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12/11/2020
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Tribunal civil francophone Bruxelles (chambre des référés), 12/11/2020


Jurisprudence - Droit public et administratif

J.L.M.B. 21/123
I. Pouvoir judiciaire - Référé - Suspension d'un acte administratif - Compétence discrétionnaire d'une autorité communale - Séparation des pouvoirs - Protection des droits subjectifs.
II. Action en justice - Pouvoirs publics - Communes - Intérêt à agir.
III. Voirie - Aménagement du territoire - Circulation routière - Pouvoir de police - Conséquences sur le territoire d'une autre commune - Erreur manifeste d'appréciation.
1. L'exercice d'une compétence discrétionnaire par une autorité communale n'a pas pour effet de faire obstacle de manière absolue à toute compétence du juge des référés lorsque cet exercice de celle-ci semble porter atteinte de manière fautive aux droits subjectifs d'une autre autorité communale.
2. Chargée d'assurer tout ce qui est d'intérêt communal en vertu de l'article 41 de la Constitution, une commune trouve dans cette compétence un intérêt propre, distinct de l'intérêt général.
3. L'autorité communale qui, alors qu'elle ne peut ignorer les inconvénients majeurs causés par sa décision sur le territoire d'une autre commune, s'abstient de les prendre en considération, commet une erreur manifeste d'appréciation.

(La commune d'Uccle / La ville de Bruxelles et la région de Bruxelles-Capitale )


(...)
III. Quant à notre pouvoir de juridiction
38. La ville de Bruxelles conteste la compétence du pouvoir judiciaire considérant que la commune d'Uccle ne peut se prévaloir d'un droit subjectif à l'égard de la ville et lui conteste les droits subjectifs invoqués, à savoir :
  • de faire jouir ses habitants d'une bonne police, notamment de la sécurité et de la tranquillité dans les rues ;
  • d'exercer une politique de la circulation et une politique de la mobilité conforme à l'intérêt communal ;
  • de ne pas subir un dommage au sens des articles 1382 et suivants du Code civil ;
  • de jouir de son droit de propriété sur ses voiries communales ;
  • de bénéficier de son droit fondamental, comme tout sujet de droit, à la transparence administrative (article 32 de Constitution).
La région de Bruxelles-Capitale rejoint la ville de Bruxelles dans sa position et considère qu'en l'absence de compétence liée dans chef de cette dernière, s'agissant d'une compétence discrétionnaire, il convient d'examiner l'objet réel de l'action et soutient, à cet égard, que l'objet réel de la présente action tend à la suspension et/ou l'annulation de l'ordonnance temporaire de police des 3 et 10 septembre 2020 prise par la ville de Bruxelles.
39. Il convient de rappeler que le juge doit veiller au respect du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs et doit aussi tenir compte de ce principe à divers stades de son raisonnement, à savoir :
  • de l'examen du pouvoir de juridiction dont dispose le tribunal pour connaître de la cause,
  • de l'examen de la nature de la demande formulée, au regard du prescrit de l'article 6 du Code judiciaire (voy. Bruxelles (9e ch.), 21 février 2014, J.T., 2015, p. 79 ; Bruxelles (2e ch.), 12 septembre 2014, J.T., 2015, p. 74),
  • de l'examen des mesures concrètes à prononcer envers l'autorité administrative.
40. Au stade actuel de notre raisonnement, il nous appartient uniquement de vérifier notre pouvoir de juridiction. L'examen de la nature et du bien-fondé des mesures sollicitées interviendra, le cas échéant, dans un second temps.
41. L'article 584 du Code judiciaire dispose que « le président du tribunal de première instance statue au provisoire dans les cas dont il reconnaît l'urgence, en toutes matières, sauf celles que la loi soustrait au pouvoir judiciaire ».
En effet, l'article 144 de la Constitution confère au pouvoir judiciaire la compétence exclusive de connaître des demandes qui portent sur des droits subjectifs de nature civile - la loi pouvant, selon les modalités qu'elle détermine, habiliter le Conseil d'État ou les juridictions administratives fédérales à statuer sur les effets civils de leurs décisions. Dès lors, les cours et tribunaux de l'ordre judiciaire sont compétents tant pour prévenir que pour réparer une lésion illicite à ces droits.
Les tribunaux de l'ordre judiciaire connaissent des litiges qui portent sur des droits subjectifs (« Relèvent de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire l'ensemble des recours qui tendent à protéger un droit subjectif de l'administré à l'égard d'une personne de droit public », D. Renders, Droit administratif général, 2e éd., Bruylant, 2017, p. 540, n° 918).
Il faut, pour déterminer si les cours et tribunaux ont pouvoir de juridiction, prendre en considération l'objet véritable du litige et vérifier si celui-ci tend à obtenir le respect d'un droit subjectif.
42. Nous rappelons que, dans la sphère limitée de l'urgence et du provisoire, le juge des référés a le pouvoir de juridiction pour donner injonction à l'autorité administrative lorsque celle-ci semble manifestement porter fautivement atteinte à un droit subjectif et pour imposer ou interdire certains actes lorsqu'il conclut raisonnablement que l'administration n'a pas agi dans le cadre des limites dans lesquelles elle doit intervenir.
À cet égard, il n'y a pas lieu de distinguer selon que les mesures critiquées sont le fait d'une compétence discrétionnaire ou d'une compétence liée, l'autorité administrative étant tenue de se conformer aux lois sensu lato et de respecter les droits subjectifs qu'elles confèrent, même dans l'exercice d'une compétence discrétionnaire.
En effet, lorsqu'elle dispose d'une compétence discrétionnaire, l'autorité administrative est tenue de se conformer aux lois sensu lato et de respecter les droits subjectifs qu'elles confèrent (en ce sens Cass., 3 janvier 2008, n° C.06.322.N ; Cass., 4 mars 2004, Pas., 2004, I, n° 124 avec les conclusions de l'avocat général Dubrulle, spéc. p. 376, à propos de la violation d'un droit de propriété par une décision administrative discrétionnaire).
Dès lors, le juge des référés peut, sans attenter à la séparation constitutionnelle des pouvoirs et dans la sphère limitée de l'urgence et du provisoire, faire toute injonction appropriée à l'administration, lorsque celle-ci semble porter fautivement atteinte à un droit subjectif.
Tel est le cas lorsqu'une autorité administrative est légalement tenue de respecter une obligation déterminée et, que ne s'exécutant pas, elle lèse l'intérêt légitime d'un administré.
À la condition de ne pas porter préjudice au fond, le juge des référés peut imposer ou interdire certains actes lorsqu'il conclut raisonnablement que l'administration n'a pas agi dans le cadre des limites dans lesquelles elle doit intervenir (en ce sens, notamment, Cass., 4 mars 2004, R.G. C.030448.N, cité par l'État belge et conclusions de l'avocat général Dubrulle) et, dès lors, lorsqu'il constate qu'un droit subjectif est menacé par une décision administrative ou l'acte d'une autorité administrative.
43. Il ressort des éléments portés à notre connaissance que la présente action n'a pas pour objet d'aboutir à l'annulation et/ou la suspension de l'ordonnance querellée, ce qui relèverait de la seule compétence du Conseil d'État, mais de prévenir ou de faire cesser la lésion des droits subjectifs invoqués par la demanderesse et les parties intervenantes volontaires (droit à un environnement sain, préjudice économique) que l'illégalité de l'ordonnance querellée leur causerait.
Le caractère subjectif des droits invoqués n'est pas contestable et les considérations élevées par les deux défenderesses procèdent du fondement desdits droits et non de la question de la compétence, seule analysée à ce stade. Il ne peut être dénié que la commune d'Uccle en tant que personne morale de droit public bénéficie de droits subjectifs en lien avec son patrimoine mais également l'exercice de ses compétences, ce qui est le cas en l'espèce.
L'exercice d'une compétence discrétionnaire par la ville Bruxelles n'a pas pour effet de faire obstacle de manière absolue, comme les deux défenderesses l'avancent, à toute compétence du juge des référés lorsque l'exercice de celle-ci semble porter atteinte de manière fautive aux droits subjectifs de la demanderesse et des parties intervenantes volontaires.
44. Nous avons donc pouvoir de juridiction pour en connaître.
IV. Quant à la recevabilité (intérêt à agir)
Rappel des principes

