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16/09/2011
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On n'est jamais si bien servi que par soi-même : la Cour constitutionnelle et la limitation des effets dans le temps de ses arrêts rendus sur question préjudicielle


Jurisprudence - Droit social

I. Contrat de travail - Généralités - Contrat de travail - Licenciement avec préavis - Distinction entre ouvriers et employés - Incapacité de travail - Jour de carence - Egalité - Discrimination.
II. Cour constitutionnelle - Autorité - Question préjudicielle - Constat d'inconstitutionnalité - Dispositions invalidées - Maintien dans le temps.

L'arrêt n° 125/2011 du 7 juillet 2011 de la Cour constitutionnelle marquera sans doute non seulement les praticiens du droit, mais aussi le grand public, par ses aspects de droit du travail [1]. Au-delà, cependant, il s'agit également d'un arrêt très important au niveau du contentieux constitutionnel lui-même, puisque, pour la première fois, la Cour constitutionnelle s'accorde de manière générale et explicite le pouvoir de limiter dans le temps les effets de ses arrêts rendus sur question préjudicielle de manière générale et explicite. C'est ce dernier aspect qui nous retiendra.
L'article 142 de la Constitution, et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, organisent deux voies d'accès à la Cour : le recours direct en annulation, le cas échéant assorti d'une demande de suspension, et la question préjudicielle. Si les compétences de la Cour constitutionnelle sont globalement identiques dans ces deux voies d'accès [2], il n'en est en théorie pas de même des pouvoirs de la Cour.
Le recours direct peut en effet aboutir à l'annulation de la norme contrôlée, c'est-à-dire à sa disparition ex tunc et erga omnes de l'ordonnancement juridique. La rétroactivité est alors « absolue » [3] : l'arrêt a notamment pour effet de permettre la rétractation des décisions des juridictions répressives, civiles et administratives [4] et de rouvrir les délais de recours administratifs et juridictionnels [5]. En compensation, le législateur a explicitement reconnu à la Cour constitutionnelle, « si (elle) l'estime nécessaire », le pouvoir d'« indique(r), par voie de disposition générale, ceux des effets des dispositions annulées qui doivent être considérés comme définitifs ou maintenus provisoirement pour le délai qu'elle détermine » [6].
Sur question préjudicielle, en revanche, le pouvoir de la Cour est en apparence plus limité. La norme dont l'inconstitutionnalité serait constatée ne disparaît pas de l'ordre juridique. L'effet de l'arrêt paraît relatif. Tout au plus, « la juridiction qui a posé la question préjudicielle, ainsi que toute autre juridiction appelée à statuer dans la même affaire sont tenues, pour la solution du litige à l'occasion duquel ont été posées les questions [préjudicielles], de se conformer à l'arrêt rendu par la Cour constitutionnelle » [7].
Cette différence semble avoir justifié que le pouvoir de limiter les effets de ses arrêts dans le temps n'ait pas été reconnu par le législateur spécial à la Cour constitutionnelle [8].
Mais, à y regarder de plus près, les différences dans l'autorité des deux types d'arrêt est-elle si évidente ? D'une part, l'effet de rétroactivité « simple », qui s'applique à toute décision de jurisprudence (et singulièrement aux cas de revirement de jurisprudence) est désormais bien connu [9]. D'autre part, l'article 26, paragraphe 2, de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle ne dispense-t-il pas la juridiction devant laquelle une question de constitutionnalité d'une norme législative est soulevée de poser une question préjudicielle « lorsque la Cour constitutionnelle a déjà statué sur une question ou un recours ayant un objet identique » ? En d'autres termes, la loi spéciale elle-même ne confère-t-elle pas, par le mécanisme même de la dispense de question contenue à l'article 26, paragraphe 2, un effet erga omnes atténué à l'arrêt rendu sur question préjudicielle ?
En l'absence d'une disposition explicite permettant à la Cour constitutionnelle de limiter dans le temps les effets de ses arrêts sur question préjudicielle, la Cour s'est montrée jusqu'à présent prudente [10]. On citera cependant l'arrêt n° 18/91 du 4 juillet 1991 [11] où la Cour, alors d'arbitrage, a décidé au nom de la « sécurité juridique » que l'article 756 ancien du code civil [12], pourtant jugé contraire dans le même arrêt au principe d'égalité et de non-discrimination, pouvait encore s'appliquer aux successions ouvertes avant le 13 juin 1979 [13]. On citera encore l'arrêt n° 8/97 du 19 février 1997 où la Cour, sans exclure explicitement la possibilité de modaliser les effets de ses arrêts dans le temps, a refusé de limiter, près de deux ans après un précédent arrêt [14], les effets dans le temps de celui-ci.
Quoi qu'il en soit, la question a semblé un moment réglée lorsque, après un examen attentif, le législateur spécial a explicitement refusé de conférer à la Cour constitutionnelle ce pouvoir dans ce qui allait devenir la loi spéciale du 9 mars 2003.
C'était évidemment compter sans le volontarisme de la Cour, dont l'arrêt annoté est une nouvelle démonstration, cette fois dans le champ de sa propre loi organique.
Selon l'humeur, on y verra soit une possibilité nouvelle d'assurer la « sécurité juridique », soit un facteur supplémentaire de désinhibition de la Cour, si besoin en était encore. Comme l'exprimait en effet le président Arts :
« la possibilité de limiter dans le temps les conséquences d'un arrêt rendu sur une question préjudicielle serait bénéfique pour la jurisprudence de la Cour et lui permettrait de procéder de manière conséquente au contrôle de la conformité, sans devoir tenir compte des effets catastrophiques qui lui seraient reprochés si elle devait conclure à une violation » [15].
Pouvoir s'affranchir, dans ses délibérés, des conséquences de ses décisions : on ne peut être plus clair dans l'exposé des motifs de ses motifs. La question de fond tranchée par l'arrêt annoté est d'ailleurs une merveilleuse illustration des nouvelles audaces dont ce pouvoir conquis semble enfin permettre l'expression, sans aucun effet, d'ailleurs, pour le demandeur devant le juge a quo, dont la Cour, tout à son bon coup, n'a pas même jugé bon de réserver les droits [16].
Il faut en effet savoir, quand on est ouvrier, se rendre à la raison des plus sages que soi.

