-ci ou recueilli ses confidences ; voy. à ce propos I. Wattier, « La loi du 28 novembre 2000 relative à la protection pénale des mineurs », J.T., 2001, p. 433.
[10] Cass., 9 février 1988, Pas., 1988, I, 662 ; 18 juin 2010, Pas., n° 439; 1er février 2006, Pas., n° 65, conclusions de l'avocat général Vandermeersch (arrêt aux termes duquel la violation du secret professionnel n'entraîne l'écartement de la dénonciation, voire l'irrecevabilité des poursuites, que dans la mesure du lien causal entre l'irrégularité commise et la transmission du renseignement à l'autorité judiciaire ou de police, qu'il appartient au juge de constater). Pour un cas d'application soigneusement motivé, voy. Liège, 25 mai 2009, cette revue, 2009, p. 1184, rejetant la justification par l'état de nécessité et concluant à l'irrecevabilité des poursuites. Dans la version ancienne de l'article 458bis, du fait de l'exigence que le professionnel ait lui-même examiné la victime ou recueilli ses confidences, les confidences faites par l'auteur d'un acte délictueux n'étaient pas visées ; « l'équilibre entre l'impératif du secret et la nécessité de porter assistance aux enfants en danger se voyait ainsi raisonnablement assuré » (G. Genicot, op. cit., J.T., 2012, p. 719).
[11] Le législateur a reproduit la notion de vulnérabilité telle qu'elle figure dans la loi du 26 novembre 2011 modifiant et complétant le code pénal en vue d'incriminer l'abus de la situation de faiblesse des personnes et d'étendre la protection pénale des personnes vulnérables contre la maltraitance (M.B., 23 février 2012 ; Doc. parl., Chambre, 2010-2011, n° 53/80). Sur cette notion, voy. notamment Le droit à l'épreuve de la vulnérabilité, F. Rouvière (sous la direction de), Bruylant, 2010 ; G. Genicot, « Les recommandations du Comité consultatif de Bioéthique relatives aux personnes vulnérables », Rev. dr. santé, 2011-2012, pp. 267-290 ; G. Genicot, « Les personnes vulnérables dans les avis du Comité. Entre autonomie et protection », in Les 15 ans du Comité consultatif de Bioéthique. Bilans & perspectives, M.-G. Pinsart et P. Schotsmans (éd.), Lannoo Campus, 2012, pp. 105-151. Voy. aussi le rapport du Comité international de bioéthique de l'UNESCO consacré au « principe du respect de la vulnérabilité humaine et de l'intégrité personnelle », disponible à l'adressehttp://www.unesco.org/new/fr/social-and-human-sciences/themes/bioethics/international-bioethics-committee/reports-and-advices .
[12] Voy. le rapport du 31 mars 2011 fait au nom de la Commission spéciale relative au traitement d'abus sexuels et de faits de pédophilie dans une relation d'autorité, en particulier au sein de l'Église, Doc. parl., Chambre, 2010-2011, n° 53-0520/002.
[13] Sur l'article 422bis du code pénal, voy. notamment H.-D. Bosly, v° Abstentions coupables, R.P.D.B., Compl. t. VI, Bruylant, 1983 ; I. De La Serna, « Les abstentions coupables », in Les infractions, vol. 2, Les infractions contre les personnes, H.-D. Bosly et C. De Valkeneer (coord.), Larcier, 2010, p. 545 ; J. Du Jardin, « La jurisprudence et l'abstention de porter secours », Rev. dr. pén., 1983, p. 955.
[14] G. Genicot, op. cit., p. 723. Il ressort du rapport précité du 31 mars 2011 (p. 243) que d'aucuns ont envisagé « de débattre sérieusement d'une éventuelle obligation générale de dénonciation », sans doute sans apercevoir que cela irait considérablement au-delà de la problématique somme toute ciblée ayant abouti aux réflexions contenues dans ce rapport et impliquerait de transformer, tous azimuts, chaque citoyen en délateur potentiel. Pour une discussion critique, voy. F. Hutsebaut, op. cit., pp. 242-244.