« L'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas qualité et intérêt pour la former ».

L'intérêt consiste en tout avantage, matériel ou moral, effectif mais non théorique que le demandeur peut retirer de la demande au moment où il la forme. C'est à ce moment qu'il s'apprécie (Cass., 4 décembre 1989, Pas., 1990, I, p. 414, Cass., 24 avril 2003, R.G. C.00.0567.F et C.01.0004.F).
L'intérêt doit être légitime (Cass., 14 mai 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1084), concret, personnel et direct, né et actuel.
Le caractère concret de l'intérêt à agir nécessite que le litige présente une effectivité suffisante pour le demandeur dès lors qu'un intérêt théorique est insuffisant (Bruxelles, 6 février 1997, Pas., 1996, Il, p. 18).
Son droit subjectif fut-il contesté, la partie au procès qui se prétend titulaire d'un droit a l'intérêt et la qualité pour introduire une demande en justice, l'examen de l'existence ou de la portée du droit subjectif invoqué relève non pas de la recevabilité mais du bien-fondé de la demande (Cass., 26 janvier 2017, J.L.M.B., 2017/33, p. 1557 ; Cass., 16 novembre 2007, Pas., 2007, p. 2043 ; Cass., 26 février 2005, J.T., 2005, p. 437.).
Il suffit, pour qu'il y ait intérêt à agir de prétendre à la titularité d'un droit subjectif lequel ne se confond justement pas avec cet intérêt (G. De Leval, Droit judiciaire, Tome 2, Manuel de procédure civile, Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 80, n° 2.6.). En réalité, « quand bien même l'action paraît irrémédiablement vouée à l'échec, le demandeur a intérêt à l'exercer dès lors que son improbable succès lui procurerait un avantage quelconque. L'action est en effet ouverte - du moins dans les actions banales - dès que l'on cherche à obtenir du juge l'octroi d'un avantage personnel » (L. Mayer, note sous Cass. fr., 10 juillet 2013, Gaz. Pal., 8-10 décembre 2013, p. 22.)
L'action de la commune d'Uccle
46. La ville de Bruxelles et la région de Bruxelles-Capitale contestent l'intérêt à agir de la commune d'Uccle au motif que celle-ci n'invoquerait pas un intérêt propre et agirait pour compte des intérêts individuels de ses administrés ce qui reviendrait à considérer que son action s'inscrirait dans le cadre d'une « class action » qui n'est pas reconnue en droit belge.
47. La commune d'Uccle soutient qu'étant chargée d'assurer tout ce qui est d'intérêt communal en vertu de l'article 41 de la Constitution, elle a un intérêt à agir en vue de la sauvegarde de celui-ci ; elle s'appuie également sur l'article 135, paragraphe 2, alinéa 1er, de la nouvelle loi communale qui dispose :

« les communes ont pour mission de faire jouir les habitants des avantages d'une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics ».

Il ressort des éléments de la cause que la commune d'Uccle agit dans le cadre d'une atteinte portée à ses droits subjectifs en raison de l'adoption de l'acte administratif querellé de la ville de Bruxelles qui a des effets sur les voiries communales d'Uccle notamment via les « débits de fuite ».
La commune d'Uccle se prévaut donc d'un intérêt propre et la sauvegarde de l'intérêt communal en question ne se confond pas avec l'intérêt général.
Enfin, la question de la reconnaissance de ces droits importe peu à ce stade et touche au fondement des demandes et non à leur recevabilité.
48. L'action est donc recevable.
L'action des parties intervenantes volontaires
49. La ville de Bruxelles et la région de Bruxelles-Capitale contestent également la recevabilité des requêtes en intervention au motif qu'elles ne répondraient pas au prescrit de l'article 813 du Code judiciaire.
Pour rappel, l'article 813 du Code judiciaire dispose en son alinéa 1er :

« L'intervention volontaire est formée par requête, qui contient, à peine de nullité, les moyens et conclusions ».

