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06/09/2010
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Cour d'appel Liège (1ère chambre), 06/09/2010


Jurisprudence - Droit familial international

J.L.M.B. 10/810
Droit international privé - Famille - Filiation - Reconnaissance - Convention
de gestation pour autrui - Reconnaissance en Belgique d'actes de naissance dressés à l'étranger - Ordre public - Droits de l'enfant - Effets à l'égard du père naturel .
Les principes de l'indisponibilité du corps humain, du statut des personnes et du droit pour la mère qui porte et met au monde un enfant de déterminer son lien de filiation, font obstacle à la reconnaissance d'effets juridiques à un contrat de gestation pour autrui dès lors qu'un tel contrat est frappé de nullité absolue pour contrariété à l'ordre public.
En conséquence, le juge belge ne peut faire droit à une demande de reconnaissance et de transcription dans les registres de l'état civil belge d'un acte de naissance qui attribuerait un lien de paternité à une personne qui n'a de lien avec l'enfant que celui qui résulte de pareil contrat. En revanche, l'intérêt supérieur de l'enfant commande que le lien qui unit le père biologique à l'enfant puisse, lui, être reconnu et transcrit.

(J. et V. )


...
Vu le jugement prononcé le 22 mars 2010 par le tribunal de première instance de Huy.
Antécédents et objet de l'appel
Les faits et l'objet de la cause sont relatés par le premier juge à l'exposé duquel la cour se réfère.
Il suffit de rappeler pour la compréhension du litige qu'Aymeric J. et Frédéric V., tous deux de nationalité belge et mariés le 7 avril 2004, décident de concrétiser leur désir d'accueil d'un enfant dans leur foyer.
Il résulte tant des documents produits que des informations fournies par le ministère public que pour ce faire, ils se rendent en Californie (USA) afin de mettre en oeuvre un projet de procréation médicalement assistée par l'intermédiaire d'une agence de mères porteuses. Le droit de l'Etat de Californie permet, en effet, l'établissement d'un lien de filiation à l'égard d'enfants nés d'une mère porteuse, les parents contractuels devant solliciter du tribunal, avant la naissance de l'enfant, l'autorisation de faire dresser l'acte de naissance à leur nom et non à celui de la mère porteuse (voy. P. Wautelet, " Les enfants - La filiation biologique ", in Relations familiales internationales. L'actualité vue par la pratique, Formation permanente CUP, Anthémis, mai 2010, vol. 118, p. 147 et 148).
C'est ainsi que par « jugement déclaratoire de paternité des jumelles à naître dans le cadre d'un contrat de mère porteuse et d'absence de lien de parenté entre les défendeurs et les jumelles à naître » du 1er septembre 2008, la Cour supérieure de l'Etat de Californie pour le comté de San Diego, district central (USA) dit pour droit que :
  • les jumelles à naître dont est tombée enceinte par transfert d'embryons la dame Oceana R. seront considérées comme enfants naturel[es]et lég[ales] d'Aymeric J. (qui sera inscrit dans l'acte de naissance en tant que « père / parent de l'enfant ») et de Frédéric V. (qui sera inscrit en tant que « mère / parent ») ;
  • Oceana R., mère gestatrice, qui acquiesce à la décision, est déclarée ne pas être la mère des enfants à naitre ;
  • le nom patronymique des enfants à naître sera « J.-V. ».
Le 10 décembre 2008 naissent à San Diego deux jumelles, Maïa et Maureen, dont les actes de naissance dressés le 19 décembre 2008 et enregistrés le 22 décembre 2008 indiquent :
  • à la rubrique « père / parent » le nom d'Aymeric J.
  • à la rubrique « mère / parent » le nom de Frédéric V.
Les appelants reviennent en Belgique avec les enfants ; ils sollicitent de l'officier de l'état civil de Hannut la transcription des deux actes de naissance mais, face au refus de celui-ci, ils déposent une requête devant le tribunal de première instance de Huy afin d'obtenir la reconnaissance des deux actes de naissance.
Par jugement prononcé le 22 mars 2010, le tribunal dit les demandes de reconnaissance recevables mais non fondées.
Les appelants interjettent appel et réitèrent devant la cour les demandes formulées devant le premier juge, soit à titre principal la reconnaissance sans réserve des actes de naissance litigieux et, à titre subsidiaire, la transcription partielle des actes de naissance de Maïa et Maureen en ce qu'ils consacrent la filiation paternelle des enfants envers Aymeric J.
Il résulte, en effet, des dires des parties - cette affirmation n'étant pas contestée par le ministère public au terme de l'enquête réalisée par la zone de police Hesbaye ouest - qu'Aymeric J. est le père biologique des enfants.
Discussion
Quant à la procédure
Il y a lieu d'annuler le jugement dont appel et de statuer par voie de dispositions nouvelles en raison du fait que les mentions figurant dans la décision entreprise révèlent que le jugement a été prononcé en audience publique alors que l'article 1029 du code judiciaire dispose que l'ordonnance rendue sur requête unilatérale est délivrée en chambre du conseil.
Quant à la demande de reconnaissance des actes de naissance

