Jurisprudence - Droit patrimonial de la famille - Régimes matrimoniaux
I. |
Régimes matrimoniaux - Liquidation - Contredit - Délai - Point de départ. |
II. |
Donations et testaments - Donations - Cession de parts sans contrepartie - Révocabilité des donations entre époux. |
III. |
Régimes matrimoniaux - Généralités - Séparation de biens - Enrichissement sans cause - Contribution aux charges du mariage. |
1. Le délai d'un mois prévu à l'article 1223, paragraphe 1er, du Code judiciaire pour formuler un contredit à l'égard de l'état liquidatif commence à courir à dater de la communication faite aux parties, et non à dater de la communication faite à leurs conseils. La communication par pli simple de la sommation de prendre connaissance de l'état liquidatif contenant le projet de partage aux conseils des parties n'est prévue qu'à titre informatif et ne donne cours à aucun délai et n'est pas sanctionné à peine de nullité.
2. La cession établie par écrit de parts de société sans contrepartie est constitutive d'une donation et, dès lors, révocable sur le pied de l'
article 1096 du Code civil.
3. En matière familiale, l'existence d'un enrichissement doit être appréciée, tout comme celle de l'appauvrissement, au regard de l'ensemble de la situation des ex-époux ou concubins, au regard de l'organisation générale de la vie du couple, des investissements réciproques en temps et en argent qu'ils ont chacun effectués en fonction de leurs choix et de leurs objectifs. Le juge doit, pour déterminer si les conditions d'enrichissement et d'appauvrissement sont remplies, constater une éventuelle disproportion entre les apports (financiers, économiques et matériels) de l'un et de l'autre des partenaires et ce, au regard de l'ensemble de la vie du couple.
La simple inégalité des prestations est insuffisante à fonder l'excès contributif d'un partenaire dans les charges du ménage. Si l'un des partenaires s'abstient de participer aux dépenses ménagères, la contribution de l'autre partenaire, a fortiori plus importante, n'est pas pour autant nécessairement excessive. Elle ne le deviendra que si ce partenaire prouve que sa participation a excédé soit ses facultés, soit les charges normales du ménage.
(Fabienne / Paul )
Vu le jugement prononcé le 29 avril 2019 par le tribunal de première instance de Liège, division de Liège, tribunal de la famille (...)
1. |
Les faits - antécédents |
Les parties se sont mariées le 7 août 1982 sous le régime de la séparation de biens.
(...)
Par jugement du 24 mars 2015, le tribunal de la famille a prononcé le divorce des parties sur le pied de l'article 229, paragraphe 1er, du Code civil et a désigné le notaire B (...) pour procéder aux opérations de liquidation du régime matrimonial ayant existé entre les parties.
Le 28 janvier 2016, un procès-verbal d'ouverture des opérations de liquidation du régime matrimonial existant entre les parties a été dressé par le notaire.
Le 24 août 2017, le notaire a rédigé un état liquidatif.
Le 31 octobre 2017, il a dressé un procès-verbal de dires et difficultés - dépôt des contredits et le 19 janvier 2018, il a rédigé un procès-verbal d'avis de dires et difficultés.
La décision entreprise reçoit les contredits en ce compris ceux formulés par Paul, statue sur ceux-ci et renvoie la cause au notaire commis pour qu'il poursuive les opérations de liquidation en tenant compte des principes dégagés dans sa décision.
(...)
(...)
3.2. |
Quant à la recevabilité des contredits |
La recevabilité des contredits de l'appelante n'a pas été et n'est pas contestée et il apparaît qu'ils ont été régulièrement introduits dans les délais légaux.
L'appelante conteste la recevabilité des contredits formulés par l'intimé au motif qu'ils ont été adressés au notaire le jour même de la signature du procès-verbal de dires et difficultés du 31 octobre 2017.
Le premier juge considère qu'il n'y a pas lieu d'écarter ces contredits dans la mesure où l'appelante ne démontre pas que la procédure visée à l'
article 1218 du Code judiciaire n'aurait pas été respectée.
En vertu de l'article 1214, paragraphe 7, du Code judiciaire,
« le notaire-liquidateur, dresse, en un état liquidatif, le projet de partage qu'il soumet aux parties conformément à la procédure définie à l'article 1223 ».
« Paragraphe 1er. (...) chaque indivisaire peut formuler ses contredits à l'égard de l'état liquidatif (...).
À cette fin, le notaire-liquidateur somme les parties et autres intéressés par exploit d'huissier, par lettre recommandée ou contre accusé de réception daté, ainsi que leurs conseils par courrier ordinaire, télécopie ou courrier électronique, de prendre connaissance de l'état liquidatif contenant le projet de partage visé à l'article 1214, paragraphe 7, annexé à ladite sommation (...).