[15] Doc. parl., Chambre, 2010-2011, n° 53-1639/003, p. 6.
[16] Doc. parl., Chambre, 2010-2011, n° 53-1639/002, p. 15. Notons qu'en France, le principe est l'obligation de dénonciation : sous le titre « Des entraves à la saisine de la justice », l'article 434-3 du code pénal français punit « le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d'atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives », tout en exceptant, « sauf lorsque la loi en dispose autrement, (...) les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article 226-13 », lequel incrimine « la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire », sauf « dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret » (article 226-14, alinéa 1er, du code pénal français).
[17] Les craintes des experts et des professionnels de la santé exprimées à cet égard furent nombreuses (Doc. parl., Chambre, 2010-2011, n° 53-1639/003, notamment pp. 5 et 18), mais il leur fut répliqué par certains parlementaires que « ce sont les victimes qui revêtent le plus d'importance » (ibid., p. 17).
[18] Voy. notamment sur cette condition l'arrêt de la Cour eur. D.H., Kruslin c. France, du 24 avril 1990, in Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, P.U.F., Thémis Droit, 5e édition, 2009, p. 49, obs. F. Sudre.
[19] F. Sudre, obs. précitées, p. 54.
[20] Cette exigence de prévisibilité de la loi (surtout pénale) vise à « satisfaire au principe général de la sécurité juridique » (arrêt Baranowski c. Pologne du 28 mars 2000, paragraphe 52), lequel est « nécessairement inhérent au droit de la Convention comme au droit communautaire » (arrêt Marckx c. Belgique du 13 juin 1979, paragraphe 58), « est implicite dans la Convention et (...) constitue l'un des éléments fondamentaux de l'État de droit » (arrêt Riad et Idiab c. Belgique du 24 janvier 2008, paragraphe 78).
[21] Nous renvoyons à l'arrêt (partie A, disponible sur le site de la Cour) pour l'exposé des moyens et des arguments des parties.
[22] Pris de la violation des articles 12 et 14 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 7 de la C.E.D.H. et avec l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ce moyen vise en réalité la violation du seul article 12, alinéa 2, de la Constitution, combiné aux articles 7, paragraphe 1er, de la C.E.D.H. et 15, paragraphe 1er, du Pacte : il ne concerne en effet que la légalité d'une incrimination (à distinguer de la légalité de la peine et de celle de la procédure pénale, distinction que reconnaît la Cour ; voy., par exemple, C.C., arrêt n° 20/2013 du 28 février 2013, paragraphe B.9).
[23] D'une manière perfectible : la loi du 28 novembre 2000 qui a inséré l'article 458bis dans le code pénal n'est pas évoquée ; les paragraphes B.1. et B.5., d'une part, et B.2.1. et B.4., d'autre part, auraient gagné à être rassemblés ; et, surtout, la référence littérale faite à la proposition formulée par la commission parlementaire est source de confusion puisqu'il y est question (paragraphe B.6.2.) du « champ d'application de l'alinéa 1er de l'article 458bis du code pénal », ce qui renvoie à la rédaction initialement envisagée où un second alinéa eût été inséré afin de renvoyer à l'article 422bis, suggestion - heureusement - non retenue in fine, l'article 458bis ne comportant de ce fait qu'un seul alinéa... On passera sur ces détails.