La sanction visée dans cette disposition relève d'une problématique de nullité et donc de validité de l'acte et non de recevabilité.
Ceci étant précisé, l'article 861 du Code judiciaire dispose :

« Le juge ne peut déclarer nul un acte de procédure ou sanctionner le non-respect d'un délai prescrit à peine de nullité que si l'omission ou l'irrégularité dénoncée nuit aux intérêts de la partie qui invoque l'exception.

Lorsqu'il constate que le grief établi peut être réparé, le juge subordonne, aux frais de l'auteur de l'acte irrégulier, le rejet de l'exception de nullité à l'accomplissement de mesures dont il détermine le contenu et le délai au-delà duquel la nullité sera acquise ».

Il s'ensuit que les parties qui soulèvent pareille exception doivent démontrer que l'irrégularité invoquée leur cause un grief les empêchant de faire valoir leurs droits au cours de la procédure.
À cet égard, les parties défenderesses ont pu répondre aux éléments de faits contenus dans les requêtes en intervention volontaire des trois premières demanderesses dans leurs premières conclusions des 2 octobre 2020 pour la ville de Bruxelles et du 8 octobre 2020 pour la région de Bruxelles-Capitale ainsi que dans leurs dernières conclusions déposées le 17 octobre 2020.
Quant aux quatrièmes parties intervenantes, leur requête en intervention volontaire de nature conservatoire déposée le 15 octobre 2020 s'en réfère aux éléments de faits repris dans la citation introductive d'instance auxquels les parties défenderesses ont largement pu répondre.
Dans ces circonstances, les requêtes en intervention volontaires sont valables.
50. Les parties défenderesses contestent l'intérêt à agir des parties intervenantes volontaires.
51. Les parties intervenantes agissent en qualité de personnes physiques, morales et personnes morales de droit public (la Commune de Rhode-Saint-Genèse) et l'action qu'elles mènent en intervenant à la cause de manière conservatoire et agressive pour les trois premières est de nature à avoir une incidence concrète sur leur situation au regard des droits subjectifs qu'elles invoquent (droit à une environnement sain , droit économique).
En effet, les parties intervenantes agissent en qualité de riverains du Bois, d'entreprises qui exercent leurs activités commerciales aux alentours du Bois, de personnes physiques qui doivent se rendre dans la zone litigieuse pour y exercer leur activité professionnelle ; pour la Commune de Rhode-Saint- Genèse, la boucle sud du Bois est une voie de communication « cruciale » vers et au départ de Bruxelles.
52. Dans le cadre des interventions conservatoires et agressives des trois premières intervenantes, il s'avère qu'elles font valoir un droit propre, distinct de celui de la demanderesse et qu'en ce qui concerne la quatrième partie intervenante, son intervention est conservatoire de sorte qu'elle lie son sort à celui de la demanderesse en manière telle que la sauvegarde d'une droit éventuel ou conditionnel est suffisant [1], ce qui est le cas en l'espèce.
53. L'ensemble des interventions volontaires est donc recevable.
V. Quant à l'urgence
a. Recevabilité
54. La procédure en référé est une procédure d'exception en ce sens qu'elle ne peut aboutir que pour autant que les conditions précisées à l'article 584 du Code judiciaire soient remplies, notamment la condition relative à l'urgence.
L'urgence constitue à la fois une condition de la compétence d'attribution du juge des référés et un élément constitutif du fondement de la demande portée devant lui [2].
55. Nous sommes compétents pour connaître d'une demande formulée en référé sur la base de l'article 584 du Code judiciaire dès lors que l'urgence est invoquée dans la citation, ce qui est le cas en l'espèce.
b. Fondement
56. Étant une condition générale de la mise en oeuvre des référés, l'urgence touche à l'ordre public et doit, en conséquence, être vérifiée d'office par le juge [3].
L'urgence est une question de fait laissée à l'appréciation souveraine du juge du fond [4].
En règle, il y a urgence dès que la crainte d'un préjudice grave difficilement réparable en tous ses aspects et susceptible de le devenir d'avantage, voire d'inconvénients sérieux, rend une décision immédiate souhaitable [5].
Le juge des référés apprécie l'urgence au moment où il statue.
57. En l'espèce, il y a lieu de rappeler que la ville de Bruxelles a pris une ordonnance temporaire de police des 3 et 10 septembre 2020 ayant pour objet la mise en oeuvre d'une phase test du scénario 3 relatif à la circulation au sein de Bois de la Cambre du 14 septembre 2020 au 15 novembre 2020.
Pour rappel, le scénario 3 ainsi testé prévoit de fermer à la circulation la boucle sud et mettre en double sens l'avenue de Diane entre l'avenue Louise et l'avenue Defré avec accès à l'avenue Churchill, le reste de la boucle nord et l'intégralité de la boucle sud étant fermés à la circulation automobile, toutes les rues du Bois de la Cambre restant fermées le dimanche et ses variantes telles qu'avec 1 ou 2 rangées de stationnement.
58. La ville de Bruxelles et la région de Bruxelles-Capitale contestent l'urgence au motif que l'ordonnance temporaire de police querellée est applicable pour une brève durée déterminée de deux mois et que le test du scénario 3 est destiné à examiner sa faisabilité.
La partie demanderesse et les parties intervenantes soutiennent que ces mesures temporaires ont, au contraire, vocation à devenir définitives et leur cause, par conséquent, un préjudice grave difficilement réparable.
59. À cet égard, en pages 45 et 46 de ses conclusions additionnelles et de synthèse, la ville de Bruxelles écrit, au sujet de l'évaluation de la phase test, que :

« La mesure a fait l'objet d'une évaluation intermédiaire, le 14 octobre 2020, à l'occasion d'une réunion organisée par la ville en présence des communes jusque-là consultées, dont la commune d'Uccle. Il en résulte qu'à mi-parcours, le test est positif aux yeux de la Ville. Elle a donc demandé aux communes de faire part de leurs propositions (demande de changement, d'adaptation, d'amélioration) ».

Ce constat rejoint celui déjà énoncé en page 14 de ces mêmes conclusions suite au rapport de la STIB du 24 septembre 2020 à savoir :

« L'impact de la mesure est globalement positif et les difficultés rencontrées ne sont pas nouvelles et ne sont donc pas directement en relation causale avec l'ordonnance litigieuse ».