Compétence des juridictions belges

Les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute demande concernant l'établissement ou la contestation de paternité ou de maternité lorsque l'enfant ou la personne dont la paternité ou la maternité est invoquée ou contestée ont leur résidence habituelle en Belgique.
Tel est bien le cas en l'espèce, dès lors que tant les jumelles Maïa et Maureen que les appelants sont domiciliés en Belgique.

Conditions de la reconnaissance

a. Procédure

La demande est fondée à juste titre sur l'article 27 du code de droit international privé relatif à la reconnaissance des actes authentiques étrangers, soit les deux actes de naissance litigieux, et ce même si ces actes de naissance ont été établis en conformité avec une décision judiciaire étrangère, soit la décision de la Cour supérieure de l'Etat de Californie (voy. l'article 25 du code de droit international privé régissant la reconnaissance des décisions judiciaires étrangères). En effet, la portée de cette décision judiciaire est de donner des instructions sur le contenu de l'acte qui doit être rédigé en manière telle que c'est bien l'acte lui-même qui doit être reconnu (P. Wautelet, " De quelques difficultés liées à la reconnaissance en Belgique d'un acte de l'état civil étranger ", note sous Liège, 19 février 2008, J.L.M.B., 2008, p. 832).

b. Authenticité des documents produits

L'article 27, paragraphe premier, alinéa 2, du code précise que l'acte doit réunir les conditions nécessaires à son authenticité selon le droit de l'Etat dans lequel il a été établi.
L'authenticité d'un acte public consiste uniquement à savoir si cet instrument émane de la personne ou de l'autorité dont il porte la signature et à laquelle on l'attribue.
Les appelants déposent à leur dossier les actes de naissance originaux établis dans les formes prévues par la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 et dûment enregistrés dans les registres de l'état civil du comté de San Diego le 22 décembre 2008.
L'authenticité de ces documents doit dès lors être admise.