[24] Ce paragraphe B.13.2. s'inscrit dans une ligne tracée depuis longtemps par la Cour, nonobstant quelques évolutions notamment terminologiques. Voy. notamment C.A., arrêt n° 60/2007 du 18 avril 2007, paragraphe B.6. ; C.C., arrêt n° 10/2008 du 23 janvier 2008, paragraphe B.7.3., cette revue, 2008, p. 180, obs. F. Abu Dalu ; arrêt n° 102/2008 du 10 juillet 2008, paragraphe B.6. ; arrêt n° 17/2010 du 25 février 2010, paragraphe B.8 ; arrêt n° 37/2010 du 22 avril 2010, paragraphe B.4. ; arrêt n° 62/2010 du 27 mai 2010, paragraphe B.8. ; arrêt n° 111/2010 du 14 octobre 2010, paragraphe B.4. ; arrêt n° 140/2010 du 16 décembre 2010, paragraphe B.4. ; arrêt n° 158/2011 du 20 octobre 2011, paragraphe B.3. ; arrêt n° 166/2011 du 10 novembre 2011, paragraphe B.41.2. ; arrêt n° 181/2011 du 1er décembre 2011, paragraphe B.4. ; arrêt n° 145/2012 du 6 décembre 2012, paragraphe B.7., cette revue, p. 628, obs. G. Ninane ; arrêt n° 74/2013 du 30 mai 2013, paragraphe B.12.2. ; arrêt n° 77/2013 du 6 juin 2013, paragraphe B.3.

Sur le principe de légalité en matière pénale, voy., en doctrine, F. Tulkens et M. Van De Kerchove, Introduction au droit pénal. Aspects juridiques et criminologiques, Kluwer, Story-Scientia, 5e édition, 1999, pp. 187-193 ; C. Ambroise-Castérot, v° Légalité des délits et des peines, in Dictionnaire des droits de l'homme, P.U.F. / Quadrige, 2008, p. 603 ; M. Delmas-Marty, « Légalité pénale et prééminence du droit selon la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales », in Mélanges en l'honneur d'André Vitu, Éditions Cujas, 1989, p. 151 ; D. Rebut, « Le principe de la légalité des délits et des peines », Rev. dr. pén. (France), 2001, p. 249 ; F. Sudre, « Le principe de la légalité et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme », Rev. dr. pén. (France), 2001, p. 335. Adde, sur la qualification légale du fait incriminé et spécialement les principes de détermination du sens et de la portée des dispositions pénales, C. Hennau et J. Verhaegen, Droit pénal général, Bruylant, 1991, pp. 83-97, n° 94-116 ; et, sur la légalité pénale et l'interprétation de la loi pénale au sens de la Cour européenne des droits de l'homme, les obs. de F. Sudre sous l'arrêt S.W. c. Royaume-Uni du 22 novembre 1995, in Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, P.U.F., Thémis Droit, 5e édition, 2009, pp. 406-414.
[25] Cass., 13 mai 1987, Pas., 1987, I, 1061, J.T., 1988, p. 170, cette revue, 1987, p. 1165, note Y. Hannequart, R.C.J.B., 1989, p. 588, note A. De Nauw, « La consécration jurisprudentielle de l'état de nécessité », R.D.P., 1987, p. 856, T. Gez., 1987-1988, p. 173, note M. Van Lil, Journ. proc., 1987, n° 111, p. 30. Aux termes de cet arrêt, l'état de nécessité se définit comme la situation dans laquelle se trouve une personne qui, eu égard à la valeur respective des devoirs en conflit et en présence d'un mal grave et imminent pour autrui, peut raisonnablement estimer qu'il ne lui est pas possible de sauvegarder, autrement qu'en commettant les faits qui lui sont reprochés, un intérêt plus impérieux qu'elle avait le devoir ou qu'elle était en droit de sauvegarder avant tous les autres. Pour une application : Mons, 19 novembre 2008, Rev. dr. santé, 2009-2010, p. 19, note N. Colette-Basecqz, « La violation du secret professionnel dans une situation de maltraitance d'enfant. La justification par l'autorisation de l'article 458bis du code pénal ou par l'état de nécessité » ; Liège, 25 novembre 2008, Rev. dr. santé, 2010-2011, p. 276, note R. Saelens et P. De Hert.