Ces considérations sont à mettre en lumière avec les déclarations de la ministre de la Mobilité devant le Parlement bruxellois le 29 septembre 2020 qui précisait « Il est important de rappeler que nous sommes dans une phase de test. Si cette phase produit des résultats négatifs, nous procéderons naturellement à des adaptations sur la base des enseignements tirés des analyses et des avis d'experts, comme nous le faisons pour tous les autres projets mis en oeuvre au niveau régional. Ce test n'est donc pas qu'une parole en l'air ».
Or, il ressort de ce qui précède que la ville de Bruxelles semble considérer que la mesure est globalement positive sur la base des éléments qu'elle a recueillis et que des propos tenus par la ministre, il s'avère que ce ne serait qu'en cas de « résultats négatifs » que des adaptations seraient envisagées, ce qui ne semble pas le cas au vu de l'appréciation positive de la ville de Bruxelles.
Il peut se déduire des positions adoptées par la ville de Bruxelles et la région de Bruxelles-Capitale que si les résultats sont positifs, il n'y aura pas d'autres scénarios envisagés.
Il y a aussi lieu de rappeler que, dès l'entame de la concertation, le document de présentation destiné à la réunion du 8 juillet 2020 préparé par la ville de Bruxelles contenait un slide « Adaptations à venir » reprenant déjà la solution actuellement mise en oeuvre et ce avant que les 5 scénarios soient présentés à la discussion.
Par ailleurs, il ne ressort d'aucune pièce des dossiers produits que les autorités compétentes pour l'aménagement de la circulation au sein de Bois de la Cambre envisagent de tester d'autres scénarios en vue de comparer les tests de chacun d'eux. Il n'est, de plus, pas annoncé par la ville de Bruxelles qu'à l'issue de la phase test, le 15 novembre 2020, d'autres scénarios seraient envisagés, aucun élément n'est avancé à ce sujet.
Le risque de voir la mise en oeuvre de la phase test du scénario 3 se pérenniser après l'échéance du 15 novembre 2020 est, contrairement à ce qu'allèguent les deux parties défenderesses, plus qu'hypothétique à ce stade.
60. En outre, le risque de préjudice grave difficilement réparable existe au jour où Nous statuons et ce sous un double aspect.
Tout d'abord, il ne peut être éludé, ce qu'aucune partie ne conteste, que les mesures adoptées par la ville de Bruxelles concernant le Bois, depuis le mois de mars 2020, s'inscrivent dans un contexte particulier lié à la crise sanitaire qui, en raison des mesures de confinement et de déconfinement, a eu un impact non négligeable sur la mobilité sachant que tous les secteurs d'activités (école, commerces, etc.) ont été ralentis en raison de la mise en oeuvre du télétravail de manière presque généralisée.
La situation actuelle ne correspond pas aux conditions antérieures au mois de mars 2020 quant au flux de véhicules en provenance du Sud de Bruxelles. S'en tenir à des constations tirées lors d'une période exceptionnelle sinon anormale pour évaluer une modification de la circulation au sein du Bois à des fins pérennes paraît biaisé.
Et, cette circonstance constitue un préjudice grave difficilement réparable si ces constats en période de crise sanitaire devaient mener au positionnement définitif du scénario 3 dont la ville de Bruxelles et la région de Bruxelles-Capitale ne semblent pas s'écarter.
Ensuite, la commune d'Uccle et les parties intervenantes volontaires font état de la congestion des voiries sises sur le territoire de la commune d'Uccle et des conséquences des « débits de fuite » dans les quartiers résidentiels, ce que la commune d'Uccle établit à suffisance par les rapports de police de la zone Uccle/W.-B./Auderghem des 21 septembre et 13 octobre 2020 auxquels nous renvoyons (points 28 et 31 de la présente ordonnance).
61. Enfin, quant à la diligence de la partie demanderesse à intenter la présente action, il ressort des éléments de la cause que, si dès le départ, la commune d'Uccle a manifesté sa désapprobation au regard des mesures prises par la ville de Bruxelles, il s'avère que durant les vacances d'été les parties ont entamé une phase de concertation en vue d'échanger autour de plusieurs scénarios et qu'il ne peut être reproché à la partie demanderesse et aux parties intervenantes de ne pas avoir agi avant l'adoption de l'ordonnance querellée qui a mis en oeuvre la phase test du scénario choisi à savoir le 3.
La partie demanderesses a agi avec diligence en introduisant la présente procédure le 22 septembre 2020.
62. L'urgence est, par conséquent, établie à suffisance de droit.
V. Quant à l'apparence de droit
63. Le juge des référés doit se limiter à une appréciation sommaire et superficielle du caractère sérieux de la demande. Il statue de manière précaire, prima facie, sur les arguments relatifs au bien-fondé de la demande.
64. La commune d'Uccle soutient, appuyée en ce sens par les parties intervenantes, que l'ordonnance temporaire de police des 3 et 10 septembre 2020 lui porte préjudice en raison de l'illégalité dont elle serait affectée.
65. À cet effet, un premier grief est tiré de l'erreur manifeste d'appréciation.
Pour contester la violation de ce principe, la ville de Bruxelles rappelle le but poursuivi à savoir :

« de répondre au besoin d'espaces verts et de détentes, d'exploiter le potentiel du Bois de la Cambre en tant qu'espace vert et de participer ainsi au rayonnement et l'attractivité régionale. Plus précisément, l'ordonnance querellée vise à tester le scénario choisi afin de déterminer si celui-ci permet de garantir un équilibre entre les besoins de mobilité et les autres fonctions du parc [6] ».