c. Fond du droit

Du point de vue des règles de fond, la reconnaissance de l'acte authentique étranger est subordonnée à la réunion des conditions de fond énoncées à l'article 27 du code de droit international privé qui dispose qu'un acte authentique étranger est reconnu en Belgique par toute autorité sans qu'il faille recourir à aucune procédure si sa validité est établie conformément au droit applicable en vertu de la présente loi, en tenant spécialement compte des articles 18 (fraude à la loi) et 21 (contrariété à l'ordre public belge).
Cette disposition impose un contrôle conflictuel de l'acte étranger. Il est donc nécessaire de s'interroger sur la loi qui aurait été applicable si les dispositions du code avaient été appliquées. L'acte étant invoqué à l'appui de l'existence d'un lien de filiation, il faut retenir la règle relative à la filiation. Cette règle n'est cependant pertinente que pour les seules mentions de l'acte relatives à la filiation de l'enfant. La constatation de la naissance de l'enfant ainsi que la date et le lieu de naissance sont des données irréductibles à tout raisonnement conflictuel. Leur accueil en Belgique ne peut dès lors être subordonné aux exigences de l'article 27 (P. Wautelet, in Relations familiales internationales - L'actualité vue par la pratique, Formation permanente CUP, Anthémis, mai 2010, vol. 118, p. 148).
L'article 62 du code de droit international privé énonce que l'établissement et la contestation de paternité ou de maternité d'une personne sont régies par le droit de l'Etat dont elle a la nationalité au moment de la naissance de l'enfant ou, si cet établissement résulte d'un acte volontaire, au moment de cet acte.
Le droit belge est dès lors applicable eu égard à la nationalité belge des appelants.
En ce qui concerne le lien de filiation à l'égard d'Aymeric J., père biologique des jumelles Maïa et Maureen, le droit belge aurait permis qu'il reconnaisse les enfants conformément à l'article 329bis du code civil dès lors que leur filiation paternelle n'est pas établie par l'effet de la loi (présomption de paternité) ; en outre, l'article 330, paragraphe 2, du code civil n'autorise pas la contestation du lien de paternité à l'égard du père biologique.
En ce qui concerne le lien de filiation à l'égard de Frédéric V., l'intéressé postule qu'il soit reconnu en qualité « d'ascendant en ligne directe au premier degré », sans référence de genre ; or, le droit belge n'admet pas l'existence d'un double lien de filiation paternelle d'origine, d'une part, et l'article 143 du code civil exclut l'application de la présomption de paternité édictée par l'article 315 du code civil au sein d'un mariage entre personnes de même sexe, d'autre part.
La seule possibilité, en Belgique, d'obtenir qu'un double lien de filiation paternelle soit établi à l'égard du père biologique et du père affectif réside, pour le parent affectif, dans la possibilité consacrée par la loi du 18 mai 2006 (article 343, paragraphe premier, du code civil) d'adopter l'enfant du père biologique mais en l'occurrence ce n'est pas cette voie que les parties ont choisie.
La cour doit en outre examiner l'incidence sur l'établissement du lien de filiation du recours à une mère porteuse.
Le contrat de gestation pour autrui est contraire à l'ordre public en droit interne belge. En effet, si la gestation pour autrui n'est pas formellement interdite en Belgique et n'est pas érigée en infraction, elle est contraire au prescrit de l'article 6 du code civil (disposant qu'on ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs), de l'article 1128 (édictant que seules les choses qui sont dans le commerce peuvent être l'objet des conventions) et de l'article 1133 (« la cause est illicite quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes moeurs et à l'ordre public »).
Or, le corps humain a un caractère extrapatrimonial, ainsi que l'illustre notamment la loi du 6 juin 2007 relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes (articles 19, 22 et 48).
Les principes de l'indisponibilité du corps humain, du statut des personnes et du droit pour la mère qui porte et met au monde un enfant de déterminer son lien de filiation, font obstacle à la reconnaissance d'effets juridiques à un contrat de gestation pour autrui dès lors qu'un tel contrat est frappé de nullité absolue pour contrariété à l'ordre public (N. Gallus, Le droit de la filiation. Rôle de la vérité socio-affective et de la volonté en droit belge, Larcier, 2009, p. 357-366 ; X. Dijon, " Vers un commerce du corps humain ", J.T., 2006, p. 501 ; voy. aussi Mercuriale de rentrée judiciaire du procureur général de Liège, 1er septembre 2009, p. 11).
En ce qui concerne le lien de filiation à l'égard du père biologique, Aymeric J., on peut toutefois considérer que l'illicéité du contrat de gestation pour autrui - dont découlent les actes de naissance dont la reconnaissance est postulée - ne peut porter atteinte à l'intérêt supérieur des enfants Maïa et Maureen garanti tant par l'article 3 de la Convention relative aux droits de l'enfant que par l'article 22bis de la Constitution.
Le refus de reconnaissance des actes de naissance en tant qu'ils concernent l'établissement du lien de filiation avec le père biologique priverait les enfants de tout lien à son égard alors que le lien de filiation maternelle n'est pas reconnu dans le pays de la mère gestatrice. Cette situation leur serait dès lors hautement préjudiciable.
En ce qui concerne le lien de filiation à l'égard de Frédéric V., les appelants font valoir que la reconnaissance d'un double lien de filiation paternelle n'est pas contraire à l'ordre public dans la mesure où la loi organise celui-ci dans le cadre de l'adoption. Ils considèrent qu'il n'existe pas de différence, au niveau des effets, entre une filiation adoptive plénière et une filiation originaire entre un enfant et deux personnes du même sexe.
Cet argument n'est pas pertinent dans la mesure où, en l'état actuel du droit positif belge, la loi organise de manière différente la filiation d'origine et la filiation adoptive et qu'un double lien de filiation paternelle ne peut exister en dehors de l'adoption. Il n'est pas démontré que ces deux types de filiation, qui sont totalement différentes et non comparables, seraient constitutifs d'une différence de traitement non raisonnablement justifiée, ce qui n'est du reste pas soutenu par les appelants.
Il résulte de l'ensemble des éléments qui précèdent que les actes de naissance peuvent être reconnus en ce qu'ils établissent le lien de filiation paternelle à l'égard du père biologique Aymeric J. mais qu'ils ne peuvent l'être en ce qu'ils mentionnent un lien de filiation à l'égard de Frédéric V.
En ce qui concerne le nom des enfants, l'article 37 du code de droit international privé dispose que la détermination du nom d'une personne est régie par le droit de l'Etat dont cette personne a la nationalité.
Les certificats de résidence et de nationalité de Maïa et Maureen mentionnent qu'elles ont la nationalité belge.
Certes, ces enfants possèdent sans doute également la nationalité américaine pour être nées sur le territoire de cet Etat (application du jus soli en vertu du XIVe amendement de la Constitution américaine) mais l'article 3 du code de droit international privé décide dans ce cas :