 


[1] Sur cette question, voy. le commentaire de Michel Westrade, " Pour une dynamique du droit ", publié ci-avant p 1434.
[2] Voy. cependant l'article 26, paragraphe premier, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle selon lequel la Cour constitutionnelle est compétente pour statuer à titre préjudiciel, sur « tout conflit entre décrets ou entre règles visées à l'article 134 de la Constitution [c'est-à-dire le décret régional et l'ordonnance bruxelloise] émanant de législateurs distincts et pour autant que le conflit résulte de leur champ d'application respectif ». Ce chef de compétence n'est pas ouvert sur recours direct.
[3] F. Ost et S. Van Drooghenbroeck, " Le droit transitoire jurisprudentiel dans la pratique des juridictions belges ", Rev. dr. ULB, 2002, p.1-57, spéc. p. 6, définissent la « rétroactivité absolue » comme « la règle prétorienne qui s'appliquerait à l'ensemble des faits et actes survenus ou posés après ou avant son prononcé, que ceux-ci aient fait l'objet ou non d'une décision de justice coulée en force de chose jugée ».
[4] Articles 10 à 13 (décisions rendues par les juridictions répressives), 14 (décisions d'internement), 16 (juridictions civiles) et 17 (Conseil d'Etat) de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
[5] Article 18 de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
[6] Article 8, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 ; sur ce mécanisme, voy. G. Rosoux, " Le maintien des ' effets ' des dispositions annulées par le Cour d'arbitrage : théorie et pratique ", in : Liber amicorum Paul Martens, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 439-456 ; K. Muylle, " Les conséquences du maintien des effets de la norme annulée par la Cour d'arbitrage ", in : H. Dumont e.a. (dir.), La protection juridictionnelle du citoyen face à l'administration, Bruxelles, La Charte, 2007, p. 525-558 ; Br. Lombaert, " Le maintien des effets des normes censurées par la Cour d'arbitrage - recours en annulation et questions préjudicielles ", APT, 1998, p. 174-189.
[7] Article 28 de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
[8] Selon les auteurs, la justification de l'absence de pouvoir de limiter dans le temps les effets des arrêts rendus sur question préjudicielle se trouve tantôt dans l'absence de rétroactivité, tantôt dans la relativité de l'effet des arrêts d'invalidité ; quant à la rétroactivité, voy., par exemple, Br. Lombaert, op. cit., p. 184, selon lequel : « Dès lors que le maintien des effets est conçu comme un accessoire de la rétroactivité des arrêts d'annulation, il s'agit, en principe, d'une question étrangère au contentieux des questions préjudicielles » ; on citera également J. Velaers, Doc. parl., Sénat, 2002-2003, 2-897/6, p. 118 : « Compte tenu de ces effets limités dans le temps, il ne nous paraît ni nécessaire ni souhaitable d'accorder à la Cour la compétence de limiter les effets de l'arrêt rendu sur question préjudicielle » ; quant au caractère relatif : voy., notamment, G. Rosoux, op. cit., p. 453 : « Comme la doctrine l'a souligné, il n'existe pas de possibilité de maintenir les " effets " dans le cadre du contentieux préjudiciel, ce qui apparaît une conséquence logique de l'effet relatif de principe d'un arrêt constatant une inconstitutionnalité sur question préjudicielle, qui se borne à " paralyser " l'application inter partes de la norme dans le litige qui a donné lieu à la question préjudicielle » ; D. Vanheule, Doc. parl., Sénat, 2002-2003, 2-897/6, p. 138 : « C'est précisément du fait de l'autorité relative de chose jugée des arrêts rendus par la Cour d'arbitrage sur une question préjudicielle, qu'une adaptation des effets dans le temps n'est pas requise. En effet, cette adaptation a essentiellement pour but de tempérer les effets trop radicaux sur le plan social, économique, politique, financier, etc., qui sont ceux d'un arrêt d'annulation erga omnes. Cette nécessité n'existe pas dans le cas d'une question préjudicielle qui part d'un conflit ad hoc, tout en laissant subsister la législation pour le surplus ».