Sauf accord de toutes les parties quant au délai qui suit, les parties disposent d'un délai d'un mois à compter de la date de la sommation pour faire part par écrit au notaire-liquidateur et aux autres parties de leurs contredits quant à l'état liquidatif contenant le projet de partage visé à l'article 1214, paragraphe 7, et, le cas échéant, de leurs observations sur le rapport final d'expertise donnant lieu auxdits contredits.
Paragraphe 2. En l'absence de contredits formulés dans le respect des délais et de la forme visés au paragraphe 1er, alinéa 4, le notaire-liquidateur procède, lors de la clôture des opérations (...) à l'attribution des lots (...).
Paragraphe 3. Lorsque des contredits ont été formulés dans le respect des délais et de la forme visés au paragraphe 1er, alinéa 4, le notaire-liquidateur dresse, en lieu et place de la clôture des opérations visée au paragraphe 1er, alinéa 2, un procès-verbal des litiges ou difficultés contenant la description de tous ces contredits ».
La sanction applicable en cas de non-respect du délai d'un mois pour communiquer ses contredits est prévue par l'article 1223, paragraphe 3, du Code judiciaire qui précise que le notaire ne doit tenir compte, pour l'établissement du procès-verbal des litiges et difficultés, que des contredits formulés dans le délai et dans les formes prévues par l'article 1223, paragraphe 1er.
En l'espèce, il ressort du procès-verbal de dires et difficultés que le notaire a adressé par lettre recommandée du 14 septembre 2017 une expédition de l'état liquidatif.
Il n'est pas contesté que la note de contredit de l'intimé a été communiquée au notaire le 31 octobre 2017 ainsi que le révèle la rubrique « 2. Observations des parties » du procès-verbal de dires et difficultés.
Ce procès-verbal renseigne également que lorsque les conseils ont été interpellés sur leurs éventuelles remarques quant au fait de savoir si tous les contredits ont bien été actés, Maître Beauvois, conseil de l'appelante, a souligné qu'à son estime les contredits déposés par l'intimé sont hors délais.
Pour déterminer le délai durant lequel les contredits pouvaient être valablement formulés, il convient de s'en référer à l'
article 53bis du Code judiciaire qui prévoit qu'à l'égard du destinataire, les délais qui commencent à courir à partir d'une notification sur support papier sont calculés, lorsque la notification est effectuée par pli recommandé ou par pli simple, depuis le troisième jour ouvrable qui suit celui où le pli a été remis aux services de la poste, sauf preuve contraire du destinataire.
En l'espèce, la notification intervient le 19 septembre 2017, troisième jour ouvrable qui suit le 14 septembre 2017, et le délai pour formuler les contredits commence à courir le 20 septembre 2017 et expire le 19 octobre 2017 (articles 52 et suivants du Code judiciaire).
L'intimé ne peut invoquer que la sommation aurait été irrégulière pour n'avoir pas été adressée aux conseils des parties. En effet, le délai d'un mois prévu à l'article 1223, paragraphe 1er, nouveau du Code judiciaire ne commence à courir qu'à dater de la communication faite aux parties, celles-ci étant seules à la cause et non à dater de la communication faite à leurs conseils. (...) La communication par pli simple de la sommation de prendre connaissance de l'état liquidatif contenant le projet de partage aux conseils des parties n'est en effet prévue qu'à titre informatif, ne donne cours à aucun délai et n'est pas sanctionnée à peine de nullité (Mons, 5 décembre 2017, R.G. n° 2016/TF/519, inédit, cité par Nicolas Gendrin et Dima Karadsheh, « Liquidation-partage », R.P.D.B., Larcier, 2020, p. 89).
L'intimé ne pourrait pas plus invoquer les informations erronées ou incomplètes du notaire pour échapper au respect du délai légal (Cass., 13 décembre 2019 N°
C.18.0234.F statuant sur le pourvoi dirigé contre Mons, 5 décembre 2017 déjà cité). On ajoutera qu'à défaut d'un accord de toutes les parties, le notaire n'a aucun pouvoir pour modifier les délais légalement prévus.
Enfin, l'intimé ne peut soutenir que les courriers qu'il a adressés au notaire et au conseil de l'appelante pour rappeler qu'il avait noté que le dépôt des contredits pouvait intervenir le 31 octobre 2017, et qui sont restés sans réponse, établiraient l'existence d'un accord entre les parties. Le défaut de réponse à ces courriers ne démontre pas l'accord de Fabienne pour aménager le délai légal.