La ville de Bruxelles ajoute que le choix porté sur le scénario 3 s'inscrit dans cet objectif.
Cependant, le Bois de la Cambre abrite aussi des voies circulables qui constituent une voie d'accès importante pour le Sud de Bruxelles pour les navetteurs qui résident dans les communes limitrophes mais aussi pour ceux provenant des Communes sises en Région flamande à savoir de Rhode-Saint-Genèse, Linkebeek, Hoeilaart et sises en Région Wallonne à savoir Waterloo et Braine-l'Alleud.
Si la ville de Bruxelles dispose de la gestion administrative de la circulation automobile sur son territoire, il est cependant indéniable que toute mesure prise quant à la circulation au sein du Bois de la Cambre impacte la circulation des communes avoisinantes. L'axe majeur pour le sud de Bruxelles que représente le Bois de la Cambre, caractéristique qui ne lui est pas déniée par les parties, ne peut être envisagé quant à sa mobilité au regard des seules limites territoriales de la ville de Bruxelles sans tenir compte des implications sur les voiries des autres territoires communaux, dont celui de la commune d'Uccle.
Si le but poursuivi par la ville de Bruxelles d'aménager une mobilité douce au sein du Bois de la Cambre peut se concevoir, il n'apparaît, prima facie, que le choix du scénario 3 avec une fermeture de la boucle sud (à l'exception du passage du bus 41) ait été posé en prenant en considération les intérêts communaux d'Uccle de ne pas voir l'accès à la boucle sud fermé, ce que la commune a exprimé à de multiples reprises.
La mise en oeuvre du scénario 3 démontre, prima facie, un ensemble d'inconvénients qui peuvent être qualifiés de majeurs sur la base des constations des rapports de la zone de police Uccle/W.-B./Auderghem, à savoir que :

« - la situation actuelle s'apparente à celle de la fermeture du Bois en période de tempête dont on sait qu'elle génère de gros problèmes de circulation. À la différence que le nombre d'automobilistes est moindre à l'heure actuelle ;

- Un monitoring régulier montre des congestions importantes à de nombreux moments de la journée avec un pic aux heures de pointes et notamment sur des voiries secondaires permettant d'éviter la chaussée de Waterloo. Avec des reports en cascade sur des axes du centre d'Uccle. Il apparaît également que les automobilistes quittent l'avenue Louise plus en amont sur Ixelles afin d'éviter le Bois et la Chaussée de Waterloo.

- En fonction des moments, depuis le début de la phase test, la zone de police Uccle/W.- B./Auderghem déploie entre 6 et 14 policiers pour encadrer la circulation autour du Bois de la Cambre. Ceux-ci sont présents le matin et l'après-midi sur les carrefours Churchill/Waterloo, Waterloo/De Fré, Hulpe/Lorraine, Waterloo/Hulpe, Montana/Waterloo et Latérale/Waterloo. Cette présence se fait au détriment d'autres missions urgentes ou non.

- Le report de circulation se fait en grande partie sur des quartiers qui ne sont pas prévus pour absorber la circulation. Les infrastructures ne sont pas prévues et génèrent de conflits entre les différents modes de transport et une insécurité pour les plus vulnérables ».

Il ne ressort pas des nombreuses réunions de concertation préalables que ces aspects aient été envisagés ni pris en compte par la ville de Bruxelles qui ne pouvait ignorer les conséquences qu'impliquaient la fermeture du Bois sur la mobilité à ses alentours dès lors qu'elle y avait déjà été confrontée lorsqu'il s'agissait de le fermer en cas d'intempéries.
En s'abstenant de prendre en considération ces inconvénients majeurs dont elle ne pouvait ignorer l'existence et en les ignorant, en réalité, purement et simplement, la ville de Bruxelles a, prima facie, commis une erreur manifeste de manifestation.
66. En outre, choisir de procéder à la phase test du scénario 3 au coeur de la crise sanitaire paraît, prima facie, manifestement déraisonnable. En effet, le rapport de police de la zone de Police Uccle/W.-B./Auderghem relève que :

« - Les résultats concernent une période que l'on peut difficilement mettre en perspective avec la situation antérieure pour plusieurs raisons :

• Le recours au télétravail est encore massivement à l'ordre du jour pour beaucoup de travailleurs, institutions, ...

• Les conditions météorologiques estivales ont contribué à un report modal qui ne sera plus identique dans les prochaines semaines.

• Les effets d'annonce induisent intuitivement un changement de comportement des automobilistes qui évitent le secteur identifié comme problématique. Ce changement est rarement définitif et s'amenuisera dans les semaines et mois suivants.

(...)

- Certaines mesures ont été réalisées dans l'urgence au début du mois de septembre mais la situation est en tout point différente de celle des années antérieures car le Bois de la Cambre est déjà fermé depuis plusieurs mois. Il n'y a donc pas vraiment de sens à comparer la situation de début septembre 2020 à celle d'un mois plus tard en octobre 2020 ;

(...)

- La décision de fermeture du Bois de la Cambre a été prise durant la phase de déconfinement de sorte que ni la zone de police Uccle/W-B/Auderghem, ni Bruxelles-Mobilité ni aucun autre opérateur public ne dispose de données objectives antérieures à la décision. Quelques comptages parcellaires existent mais ils sont trop peu nombreux. À cela s'ajoute que personne ne dispose de comptages pour les rues et quartiers avoisinants, souvent à vocation résidentielle qui sont fortement impactés par le report de circulation » (rapports des 21 septembre et 13 octobre 2020).

Retenir des données de comptage relevées durant la crise sanitaire uniquement, aux fins d'évaluation d'une phase test d'un plan de circulation d'une ampleur telle que celui qui doit être appliqué au Bois de la Cambre et en vue de sa pérennisation n'est, en apparence, pas un choix raisonnable ni même prudent. En agissant de la sorte, la ville de Bruxelles a également, prima facie, commis une erreur manifeste d'appréciation.
67. Enfin, l'ordonnance temporaire de police des 3 et 10 septembre 2020 indique, en son préambule, que « ledit scénario correspond au Plan Régional de Mobilité "Good Move".
Selon les deuxièmes parties intervenantes, la fermeture du Bois de la Cambre ordonnée par l'acte administratif querellé ne respecterait pas le Plan Régional de Mobilité (ci-après « P.R.M. ») « Good Move » approuvé le 5 mars 2020 en deuxième lecture par le gouvernement de la région de Bruxelles-Capitale.
Ce plan contient des prescriptions à valeur indicative mais également à valeur réglementaire en application de l'ordonnance du 26 juillet 2013 [7] instituant un cadre en matière de planification de la mobilité et modifiant diverses dispositions ayant un impact en matière de mobilité.
Le volet réglementaire du P.R.M. « Good Move » en son titre III « Prescriptions relatives à la qualité des réseaux de mobilités » aborde et détaille la spécialisation modale des voiries en ses articles 11 et 12 comme suit :

« 11. La spécialisation multimodale des voiries vise à offrir un réseau performant pour chaque mode tout en facilitant les arbitrages nécessaires lors de la conception des voiries et espaces publics.