« Paragraphe 2. Toute référence faite par la présente loi à la nationalité d'une personne physique qui a deux ou plusieurs nationalités vise :

» 1. la nationalité belge si celle-ci figure parmi ses nationalités ... ».

Il y a lieu, en conséquence, d'appliquer le droit belge pour déterminer le nom des enfants.
L'article 335, paragraphe premier, du code civil édicte que l'enfant dont seule la filiation paternelle est établie, ou dont [les] filiations paternelle et maternelle sont établies en même temps, porte le nom de son père.
Dans le cas d'espèce, seule la filiation paternelle d'Aymeric J. à l'égard des enfants Maïa et Maureen est établie, de sorte qu'elles doivent porter le seul nom de J., et non «J.-V. » comme le mentionnent les actes de naissance.

Par ces motifs, ...
Reçoit l'appel,
Annule le jugement entrepris et, statuant par voie de dispositions nouvelles,
Dit l'appel partiellement fondé,
Dit pour droit qu'il y a lieu de reconnaître les actes de naissance de Maïa Evelyne
J.-V. et de Maureen Eliane J.-V., nées à San Diego (USA) le 10 décembre 2008, dressés le 19 décembre 2008 et enregistrés le 22 décembre 2008, uniquement en ce qu'ils mentionnent un lien de filiation à l'égard d'Aymeric J., les enfants devant porter le seul nom de J.,
Dit pour droit qu'il n'y a pas lieu de reconnaître lesdits actes de naissance en ce qu'ils mentionnent un lien de filiation à l'égard de Frédéric V. et le double nom «J.-V. »,
Autorise la transcription de ces actes de naissance dans les registres de l'état civil sous les mêmes réserves, ...
Siég. :  MM. S. Goux, R. Gérard et Mme M. Burton.
Greffier : Mme Fr. Martin.
M.P. : M. N. Banneux.
Plaid. : MeD. Dobbelstein.

 



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Sommaire

  • Les principes de l'indisponibilité du corps humain, du statut des personnes et du droit pour la mère qui porte et met au monde un enfant de déterminer son lien de filiation, font obstacle à la reconnaissance d'effets juridiques à un contrat de gestation pour autrui dès lors qu'un tel contrat est frappé de nullité absolue pour contrariété à l'ordre public.

    En conséquence, le juge belge ne peut faire droit à une demande de reconnaissance et de transcription dans les registres de l'état civil belge d'un acte de naissance qui attribuerait un lien de paternité à une personne qui n'a de lien avec l'enfant que celui qui résulte de pareil contrat. En revanche, l'intérêt supérieur de l'enfant commande que le lien qui unit le père biologique à l'enfant puisse, lui, être reconnu et transcrit.

Mots-clés

  • Droit international privé Famille - Filiation Reconnaissance - Convention de gestation pour autrui - Reconnaissance en Belgique d'actes de naissance dressés à l'étranger - Ordre public - Droits de l'enfant - Effets à l'égard du père naturel

Date(s)

  • Date de publication : 14/01/2011
  • Date de prononcé : 06/09/2010

Référence

Cour d'appel Liège (1 èrechambre), 06/09/2010, J.L.M.B., 2011/2, p. 52-56.

Branches du droit

  • Droit civil
  • Droit civil > Filiation

Éditeur

Larcier

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