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18/05/2018
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Cour d'appel Liège (12e chambre B), 18/05/2018


Jurisprudence - Avocats

J.L.M.B. 19/24
Avocat - Responsabilité - Curateur de faillite - Responsabilité professionnelle - Principe général du droit «?fraus omnia corrumpit?» - Faute intentionnelle du client - Informations fausses et trompeuses - Absence de dommage .
Observations .
Le principe général du droit «?fraus omnia corrumpit?» s'oppose à ce qu'un avocat engage sa responsabilité professionnelle vis-à-vis de son client lorsque ce dernier lui a communiqué des informations fausses ou trompeuses et qu'il est prouvé que c'est volontairement et en connaissance de cause que le client les lui a transmises. L'avocat chargé de la rédaction de conventions ne commet aucune faute lorsqu'il retranscrit des informations trompeuses, alors qu'il n'a pu les rédiger que sur la base d'éléments communiqués par les parties et qu'il prend rapidement les dispositions nécessaires à la régularisation de la situation lorsqu'il apprend l'inexactitude des informations.
Un client ne peut prétendre à la réparation du dommage dont il est le seul responsable au vu de son comportement frauduleux à l'origine de ce qu'il prétend être une faute dans le chef de l'avocat.
Ces mêmes principes sont d'application, mutatis mutandis, vis-à-vis du curateur de faillite.

(Gaetano / S.A. Ethias et Maître C.) )