12. La spécialisation multimodale des voiries est articulée selon les trois catégories Plus, Confort et Quartier et ce, pour chacun des modes suivants : piéton, vélo, transport public (T.P.), auto et poids lourd (P.L.).

1° La catégorie Plus est constituée d'itinéraires principaux, rapides, performants et confortables destinés aux déplacements de longues distances au sein de la zone métropolitaine et de la Région ;

2° La catégorie Confort est constituée d'itinéraires de liaison fiables, lisibles et adaptés à une desserte plus fine des différentes parties du territoire régional ;

3° La catégorie Quartier assure une desserte de proximité des quartiers.

Tout projet portant sur les voiries Plus et Confort de chaque réseau est d'intérêt régional, dans le respect des compétences du gestionnaire de voirie ».

Le chapitre 4 du titre III « Les cartes de la spécialisation multimodale des voiries » précise en ses articles 49 et suivants ce qui suit :

« 49. Afin de faciliter la mise en oeuvre du Plan régional de mobilité, le gouvernement élabore, en concertation avec les parties prenantes, dont les communes, et approuve les cartes de la spécialisation multimodale des voiries.

50. Les cartes de la spécialisation multimodale des voiries précisent la localisation des réseaux de mobilité du Plan régional de mobilité.

51. Les cartes de la spécialisation multimodale des voiries peuvent être adaptées :

• dans le cadre des plans communaux de mobilité tels que définis dans l'ordonnance du 26 juillet 2013 ;

• dans le cadre des contrats locaux de mobilité tels que définis dans le Plan régional de mobilité ; et

• d'initiative par le gouvernement.

52. Une version actualisée des cartes de la spécialisation multimodale des voiries est mise à disposition sur le site internet de Bruxelles Mobilité ».

La carte de spécialisation multimodale des voiries du site de Bruxelles Mobilité visée à l'article 52 et déposée en pièce 4.2 du dossier des deuxièmes parties intervenantes fait apparaître que :
  • la chaussée de la Hulpe dans sa partie est traversant le Bois de la Cambre est considérée comme une voirie « Auto Plus » ;
  • la chaussée de Waterloo est considérée comme une voirie « Auto Confort » ;
  • la boucle Sud du Bois de la Cambre constituée de l'avenue du Brésil et de l'avenue de Boitsfort est considérée comme une voirie « Auto Confort » ;
  • les autres voiries aux alentours du Bois de la Cambre sont considérées comme des voiries « Auto Quartier ».
68. Pour contester ce grief tiré de l'absence de respect du P.R.M. « Good Move », les parties défenderesses soutiennent quant à elles que celui-ci ne peut être pris en considération parce qu'il n'a pas encore été publié et donc n'est pas encore entré en vigueur.
La région de Bruxelles-Capitale précise encore que l'arrêté du P.R.M. approuvé par son gouvernement en deuxième lecture doit encore être soumis à la section avis du Conseil d'État pour sa partie réglementaire tel qu'il ressort de la pièce 16 du dossier de la région de Bruxelles-Capitale puisqu'il invite à soumettre l'arrêté à la section avis du Conseil d'État soit après son adoption.
69. L'on peut s'interroger sur les raisons qui ont poussé la ville de Bruxelles, en concertation avec la région de Bruxelles-Capitale, à asseoir la validité de l'ordonnance temporaire de police des 3 et 10 septembre 2020 sur un P.R.M. dont elles ne reconnaissent actuellement pas l'applicabilité et dont la légalité pourrait, le cas échéant, être contestée.
En agissant de la sorte - à savoir partir du postulat et écrire dans l'ordonnance querellée que « ledit scénario correspond au Plan Régional de Mobilité « Good Move » alors que la ville de Bruxelles reconnaît par ailleurs que celui-ci n'est pas entré en vigueur - cette dernière a édicté une ordonnance dont il doit être constaté qu'elle est entachée d'irrégularités manifestes et substantielles, en ce qu'elle « prévoit de fermer à la circulation la boucle dit « sud », autorisant toutefois le passage du bus 41 de la STIB, des véhicules prioritaires, de transport organisé et des bus scolaires ».
70. Enfin, il y a lieu de relever que le volet stratégique du P.R.M., qui se distingue du volet réglementaire, a pour vocation conformément à l'article 7, paragraphe 2, de l'ordonnance du 26 juillet 2013 d'établir une cartographie exhaustive des voiries régionales. Il s'agit en l'espèce de la carte de spécialisation multimodale des voiries publiée sur le site de Bruxelles Mobilité déposée en pièce 4.2 du dossier des deuxièmes parties intervenantes.
Cette carte, qui n'a donc pas de portée réglementaire, prévoit que la boucle sud est un axe de circulation ouvert.
Si la carte de spécialisations multimodales peut faire l'objet de modification, il s'avère que, sur le plan factuel, au moment où la ville de Bruxelles a pris l'ordonnance querellée, la carte n'avait et n'a toujours pas fait l'objet de modifications.
Ainsi, à l'heure actuelle, le P.R.M., dans son volet stratégique, prévoit toujours que la boucle sud est un axe ouvert à la circulation et non fermé.
Il ne ressort pas de l'examen de la cause que la ville de Bruxelles, dans le cadre de son appréciation, aurait, prima facie, pris en considération cet élément factuel non négligeable. Aucune explication n'est mentionnée quant à cet aspect de sorte qu'il y a lieu de constater que la ville de Bruxelles a, prima facie, manqué également à son devoir de minutie et de bonne administration.
La position de la Région parait à cet égard singulière puisqu'elle vient appuyer la thèse de la ville de Bruxelles, en se mettant en porte à faux avec sa carte de spécialisations multimodales publiée sur le site de Bruxelles Mobilité.
71. En conclusion, prima facie, lors de l'appréciation des différents éléments qui ont été portés à sa connaissance avant de rendre l'ordonnance litigieuse, la ville de Bruxelles a commis plusieurs fautes d'une importance majeure en lien direct avec le préjudice subi par les demandeurs.
Ces erreurs manifestes d'appréciation l'ont conduite à adopter une ordonnance des 3 et 10 septembre 2020 qui se révèle in fine entachée d'illégalité en ce qu'elle prévoit de fermer à la circulation la boucle dit « sud », autorisant toutefois le passage du bus 41 de la STIB, des véhicules prioritaires, de transport organisé et des bus scolaires, de sorte qu'il y a lieu d'en écarter l'application en vertu de l'article 159 de la Constitution.
Ce constat d'illégalité rend superfétatoire l'examen des autres griefs invoqués par les parties.
VI. Quant au provisoire
Rappel de quelques principes
72. Les mesures prises par le juge des référés sont provisoires en ce sens qu'elles n'ont aucune autorité de chose jugée à l'égard du juge du fond ce qui n'empêche pas le juge des référés d'examiner les droits des parties dont l'évidence ou, à tout le moins, l'apparence de leur existence, crée les conditions d'une absence de contestation sérieuse [8].
Les limites de l'intervention du juge des référés sont définies comme suit :