[9] Voy. F. Ost et S. Van Drooghenbroeck, op.cit., p. 6: « La rétroactivité tempérée ou encore, ordinaire, est celle de la règle prétorienne qui s'applique à l'ensemble des faits et actes survenus après ou avant son prononcé, à l'exception de ceux qui, à cette date, ont fait l'objet d'une décision coulée en force de chose jugée. Sous réserve de l'usage qui pourrait être fait du pourvoi dans l'intérêt de la loi (article 1088 du code judiciaire), cette rétroactivité tempérée est l'effet temporel " de droit commun " des arrêts de la Cour de cassation ».
[10] L'absence d'autorisation explicite n'avait pas empêché la Cour de justice de l'Union européenne de limiter dans le temps les effets de ses arrêts rendus sur question préjudicielle ; sur cette question, voy. C. Naômé, Le renvoi préjudiciel en droit européen, Bruxelles, Larcier, 2e édition, 2010 ; n° 397 et suivants, p. 278 et suivantes.
[11] C.A, n° 18/91 du 4 juillet 1991, cette revue, 1991, p. 1102, avec obs. Didier Pire.
[12] « Les enfants naturels ne sont point héritiers ; la loi ne leur accorde de droit sur les biens de leurs père ou mère décédés que lorsqu'ils ont été légalement reconnus. Elle ne leur accorde aucun droit sur les biens des parents de leur père ou mère. »
[13] C'est-à-dire avant l'arrêt Marckx (CEDH, 13 juin 1979, Marckx, Série A, n° 31) ; l'arrêt n° 18/91 a été confirmé par C.A., n° 83/93 du 1er décembre 1993.
[14] C.A., n° 25/95 du 21 mars 1995.
[15] Doc. parl., Sénat, 2002-2003, 2-897/6, p. 175-176 ; on trouve une idée similaire dans le rapport du juge Alen, " De prejudiciële vraagstelling aan het Arbitragehof ", in : Les rapports entre la Cour d'arbitrage, le Pouvoir judiciaire et le Conseil d'Etat, Bruges, Die Keure, Bruxelles, La Charte, 2006, spéc. p. 186.
[16] Comparez F. Ost et S. Van Drooghenbroeck, op.cit., p. 48 et 49 : « Nous l'avons vu, la caractéristique de cette prospectivité [les auteurs entendent par là la limitation à l'avenir des effets d'un arrêt] tient au caractère purement platonique de la décision de justice, même pour son initiateur : à son égard, la prospectivité conduit de facto à un déni de justice. A condition que l'on se trouve en présence d'une contestation portant sur des droits et obligations de caractère civil ou d'une accusation en matière pénale - les procédures constitutionnelles ne sont ici nullement exclues -, pareil déni de justice pourrait constituer une entrave au droit d'accès à un tribunal déduit de l'article 6 de la Convention [européenne des droits de l'homme] (...). Concurremment ou alternativement, l'action en justice mue par un grief défendable de violation des droits et libertés conventionnels, mais qui débouche sur une décision dotée de prospectivité absolue, ne pourrait
apparaître comme un recours effectif au sens de l'article 13 de la Convention » ; comparez également la jurisprudence de la Cour de justice citée par C. Naômé, op.cit., n° 408.


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Date(s)

  • Date de publication : 16/09/2011

Auteur(s)

  • Abu Dalu, F.

Référence

Abu Dalu, F., « On n'est jamais si bien servi que par soi-même : la Cour constitutionnelle et la limitation des effets dans le temps de ses arrêts rendus sur question préjudicielle », J.L.M.B., 2011/29, p. 1437-1439.

Branches du droit

  • Droit social > Contrat de travail > Fin du contrat de travail > Résiliation unilatérale moyennant préavis
  • Droit public et administratif > Cour constitutionnelle > Compétence préjudicielle

Éditeur

Larcier

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