Vu le jugement rendu le 31 octobre 2016 par le tribunal de première instance de Liège, division de Liège (...).
Antécédents et objet de l'appel
L'objet du litige et les circonstances de la cause ont été correctement et avec précision relatés par le premier juge, à l'exposé duquel la cour se réfère.
Vu les parties en appel, l'évolution du litige et les contestations entre elles, il suffit à ce stade de rappeler que :
  • Gaetano était le gérant de la société P. ;
  • la société P. était sous-locataire d'un immeuble sis à (...) dont le locataire principal était la société I., les deux s'étant aussi engagées dans un contrat de brasserie ;
  • le 15 septembre 2009, Gaetano a cédé par deux conventions le fonds de commerce et son droit au bail à Romain et Charles ;
  • Maître B., dont la société Ethias assure la responsabilité professionnelle, est intervenu dans le cadre de ces cessions pour la rédaction des conventions ;
  • le 12 octobre 2009, la société P. est déclarée en faillite sur aveu et Maître C. a été désigné comme curateur de cette faillite ;
  • des difficultés sont intervenues pour la cession de bail, pour laquelle la société I. n'a pas donné son accord ;
  • les problèmes relatifs à la cession de bail, dont le fait que Romain et Charles avaient déjà exécuté des travaux importants d'aménagement dans les lieux litigieux ont été réglés par le juge de paix compétent dans cette matière et par le tribunal civil de Liège, division de Verviers siégeant en degré d'appel (jugement du 10 juin 2015) ;
  • dans ce litige, Gaetano a été condamné à payer des sommes à la société I. en sa qualité de caution solidaire des obligations de la société P. à l'égard de la société I. ;
  • un litige en responsabilité a ensuite été introduit en deux phases, litige qui opposait, outre les parties actuellement présentes en appel, Romain et Charles et la société I.
Dans le jugement entrepris, le premier juge a rejeté toutes les actions entreprises.
Seul Gaetano a interjeté appel en intimant la S.A. Ethias, en qualité d'assureur de Maître B., et Maître C., curateur de la société P.
En appel, Gaetano demande que les deux intimés soient condamnés à lui payer les sommes auxquelles lui-même avait été condamné à payer devant le tribunal civil précité siégeant en degré d'appel sur la question du bail commercial.
Les deux intimés demandent la confirmation du jugement entrepris.
Discussion
I. Quant à la responsabilité reprochée à Maître B., assuré de la société Ethias
Gaetano estime à présent que Maître B. a commis deux fautes successives d'abord en écrivant dans un premier temps que la société I. avait donné son accord à la cession et ensuite en ne l'avertissant pas du refus de la cession de la société I.
La société Ethias plaide à titre principal que les éléments reprochés à Maître B. se produisent dans un contexte spécifique qui exclut qu'une responsabilité à sa charge puisse lui être reprochée et ceci en application du principe du droit qui édicte que « Fraus ominia corrumpit ».
La cour partage et fait sien le raisonnement développé par la société Ethias sur ce principe.
En effet, il apparaît des éléments de la cause que Maître B. avait été chargé de la rédaction des deux conventions du 15 septembre 2009 et qu'il n'a pu les rédiger que sur la base des éléments communiqués par les parties.
Or, dans ces conventions, il a été noté des éléments inexacts ou fallacieux, à savoir :
  • dans l'article 4 de la convention de cession de fonds de commerce que « Le cessionnaire a conclu, ce jour, avec le bailleur une convention distincte de bail commercial de l'immeuble dans lequel le fonds de commerce est exploité » ;
  • dans l'article 3 de la convention de cession de bail commercial que « Le cédant déclare et garantit au cessionnaire qu'il a rempli toutes ses obligations locatives à l'égard du bailleur, et notamment qu'il ne lui reste recevable d'aucun arriéré de loyer » ;
  • dans l'article 6 de la convention de cession de bail commercial que « Le bailleur autorise la cession du bail commercial au cessionnaire et décharge expressément le cédant de toutes les obligations qui découleront à l'avenir de ce bail ».
En effet, lors de la rédaction des deux conventions en cause, la société P. était toujours liée par un bail avec la société I., ce bail ne se terminant que le 30 avril 2010 et au surplus, les éléments du dossier révèlent qu'à ce moment, la société P. était débitrice d'arriérés de loyers conséquents à la société I.
Au surplus, les conventions de cession prévoient expressément leur entrée en vigueur immédiate avec occupation des lieux en conséquence, à savoir qu'ainsi, vu l'entrée en vigueur de ces conventions, celles-ci nécessitaient l'accord de la société I. et non pas seulement un éventuel accord du propriétaire de l'immeuble ou du bailleur principal, accord qui n'est d'ailleurs pas prouvé en l'espèce.
Par ailleurs, dans sa réponse officielle faite le 21 septembre 2009 à Maître B., la société I. signale précisément que :
  • elle avait été avertie par Gaetano de son intention de céder le fonds de commerce ;
  • elle lui a dit qu'il ne pouvait remettre ce fonds vu le bail et ceci, même si l'amateur aurait lui-même négocié un nouveau bail avec le propriétaire et qu'une cession ne sera pas acceptée tant que les sommes dues par la société P. ne seraient pas soldées.
Ces éléments démontrent ainsi que Gaetano a donné volontairement des informations fausses ou trompeuses à Maître B. et que, comme le premier juge l'a estimé, le comportement fallacieux de Gaetano est exclusif de toute responsabilité dans le chef de Maître B.
Pour autant que de besoin, la cour ajoutera encore que le fait invoqué à faute à Maître B. est particulièrement ténu, sans conséquence sur le prétendu dommage subi par Gaetano et que Maître B. a très rapidement rectifié la situation.
En effet,
  • certes, Maître B. a cru dans un premier temps qu'il y avait un accord de la société I. pour la cession et l'a signalé à Romain et Charles ;
  • néanmoins, Gaetano lui-même n'a pas pu se méprendre sur l'existence réelle d'un tel accord puisqu'il savait très bien à ce moment que la société I. ne donnerait un accord que si les arriérés de loyers étaient payés, quod non en l'espèce ;
  • au surplus, à l'invocation actuelle de Gaetano que Maître B. n'aurait rien fait suite à le lettre susmentionnée de la société I., la société Ethias dépose un double courrier adressé respectivement à Gaetano et à Charles et Romain, courrier qui demande aux destinataires « Merci de prendre rendez-vous d'urgence, sur [la] base du courrier que je reçois d'I. », ce courrier démontrant à suffisance que Maître B. a réagi dès qu'il a connu le refus d'I. ;
  • quant au prétendu dommage invoqué, la société Ethias s'interroge d'abord pertinemment sur l'existence même d'un réel dommage et ceci dans la mesure où le jugement susmentionné du 19 juin 2015 condamne certes Gaetano à payer différentes sommes à la société I. mais prévoit aussi une condamnation de Charles et Romain à garantir Gaetano de la majeure partie de ces sommes dont la somme provisionnelle de 8.000,00 euros à titre de dégâts locatifs, sommes qui ont été manifestement payées par les deux précités puisque Gaetano mentionne dans le dispositif de ces conclusions qu'il y a lieu de déduire des sommes qu'il réclament la somme de 18.557,05 euros lui payées par les deux précités ;
  • en tout état de cause, dans les circonstances précises de la cause, Gaetano ne peut réclamer un quelconque dommage dont il est le seul responsable en raison de son comportement fallacieux d'origine à l'égard de Maître B.
II. Quant à la responsabilité reprochée au curateur C.
La responsabilité du curateur est recherchée pour avoir prétendument manqué de diligence dans le cadre des difficultés liées à la cession du bail litigieuse.
Ledit curateur invoque la prescription de l'action introduite contre lui et, comme la première intimée, le principe « fraus omnia corrompit ».
En ce qui concerne la prescription, cette question discutée nécessitant une analyse précise des faits de la cause, la cour passera directement à l'application du principe invoqué, l'analyse de la prescription n'étant alors reprise que si elle s'avère nécessaire.
Quant au principe invoqué, le comportement du curateur doit être analysé au regard de la situation précise qu'il a rencontrée, à savoir que :
  • lors de la descente sur les lieux du curateur, descente qui a eu lieu au siège social de la société P., ledit curateur a recueilli les explications de Gaetano sur la cession préalable à la faillite du bail commercial et du fonds de commerce et ceci, manifestement sans être précisément averti des difficultés liées à l'absence d'accord de la société I. ;
  • il résulte aussi des pièces du dossier que c'est la société I. qui a ultérieurement averti le curateur de la situation précise ;
  • le curateur a ensuite signalé que la curatelle n'entendait pas reprendre le bail concédé par la société I. mais il a été par ailleurs, confronté à la situation de la présence dans les lieux de Charles et Romain qui bénéficiait d'une double convention de cession et avait déjà effectué des travaux importants dans les lieux, l'existence de ces travaux très rapidement après la signature des conventions étant attestée par des pièces déposées et déjà retenues par le jugement précité du 10 juin 2015 qui a autorité de chose jugée entre les parties.
La cour estime que, dans ces circonstances précises, le curateur, qui par ailleurs, s'est vu aussi ultérieurement recevoir un refus réitéré de la société I. d'arranger la situation, ne peut se voir reprocher une faute et d'autant plus que le bail en cause était, vu le temps écoulé pour bien percevoir la situation, presqu'arrivé à échéance définitive.
Pour autant que de besoin la même remarque que celle faite ci-dessus quant au dommage prétendu de Gaetano pourrait encore être ajoutée.
En conclusions, aussi vis-à-vis du curateur C., Gaetano ne peut rechercher sa responsabilité et recevoir un quelconque dommage, étant responsable de celui-ci et ceci dans la mesure où II a caché intentionnellement audit curateur la situation précise quant aux conventions de cession qui n'avait pas reçu l'accord de la société I.
Quant aux dépens de la cause, le premier juge a correctement apprécié lesdits dépens dans le cadre des actions dont il était saisi.
Il y a lieu en conséquence de condamner Gaetano aux dépens d'appel des parties intimées qui ne sont pas autrement contestés.
Par ces motifs
(...)
Reçoit l'appel.
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré non fondées les actions introduites par Gaetano contre les parties intimées et en ce qui concerne les dépens entre ses parties.
Condamne Gaetano aux dépens d'appel liquidés pour la société Ethias à 2.400 euros et pour le curateur C., à 1.210 euros, selon les états déposés qui sont admissibles.
Siég. :  Mme Chr. Malmendier.
Greffier : Mme L. Pirard.
Plaid. : MesY. Libert, J.-Fr. Jeunehomme et Br. Devos.