« En cas d'urgence, le juge des référés peut ordonner des mesures conservatoires si une apparence de droit justifie une telle décision ; à cette occasion, il ne peut rendre des décisions déclaratoires de droits ni régler définitivement la situation des parties » [9].

Le juge des référés dispose d'un large pouvoir d'appréciation :

« compte tenu de la finalité poursuivie, il détermine la mesure la mieux adaptée sans nécessairement retenir celle qui aurait été suggérée » (G. De Leval, Droit judiciaire, Tome 1, Institutions judiciaires et éléments de compétence, Larcier, 2014, Bruxelles, p. 469).

En l'espèce
73. Tout d'abord, en raison de l'écartement de l'application de l'ordonnance temporaire de police des 3 et 10 septembre 2020 en raison de l'illégalité apparente qui l'affecte, la demande de production des données de mesurages relative à la phase test visée dans cette ordonnance devient sans intérêt et il n'y a donc pas lieu de l'ordonner.
74. Par ailleurs, la mesure d'expertise aux fins d'évaluation des incidences environnementales n'a pas lieu d'être, en l'espèce, dès lors que la présence cause ne s'inscrit pas dans le cadre d'une action en cessation environnementale.
75. Pour le surplus des mesures sollicitées par la partie demanderesse et les première, deuxième et troisième parties intervenantes, il y a lieu, en outre, d'observer qu'elles échappent au provisoire et revêtent un caractère définitif. En effet, faire droit aux mesures sollicitées reviendrait à demander au juge judiciaire d'élaborer en lieu et place de la ville de Bruxelles l'organisation des voiries au sein du Bois de la Cambre.
S'il résulte des débats et des positions adoptées par l'ensemble des parties que des mesures appropriées doivent pouvoir être appréhendées, il ne ressort cependant pas de la compétence du juge judiciaire de se substituer à l'appréciation discrétionnaire de la ville de Bruxelles quant aux compétences qu'elle exerce au risque de violer le principe de la séparation des pouvoirs.
Il y a dès lors lieu de préciser cette mesure de la manière suivante, afin d'adapter celle-ci aux circonstances de l'espèce et de tenir compte de la balance des intérêts des parties. Seule la ville de Bruxelles est condamnée à la mesure dès lors qu'elle est la seule autorité compétente pour prendre les mesures qui s'imposent.
Le fait que l'ordonnance querellée est prima facie illégale en ce qu'elle prévoit de fermer à la circulation la boucle dit « sud », autorisant toutefois le passage du bus 41 de la STIB, des véhicules prioritaires, de transport organisé et des bus scolaires et est constitutive d'une atteinte portée fautivement aux droits de la commune d'Uccle et consorts, il y a lieu de condamner la ville de Bruxelles à y mettre un terme.
Il convient, par contre, de laisser à la ville de Bruxelles le choix des mesures appropriées qu'elle estimera devoir mettre en oeuvre pour mettre un terme à cette situation.
Il y a en outre lieu de lui accorder un certain délai pour mettre en oeuvre ces mesures et, le cas échéant, d'adapter l'ordonnance querellée.
Un délai de 30 jours calendriers sera, par conséquent, laissé à la ville de Bruxelles et ce, à dater de la signification de la présente ordonnance pour mettre en oeuvre lesdites mesures.
À l'issue de ce délai, quelles que soient les mesures mises en oeuvre par la ville de Bruxelles, la situation en apparence illégale devra avoir pris fin.
76. Une telle mesure ne heurte pas le principe du provisoire, dès lors que le juge du fond, éventuellement saisi, ne sera pas lié par notre décision et restera libre de se départir de notre analyse des droits des parties.
En outre, cette mesure n'est pas de nature à porter un préjudice définitif et irréparable aux droits éventuels de la ville de Bruxelles.
Enfin, une telle mesure n'est pas de nature à excéder notre pouvoir de juridiction, dès lors que nous ne substituons pas à l'autorité administrative dans le cadre de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire mais la condamnons uniquement à mettre un terme à un comportement qui apparaît illégal et constitutif d'une atteinte fautive aux droits de la commune d'Uccle et consorts.
La ville reste libre du choix des mesures qu'elle prendra pour mettre un terme à cette situation apparemment illégale.
77. Dans ses conclusions, la commune d'Uccle exprime la crainte que la ville de Bruxelles ne respecte pas la décision à intervenir et demande, par conséquent, qu'une astreinte de 25.000 euros par jour de retard soit prononcée à défaut d'exécution volontaire dès la signification de la présente décision.
Il est, effectivement, à craindre que la ville de Bruxelles n'exécute pas la présente décision ou, à tout le moins, pas dans un délai suffisamment rapide pour préserver les droits de la commune d'Uccle et consorts.
Il y a lieu, par conséquent, d'assortir la condamnation de la ville de Bruxelles d'une astreinte d'un montant de 2.500 euros par jour de retard à défaut pour elle d'avoir mis un terme à la situation prima facie illégale telle que reprise supra à l'expiration du délai de trente jours qui leur est laissé pour ce faire à dater de la signification de la présente décision.
Il y a lieu, en outre, de fixer à 100.000 euros le montant au-delà duquel la condamnation aux astreintes cessera ses effets, conformément à l'article 1385ter du Code judiciaire.
(...)
Pour rappel, conformément à l'article 1039, alinéa 2, la présente ordonnance est exécutoire par provision et ce, de plein droit.