[26] Pour des descriptions plus complètes et rigoureuses, voy. F. Tulkens et M. Van De Kerchove, op. cit., pp. 287-294 ; C. Hennau et J. Verhaegen, op. cit., pp. 161-175, n° 202-222.
[27] Doc. parl., Chambre, 2010-2011, n° 53-1639/002. La Cour rappelle également (paragraphe B.14., alinéa 3) que la notion de « déficience ou infirmité physique ou mentale » figurait déjà dans la loi du 4 juillet 1989 modifiant certaines dispositions relatives au crime de viol, qui a modifié les articles 375 et 376 du code pénal, en vue de décerner un brevet de constitutionnalité à une disposition légale qui évoque la vulnérabilité d'une personne en raison « d'une maladie, d'une infirmité ou d'une déficience physique ou mentale » - ce qu'elle rappelle d'ailleurs deux alinéas plus haut -, recourant ainsi à un libellé qui n'est pas identique.
[28] D'autant qu'à cet égard, l'arrêt témoigne d'un manque de rigueur, ne fût-ce que dans sa formulation. Ainsi la Cour, après avoir posé que « le principe de légalité en matière pénale (...) exige que le législateur indique, en des termes suffisamment précis, clairs et offrant la sécurité juridique, quels faits sont sanctionnés » (paragraphe B.13.2., alinéa 2 ; italiques ajoutés), n'évoque-t-elle que le « caractère suffisamment précis » de la loi (paragraphe B.15.) puis la seule « condition de prévisibilité » (paragraphe B.17., alinéa 1er). Au paragraphe B.16., elle affirme que « la notion de "mineurs" constitue aussi un concept parfaitement clair et prévisible » (italiques ajoutés), sans autre précision, alors que ceci ne va pas de soi (pensons aux personnes étrangères, dont la minorité ou la majorité sont déterminées par leur loi nationale, ou aux mineurs émancipés). Ces passages flous de l'arrêt, auxquels on peut ajouter l'exemple repris à la note précédente, illustrent que le raisonnement aurait gagné à être approfondi.
[29] Voy. notamment, outre les lois des 26 et 30 novembre 2011, la loi du 23 février 2012 déjà citée (supra, note 4) modifiant l'article 458bis du code pénal en vue d'étendre celui-ci aux délits de violence domestique, M.B., 26 mars 2012. Sur la notion de vulnérabilité, voy. les références citées supra, note 11.
[30] Voy. G. Genicot, « L'article 458bis nouveau du code pénal : le secret médical dans la tourmente », J.T., 2012, p. 722, n° 10.
[31] Dans le paragraphe 59 ici évoqué, la Cour européenne ne pose pas, à titre de « règle générale », le principe de vigilance ici énoncé ; elle indique que, in concreto, « quel que soit le niveau de développement de la jurisprudence interne à l'époque des faits, (...) le requérant était un "investisseur institutionnel", familier du monde des affaires et habitué à être contacté pour participer à des projets financiers de grande envergure. Compte tenu de son statut et de son expérience, il ne pouvait ignorer que sa décision d'investir dans les titres de la banque S. pouvait le faire tomber sous le coup du délit d'initié prévu par l'article 10-1 (de l'ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967, devenu l'article L. 465-1 du code monétaire et financier). Ainsi, sachant qu'il n'existait aucun précédent comparable, il aurait dû faire preuve d'une prudence accrue lorsqu'il a décidé d'investir sur les titres de la banque S. ».
[32] Voy. supra, n° 8 ; Cour eur. D.H., arrêt Müller c. Suisse, du 24 mai 1988, paragraphe 29.
[33] Cour eur. D.H., arrêt Kokkinakis c. Grèce, du 25 mai 1993, paragraphe 52 ; italiques ajoutés (sur cet arrêt, voy. les obs. de M. Levinet in Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, P.U.F., Thémis Droit, 5e édition, 2009, pp. 572-585) ; arrêt S.W. c. Royaume-Uni, du 22 novembre 1995, paragraphe 35 (sur cet arrêt, voy. les obs. de F. Sudre dans le même ouvrage, pp. 406-414, et la note de S. Van Drooghenbroeck, « Interprétation jurisprudentielle et non-rétroactivité de la loi pénale », R.T.D.H., 1996, pp. 463-479).