Il suit de ce qui précède que les contredits formulés par l'intimé sont irrecevables et la décision dont appel sera réformée sur ce point.
3.3. |
Quant aux contredits |
(...)
3.3.2. L'écrit de Paul du 29 novembre 2011
Fabienne invoque un document écrit par Paul le 29 novembre 2011 pour justifier un certain nombre de ses revendications.
Il convient d'examiner la nature et la portée de cet écrit avant d'examiner les différentes réclamations.
Fabienne se prévaut d'un écrit dactylographié signé par Paul du 29 novembre 2011, rédigé sur du papier à en-tête de l'intimé, qui est libellé comme suit :
« Fait à (...) le 29 novembre 2011
Je soussigné Paul déclare attribuer à mon épouse Fabienne le tiers de tous nos avoirs connus à la date du 31 décembre 2011 en Belgique ou à l'étranger tant privés que professionnels. Je lui cède donc le tiers de mes parts de la S.P.R.L. Cabinet médical du docteur Paul.
En cas de décès, je souhaite que lui revienne la totalité de l'usufruit de mes biens ».
L'intimé invoque que le fichier informatique contenant ce document est intitulé testament. L'intitulé d'un fichier contenant un document ne permet pas de déterminer la nature de ce document, particulièrement si, comme en l'espèce, cet intitulé ne figure pas sur le document lui-même. Au surplus, il n'est pas démontré que ce document était intitulé comme cela dès le départ, un fichier pouvant être renommé.
Par ailleurs, si la seconde phrase concerne bien des dispositions de type testamentaire, bien que les formes légales de celles-ci ne soient pas respectées, la première phrase, sur laquelle l'appelante fonde ses revendications concerne bien une cession entre vifs.
L'appelante soutient qu'il s'agit d'un écrit constatant le règlement des comptes entre les époux tel que prévu par le contrat de mariage alors que l'intimé invoque qu'il s'agit d'une donation entre époux.
Il convient de constater que cet écrit ne fait référence à aucun compte ni aucune dette entre époux de sorte qu'il ne peut être interprété comme constituant un compte entre époux.
Par ailleurs, cet écrit ne peut constituer une reconnaissance de dette au motif qu'il n'est pas entièrement rédigé par la main de Paul ou ne comporte pas la mention du « bon pour » prévue par l'article 1326 de l'ancien Code civil qui régit l'acte invoqué.
S'agissant d'une cession sans contrepartie, c'est à bon droit que le premier juge considère qu'il s'agit d'une donation, l'absence de contrepartie démontrant l'intention libérale de l'intimé.
Il convient de constater que l'intimé est fondé à révoquer cette donation en application de l'
article 1096 du Code civil qui prévoit que toutes donations faites entre époux pendant le mariage autrement que par contrat de mariage seront toujours révocables et qu'il entend faire usage de ce droit.
Contrairement à ce que soutient Fabienne, le moyen soulevé par Paul pour la première fois au terme de ses dernières conclusions d'instance n'est pas irrecevable. En effet, en ce qui concerne les parts de société, le notaire, dans son état liquidatif, considérait que « si la thèse de la créance entre époux est admise, il faut estimer la valeur de la société en 2011 » et relevait que la valeur des parts sociales tenait compte des biens immobiliers compris dans la société. Ce faisant, le notaire ne prenait pas position sur ce point et l'appelante l'a d'ailleurs bien compris puisqu'elle relève dans sa note de contredits que « le notaire renvoie cette question au tribunal, mais ne rejette pas, a priori, l'admissibilité de ladite créance ». Le moyen de révocation est donc soulevé à titre de défense dans le cadre de la procédure judiciaire et ne constitue pas un contredit de sorte qu'il est parfaitement recevable.
Il y a donc lieu de constater que l'intéressé a révoqué cette donation.
3.3.3. Les parts de société
L'appelante prétend avoir droit à la valeur correspondant à un tiers des actions de la S.P.R.L. Cabinet médical du docteur Paul.
Ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, elle ne peut fonder sa réclamation sur l'écrit du 29 novembre 2011.
Elle invoque également la théorie de l'enrichissement sans cause.
Elle estime qu'elle a investi sa vie professionnelle à sa famille sans rien en conserver et qu'elle a investi ses prestations économiques, matérielles et financières ainsi que logistiques permettant à l'intimé de se consacrer à sa carrière.
Elle en conclut qu'elle a contribué à 100 pour cent de sa capacité alors qu'elle ne reçoit rien du patrimoine acquis par l'intimé et qu'il y a une disproportion entre les contributions de chacun et la répartition du patrimoine à l'issue de la liquidation du régime matrimonial, de sorte qu'il y a bien appauvrissement dans son chef et un enrichissement corrélatif de Paul.