Par ces motifs,
(...)
Statuant contradictoirement, en référé,
Déclarons la demande principale recevable et fondée dans la mesure ci-après ;
En conséquence,
Écartons l'application de l'ordonnance temporaire de police des 3 et 10 septembre 2020 adoptée par la ville de Bruxelles, représentée par son Collège des bourgmestre et échevins, en ce qu'elle prévoit de fermer à la circulation la boucle dit « sud » du Bois de la Cambre, autorisant toutefois le passage du bus 41 de la STIB, des véhicules prioritaires, de transport organisé et des bus scolaires ;
Condamnons la ville de Bruxelles, représentée par son Collège des bourgmestre et échevins, à prendre toutes les mesures qu'elle estimera appropriées pour mettre un terme à la situation d'illégalité apparente relative à la fermeture à la circulation de la boucle dit « sud » du Bois de la Cambre, autorisant toutefois le passage du bus 41 de la STIB, des véhicules prioritaires, de transport organisé et des bus scolaires et ce, dans un délai maximal de trente jours calendriers à dater de la signification de la présente ordonnance, ceci sous peine d'une astreinte de 2.500 euros par jour de retard, avec un maximum de 100.000,00 euros, les astreintes commençant à courir dès l'expiration du délai précité ;
(...)
Siég. :  Mme P. Monteiro Barretto.
Greffier : M. O. Oudghiri Idrissi.
Plaid. : MesM. Kaiser, P. Minsier, T. Baete, V. Ghazouani (loco A. Loubkine), J. Sambon, D. Lagasse, C. Luyckx et L. Verbraken.
N.B. : Cette ordonnance est frappée d'appel.

 


[1] G. De Leval, Droit judiciaire, Tome 2, Manuel de procédure civile, Bruxelles, Bruylant, 2015, pp. 180 -181, n° 2.50.
[2] Cass., 11 mai 1990, Pas., I, 1045 ; P. Marchal, « Les référés », Rép. not., t. XIII, pp. 48 et 49.
[3] P. Marchal, « Les référés », Rép. not., t. XIII, livre VII, pp. 48 et 49.
[4] M. Regout, « Le contrôle de la Cour de cassation sur les décisions en référé », in Le référé judiciaire, C.J.B., 2003, p. 124, n° 6.
[5] Cass., 21 mars 1985, Pas., 1985, I, p. 908 ; Cass., 13 septembre 1990, Pas., 1991, p. 41 ; et que la procédure ordinaire est impuissante à résoudre le différend en temps voulu (Cass. 21 mai 1987, Pas., 1987, I, p. 1160 ; Cass., 23 septembre 2011, Pas., 2011, p. 2031 ; Bruxelles, 26 janvier 2006, J.T., 2006, p. 393 ; Bruxelles, 27 juin 2012, J.L.M.B., 2013, p. 694.
[6] C'est la ville de Bruxelles qui souligne.
[7] M.B. du 3 septembre 2013.
[8] Cass., 9 septembre 1982, Pas., 1983, I, p. 48 ; Cass., 29 septembre 1983, Pas., 1984, I, p. 84 ; Cass., 21 mars 1985, Pas., 1985, I, p. 908 ; Cass., 22 février 1991, Pas., 1991, I, p. 607 ; Cass., 24 juin 2013, Pas., 2013, p. 1450 ; Cass., 26 juin 2014, Pas., 2014, p. 1634 ; Cass., 12 septembre 2014, Pas., 2014, p. 1860 ; J. Van Compernolle, « Actualités du référé », Ann. Louv., 1991, p. 149.
[9] Cass., 2 mars 2012, R.G. C.11.0089.F.


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Sommaire

1. L'exercice d'une compétence discrétionnaire par une autorité communale n'a pas pour effet de faire obstacle de manière absolue à toute compétence du juge des référés lorsque cet exercice de celle-ci semble porter atteinte de manière fautive aux droits subjectifs d'une autre autorité communale.

2. Chargée d'assurer tout ce qui est d'intérêt communal en vertu de l'article 41 de la Constitution, une commune trouve dans cette compétence un intérêt propre, distinct de l'intérêt général.

3. L'autorité communale qui, alors qu'elle ne peut ignorer les inconvénients majeurs causés par sa décision sur le territoire d'une autre commune, s'abstient de les prendre en considération, commet une erreur manifeste d'appréciation.

Mots-clés

Pouvoir judiciaire - Référé - Suspension d'un acte administratif - Compétence discrétionnaire d'une autorité communale - Séparation des pouvoirs - Protection des droits subjectifs - Action en justice - Pouvoirs publics - Communes - Intérêt à agir - Voirie - Aménagement du territoire - Circulation routière - Pouvoir de police - Conséquences sur le territoire d'une autre commune - Erreur manifeste d'appréciation

Date(s)

  • Date de publication : 09/04/2021
  • Date de prononcé : 12/11/2020

Référence

Tribunal civil francophone Bruxelles (chambre des référés), 12/11/2020, J.L.M.B., 2021/14, p. 638-651.

Éditeur

Larcier

Branches du droit

  • Droit judiciaire > Compétence > Compétence matérielle > Président du tribunal
  • Droit judiciaire > Droit judiciaire - Principes généraux > Action en justice > Intérêt
  • Droit public et administratif > Commune > Nouvelle loi communale > Compétences communales
  • Droit public et administratif > Droit administratif > Acte administratif > Compétence de l'auteur de l'acte
  • Droit public et administratif > Droit administratif > Acte administratif > Erreur manifeste d'appréciation
  • Droit public et administratif > Droit constitutionnel > Pouvoirs constitutionnels - art. 33-166 > Attribution et exercice des compétences - art. 35-41
  • Droit public et administratif > Droit constitutionnel > Pouvoirs constitutionnels - art. 33-166 > Pouvoir judiciaire - art. 144-159
  • Droit public et administratif > Droit constitutionnel > Pouvoirs constitutionnels - art. 33-166 > Séparation des pouvoirs

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