[34] Arrêt Cantoni c. France du 15 novembre 1996, paragraphe 35 ; arrêt Soros c. France du 6 octobre 2011, paragraphe 53.
[35] Proposition de loi modifiant la législation en ce qui concerne l'amélioration de l'approche des abus sexuels et des faits de pédophilie dans une relation d'autorité, Doc. parl., Chambre, 2010-2011, n° 53-1639/002, p. 12.
[36] Proposition de loi précitée, Doc. parl., Chambre, 2010-2011, n° 53-1639/001, p. 13.
[37] Sur la difficulté à évaluer la dangerosité, voy. P. Boxho, « La loi de protection du malade mental du 26 juin 1990. Présentation et jurisprudence », J.J.P., 1999, p. 429.
[38] Cass., 13 mai 1987, précité (note 25) ; 18 juin 1992, Pas., 1992, I, 1390, Rev. dr. santé, 1996-1997, p. 25, note D. Freriks ; 28 avril 1999, Bull., n° 245 ; 13 novembre 2001, Pas., n° 613 ; 1er février 2006, Pas., n° 65, conclusions de l'avocat général Vandermeersch ; 24 janvier 2007, Pas., n° 45.
[39] G. Genicot, op. cit., J.T., 2012, pp. 717-725 ; E. Langenaken, « Portée et conséquences de la réécriture de l'article 458bis du code pénal sur le secret professionnel », Rev. dr. ULg, 2013/1, pp. 65-76.
[40] Doc. parl., Chambre, 2010-2011, n° 53-1639/003, p. 5.
[41] Doc. parl., Chambre, 2010-2011, n° 53-1639/003, p. 8.
[42] M. Van Cauwenberghe, président de l'Association des juges d'instruction, a plaidé pour l'instauration d'une obligation de parole (Doc. parl., Chambre, 2010-2011, n° 53-1639/003, p. 19).
[43] G. Genicot, op. cit., p. 722, n° 12, in fine.
[44] On notera que, dans la suite de l'arrêt, la Cour se consacre à l'examen de la situation particulière des avocats, sans examiner celle des « autres catégories de personnes » en question.
[45] Voy., confirmant cette optique du législateur, Doc. parl., Chambre, 2010-2011, n° 53-1639/001, p. 8, et n° 53-1639/003, pp. 16 et s. La Cour constitutionnelle aurait peut-être pu rappeler ici la cause de justification autonome que constitue l'état de nécessité.
[46] Cour eur. D.H., arrêt K.U. c. Finlande, du 2 décembre 2008, paragraphe 46 ; arrêt Stubbings e.a. c. Royaume-Uni, du 22 octobre 1996, paragraphe 64. La référence à l'arrêt Georgiev c. Bulgarie du 15 décembre 2005 n'est ici guère pertinente, le message visé ne figurant que dans l'opinion partiellement dissidente des juges Rozakis, Loucaides et Tulkens, et s'agissant de conditions de détention à apprécier au regard de l'article 3 de la Convention qui prohibe les traitements inhumains ou dégradants.
[47] Cour eur. D.H., arrêt V.D. c. Roumanie, du 16 février 2010, paragraphe 112 ; arrêt S.N. c. Suède, du 2 juillet 2002, paragraphe 47.
[48] En comparaison, le recours introduit notamment par l'O.B.F.G. contre la loi « anti-blanchiment » du 12 janvier 2004 visait bien, pour sa part, « les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés avec les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec les principes généraux du droit en matière de droits de la défense et avec l'article 6, paragraphe 2, du Traité sur l'Union européenne » (C.C., arrêt n° 10/2008 du 23 janvier 2008, paragraphe B.4).
