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03/06/2011
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Le voile intégral et le pouvoir de police des autorités locales


Jurisprudence - Généralités

I. Communes - Police administrative - Sécurité publique - Règlement communal interdisant de se dissimuler le visage - Voile intégral.
II. Libertés publiques - Généralités - Liberté religieuse - Droits de l'homme - Respect de la vie privée - Proportionnalité.

1. Dans cette affaire, une personne portant le niqab - autrement dit un voile intégral ne laissant apparaître que les yeux - a été verbalisée par la police sur la base de l'article 12 du règlement général de police de la commune d'Etterbeek qui interdit aux personnes circulant sur la voie publique de se dissimuler le visage par des grimages, le port d'un masque ou tout autre moyen à l'exception du temps de carnaval.
Le jugement annoté aborde de manière intéressante la conformité de la sanction administrative avec le principe de liberté religieuse garanti par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme.
2. Examinant si la restriction à la liberté religieuse est « nécessaire dans une société démocratique », le tribunal de police souligne que la Cour européenne des droits de l'homme a déjà estimé que des restrictions à la liberté religieuse peuvent être justifiées pour protéger la sécurité publique lorsqu'elles sont destinées à l'identification de la personne concernée, à la condition que ces restrictions soient ponctuelles et limitées dans le temps. Ceci a déjà permis à la Cour d'admettre certaines mesures ponctuelles permettant de contrôler les femmes portant le voile intégral dans les aéroports ou de vérifier l'identité de personnes de confession musulmane qui demandaient à un obtenir un visa auprès du consulat [1].
Selon le tribunal, la mesure choisie par la commune d'Etterbeek conduit toutefois « à restreindre de façon nettement plus importante la liberté de conviction de l'appelante dès lors qu'elle l'empêche tout simplement de circuler n'importe où et à n'importe quel moment sur le territoire communal dans tout lieu relevant du " domaine public ". C'est donc l'intégralité de la liberté d'aller et venir dans tout lieu public etterbeekois qui est supprimée par la restriction apportée par le règlement communal ». Le jugement annoté constate à cet égard que la personne qui portait le niqab « circulait sur la voie publique, sans que le moindre trouble de l'ordre public puisse lui être reproché, ce qui, aux yeux du tribunal, ne rend pas nécessaire pour assurer la sécurité publique le fait de pouvoir l'identifier au premier regard ».
L'atteinte à la sécurité publique n'étant pas démontrée, le tribunal décide que rien ne permettait à la commune d'adopter la sanction administrative et invalide celle-ci.
3. Le tribunal de police aurait en vérité très bien pu se contenter de vérifier la légalité du règlement de police communale au regard de la compétence générale des autorités locales. En effet, les articles 119bis et 135 de la nouvelle loi communale permettent seulement aux communes d'agir pour assurer « l'ordre public général », ce qui limite traditionnellement leur champ d'intervention à la garantie de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité publiques.
Par ailleurs, on rappellera que la jurisprudence du Conseil d'Etat prohibe de manière constante les interdictions générales et permanentes qui ne sont pas justifiées par une menace concrète à l'ordre public [2]. Le principe a été rappelé par le Conseil d'Etat à propos d'un règlement communal interdisant l'accès de luna-parks à des mineurs non-accompagnés :
« La liberté étant la règle et la limitation de liberté l'exception, le Conseil d'État, lorsqu'il est appelé à vérifier dans un cas concret si un règlement communal de police est bien compatible avec une liberté individuelle - en l'espèce, la liberté de réunion et la liberté du commerce et de l'industrie - doit tout d'abord vérifier s'il lui est soumis des éléments concrets établissant que l'ordre public est effectivement troublé ou menace de l'être, apprécier la gravité de ce trouble et déterminer la situation dans laquelle il intervient ; qu'il doit ensuite examiner si les éléments qui lui sont soumis justifient la conclusion (1) que la mesure peut s'inscrire dans la catégorie des mesures utiles pour lutter contre le trouble redouté, (2) que, considérant les différentes possibilités dont dispose la commune pour maintenir l'ordre public, elle est nécessaire ou indispensable - c'est-à-dire la moins radicale - et (3) que, dans le souci de ne pas restreindre la liberté plus qu'il ne le faut, elle n'impose pas inutilement aux personnes qui doivent en subir l'inconvénient une limitation qui n'est pas en rapport avec la gravité du trouble de l'ordre que l'administration souhaite voir combattu » [3].
Cette jurisprudence nous permet de considérer que tout règlement de police interdisant le voile intégral de manière générale et permanente, sans être justifié par une menace concrète à l'ordre public, outrepasse la compétence de police des autorités communales.
4. Une proposition de loi qu'a pour objet d'interdire le port de tout vêtement cachant totalement ou de manière principale le visage a été votée à la Chambre le 28 avril dernier, sans que la section de législation du Conseil d'Etat n'ait pu être consultée quant à la validité de la mesure au regard de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme [4]. Gageons donc que ce débat rebondira très bientôt devant les juridictions.

 


[1] Le tribunal cite les affaires Phull c./ France du 11 janvier 2005 (requête n° 35723/03) et El Morsli c./ France du 4 mars 2008 (requête n° 15585/06).
[2] Voy. notamment C.E., n° 47.486 du 18 mai 1994.
[3] C.E., arrêt n° 83.940 du 7 décembre 1999, SPRL Ramses c./ Ville de Vilvorde, cité par X. Delgrange,
" Mixité sociale, mixité religieuse : le droit de l'enseignement face à la diversité ", in Le droit belge face à la diversité culturelle : quel modèle de gestion de la pluralité ?, actes de la journée d'étude du 6 novembre 2009 (à paraître).
[4] Doc. parl., Chambre, session 2010-2011, n° 219. Cette proposition reprend le travail parlementaire mis à néant, sous la législature précédente, par la dissolution prématurée des assemblées législatives (Doc. parl., Chambre, session ordinaire n° 52, n° 2289 ; Sénat, n° 4-1762).


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Date(s)

  • Date de publication : 03/06/2011

Auteur(s)

  • Ninane, G.

Référence

Ninane, G., « Le voile intégral et le pouvoir de police des autorités locales », J.L.M.B., 2011/22, p. 1072-1074.

Branches du droit

  • Droit pénal > Police > Fonction de la police > Officier de police administrative
  • Droit international > Droits de l'homme > Droits de l'homme - CEDH > Pensée, conscience et religion

Éditeur

Larcier

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