Il convient de rappeler que la théorie de l'enrichissement sans cause exige la réunion des conditions suivantes :
-
il faut un appauvrissement du sujet de droit qui pourra agir de in rem verso,
-
se trouvant en relation causale,
-
avec l'enrichissement du défendeur à l'action,
-
cet appauvrissement et cet enrichissement devant être l'un et l'autre sans cause,
-
l'action doit présenter un caractère subsidiaire.
L'existence de l'enrichissement tout comme celle de l'appauvrissement doit être appréciée au regard d'une situation d'ensemble, de l'organisation générale de la vie du couple et des choix et objectifs que les ex-époux ont posés pour cette organisation, des investissements réciproques, en temps et en argent, qu'ils ont chacun effectués en fonction de ces choix et objectifs et il convient de déterminer s'il existe une disproportion entre leurs apports ou prestations (Liège, 11 mars 2015, R.G.D.C., 2016/2, p. 93).
Si la théorie de l'enrichissement sans cause doit être admise sur le principe toutes les fois où il est avéré que les investissements émanant du patrimoine d'un des époux créent, de manière durable et irréversible, un droit de propriété ou une plus-value dans le patrimoine de l'autre époux exclusivement et d'autre part que l'enrichissement échappe au domaine des charges du ménage et que la restitution doit être présumée en pareilles circonstances, cela n'est pas le cas lorsque l'on observe soit l'hypothèse de circonstances spécifiques dont il résulte une volonté de l'appauvri d'avoir, en connaissance de cause, investi à « fonds perdus », soit l'hypothèse d'investissements consentis par un des époux qui peuvent, d'une certaine manière, avoir été amortis notamment par d'éventuelles formes de compensations intervenues.
En matière familiale, l'existence d'un enrichissement doit être appréciée, tout comme celle de l'appauvrissement, au regard de l'ensemble de la situation des ex-époux ou concubins, au regard de l'organisation générale de la vie du couple, des investissements réciproques en temps et en argent qu'ils ont chacun effectués en fonction de leurs choix et de leurs objectifs. Le juge doit, pour déterminer si les conditions d'enrichissement et d'appauvrissement sont remplies, constater une éventuelle disproportion entre les apports (financiers, économiques et matériels) de l'un et de l'autre des partenaires, et ce au regard de l'ensemble de la vie du couple.
La simple inégalité des prestations est insuffisante à fonder l'excès contributif d'un partenaire dans les charges du ménage. Dans les faits, si l'un des partenaires s'abstient de participer aux dépenses ménagères, la contribution de l'autre partenaire a fortiori plus importante n'est pas pour autant excessive. Elle ne le deviendra que s'il prouve que sa participation a excédé soit ses facultés, soit les charges normales du ménage.
La restitution due par l'enrichi est doublement limitée : elle ne peut dépasser ni le montant de l'enrichissement, ni celui de l'appauvrissement. L'indemnité correspondra donc au montant le plus faible entre l'enrichissement et l'appauvrissement.
Il y a lieu de rappeler qu'en vertu de l'
article 870 du Code judiciaire, chacune des parties a la charge de prouver les faits qu'elle allègue.
En l'espèce, l'appelante ne démontre pas s'être appauvrie. Elle a certes contribué aux charges du ménage tant financièrement que matériellement mais il n'est pas démontré, ni même prétendu, que l'intimé n'aurait pas contribué en proportion de ses facultés. Le fait que l'intimé ait pu, après avoir ainsi contribué aux charges du ménage, se ménager des économies résulte du régime matrimonial adopté par les parties.
Par ailleurs, l'appelante ne démontre pas que la société dont son mari est le seul associé se serait enrichie grâce à ses prestations, permettant ainsi indirectement l'enrichissement de l'intimé. Le fait que l'immeuble conjugal ait été apporté à la société relève d'un choix des parties qui entendaient ainsi optimiser leur situation fiscale.
Enfin, il sera tenu compte de la valeur de cet immeuble ci-dessous de sorte que ce motif d'enrichissement ne pourrait être pris en compte dans le cadre de la valeur des parts de la société sous peine de faire double emploi.
Il suit de ce qui précède que l'appelante ne démontre pas que les conditions de l'enrichissement sans cause sont réunies et la décision dont appel sera confirmée sur ce point.
(...)
Dispositif conforme aux motifs,
Siég. : M. R. Gérard, Mmes J. Baiverlin et E. Lahaye.
Greffier : M. Ph. Dizier. |
Plaid. : MesA. Beauvois et Ph. Levy. |