[49] Message déjà contenu dans les arrêts de la Cour nos 50/2004, 100/2006, 129/2006 et 10/2008.
[50] La Cour constitutionnelle renvoie ici à l'arrêt de la Cour eur. D.H., Michaud c. France, du 6 décembre 2012 (paragraphes 117 à 123), tout en ne manquant pas de rappeler la jurisprudence de la Cour de cassation aux termes de laquelle le secret professionnel auquel l'article 458 du code pénal soumet les membres du barreau « repose sur la nécessité d'assurer une entière sécurité à ceux qui se confient à eux » (Cass., 13 juillet 2010, Pas., n° 480 ; 9 juin 2004, Pas., n° 313). Sur cet arrêt, voy. C. Hartman et D. Grisay, « Arrêt Michaud : la Cour européenne des droits de l'homme comme bouée de sauvetage de la protection des droits fondamentaux dans l'Union européenne ? », cette revue, 2013, pp. 733-743 ; J. Van Compernolle, « Le secret professionnel de l'avocat à l'épreuve des dispositifs de lutte contre le blanchiment des capitaux : quand les chemins de Luxembourg et de Strasbourg se rencontrent », R.T.D.H., 2013, p. 959, spéc. pp. 967-970.
[51] On la retrouve toutefois dans l'arrêt précité de la Cour n° 10/2008 du 23 janvier 2008 (paragraphe B.7.10.), au terme d'un raisonnement qui apparaît plus rigoureux (paragraphes B.6.1. et suivants). Mais, dans cet arrêt, la Cour a précisé (paragraphe B.9.3.) que « le secret professionnel de l'avocat ne saurait toutefois être limité à sa seule activité de défense et de représentation en justice » ; sont notamment visés les avocats qui exercent une activité de « conseil juridique, même en dehors de toute procédure judiciaire », activité qui, tout comme « l'assistance et la défense en justice du client », fait partie « des activités essentielles de (la) profession » d'avocat, lesquelles sont, toutes, « couvertes par le secret professionnel » (paragraphe B.9.6.). Sur cet arrêt, voy. F. Abu Dalu, « À qui perd gagne », cette revue, 2008, p. 195 ; J. Stevens et G. Dal, « Het arrest van het Grondwettelijk Hof van 23 januari 2008 en de preventie van het witwassen : de Ordes halen hun gelijk », R.W., 2008-2009, pp. 90-108.
[52] Lequel était clair : pour rappel, s'offusquant de ce que l'invocation du secret professionnel tienne - systématiquement ? - lieu d'« alibi » favorisant l'omerta et représentant ainsi un frein « important » à la révélation d'abus et à des poursuites pénales médiatisées, le législateur a souhaité, selon ses propres déclarations, amener chacun à « prendre ses responsabilités » (Rapport fait au nom de la Commission de la justice le 15 juillet 2011, Doc. parl., Chambre, 2010-2011, n° 53-1639/003, p. 6).
[53] La Cour y indique également que les règles qui dérogent au secret professionnel de l'avocat « ne peuvent être que de stricte interprétation, compte tenu de la manière dont est organisée la profession d'avocat dans l'ordre juridique interne » ; on préférera à cette formule sibylline celle de l'arrêt précité n° 10/2008 du 23 janvier 2008 (paragraphe B.7.10.) selon laquelle les dérogations « ne peuvent être que de stricte interprétation et qu'il faut avoir égard à la manière dont est organisée la profession d'avocat dans l'ordre juridique interne » (italiques ajoutés).
[54] Sur l'état de nécessité, voy. les références citées supra, notes 25 et 26.
[55] Les médecins sont en outre, tout comme les avocats, soumis à un code de déontologie strict, dont le respect est assuré par les conseils de l'Ordre.