 



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Le principe général du droit « fraus omnia corrumpit » s'oppose à ce qu'un avocat engage sa responsabilité professionnelle vis-à-vis de son client lorsque ce dernier lui a communiqué des informations fausses ou trompeuses et qu'il est prouvé que c'est volontairement et en connaissance de cause que le client les lui a transmises. L'avocat chargé de la rédaction de conventions ne commet aucune faute lorsqu'il retranscrit des informations trompeuses, alors qu'il n'a pu les rédiger que sur la base d'éléments communiqués par les parties et qu'il prend rapidement les dispositions nécessaires à la régularisation de la situation lorsqu'il apprend l'inexactitude des informations.

Un client ne peut prétendre à la réparation du dommage dont il est le seul responsable au vu de son comportement frauduleux à l'origine de ce qu'il prétend être une faute dans le chef de l'avocat.
 
Ces mêmes principes sont d'application, mutatis mutandis, vis-à-vis du curateur de faillite.

Mots-clés

Avocat - Responsabilité - Curateur de faillite - Responsabilité professionnelle - Principe général du droit « fraus omnia corrumpit » - Faute intentionnelle du client - Informations fausses et trompeuses - Absence de dommage - Observations

Date(s)

  • Date de publication : 22/01/2021
  • Date de prononcé : 18/05/2018

Référence

Cour d'appel Liège (12e chambre B), 18/05/2018, J.L.M.B., 2021/3, p. 118-122.

Éditeur

Larcier

Branches du droit

  • Droit civil > Droit civil - Principes généraux > Adages > Fraus omnia corrumpit
  • Droit civil > Obligations hors contrat > Obligation (quasi) délictuelle > Dommage
  • Droit civil > Obligations hors contrat > Obligation (quasi) délictuelle > Faute
  • Droit judiciaire > Barreau > Responsabilité de l'avocat
  • Droit économique, commercial et financier > Insolvabilité > Faillite > Administration de la faillite

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