[56] Rappelons qu'aux termes de l'article 23 de la Constitution, « le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine » comprend notamment le droit « à la protection de la santé et à l'aide sociale, médicale et juridique ». À cet égard, le secret médical repose sur la nécessité d'assurer une entière sécurité à ceux qui doivent se confier aux professionnels de santé (Cass., 2 juin 2010, Pas., n° 386) et de permettre à chacun d'obtenir les soins qu'exige son état, quelle qu'en soit la cause (Cass., 16 décembre 1992, Pas., 1992, I, p. 1390, Rev. dr. santé, 1996-1997, p. 25, note D. Freriks ; voy. déjà Cass., 23 juin 1958, Pas., 1958, I, p. 1180). Il vise à inspirer une entière sécurité à ceux dont les médecins peuvent être les confidents à propos de faits qui doivent rester secrets (Cass., 18 juin 1992, Pas., 1992, I, p. 924). Il est violé dès que la révélation de tels faits est volontaire et spontanée, même si elle est faite à la justice (Cass., 26 septembre 1966, Pas., 1967, I, p. 89 ; 14 juin 1965, Pas., 1965, I, p. 1102).
[57] S. Welsch, Responsabilité du médecin, Litec, 2000, pp. 117 et s. Ainsi qu'on a pu l'écrire, « le secret professionnel (...) est un symbole : le symbole du respect que le médecin doit avoir pour son malade » (R. Villey, Histoire du secret médical, Seghers, 1986, p. 163, cité par G. Mémeteau, Cours de droit médical, Les Etudes Hospitalières, 3e édition, 2006, p. 265, n° 388). Selon J.-R. Binet (Droit médical, Montchrestien / Lextenso, 2010, pp. 44-54, n° 79-95), « le secret médical est le devoir le plus important du médecin ».
[58] Sur le secret médical, voy. G. Genicot, Droit médical et biomédical, Larcier, 2010, pp. 220-245, et les références citées. Adde F. Blockx, « Het medisch beroepsgeheim. Overzicht van rechtspraak (1985-2002) », Rev. dr. santé, 2004-2005, p. 3, n° 4 ; M.-L. Rassat, « La révélation médicale », D., 1989, chr., 107 ; H. Anrys, Les professions médicales et paramédicales dans le marché commun, Larcier, 1971, p. 391, n° 343.
[59] Exemplatif de cette orientation est le fait que, dans les travaux préparatoires, le législateur évoque un « droit à la parole » dans le chef du titulaire du secret (voy. p.ex. Doc. parl., Chambre, 2010-2011, n° 53-1639/002, p. 14), alors qu'il ne saurait s'agir d'un droit subjectif : la levée du secret, dès lors que les conditions de l'article 458bis du code pénal sont remplies, n'opère qu'une dépénalisation partielle de la transgression de l'obligation au secret, susceptible d'un contrôle judiciaire marginal. Cette expression reflète le glissement qui s'opère vers une « protection de la victime » conçue comme une valeur absolue (et en dépit de ce qu'une protection optimale ne passe pas forcément par une divulgation et la mise en branle de l'arsenal répressif). Voy. sur ce point F. Hutsebaut, « Over het belang van het beroepsgeheim: reflecties over de relatie tussen justitie en hulpverlening », in Liber amicorum René Foqué, Larcier, 2012, pp. 242-244 ; J. Dute, « Child Abuse, Human Rights and the Role of the Doctor », Eur. J. Health Law, 16 (2009) 119-123.


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Date(s)

  • Date de publication : 13/12/2013

Auteur(s)

  • Genicot, G.
  • Langenaken, É.

Référence

Genicot, G. et Langenaken, É., « L'avocat, le confident, la victime, l'article 458 bisdu code pénal et la Cour constitutionnelle », J.L.M.B., 2013/40, p. 2034-2051.

Branches du droit

  • Droit judiciaire > Barreau > Droits et devoirs des avocats > Secret professionnel
  • Droit pénal > Infractions et leurs peines > Crimes et délits contre les personnes > Secret professionnel

Éditeur

Larcier

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